(1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Première partie « Causes de la décadence du goût sur le théâtre. — Chapitre I. Du Théâtre des Anciens. » pp. 2-24
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(1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Première partie « Causes de la décadence du goût sur le théâtre. — Chapitre I. Du Théâtre des Anciens. » pp. 2-24

Chapitre I.

Du Théâtre des Anciens.

Le Théâtre Grec comparé au Théâtre Latin ; raisons de l’infériorité du dernier.

Q uelque courte que soit la vie, elle est encore trop longue pour la moitié des hommes. La plûpart ne pouvant dissiper l’ennui qui les dévore, par aucun moyen qui soit en eux-mêmes, ont été trop heureux de recevoir ceux qu’on leur a présentés, pour se dérober à leur propre foiblesse, & perdre, dans une foule de distractions & d’amusemens, un tems qui étoit devenu pour eux un fardeau insupportable.

Telle est l’origine des Spectacles dont nous allons parler. Il a fallu que ces espèces de jeux eussent été précédés d’un amas suffisans d’événemens, dont les sociétés aimoient à se rappeller le souvenir. Les représentations Théâtrales n’ont été inventées que longtems après la fondation des Empires. Après avoir assuré leurs fondemens par la gloire des armes, par des Loix sages, & des traités solides, les Peuples se sont trouvés dans une espèce de désœuvrement, d’où ils ne se sont tirés, qu’en se représentant les événemens qui leur étoient glorieux, qu’en se retraçant leurs belles actions, qu’en leur renouvellant le tribut de leur reconnoissance & de leur admiration.

Dans un état florissant, les progrès du luxe & des Spectacles sont presqu’aussi essentiels, que ceux de la gloire & de la puissance de la Nation. L’un est la preuve de l’autre. Chez les Romains, peu s’en falloit qu’il ne fût aussi glorieux de donner des Spectacles au Peuple, que de mériter les honneurs du triomphe. Armand, après la conquête de la Rochelle, ne crut pas indigne de son grand nom, de composer pour le Théatre.

Il est vraisemblable que les Ægyptiens, les Assyriens & les autres Peuples, qui ont brillé dans les premiers tems, par leurs belles inventions, ont eu des Spectacles. Mais le peu de fragmens qui nous restent de de leurs Annalles, ne nous en ont rien transmis.

Ainsi les Grecs sont unanimemens reconnus pour les seuls inventeurs du Théâtre. Chez eux d’abord, les Spectacles étoient des divertissemens champêtres, où l’on faisoit entrer le culte des Dieux, & sur-tout de Bacchus, qu’on y célébroit dans le tems des vendanges, comme le Protecteur & le Dieu des raisins. Ayant passé de la Campagne dans les Villes, ces jeux changerent d’objet & de forme & devinrent les délices de la Grèce. Elle en tira même souvent des moyens pleins d’élévation, pour déployer, aux yeux de ses ennemis & des Etrangers, son courage & sa fermeté. Les Athéniens, après la défaite entiere de leur Armée, devant Syracuse, voulurent que les Spectacles publics fussent donnés à l’ordinaire. Leur interruption eût montré un abbattement, qui eût fait rougir la grandeur Athénienne. Une telle générosité, plus difficile à vaincre que la République, fut admirée universellement.

Quoique des Auteurs connus trouvent dans les Poëmes d’Homère, les premières traces des représentations Théâtrales, parce que d’une action en récits, il n’y a qu’un pas à l’action représentée ; quoiqu’il soit certain que Thespis ait fait le premier un art particulier de celle-ci : sans rien diminuer de la gloire qui leur est dûe à cet égard, nous passerons à la seconde époque de la Tragédie, à Eschyle, qui tira cet art sublime, de l’avilissement où Thespis l’avoit laissé.

Eschyle vivoit dans un tems où Athènes étoit la maîtresse de la Grèce : elle avoit une grande puissance, puisqu’elle avoit de grands ennemis. Cependant sous lui, la Tragédie resta encore loin de la véritable grandeur. Les embellissemens qu’il y ajouta ne consistoient guère que dans les habillemens des Acteurs, & la construction d’un Théâtre plus commode. On lui donne néanmoins la gloire d’avoir joint un second personnage à celui que Thespis avoit inventé.

