(1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Seconde partie « Causes de la décadence du goût sur le théatre. — Chapitre XX. Suite des prétendus talents du Comédien & de la Déclamation théatralle. » pp. 63-85
/ 1079
(1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Seconde partie « Causes de la décadence du goût sur le théatre. — Chapitre XX. Suite des prétendus talents du Comédien & de la Déclamation théatralle. » pp. 63-85

Chapitre XX.

Suite des prétendus talents du Comédien & de la Déclamation théatralle.

L es beautés d’un Poëme brillent d’un feu qui passe de l’Ouvrage à l’Auteur, comme il est passé de l’Auteur à l’Ouvrage. Les mouvemens sont le fruit de ce beau feu ; & l’Acteur ne le doit qu’à ce qu’il déclame. Il n’est donc pas nécessaire qu’il en ait par lui-même, il suffit qu’il soit propre à en recevoir, & que son ame s’embrase des flammes qui petillent dans l’ouvrage.

L’art de bien rendre les idées d’un Auteur, est donc l’effet de ce beau feu, ou tout au plus, d’une étude où la mémoire agit plus que le jugement, & où les répétitions réitérées laissent tout le mérite au cours forcé des esprits & à l’action servile des muscles.

C’est presque toujours le passé qui est le maître du Comédien. Ce qu’il a éprouvé dans un tel où tel tems, dans telle circonstance, est ce qui le guide. Et comme il n’y a rien de si facile que le trouver des ressemblaces en toutes choses, quand on a un côté fixe pour les regarder ; toutes les piéces où le Comedien a joué, lui découvrent des rapports entr’elles, qui abrégent beaucoup son étude, & impriment à son jeu une uniformité qui prouve qu’il est souvent dispensé d’esprit & de travail.

J’ai vû & l’on voit tous les jours des Comédiens, qui ont les mêmes gestes dans quelques pièces qu’ils jouent. Ce sont des Ouvriers méchaniques qui font bien leur ouvrage, parce qu’ils n’en font que d’une espèce ; ou parce que cet ouvrage ne différe que dans la forme. La routine supplée en eux au raisonnement.

Je sçais que la Comédie à produit de bons Auteurs. Mais s’ils étoient Comédiens avec de l’esprit, ils n’étoient pas gens d’esprit, parce qu’ils étoient Comédiens.

Les Comédiens sont souvent admis chez les Grands, j’en conviens, mais comme des instrumens de plaisir ; mais comme des gens capables, par des bouffonneries, ou par le récit de quelques-uns de leurs rôles, de divertir un cercle nombreux.

Cet amusement sert d’épisode aux plaisirs, toujours les mêmes, & dès là souvent insipides de la grandeur & de l’opulence. L’amour propre peut en user encore parce qu’il semble plus donner aux facultés intellectuelles, que les autres divertissemens. Mais dans cette supposition même, le comédien n’est qu’un organe artificiel, qui n’amuse que par des traits d’emprunt, que par des beautés qui ne sont pas en lui.

Est-il absolument nécessaire d’être homme d’esprit pour bien faire des rôles de niais, pour réussir dans ceux de soubrette ? Non assurément : pour peu qu’on connoisse son Théatre on n’en demandera point d’exemples. De la vivacité, une certaine volubilité de langue, un air familier, un goût d’intrigue, voilà où se réduisent les grands talents d’une soubrette : avec cela elle pourra être dans le particulier ennuyeuse & ridicule ; les actions qui détraquent la machine pourront ne lui pas causer la moindre émotion, ne lui pas faire tomber la navette des mains.

Le Comédien n’est qu’un instrument dont le Poëte se sert pour nous communiquer ses idées, à peu-près comme on se sert d’un violon pour charmer les oreilles des sons les plus touchants. M’aviserai-je d’élever ce Violon jusqu’aux nues ? Non. J’attribuerai mes plaisirs au maître habile qui le fait si bien parler.

