(1753) Treiziéme conférence. Sur les danses, les comédies et les mascarades [Missionnaire paroissial, II] « Treiziéme conférence. Sur les danses, les comédies & les mascarades. » pp. 268-287
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(1753) Treiziéme conférence. Sur les danses, les comédies et les mascarades [Missionnaire paroissial, II] « Treiziéme conférence. Sur les danses, les comédies & les mascarades. » pp. 268-287

Treiziéme conférence.

Sur les danses, les comédies & les mascarades.

Non mœchaberis.

Vous ne commettrez point d’impureté.

Exode, ch. 20.
CE n’est point assez à une ame soigneuse de son salut, d’éviter le crime défendu par le sixiéme commandement ; elle doit s’éloigner encore de tout ce qui peut l’y engager. Il y a des assemblées profanes où les hommes & les femmes se mêlent ensemble, qui sont bien souvent des occasions prochaines d’impureté : tels sont les bals, les danses, les mascarades, & les comédies dont nous parlerons aujourd’hui. Nous nous servirons pour cet effet de l’épée spirituelle que le Seigneur nous a mise entre les mains, & qui n’est autre que la parole de Dieu, pour retrancher de semblables abus, si pernicieux aux ames, & dont l’Écriture nous fait assez connoître le danger, quand elle nous avertit, par la bouche du Sage, de ne pas fréquenter une femme qui se plait à danser & à chanter, Cum saltatrice ne assiduus sis  ; de ne point nous arrêter à la regarder, ni à l’écouter, de peur que nous ne venions à périr par la force de ses charmes, nec audias illam, ne fortè pereas in efficacia illius . S’il n’y avoit rien à craindre dans les bals & dans les danses, comme le Monde le prétend, le Saint Esprit prendroit-il tant de soin pour nous en détourner ? Examinons donc dans cette conférence si ces sortes de divertissements sont aussi innocents qu’on voudroit le faire croire.

Demande. Qu’est-ce que danser ? Est-ce une action criminelle de sa nature ?

Réponse. Par le mot danser, on entend ordinairement, sauter de joie, marcher, se tourner, se plier & se relever en cadence. Cette action ne paroît pas criminelle ni illicite de sa nature, comme on peut le prouver par ces paroles du Sage : Omnia tempus habent… tempus plangendi, tempus saltandi. L’Écriture nous en fournit un exemple célébre, en rapportant que Marie sœur d’Aaron & de Moyse, se joignit aux autres femmes qui dansoient séparées des hommes, en chantant des cantiques à la louange du Seigneur, après la victoire remportée par le peuple de Dieu sur les Égyptiens submergés dans la Mer rouge. Sumpsit ergo Maria Prophetissa, Soror Aaron, tympanum in manu sua, dit l’Écrivain sacré ; egressæque sunt omnes mulieres post eam cum tympanis & choris, &c. À cet exemple on peut ajoûter celui de David, qui excité par des motifs de religion & de piété, dansa devant l’arche du Seigneur pour témoigner la joie qu’il avoit de la voir entrer dans la ville de Jérusalem. David saltabat totis viribus ante Dominum. De là on peut conclure avec S. Thomas, que la danse est quelque fois permise, pourvu qu’elle soit accompagnée de trois conditions qui sont nécessaires pour la rendre innocente. 1. Que les personnes qui dansent, le puissent faire avec décence, avec modestie & sans scandaliser personne, car autrement elle ne pourroit pas être sans péché ; comme si par exemple un Ecclésiastique ou une personne religieuse commettoient cette indécence : Ut non sit persona indecens, sicut Clericus vel Religionsus. 2. Que ce soit seulement dans le temps d’une joie convenable, comme d’une réjouissance publique : Ut sit tempore lætitiæ, ut liberationis gratiâ, vel in nuptiis & hujusmodi. 3. Que l’honnêteté y soit régulièrement observée à l’égard des chansons, des gestes, du lieu, du temps & des autres circonstances qui l’accompagnent. Voilà les conditions que S. Thomas demande dans la danse, afin qu’elle puisse être exemte de péché, & sans lesquelles elle est certainement vicieuse & condamnable. C’est pourquoi il ajoûte : Si autem fiant ad provocandum lasciviam & secundùm alias circumstantias, constat quod actus vitiosus est. Ainsi, comme il est très-rare que ces sortes de circonstances se rencontrent dans les danses, nous croyons avec les Saints Pères de l’Église, qu’il est de la sagesse des Chrétiens de s’en abstenir.