Eschyle dans le chœur jetta les personnages ;
D’un masque plus honnête habilla les visages,
Sur les airs d’un Théâtre, en public exhaussé,
Fit paroître l’Acteur d’un brodequin chaussé.

Le mot personæ, rendu par personnages, ne peut s’entendre Boileau dit qu’Eschyle jetta les personnages dans le chœur ; Horace dit que le réformateur du Théâtre Grec, inventa un nouveau personnage.5 Le traducteur n’est point d’accord avec l’original. Si l’expression personæ d’Horace, signifie les personnages, comment Eschyle les auroit-il inventés, puisque Thespis en employoit un avant lui ? Horace & tous les Auteurs qui ont parlé du Théâtre Grec, attribuent à Thespis l’invention du personnage qu’il ajouta à ceux du Chœur, & dont les fonctions étoient différentes. Canerent, agerentque. Eschyle fut le premier, dit Aristote, dans sa Poétique, (ch. 4.) qui mit deux Acteurs sur la scène, car il n’y en avoit qu’un avant-lui. Eschyle n’augmenta point le nombre des personnages du chœur, au contraire ; de cinquante qu’on y voyoit souvent, il les réduisit à douze, & cette réduction étoit nécessaire. Le chœur avoit été le fond du Spectacle : mais depuis les changemens qu’il y avoit introduits, ce chœur n’en étoit plus qu’une partie accessoire : la traduction de Boileau est donc un contre-sens, qu’il est étonnant qu’on ait laissé échapper.

Si le chœur subsista, le chant qu’il avoit pour objet fut lié à l’action, & ne fit plus avec elle qu’un tout assorti, & artistement combiné. « Eschyle, dit le Pere Brumoy, l’y incorpora comme chœur, pour chanter dans les entre-actes, & comme personnage mêlé à l’action. Les Anciens, selon Racine, se sont distingués par cette continuité d’action, qui fait que leur Théâtre ne demeure jamais vuide. Les intervalles des actes n’étant marqués que par des hymnes, où des moralités qui ont rapport à ce qui se passe. »

C’est à Sophocle qu’Athènes dût la perfection de la Tragédie ; il y ajouta d’abord un troisième personnage, & la Tragédie n’a guères changé de forme après lui. Ses chefs-d’œuvres ont porté le Théâtre au plus haut dégré de gloire.

Sophocle enfin donna l’essor à son génie,
Accrût encore la pompe, augmenta l’harmonie
Intéressa le chœur dans toute l’action ;
Des vers trop raboteux polit l’expression,
Lui donna chez les Grecs, cette hauteur divine,
Où jamais n’atteignît la foiblesse Latine.

Ce vers intéressa le chœur, &c. n’est pas encore exact, à moins que tous les Auteurs qui s’accordent à dire qu’Eschyle avoit employé le chœur comme personnage mêlé à l’action, ne se soient trompés ; tant il est vrai que les meilleurs Critiques font mille fautes sur la littérature des Anciens !

Les Romains qui ont surpassé les Grecs par la gloire des armes, leur ont été inférieurs dans presque toutes les productions de l’esprit. Il semble que ce soit le sort des Peuples, qui se succédant directement l’un à l’autre, ne croyent trouver, dans les Ouvrages des premiers, que des objets d’imitation. C’est une vérité reconnue ; mais on ne nous en a guères donné de raisons. Elles méritent de trouver ici leur place.

Le génie, ennemi de la contrainte, se réfroidit, s’abaisse, dès qu’on ne lui laisse pas prendre un libre essor. Dans le feu de l’enthousiasme, il ne voit que le grand, il n’aime qu’à créer. Art, bienséances, correction, enfin tous ces petits détails, dont s’occupe le vulgaire, sont au-dessous de lui. Il s’élève jusqu’à la région des Etoiles, par les plus heureux écarts. Sur les aîles du désordre, il perce jusqu’au trône de la lumiere, & revient, si j’ose m’exprimer ainsi, chargé des dépouilles mêmes de la divinité. A-t-il à dissiper des obstacles que l’ordre, tyran minutieux, oppose à son vol hardi ? il retombe au sein de ces atômes, que sa force naturelle alloit franchir.

