(1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Première partie « Causes de la décadence du goût sur le théâtre. — Chapitre XII. Des Machines & du merveilleux. » pp. 179-203
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(1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Première partie « Causes de la décadence du goût sur le théâtre. — Chapitre XII. Des Machines & du merveilleux. » pp. 179-203

Chapitre XII.

Des Machines & du merveilleux.

N ous n’entendons point par machines, celles qui servent à l’Opéra à descendre les Dieux du ciel, à les y enlever, à faire sortir des abîmes de la terre ou des enfers, des monstres & des furies. Les Anciens les employoient dans leurs Tragédies avec éclat, parce qu’elles étoient conformes aux principes de leur mitologie. Nous les avons rejettées, parce que la vraisemblance n’est pour nous, comme elle n’étoit pour eux, que dans ce qui s’accorde avec notre religion.

Nous appellons donc ici Machines Théatrales, ces artifices dont on se sert pour former le nœud, pour amener les incidens, pour accroître l’intérêt, & produire de grandes surprises. Telles sont les reconnoissances, les lettres ou billets, les poignards, l’évocation des mânes, les oracles, les songes, les coups de tonnerre, les suppositions ? En expliquant succintement les effets de ces ressorts magiques, nous marquerons en même tems les abus qu’on en fait.

Presque toutes ces machines nous viennent des anciens. Aristote appelle les reconnoissances Agnitions. Les sentimens de la nature qu’elles excitent, causent les impressions les plus délicieuses. Dans l’Electre de Sophocle, la reconnoissance du frere & de la sœur, est la situation la plus brillante, le coup de théatre le plus surprenant. Que de larmes cette belle scène ne fit-elle pas verser aux spectateurs !

Une des plus belles reconnoissances du Théatre François est, sans contredit celle de Luzignan & de ses enfans. Que le sentiment y est bien manié ! Quelle progression ! quelles nuances ! que de naturel, que de patétique dans les discours de Luzignan ! J’ose avancer que la situation est encore plus touchante dans Zaïre que dans Electre.

Le déplorable état de Luzignan est plus attendrissant. Ses malheurs partent d’une source si respectable ! Ceux d’Electre viennent d’un coup si barbare que l’ame en frissonne. Cette Princesse inspire plus d’horreur pour sa mere que de compassion. Luzignan, en semant dans cette scène les traits les plus frappans de sa chute, déchire les entrailles. Dans Sophocle, la scène d’Electre semble se borner aux douceurs tranquilles de l’espérance, & ne produire qu’une joie mutuelle. Dans Voltaire, la joie de Luzignan est suspendue par la crainte de retrouver sa fille Musulmane. Cet incident ouvre une seconde source d’intérêt pour la situation.

D’ailleurs on remarque dans les plaintes d’Electre, & dans l’impatience où elle est de revoir Oreste, je ne sçai quoi de personnel, qui nous apprend qu’elle souhaite son retour, presque autant pour la retirer elle-même des mains d’Ægiste, que pour venger la mort de son pere ; ce qu’elle attend pour elle semble un larcin à ce qu’elle doit aux mânes d’Agamemnon.

Luzignan même en retrouvant ses enfans n’est occupé que du Dieu qu’il adore. Cette grandeur d’ame excite un attendrissement profond, sans mélange & sans partage. Il est vrai que la reconnoissance de Luzignan, & de ses enfans, est un épisode étranger à la piéce, & qui n’y est pas trop nécessaire, si ce n’est pour la remplir.

Au contraire la reconnoissance entre Electre & Oreste sort du sujet même. Mais nous ne parlons ici que de la maniere dont la chose est présentée, & des couleurs que le Poëte lui a données.

Il ne faut pas s’étonner, si tous les Tragiques ont fait usage des reconnoissances. Des enfans qui retrouvent un pere & une mere, qu’ils croyoient morts, ou qu’ils ne connoissoient pas, causent un saisissement qui est naturel à tous les hommes. Mais ce ressort est un des plus difficiles à faire jouer avec vraisemblance. Il faut imaginer des signes qui ne laissent aucun doute sur les objets reconnus, & on a de la peine à leur donner ce dégré d’authenticité qui leur est nécessaire.