Dem. Quel est le sentiment des Saints Pères touchant les danses ?

Rép. Saint Chrysostome dit que le Démon se trouve dans les danses lascives, qui sont les jeux où il se plait davantage, & par le moyen desquels il perd plus facilement les ames : Ubi saltus lascivus, ibi Diabolus certè adest… his tripudiis Diabolus saltat. Il les appelle les pompes de Satan ausquelles nous avons renoncé dans notre baptême. Il ajoûte que la sale où l’on danse est comme la boutique du Démon, où il étale toute sorte de vices & allume les passions impures. S. Ambroise assure que la danse est la compagne de la volupté & de l’impudicité : Deliciarum comes atque luxuriæ. Il dit qu’il faut être ivre, ou avoir perdu le bon sens pour danser. S. Éphrem regarde le Démon comme l’auteur & l’inventeur des danses. Qui a appris aux Chrétiens à danser ? demande ce Saint Diacre d’Édesse : Unde suas didicere choreas ? quis talia Christianos docuit ? Ce n’est, dit-il, ni S. Pierre ni S. Paul, ni aucun autre Apôtre ; c’est du Démon, cet Esprit impur qui a inspiré aux hommes la fornication & l’idolâtrie, qu’est venue cette détestable coûtume : Qui docuit idola colere, docuit etiam ludere. Tel est le sentiment des Saints touchant les danses. C’est ce qui a fait dire à un Théologien de l’Ordre de S. François, que la danse est un cercle dont le Diable fait le centre, & les autres Démons la circonférence : Chorea mundana est circulus cujus centrum est Diabolus, & circumferentia Angeli ejus circumstantes. D’où il conclut qu’il n’arrive presque jamais que la danse soit sans péché ; & ideo rarò aut numquam fit sine peccato.

Dem. N’est-il pas au moins permis de regarder les danses, d’assister aux bals & aux comédies ?

Rép. Les Saints Pères nous apprennent que de tels spectacles sont indignes d’un Chrétien. Tertullien les appelle le consistoire privé de l’impudicité, où l’on n’approuve que les libertés qu’on n’oseroit prendre ailleurs : Est privatum consistorium impudicitiæ, ubi nihil probatur quàm quod alibi non probatur. S. Clément d’Alexandrie dit que ces fortes d’assemblées sont honteuses & pleines d’iniquité : Magnâ confusione & iniquitate hi cœtus pleni sunt. S. Augustin ne croit pas qu’un homme de bien puisse voir quelqu’un danser au son des instruments, sans en gémir, bien loin d’en rire & de s’en divertir : Da hominem qui in Domino vivit, quando respexerit hominem saltantem ad organum, plus illum dolet insanientem quàm phreneticum febrientem. Salvien dit nettement que le théatre est une des pompes du Diable ausquelles les Chrétiens ont renoncé dans leur baptême, & que c’est être en quelque manière apostat, que d’y assister : In spectaculis quædam apostasia fidei est, & à Symbolis ipsius lethalis prævaricatio. La raison qu’il en donne est que le Démon se trouve dans les spectacles qu’il a inventés ; ainsi c’est quitter Jésus-Christ pour reprendre le parti du Démon. D’où nous concluons qu’on ne peut s’arrêter innocemment à ces sortes de divertissements, qui sont pour l’ordinaire des écoles de coquetterie & de libertinage, où la vertu la plus épurée n’est pas en fureté, & d’où l’on sort toujours moins pur qu’on n’y est entré : ce qui a fait dire à Tertullien, Theatrum propriè sacrarium Veneris est. Cependant comme le Monde ne manque pas d’excuses pour justifier sa conduite, il nous faut tâcher de les réfuter.