Les Grecs étoient originaux dans les sciences & dans les arts. Tous les sentiers leurs paroissoient nouveaux ; tous les moyens étoient à leurs yeux, le fruit de leurs méditations & de leur recherche. Cette haute idée d’eux-mêmes, échauffoit leur esprit ; ils n’avoient pas, comme ceux qui les ont suivis, de précautions à prendre pour ne pas ressembler, n’y d’efforts à faire pour trouver dans des sujets rebattus, des faces nouvelles, & capables de donner à leurs ouvrages, cet air de fraîcheur qu’on exige même de nos jours. Il n’y a point d’Ecrivain qui, en traitant des matieres neuves, n’ait senti plus de feu & plus de facilité que dans des sujets pris avant eux.

Sur ce principe, les Grecs devoient avoir de grands avantages sur les Romains. En effet, la Langue Grecque étoit à peine connue, qu’Homère en fit le langage des Dieux. Athènes ne venoit que de naître, quand elle enfanta l’Epopée, le Drame & même l’Eloquence. Homère, Sophocle & Demosthene n’eurent point de modèles, & en servent encore après trois mille ans.

Ajoutons que les Grecs eux-mêmes, en composant des corps de règles sur les plus beaux ouvrages qui avoient paru chez eux, perdirent cette force, ce sublime, qui avoient brillé dans leurs compositions. Ces règles, ouvrages de froids méditatifs, donnerent des entraves au génie. On vit un Aristote & plus d’Homère.

Elles ne manquerent pas de causer sur les Romains les mauvais effets qu’elles avoient produits contre leurs propres Auteurs. Rome eut de grands Poétes, de grands Orateurs, mais leur mérite est plus dans la régularité, dans la forme, dans les détails. Ciceron est plus abondant, plus adroit. Démosthene est plus véhément, plus rapide, plus sublime. Le talent brille dans l’un, un génie toujours créateur anime l’autre. Virgile a fait un beau Poéme, l’Iliade en est un grand. Le Latin habille son héros en homme, celui du Grec paroît un Dieu.

Rome connoissoit à fond les ouvrages des Grecs ; elle instruisoit la jeunesse dans leurs seules Lettres : cet usage ne retarda pas moins les progrès de la Langue Latine, que la coûtume d’employer celle-ci dans nos actes publics, n’a été funeste au François. La perte du tems fut irréparable pour les Romains. Combien ne devons-nous pas déplorer l’aveuglement de nos peres, qui ont abandonné le soin de leur propre langue, pour un idiôme étranger !

L’intervalle entre les Grecs & les Romains, étoit trop court. Les biens des uns devinrent ceux des autres : on préféra les fruits de la conquête aux possessions patrimoniales. Celles-ci laissent le cœur dans une espèce d’inertie ; celles-là, au contraire, lui représentent sa grandeur & nourrissent sa fierté. Le vainqueur, en s’emparant de l’Empire des Grecs, ne s’apperçut pas qu’il étoit trop sensible aux charmes de leur esprit, qu’il enchaînoit pour ainsi dire le sien, le réduisoit au moins, à l’inaction, & par-là préparoit le plus noble triomphe au vaincu.

Si un génie égal à M. de Voltaire eût fait dix ans avant lui, une Henriade ; si M. de Voltaire l’eût eue sans cesse sous les yeux, en composant la sienne, je suis persuadé que son Ouvrage eût été inférieur, non-seulement à la premiere Henriade, mais même à celle que nous admirons. L’imitation est toujours une contrainte, mais c’est l’esclavage le plus dur, pour deux Auteurs qui traitent le même sujet.

Pour tirer avantage de l’imitation, il faut qu’il s’écoule des siécles entre l’imitateur & le modèle. Alors le changement des circonstances fournit d’heureuses applications, des intérêts différens, des situations neuves qui dépaysent, dénaturent en quelque sorte les objets & éffacent ces traits d’une ressemblance trop marquée. Les Auteurs des plus belles idées, n’étant plus depuis longtems, semblent remettre la postérité dans le droit de se les approprier à son tour. C’est pour cela qu’on réussit à approcher des Anciens, & qu’entre comtemporains, de bons Originaux ne produisent que de froids copistes.