Dans Sophocle, Electre n’avoit pas vu Oreste depuis vingt ans, si je ne me trompe ; il étoit très-jeune quand elle l’avoit envoyé dans la Phocide. Il lui étoit donc impossible de le reconnoître sans quelque marque particuliere. L’en croire sur sa parole eût choqué la délicatesse du spectateur. Sophocle imagina de faire présenter par Oreste à Electre, un anneau qu’il lui dit être celui d’Agamemnon. C’etoit elle-même qui le lui avoit remis en partant. Mais comment étoit-il tombé en ses mains ? Elle étoit jeune quand son pere fut égorgé. On a peine à croire que Clytemnestre, qui avoit ce Prince en horreur, en eût conservé cette dépouille, & moins encore l’eût donnée à sa fille qu’elle n’aimoit guere plus. Ainsi on ne sçait comment cet anneau lui est parvenu. Le Poëte devoit en instruire & n’en dit pas un mot dans toute la piece. C’est pourtant cet anneau qui amene la reconnoissance. Et dans ce cas, c’est une idée nette de la cause, c’est une vraisemblance entiere, qui rendent l’effet intéressant.

L’Auteur de Zaïre est tombé dans la même faute. Luzignan est convaincu que Zaïre est sa fille par une croix qu’il apperçoit. Il lui demande depuis quand elle la porte : depuis que je respire, Seigneur, répond-elle. Luzignan la prie de la lui confier, il la baise & s’écrie :

            Oui !…… c’est elle…… Je voi,
Ce présent qu’une épouse avoit reçu de moi,
Et qui de mes enfans ornoit toujours la tête,
Lorsque de leur naissance on célébroit la fête.

Comment Zaïre avoit-elle conservé cette croix ? Elle qui a été élevée en esclave, dès l’âge le plus tendre, par un peuple dont on sçait que les premiers soins, sont de priver non-seulement les enfans des Chretiens, mais même ceux d’un âge mûr, qui tombent entre leurs mains, de toutes les marques du Christianisme. Comment les femmes, à qui son enfance avoit été confiée, lui ont-elles laissé cette croix ? Comment Zaïre élevée dans la Loi de Mahomet, a-t-elle si longtems porté dans le Sérail cet ornement des Chretiens ? En supposant qu’elle eût ignoré le prix de cette image de notre redemption ; les femmes avec qui elle vivoit l’ignoroient-elles ?

Convenons-en de bonne foi, si tout le génie de Sophocle & de M. de Voltaire n’a pu rendre leur artifice vraisemblable, des Auteurs, qui n’ont ni leur tact ni leur esprit, y réussiroient-ils ?

Les reconnoissances ont toutes le même objet, le même sentiment, la même fin ; tout s’y réduit à ses phrases coupées. Est-ce vous ? Est-il possible ? C’est mon pere ! C’est mon fils que je vois, que j’embrasse ! Qui en a vu une en a vu cent. Ces sentimens sans cesse reproduits avec les mêmes expressions, ne remuent que foiblement. On verse des larmes à une, à deux, à trois représentations, & on voit les autres d’un œil sec. Il en est d’une reconnoissance à la dixième représentation, comme de dix reconnoissances vues chacune une fois.

Telle est notre destinée. Une génération qui vient après vingt autres, ne goûte plus ce qui faisoit leurs délices. Le premier caractère du beau considéré par rapport à ses effets sur le cœur humain, seroit-il la nouveauté ?

Je sçai qu’en supposant des intervales entre les représentations des reconnoissances, l’oubli de ce qu’on a senti il y a quelque tems, peut rendre à une sensation une partie de sa premiere force, mais il ne lui rend pas tout. Notre ame plus fidelle que notre mémoire, & accoutumée aux mêmes impressions, s’y ouvre peut-être encore avec plaisir, mais non avec transport. Ces impressions n’exciteront ni l’yvresse ni le dégoût, ni la chaleur, ni l’attendrissement. Mais cette situation en est si voisine, & y conduit si nécessairement qu’il n’est pas possible que cette langueur ne s’empare de nos sens, dès que rien ne reveille plus leur appetit.

Je veux néanmoins que la vue habituelle des reconnoissances, produise encore les plus fortes impressions. Sur qui, & jusqu’à quand ? Il peut y avoir sans doute dans un spectacle des ames privilégiées, qui, enlevées par un sentiment souvent excité, y trouvent un plaisir nouveau, plus longtems que d’autres. Il peut y en avoir en qui cette rare facilité de s’enflammer, jointe à une sagacité, à une pénétration admirables, fasse découvrir des beautés qui leur avoient échappé.