Dem. Vous entreprenez beaucoup, quand vous prétendez qu’on doit s’abstenir des danses, des bals, & des comédies : c’est un usage que bien des gens ne condamnent pas, & une ancienne coûtume : pourquoi ne sera-t-il pas permis de la suivre ?

Rép. Il ne faut point s’appuyer sur la coûtume, quand ce n’est que le libertinage & la corruption du siécle qui l’ont introduite. La coûtume qui n’est pas fondée sur la justice & la vérité, n’est qu’une ancienne erreur, dit S. Cyprien ; Consuetudo sine veritate vetustas erroris est. Jésus-Christ n’a pas dit qu’il étoit la coûtume, mais qu’il étoit la vérité. C’est pourqoui ni la longueur du temps, ni l’autorité des personnes, ni les priviléges des nations, n’ont pas la force de rendre légitime une mauvaise coûtume. C’est ainsi que raisonne Tertullien. Enfin une coûtume qui est contraire aux loix de l’Église & aux constitutions canoniques, n’est d’aucune autorité, & est un véritable abus. Consuetudo, dit le Pape Innocent III, écrivant à l’Évêque de Poitiers, quæ canonicis obviat institutis, nullius debet esse momenti. Telle est la coûtume qu’on prétend justifier. C’est un abus que les Saints Pères ont combattu comme formellement opposé aux maximes de la religion. Dieu lui-même a souvent fait éclater sa colère contre ceux qui l’ont suivi. Tertullien en rapporte un exemple dont il prend Dieu à témoin. Il raconte qu’une femme chrétienne étant allée à la comédie, elle en revint possédée du Démon : & comme dans l’exorcisme, on reprochoit à cet Esprit impur, comment il avoit osé attaquer une personne fidéle, il repondit ; In meo inveni  ; J’ai eu raison, puisque je l’ai trouvée chez moi, c’est-à-dire dans un lieu qui m’appartient. On ne peut donc soûtenir, ni suivre une semblable coûtume, si contraire aux maximes de l’Évangile. Christus veritatem se, non consuetudinem cognominavit.

Dem. Nos parents, disent les jeunes gens, nous permettent de nous trouver dans ces assemblées ; ainsi nous ne croyons pas mal faire d’y aller.

Rép. Vos parents vous permettent d’aller aux danses, aux bals, à la comédie : quoi ! il vous conduisent dans ces routes égarées. Ils sont donc du nombre de ces impies dont parle le Saint homme Job en cette sorte : On voit sortir en foule, dit-il, leurs enfants de leurs maisons, qui dansent & qui sautent en se jouant ; ils ont la harpe & les tymbales à la main, & ils se divertissent au son des instruments. Mais quelle en sera la fin ? Ducunt in bonis dies suos, & in puncto ad Inferna descendunt. Voilà le précipice où vous les conduisez, & où vous tombez les premiers, malheureux Pères & Mères, qui êtes si complaisants que vous n’oseriez résister au libertinage de vos enfants. Quoi ! vos pères & mères vous permettent de danser. Ils sont donc les imitateurs de l’infame Hérodias, dont la fille reçut, pour prix & récompense de sa danse, la tête du plus grand & du plus saint des enfant des hommes : Saltavit filia Herodiadis, & placuit Herodi. Je n’oserois presque vous dire ce qu’ajoûte Saint Ambroise : Saltet, sed adulteræ filia  ; Danse qui voudra, mais cela ne convient qu’à la fille d’une adultère : quant à la mère qui est sage & reconnue pour chaste, son emploi doit être d’apprendre à sa fille, non la danse, mais la religion & la morale de Jésus-Christ, Quæ verò pudica, quæ casta est, religionem doceat, non saltationem.