Les Romains avoient leurs Spectacles, dont la Tragédie ne fit partie que longtems après leur institution. Regardée à Rome comme une chose presqu’étrangère au fond des divertissemens publics, elle n’a pu remuer les ames au point de pénétrer les unes d’admiration & les autres de ce desir noble de la mériter. Quelques Auteurs Latins ont fait des Tragédies, mais par simple curiosité. Ce motif n’a rien inspiré de grand ; d’ailleurs, les suffrages de la Nation, ces grands ressorts du génie, n’ont accueilli ces essais, qu’en raison de leur durée, dans la célébration des jeux. L’esprit abhorre ce partage, & n’entre qu’avec dédain, dans une carriére, où il se voit confondu avec mille objets, qu’il ne manque pas de regarder comme fort au-dessous de soi.

Rome qui a emprunté des Grecs, tant de Loix sages, tant d’usages utiles, a négligé celui qui a élevé la Grèce au-dessus de toutes les autres Nations. Je veux dire, l’usage de lire & de couronner les Poémes, les Histoires, les piéces d’Eloquence, dans les Fêtes publiques & solemnelles. Si l’on trouve quelques traces de cet usage, on en perdoit tout le fruit, en n’en faisant pas une coûtume expresse.

Qu’on se rappelle avec quel pompeux appareil, les prix du goût & du génie, étoient distribués aux jeux Olympiques, Neméens, Histmiques, &c. C’étoit dans l’assemblée de toute la Grèce, que les Auteurs étoient couronnés. Les Villes, les bourgs de leur naissance partageoient leurs honneurs. Les couronnes méritées, par leurs Citoyens, leur donnoient quelquefois droit de suffrages dans les délibérations de l’Etat, quelquefois la préséance, quelquefois enfin, elles faisoient lever ces fameux interdits, qui excluoient tout un Peuple, des jeux solemnels & des assemblées générales.

D’ailleurs la Tragédie Grecque avoit, pour ainsi dire, passé par ses différens âges, quand la Grèce parut dans son éclat littéraire. Dans son plus beau siècle, sous Auguste, Rome connoissoit à peine la Tragédie. Sénéque le tragique, ne vint que long-tems après, c’est-à-dire, dans un tems où la Langue Latine & le bon goût couroient, à grands pas à leur décadence. La gloire des Romains étoit passée ; l’esprit avoit pris la place du génie, la pointe, l’affectation, celle du merveilleux & du sublime. Sénéque fut peut-être l’Eschyle des Romains ; mais ils n’eurent n’y Sophocle, n’y Euripide.

On m’objectera sans doute que Rome, jusqu’à Auguste, n’avoit point connu l’Epopée, & que cela n’empêcha pas que Virgile ne fît un beau Poéme épique. J’en conviens, mais les Grecs avoient aussi une Iliade, avant d’avoir des Tragédies. Le génie qui a une marche uniforme, dans un même genie d’ouvrages, change cette marche, quand il change d’objet. Le Poéme épique, eût-il donné l’idée de la Tragédie, comme on peut le croire, n’en est pas moins très-différent ; c’est une machine bien plus étendue, bien plus compliquée. Cette différence suffit donc pour faire tomber l’objection.

La musique qui produisoit de si grands effets sur le Théâtre Grec, fut fort négligée des Latins, qui lui substituerent la déclamation, comme plus naturelle & plus propre que le chant, selon eux, à ces représentations ; ils ne l’employerent que comme nous, dans les intermédes, sans la lier au sujet. Ainsi ce vuide a dû diminuer l’éclat du Spectacle & le merveilleux de l’action Théâtrale.

Chez les Grecs, dira-t-on encore, la Comédie a paru après la Tragédie.

Des succès fortunés, du Spectacle tragique,
Dans Athènes naquit la Comédie antique.

Chez les Romains, au contraire, la Comédie a brillé la première, & à même surpassé celle des Grecs. Le génie n’est donc pas uniforme dans ses productions de même genre.