Mais outre que ces ames sensibles & éclairées, font en petit nombre ; c’est que, fussent-elles susceptibles d’émotions à quel dégré que l’on voudra, une longue habitude diminuera enfin ces émotions ; elles en jouiront vingt fois au-delà des spectateurs ordinaires, mais elles arriveront enfin au même dégoût.

On a vu des exemples d’une amitié qui a duré autant que la vie, mais quelle différence entre un sentiment vrai & qui se reproduit chaque jour entre ceux-même qui l’éprouvent, & l’effet d’un sentiment qu’excite l’imitation ! Il n’y a guére d’homme qui n’ait un ami, & vingt ans fourniront à peine un spectateur doué des qualités que nous supposons ici. Voilà pourquoi l’impression que cause l’agnition, est moins profonde après un tems. Tandis que les scènes d’Oreste & de Pilade, touchent toujours extrêmement quoiqu’elles ne soient pas nouvelles pour nous.

Quant à ses spectateurs éclairés, pour qui les reconnoissances ont de nouvelles beautés : ou celles-ci deviennent de plus en plus rares, ou elles s’épuisent entiérement. Dans le premier leur effet est en proportion de leur nombre, & comme après beaucoup de représentations il n’est pas possible qu’il soit grand, l’impression ne le sera pas non plus. Dans le second cas, ces génies n’ayant plus rien de nouveau à decouvrir, à admirer, rentreront dans la classe du commun des spectateurs ; tout au plus leur dégoût ne sera pas glacé, dédaigneux & insultant, comme dans ceux-ci. Ce sera un dégoût conforme à leur maniere de sentir.

Enfin, l’esprit philosophique qui régne dans ce siécle, regarde ces pressentimens, ces douces émotions que nos Poëtes mettent dans le cœur de deux personnages, unis sans le sçavoir, par les liens du sang, comme un brillant préjugé, une antique chimère. Selon nos Philosophes, c’est une opinion populaire, dont les anciens ont profité pour se mettre à la portée du peuple. L’ignorance de tant de siécles barbares qui les ont suivis, a pris cette complaisance pour une vérité, & en a fait un préjugé contre lequel, disent-ils, la bonne philosophie reclame aujourd’hui.

Sans vouloir resoudre un problême qui n’est pas de notre sujet, nous dirons seulement qu’il a beaucoup de partisans. Pour eux nos reconnoissances Théatrales sont sans effet. Pour eux ces sentimens de joie, de tendresse, d’inquiétude inexplicables qui y brillent, sont postiches. Ces frémissemens, ces émotions secrettes, qui préparent aux reconnoissances, ne sont qu’un échaffaudage puérile, qui révolte la raison.

On sçait avec quelle chaleur on fronde de nos jours tout ce qu’on appelle préjugé, pour peu qu’on ait de prétention au bel esprit. C’est une raison de plus pour engager les Auteurs dramatiques, je ne dis pas à rejetter absolument les reconnoissances ; elles ont plu, & il y a apparence qu’elles plairont toujours, quoiqu’en dise la Philosophie moderne ; mais à en user sobrement & de loin en loin. Il vaut mieux s’en priver quelque tems que de les employer sans succès.

Cependant, à peine avons-nous quelques Tragédies où elles n’ayent été encadrées. Aussi à peine en avons-nous qui se soutiennent quelques jours sur le Théatre.

Les lettres ou billets offrent une maniere quelquefois heureuse, mais souvent incommode, de dénouer ou de nouer une intrigue. Il y a peu de grands Poëtes qui ne s’en soient servis. Il est pourtant à remarquer que Racine n’a mis qu’une de ces lettres dans toutes ses pièces. Elle sert à dénouer la Tragédie de Bajazet. Elle produit un bel effet. Mais Racine lui-même n’a pu l’y rendre nécessaire. Il feint qu’Atalide effrayée du dernier entretien que Bajazet a eu avec Roxane, écrit à son amant pour l’engager à détromper cette Sultane irritée par un nouveau refus. Cela est ingénieux ; mais cela n’est guére naturel. Atalide n’auroit du avoir que ce moyen de faire passer ses avis au Prince. Et elle en avoit mille autres. Elle pouvoit lui parler ; pourquoi lui écrire ? Si elle ne n’osoit le voir, c’est que Roxane faisoit observer Bajazet, comme Racine le lui fait dire :

Ils ont beau se cacher. L’amour le plus discret,
Laisse par quelque marque échapper son secrer.
Observons Bajazet, étonnons Atalide,
Et couronnons l’amant, ou perdons le perfide.