Dem. Il faut bien, dit-on, prendre un peu de récréation, les Dimanches & les Fêtes, quand on a travaillé & qu’on s’est occupé pendant toute la semaine.

Rép. On ne défend pas les divertissements honnêtes, mais ceux qui sont pernicieux au salut, comme parle un Père de l’Église : Non animi relaxationem interdictam volo, sed petulantiam coerceo. Réjouïssez vous ; mais que ce soit dans le Seigneur, comme l’ordonne l’Apôtre : soyez gais & joyeux ; mais que ce soit en la manière que le doivent être des Chrétiens & des Saints, tels qu’étoit le peuple de Béthulie dans les Fêtes qu’il célébra après avoir été délivré des mains d’Holopherne, par celles de Judith : Erat populus jucundus secundùm faciem Sanctorum. Mais pour les danses, elles sont encore plus défendues les jours de Dimanches & de Fêtes, que dans un autre temps. Aussi les Pères assemblés au Concile de Paris, tenu en 1212 sous le pontificat d’Innocent III, disent qu’il est plus criminel de se livrer à la danse, que de labourer la terre, le saint jour de Dimanche : Teste Gregorio, melius est dominico die arare, vel fodere, quam choreas ducere. Il est inutile de dire qu’on ne danse qu’après les divins offices ; tout le jour est également saint, & s’il n’est pas permis de faire des œuvres serviles après la célébration de l’office divin, par la seule raison que le travail empêche qu’on ne s’occupe des choses spirituelles ; à plus forte raison ne doit-on pas s’occuper aux chansons profanes & aux danses, puisque elles sont infiniment plus capables de faire oublier Dieu & les choses spirituelles, que le travail même le plus pénible. An ille recogitabit eo tempore de Deo, positus illic, ubi nihil est de Deo, dit Tertullien. Aussi S. Augustin a dit, ainsi que le rapporte S. Thomas, que ce seroit un moindre péché de travailler un jour de Fête, que de s’occuper à ces sortes de danses, où régne toujours un libertinage certain. Le troisiéme Concile de Toléde, tenu en 589 sous Pélage II, déclare impie la coûtume de danser aux solemnités des Saints, & ordonne aux Prêtres & aux Magistrats, de s’appliquer à abolir, dans toute l’Espagne, un si pernicieux usage.

Nous pourrions citer jusqu’à huit Conciles provinciaux tenus en France depuis le Concile de Trente, qui tous unanimément condament les danses, particulièrement aux jours de Dimanches & de Fêtes. Nos Rois très-Chrétiens, protecteurs des loix de l’Église, ont fait aussi plusieurs ordonnances conformes à celles de ces Conciles. Il ne nous reste donc plus qu’à conclure que tous ceux à qui Dieu a mis son autorité entre les mains, sont obligés en conscience de s’opposer de toutes leurs forces à une si mauvaise coûtume, qui ressent beaucoup plus le paganisme que la religion chrétienne.

Dem. Je suis invité à des noces où l’on prend ce divertissement ; mon parent se marie ; ne me sera-t-il pas permis de danser à ses noces ?