Les Grecs, nous l’avons déjà dit, sont regardés comme les inventeurs des sciences & des arts. Dans ce point de vûe, quels sont les objets qui ont dû se présenter les premiers à leur imagination, dans le genre dramatique ? Les grands hommes qui se sont distingués dans le Gouvernement, où à la tête des Armées ; les événemens qui ont décidé de la conquête, où de la perte d’une Province, où de la conservation de l’Etat, étoient, pour les Grecs, des objets à jamais frappans & mémorables. Un Poéte avoit-il l’idée de faire revivre des hommes, où des faits dans une action Théâtrale, il devoit choisir ceux qui avoient une plus éclatante réputation, où qui étoient les plus agréables à ses concitoyens. Ils furent donc nécessités à commencer par la tragédie, parce qu’elle eut pour objet des Héros, ou des révolutions qui intéressoient alors uniquement.

Les faits historiques fixent les premiers l’attention. De ces faits aux motifs, & aux moyens qui les ont produits, la gradation est toute simple. Avant de s’informer du caractère & des mœurs d’Hercule, on jette les yeux sur ses exploits, parce qu’ils parlent aux yeux : son caractère ne se fait connoître qu’à l’esprit, qu’à la réflexion, qui ne travaillent que sur les mémoires que les premiers leur fournissent. Enfin les grands hommes ont mérité les regards de leur contemporains, avant les ridicules de la vie privée. C’est encore pour cette raison que les premières Comédies étoient toute satyriques.

Les grandes idées nous affectent avant toutes choses ; nous en avons une preuve dans nos jeunes Poétes ; à peine savent-ils le méchanisme des vers, qu’ils entrent hardiment dans la carriere tragique. Au moins, n’y en a-t-il guères qui n’ayent commencé par des Odes. L’esprit, par une espèce d’instinct, s’attache aux sujets dont la grandeur & l’élévation sont le plus capables de le soutenir.

Les guerres fréquentes des Grecs, ont encore contribué à faire précéder le tragique parmi eux. Ces Peuples, toujours frappés du bruit des armes, & des exercices Militaires, chercherent dans leurs amusemens même, des images qui entretinssent leur ame dans la chaleur, dans cette situation fiere & un peu sombre qu’inspire l’horreur des combats.

Nous voulons des jeux assortis à notre état & à nos devoirs. On ne passe pas rapidement d’une occupation sérieuse, aux excès d’une vie folâtre & dissipée. Un Philosophe, sans cesse occupé à fonder les profondeurs de la Nature, à résoudre des problêmes, joueroit un mauvais rôle dans ces divertissemens, où la joie est poussée jusqu’à l’ivresse.

La Comédie est proprement la parodie de la Tragédie. Elle met en opposition les mœurs communes avec les grandes passions, avec l’héroïsme. En fait d’invention, le passage du grand au petit est dans l’ordre universel.

Ceux des Poëtes Latins, qui ont commencé à se faire connoître par leurs Tragédies, les écrivoient en Grec, & ce fut encore une raison du peu de progrès qu’ils firent dans cet art.

Le goût pour les ouvrages dramatiques, n’éclata à Rome, qu’après les guerres de Carthage, au milieu des délices de la paix.

Et post punica bella quietus, quærere cœpit,
Quid Sophocles, & Thespis, & Æschilus utile ferrent.6

Les Romains n’eurent donc plus d’intérêt à se voir rappeller dans leurs Spectacles, les images de la guerre ; ils ne songerent plus qu’à jouir des douceurs du repos : la Comédie eut donc la préférence, & fit tant de progrès, que Térence l’emporta sur Aristophane & Ménandre ses modèles.

Enfin Horace, dit encore, « que les Romains avoient le génie profond, élevé & propre au tragique ; mais qu’ils craignoient le travail, & croyoient qu’il leur étoit honteux d’effacer ce qu’ils avoient une fois écrit ».

Et placuit sibi natura, sublimis, & acer ;
Nam spirat tragicum, satis & feliciter audet,
Sed turpem putat, inscriptis, metuitque lituram.