On voit qu’Atalide n’étoit pas moins épiée que son amant. Ainsi observés tous deux, & Bajazet gardé dans son appartement, comment Zaïre a-t-elle pénétré jusqu’à lui, a-t-il reçu la lettre & a-t-il fait réponse ? La lettre de ce Prince surprise par ses surveillans entre les mains de Zaïre, & remise par eux à Roxane, auroit sauvé ce défaut de vraisemblance, & produit le même effet.

M. de Voltaire a sans-doute imité Racine dans le billet que Nérestan écrit à Zaïre, & qui tombe entre les mains d’Orosmane. Je ne sçais qui l’emporte des deux Poëtes, dans le trouble que leurs lettres jettent dans les personnanges de leurs piéces. Mais il me semble que M. de Voltaire n’est pas plus exempt de faute que Racine.

Dans cette scène où Nérestan détermine Zaïre à recevoir les eaux du baptême, ne devoit-il pas prendre avec elle, dans une conjoncture si favorable, toutes les mesures nécessaires pour cette cérémonie ? pourquoi les oublie-t-il, & se met-il par là en danger de faire perdre à sa sœur tout le fruit de sa noble résolution ? Ne savoit-il pas qu’elle étoit aimée d’Orosmane, & que ce Prince devoit s’opposer à ce qu’elle abandonnât sa Loi ?

On voit dans ces deux exemples que le Poëte n’a sacrifié la vraisemblance que pour lui-même. N’est-ce pas aussi une leçon qui montre aux jeunes Auteurs non-seulement qu’un usage trop fréquent des billets dans les Tragédies, en affoiblit les effets ; mais encore, que les Scènes touchantes qu’ils produisent, sont presque toujours achetées aux dépens de la vérité de l’action tragique ?

Il faut en dire autant de ces poignards, qui sont surpris entre les mains d’un personnage par celui qui en devoit être frappé. Cet artifice a des beautés ; mais le malheur est que ces poignards sont donnés à contretems, comme on a pu le voir dans Alzaïde.

L’Hypermnestre de M. le M. nous en fournit un autre exemple, dans la Scène où Lincée voit Danaüs qui leve le poignard sur Hypermnestre. Nous ne parlerons point de l’attitude forcée qu’hypermnestre a prise dans les premieres représentations, & dont elle s’est corrigée dans les suivantes. C’étoit plutôt une faute de l’Actrice, qu’un vice de la piéce. Quelques observations sur l’ordonnance du tableau, nous mettront en état de mieux juger de ses proportions & de la vérité de ses caractères.

Dans la deuxieme Scène du cinquième acte, on apprend à Danaüs que le Peuple ne croit point le crime qu’il impute à Lincée ; qu’Hypermnestre dans les fers attendrit les Argiens, qu’ils murmurent ; & que la révolte est prête à s’allumer. Danaüs répond ; qu’on m’amène Hypermnestre. Ordre inutile, puisque cette Princesse croyant son courroux calmé, avoit une raison de l’en venir remercier. Danaüs est venu sur la Scène, sans s’attendre à ce qu’on vient lui annoncer. Il n’avoit donc pas besoin de se munir d’un poignard pour tuer sa fille ; il ne savoit pas qu’elle méritât cet excès de rigueur de sa part. Voilà comme cette Scène est amenée. Lincée arrive avec le peuple Argien, fait des reproches â Danaüs. Hypermnestre qu’il apperçoit chargée de fers, augmente sa rage. Il veut frapper Danaüs. Sa fille se jette entre lui & son pere. Quoique Danaüs ni aucun de sa suite ne la tienne, quoique Lincée, à la tête du peuple, soit le maître & du Palais & de Danaüs, quoique la garde de Danaüs ne fasse pas le moindre geste pour sa défense ; Lincée lui demande plusieurs fois sa femme, que personne ne l’empêche de reprendre :

Il s’écrie enfin.

      …… C’est trop : monstre inflexible.
Délivrons Hypermnestre, amis Secondez-moi.
Tremble……

DANAUS.