Le Comédien fait les fonctions d’un subalterne, comme un Bas-Officier donne à ses soldats les ordres de son supérieur. Encore le Sergent agit-il souvent sans consulter son Capitaine, par les droits qui sont attachés à son grade. Ce que ne peut un Comédien, qui suit pas à pas un Poëte jusques dans ses écarts. S’il donne du coloris à ses discours, il ne lui est pas permis de le faire jurer avec ses expressions. Ainsi, ce coloris lui-même est une preuve de sa servitude.

Il y a des Arts, me dira-t-on, qu’on met au rang des libéraux, dont les maîtres travaillent comme le Comédien, à représenter l’ouvrage des autres. Telles est la gravûre, qui dépose sur le cuivre, les meilleurs morceaux des plus grands Peintres.

Il y a une grande différence entre la gravûre & l’art du Comédien. De même que le Peintre n’applique ses couleurs qu’après avoir dessiné son sujet, auquel il donne, par elles, une nouvelle forme. De même le Graveur en travaillant sur des ouvrages peints, leur imprime une autre apparence, un autre caractère. En,représentant le même sujet, il a le secret de le rendre tout différent. Il fait plus : il imite si bien son modéle, dans cette différence même, que l’on peut dire à la fois, que c’est lui, & que ce ne l’est pas.

Ainsi la gravûre, en prenant quelquefois ses sujets chez autrui, les embellit des graces qui lui sont propres. Elle ajoute les perfections de son art à celles de la peinture.

D’ailleurs si la gravûre s’occupe de sujets déja peints, c’est plûtôt par la vénération qu’elle a pour son illustre mere, que par impossibilité de se suffire à elle-même. On voit plusieurs habiles Graveurs, qui n’ont pas moins réussi dans les sujets qu’ils ont imaginés, que dans les autres.

Des Comédiens ont joué leurs Piéces. Mais nous l’avons déja dit : il falloit les regarder sous ce double point de vûe d’Acteurs & de Poëtes. C’est-à-dire, dans deux états bien différens, par les qualités qu’ils exigent, & par la considération qu’ils méritent. Au contraire, que le Graveur burine sur les desseins d’autrui, ou sur les siens propres, il ne change ni d’état ni de qualité : celle de dessinateur ne pouvant être séparée d’un Art, dont elle est le fondement principal.

Enfin, la Déclamation, cette partie essentielle de l’Art oratoire, donne au discours , dit l’Auteur du Fils Naturel, tout ce qu’il a d’énergie . Elle sert non-seulement à l’Auteur, mais encore au Lecteur, à l’un, à juger de l’effet d’une période, accompagnée d’un ton & d’un geste convenables ; à l’autre, à se mettre à la place du premier, & à sentir ce qu’il veut lui dire. Le lecteur déclame en lisant, où il n’entend pas plus ce qu’il lit, que l’Auteur ne l’entendroit s’il ne se débitoit à soi-même son ouvrage en le composant.

Nous répondrons que la déclamation n’est une branche considérable de l’éloquence, que quand elle est unie au tronc. C’est à lui qu’elle doit l’être, c’est lui qui lui conserve, en quelque sorte, la vie, & la distinction qu’il lui a acquise. Si elle offre quelques ornemens à l’éloquence, c’est de la même maniere qu’un arbre est paré de ses feuilles, qu’il nourrit de sa propre substance

La déclamation tirant son origine, & son lustre de l’éloquence, perd l’une & l’autre en se séparant d’elle. Ce n’est plus qu’un métier, qui ne peut être relevé par la noblesse d’une source qu’il a abandonnée.

Il n’est pas indifférent que l’art de déclamer soit exercé par d’Auteur ou par le Comédien. L’un est le pere, le maître absolu de son Poëme : s’il en laisse à un autre la représentation, ce ne peut être que comme à un subalterne, qui fait le même effet que le masque au visage.

Il faudroit donc que tous les Auteurs se fissent Comédiens ? Oui ; pour relever l’art de la déclamation. Mais laissons les choses dans l’état où elles sont, & ne prêtons point aux fonctions du Comédien, un lustre qu’elles n’ont pas. Que ceux d’entr’eux qui se sont distingués, soient mis à la place qui leur est dûe : cela est juste. Ils ont enchanté le spectateur, ils en ont reçu les plus grands applaudissemens ? Voilà leur récompense. Qu’ils soient, si on le veut encore, célèbres parmi leurs confreres. Mais ne les élevons pas au-dessus d’eux-mêmes. Place-t-on au premier rang, dans le Temple de Mémoire, les machines de l’Opéra, dont le jeu cause une si douce surprise ? Le Comédien est au Théatre François pour former les prestiges de l’illusion, ce que les machines sont à l’Opéra, pour soutenir le merveilleux que la scène étale.