Tremble toi-même, & d’un plus juste effroi.
Où retiens tout ce peuple, où voilà ma victime.

C’est alors qu’il leve le poignard sur sa fille. Lincée qui avoit perdu le tems à demander sa femme, qu’on ne lui refusoit pas, est dans une inquiétude mortelle qu’il exprime en très-beaux vers. Quand on ne peut agir au moins il faut parler. Il est vrai qu’Hypermnestre n’avoit qu’un pas à faire en arriére pour se dérober au poignard ; mais le patétique de la situation eût disparu. Un confident de Danaüs vient lui dire que les portes du Palais sont forcées. Belle nouvelle pour lui, qui voit depuis une demie heure les révoltés dans ce même Palais ! N’importe. Lincée a fini sa tirade, & saisit cet instant de trouble, comme on dit, & sauve Hypermnestre. Danaüs est desarmé & poussé de l’autre côté du Théatre. Sa garde qui jusques-là n’avoit été que froide spectatrice, parce qu’il n’étoit pas encore tems qu’elle agît, fait enfin quelques efforts pour son maître, & est dissipee par le peuple en armes. Danaüs arrache l’épée de son consident & se tue.

Voilà ce grand tableau qui a dabord fait quelque sensation, parce que les apparences du beau sont souvent prises pour lui-même. On y voit sans-doute une sorte de spécieux, qui peut frapper le vulgaire. Mais nulle intelligence dans le dessein ; nulle vérité dans l’action. Les mouvemens y sont si mal combinés, les incidens si peu naturels, les situations si forcées, qu’il n’y a guére d’homme de sens sur qui cette scène fasse une certaine impression.11

L’évocation des ombres a une espéce de merveilleux qui séduit. L’apparition de Ninus dans Sémiramis, augmente la pompe du spectacle, & on ne peut trop louer l’Auteur de cette piéce de chercher quelques nouveaux moyens de reveiller l’attention & d’empêcher la Tragédie de tomber. Si celui-ci n’a pas eu tout le succès qu’il en attendoit, parce qu’apparemment il n’est pas assès dans nos mœurs, on ne doit pas moins lui sçavoir gré de son zèle pour la gloire du Théatre François, qu’il a d’ailleurs enrichi de plusieurs belles inventions.

Les oracles se souffrent sur notre scène dans une action dont les héros sont pris de l’antiquité. Mais on ne fait pas assez d’attention, qu’on ne voit, même dans ce cas, des oracles que par un reste de respect pour les Anciens.

Les songes ont fait quelque figure dans nos Tragédies. Racine en a employé un avec succès dans Atthalie. Cette pièce, tirée de l’Ecriture, étoit plus propre à ce genre de beautés. Selon la Loi des Chrétiens, Dieu a souvent fait connoître sa volonté aux hommes, par la voie des songes. D’ailleurs il est vraisemblable qu’Atthalie ait été troublée pendant son sommeil du remord de ses crimes, & qu’il lui en fasse voir le chatiment comme prochain.

Les songes d’Iphigénie & de Thoas n’ont point ce dégrè de vraisemblance. Nous n’y voyons qu’une crédulité foible, qu’une terreur imaginaire, que nos idées sur la nature des songes, excepté ceux que la Religion a consacrés, ont bientôt détruites.

Les Anciens faisoient retentir leur Théatre de coups de tonnerre. Ils le regardoient comme le ministre de la colére celeste. D’ailleurs les Dieux intervenoient dans leurs Tragédies. Pour nous qui ne voyons dans le tonnerre qu’un effet naturel, & qui savons que les hommes ne commandent point aux élemens, nous bannissons le tonnerre de la Tragédie. Peu d’Auteurs l’y ont introduit, & avec peu de succès.

Enfin, les suppositions sont d’un grand secours à l’action théatrale. Sans prendre garde aux talents & aux précautions qu’elles exigent pour rendre l’objet supposé vraisemblable, & ne pas jetter de l’obscurité dans le Poëme, on en use fréquemment vu leur commodités. Nous n’en donnerons point d’exemples. Nous renvoyons le Lecteur à l’Extrait que nous avons donné d’Alzaïde. On y verra Zaraès supposé Iphis, un de ces Généraux, avec peu de vraisemblance, & pour l’obscurité au Pirrhus de Crebillon, & à l’Héraclius de Corneille, qui demandent une grande contention d’esprit pour être entendus.