Le coloris est d’une telle importance dans la peinture, que plusieurs Peintres sont devenus fameux par cette seule partie. Le bon déclamateur excelle dans ce genre, d’où on conclut que la déclamation est un art distingué.

Si le coloris est une grande partie de la peinture, s’ensuit-il que tout ce qu’on peut lui comparer soit considérable comme lui ? L’impression, par exemple, est à la gravûre, ce que les couleurs sont à l’art de peindre. Elle donne, comme le coloris, une forme, un corps, & presqu’une ame, aux objets tracés par le burin. Dira-t-on qu’un Imprimeur en Taille-Douce, soit comparable à un Graveur, à un savant coloriste ?

De plus, l’art d’arranger, de combiner les couleurs, subsiste en quelque sorte, par lui-même. Nous en voyons la preuve dans les porcelaines de la Chine, où le dessein n’est presque compté pour rien, & où la vivacité des couleurs mérite seule nos regards. Or, on ne peut pas dire que la déclamation se soutienne, se conçoive même sans le secours de l’éloquence en vers ou en prose ; à moins que par le plus grand abus des termes, on ne le confonde avec la pantomime.

La déclamation n’étant qu’une imitation des discours & des sentimens réels ou fictifs. Cette définition elle-même nous prouve, que l’art de déclamer n’est qu’une beauté accidentelle, dont les piéces ont d’autant moins besoin, qu’elles sont plus parfaites. Celles de nos Grands Poëtes, bien lûes, seroient admirées sur la scène. Elles se déclament d’elles-mêmes. Tel est le vrai caractère des bons Drames. Aristote, & d’après lui Corneuille, veulent qu’une piéce bien faite, soit belle & puisse plaire sans le secours des Comédiens, & hors de la représentation.

Il ne faut qu’avoir entendu Mlle. Du Mesnil, pour être convaincu que dans une infinité de rôles, sa déclamation ressemble à une simple lecture. Cependant quels applaudissemens ne mérite-t-elle pas ? C’est que l’art le plus parfait est celui qui paroît le moins. On voit encore par-là, que le Comédien fait moins pour les Poëmes, que ceux-ci pour lui. Si par ses efforts, les médiocres deviennent suportables, on ne doit pas lui en savoir plus de gré qu’à un Avocat, de s’être chargé de la défense d’une mauvaise cause.

« La violence du sentiment, [Fils Naturel,] coupant la respiration, portant le trouble dans l’esprit, les syllabes des mots se séparent ; l’homme passe d’une idée à une autre ; il commence une multitude de discours, il n’en finit aucun, & à l’exception de quelques sentimens, qu’il rend dans le premier accès, & auxquels il revient sans cesse, le reste n’est qu’une suite de bruits foibles & confus, de sons expirans, d’accens étouffés, que l’Acteur connoît mieux que le Poëte.

Ainsi la déclamation, qui est le domaine du Comédien, est presque inconnue au Poëte. Donc le Comédien est aussi nécessaire au Poëte que celui-ci à celui-là.

Ce morceau, qui contient une peinture forte & vraie d’un homme appressé par plusieurs sentimens à la fois, est terminé par une idée que nous avons dèja réfutée dans le Chapitre précédent. Comment les expressions d’un Poëte, qui peint le combat de divers sentimens, seront-elles mieux connues du Comédien que de lui-même ?

Il dira, en composant : l’Acteur rendra de cette sorte ce vers, cet émistiche, & il ne sçaura ce qu’il dit ! Un Poëte avance donc dans sa composition, comme un aveugle dans un chemin qu’il ne connoit pas ? Ces sons expirans, ces mots inarticulés, il ne sçait donc pas ni ce qu’ils signifient, ni l’effet qu’ils produiront ? Ces passions dont il expose le conflict à nos yeux, il ne les a donc point conçues ?.

De qui sont les idées que l’Acteur exprime ? Du Poëte, apparemment. Comment a-t-il rendu des pensées qu’il ne connoissoit point ? Il en est donc & n’en est donc pas l’Auteur tout ensemble ?

Quand Corneille a mis son qu’il mourut , l’auroit-il écrit au hazard, sans sentir les beautés de cette expression ? Le spectateur les doit-il au Comédien, ou au Poëte ? Les meilleurs d’entre ceux-ci sentiroient-ils le moins, tout ce que leur sujet inspire ?

Je sçai que les bons Auteurs travaillent par saillies, & d’aprés un sentiment qui raisonne peu, ou qui semble peu raisonner. Mais c’est en cela que le sentiment est plus sûr. La froide raison présente les objets sous tant de faces, qu’elle est souvent embarrassée du choix. Le sentiment saisit d’abord celle qui lui est propre.

Racine en instruisant la Chanmêlé développoit-il en elle un talent qu’il n’avoit point lui-même ? Disons que quelque dispositions qu’eût cette Actrice, elle ne remplissoit point encore l’attente du Poëte. Si Santeuil n’eût point ressenti, longtems même après la composition, tout ce qui anime ses Hymnes, eût-il fait tant d’extravagances quand il les entendoit mal chanter ?

Le même Auteur dit encore : « La voix, le ton, le geste, l’action, voilà ce qui appartient à l’Acteur ; & c’est ce qui frappe dans le spectacle des grandes passions. C’est l’Acteur qui donne au discours tout ce qu’il a d’énergie.

J’admire les excellentes refléxions de M. D… mais si une imagination forte, qui l’entraîne dans ses compositions, l’a jetté dans quelques écarts, il rougiroit sans doute lui-même qu’on préconisât jusqu’à ces tristes marques de la foiblesse humaine.

Non : les expressions différentes qu’il attribue à l’Acteur, ne sont point à lui. Dans quelque moment qu’on l’envisage sur le Théatre, il n’y est que le copiste de son original. Toute son action sort du fond de la piece, c’est l’Auteur qui la lui prète. C’est lui qui veut qu’il soit tendre ou furieux, triste ou gai. Ce sont ses vûes que l’Acteur accomplit ; ce sont ses ordres tracés dans le rôle, qu’il exécute. Est-ce l’Acteur qui enfonce le poignard dans le sein de Zaïre ? Si je le pensois, cette cruelle catastrophe, au lieu de m’intéresser, de remuer mes entrailles, me feroit rire. C’est le Monarque irrité que je vois. S’il n’étoit pas bien peint, je m’en prendrois au Poëte, je ne penserois pas même à son copiste.

J’aimerois autant qu’on me soutint qu’un Marchand de Tableaux est celui qu’il faut louer de la beauté des peintures qu’il vend, que d’avancer que l’Acteur donne au discours tout ce qu’il a d’énergie . Si l’on se fût contenté de dire, qu’il fait éclore de l’énergie des idées, l’énergie d’action, cela eût moins senti l’enthousiasme, & on se seroit apperçu que l’énergie d’action ne peut avoir sa source que dans celle des idées.

C’est sans doute par un effet du même enthousiasme, que cet Auteur « dit encore, que, maître de son sort, il se feroit Comédien demain, si on vouloit lui répondre des succès de Quinaut du Fresne.

Pour prouver que ces succès ne doivent point enyvrer une ame comme la sienne, comparons encore le Comédien à un Cavalier qui court bien sur un excellent cheval ; lequel du cheval ou du Cavalier devrons-nous louer de la vîtesse de cette course ? Si le Cavalier à quelque mérite ici, c’est de bien montrer à cheval, mais cet art acquiert-il l’immortalité ?

De même, si on vante un Acteur, c’est d’avoir bien senti & bien rendu les idées du Poëte, & les passions qu’il a exprimées. Cela vaut-il la peine qu’on brigue avec tant d’ardeur la profession de Comédien ?

De même que le Mécanicien ne paroît que dans ses ouvrages, de même aussi le poëte dramatique seroit presque dans l’oubli, sans le secours du Comédien.

Nous avons déjà dit que les bonnes Tragédies se déclamoient d’elles-mêmes. Nous ajouterons que l’Acteur seroit de toute inutilité sans le Poëte ; mais qu’il n’en seroit pas de même de celui-ci sans l’Acteur. Un écho renvoie les sons qu’on lui articule ; mais ces sons pourroient subsister sans nous parvenir par lui. Outre que nous avons des piéces de Théatre qui n’y on jamais paru & qui se font lire ; les Poëte du siécle dernier, & du nôtre, ne seroient pas moins en grande réputation, quand on n’auroit pas représenté leur poëmes. Le piéces des anciens sont, à notre égard, comme des ouvrages modernes, qui ne se jouent point ; qu’on suppose à ceux-ci les beautés de celles-là, on en fera le même cas.

On ne joue pas tous les jours les Tragédies de Corneille, & tous les jours on les lit avec admiration.

Le Poëme dramatique meut lui même ses propres ressorts. Il transforme le lecteur en tous ses personnages. Il agit, il parle pour eux ; & à mois d’être stupide, il éprouve les mêmes impressions, les même sentimens que s’il étoit à leur place.

Peut-être arriveroit-il que le mérite fût plus longtems à se faire connoître. Encore, dis-je, peut-être : les cabales, que la malignité souleve contre les piéces exposées sur la scène, ne sont qu’un trop puissant obstacle à la réputation littéraire. La Phédre de Racine échoua dans ses premieres représentations ; mais en fut-elle moins admirée des connoisseurs désintéressés ? Imaginons-nous que ce Poëte célébre n’ait fait que cette piéce ; la gloire qu’elle lui auroit acquise n’auroit-elle pas devancé les applaudissemens du parterre ?

Enfin, insistera-t-on, si le comédien représente l’ouvrage du Poête, celui-ci ne retrace dans son Poëme qu’une action passée, qu’il tire de l’Histoire, ou même d’anciens auteurs qui l’ont traitée avant lui. Donc l’Acteur ne fait, à l’égard du Poëte, que ce qu’il fait lui-même à l’égard des sources où il a puisé.

Comparaison spécieuse ! Le Poëte est le maître d’imaginer son sujet, & l’objection tombe d’elle-même. Mais s’il le tient d’ailleurs ; que de situations à créer, que de circonstances à élaguer, que de contrastes à former, que de traits à rapprocher, que de caractères à refondre !

L’Histoire nous offre à la vérité, nombre d’événemens tragiques. Je défie qu’on puisse en mettre un seul sur le théatre, tel qu’on le trouve dans se fastes : les révolutions ne comportent point les unités. Il n’y a point de Grands, de Héros, de Potentats, dont les triomphes ou la chûte soient l’ouvrage d’un jour.

A l’égard des sujets pris dans d’autres Auteurs, on convient qu’il y a moins de mérite à y réussir ; mais il y en a toujours un très-grand, quand on considére que ce qui a plu à une Nation, déplaît à l’autre, par la différence de leurs usages & de leurs mœurs.

Le sujet de Phédre dont nous venons de parler, est une Tragédie d’Euripide. Mais à n’envisager que les chœurs, & l’étendue du Théatre Grec, quels changemens Racine n’a-t-il pas dû faire à sa piéce pour l’accommoder au notre ? Il en a fait dans l’économie, dans les caractères, dans le dénouement, dont il rend compte dans sa préface, qu’on peut consulter.

Ainsi quoiqu’il ait imité Euripide, on peut dire que c’est un ouvrage nouveau : Et il en est ainsi des autres Auteurs. Plus ils ont eu soin de donner un air de nouveauté à leurs poëmes, plus ils ont eu de difficultés à franchir  ; & c’est un mérite de plus.

Arrive-t-il rien de semblable aux Comédiens ? Peuvent-ils s’écarter des idées de leurs Amateurs, changer leur plan, leurs caractères, leur dénouement ? Non : Esclaves asservis aux moindres fantaisies du Poëte, il ne peuvent prononcer une seule syllabe qu’elle ne leur ait été suggerée.