Rép. Quoique absolument parlant nous ne condamnions pas quelques danses qui se font modestement & honnêtement, à l’occasion des mariages, néanmoins il faut avouer que ces assemblées de garçons & de filles produisent presque toujours quelques desordres. Les regards, les ris immodérés, les paroles à double sens, les querelles, les desirs de convoitise, les chansons malhonnêtes, & les libertés criminelles qu’on y prend, rendent presque toujours coupables ceux qui s’y rencontrent. C’est pourquoi le Concile de Laodicée, tenu sous S. Sylvestre, défend les danses, même aux noces : Non oportet Christianos, ad nuptias venientes se turpiter & indecorè gerere, vel saltare ; sed modestè cœnare & prandere, ut decet Christianos.
Examinez bien, mes Frères, ce qui se passa aux noces d’Abraham, d’Isaac, de Jacob & des autres Saints dont parle l’Écriture : vous verrez qu’il n’y est fait aucune mention de danses & de semblables légéretés ; au contraire, il est dit de Sara que voulant attirer la miséricorde de Dieu sur son mariage avec le jeune Tobie, elle déclare qu’elle a toujours eu en horreur de semblables amusements : Numquam cum ludentibus miscui me, neque cum his qui in levitate ambulant participem me præbui. Cependant elle avoit été mariée plusieurs fois. Si vous vous conduisiez de la sorte, Dieu béniroit vos mariages ; au lieu que vous attirez souvent son indignation par les danses & les autres excès ausquels vous vous abandonnez.

Dem. Est-il permis de se masquer & de se vêtir d’un habit différent de celui de son sexe, comme cela arrive dans les danses & les comédies ?

Rép. La loi ancienne défend expressément à toutes sortes de personnes de se déguiser de la sorte : Non induetur mulier veste virili, nec vir utetur veste fœmineâ. Elle traite d’abominable celui ou celle qui le font. Abominabilis enim apud Deum est qui facit hæc. Or il faut observer que cette défense ne doit pas étre considérée comme simplement légale, & comme un précepte qui ait été par conséquent aboli par la loi de l’Évangile ; mais on doit au contraire la regarder comme un précepte moral qui n’oblige pas moins les Chrétiens qu’il obligeoit les Juifs ; ainsi que l’enseigne S. Thomas, qui dit que Dieu, en faisant cette défense, n’a pas seulement eu en vue de détourner cet ancien peuple de l’idolâtrie que commettoient les hommes, en adorant Vénus, travestis en femme ; & les femmes Mars, déguisées en hommes : mais encore pour les détourner de la luxure à laquelle ces déguisements ouvrent souvent la porte. Ce même Saint Docteur s’explique encore plus clairement ailleurs, en disant que ce desordre est mauvais de sa nature : De se vitiosum est quod mulier utatur veste virili ; aut è converso. Il en apporte la raison qu’il avoit déjà donnée : & præcipuè quia hoc potest esse causa lasciviæ. Ce saint suit en cela le sentiment de Saint Augustin son maître, qui appelle ceux qui se déguisent de la sorte, des infâmes & de véritables bouffons : Veros histriones, verosque infames sine dubitatione possumus vocare.

Cette décision est conforme à la doctrine de l’Apôtre, qui recommande aux fidéles, d’avoir chacun l’extérieur convenable à son sexe, & dit que c’est une chose honteuse de faire le contraire. Ajoûtons à cela, que les jeux défendus & la licence, sont des suites presque toujours certaines de ces sortes de déguisements, qui par ces circonstances deviennent encore plus criminels.

Dem. Ne peut-on pas du moins, se masquer pendant le carnaval, en prenant des habits conformes à son sexe, quoiqu’ils ne soient pas convenables à notre état ?

Rép. On ne peut point excuser de péché ceux qui se masquent pendant le carnaval, quoiqu’ils ne prennent que des habits conformes à leur sexe, mais qui ne sont point convenables à leur état ; parce qu’étant masqués, on peut toujours les prendre pour des infames & des bouffons, comme nous l’avons dit ci-devant avec S. Augustin : D’ailleurs ces sortes de déguisements portent aisément à faire des actions qui blessent la pudeur & l’honnêteté chrétienne, sur-tout dans un temps de débauche, de libertinage & de plaisirs, tel qu’est celui du carnaval, où quantité de Chrétiens s’abandonne à des excès criminels, sans que presque personne s’y oppose. Nous remarquerons cependant, 1. que l’usage des masques étant un desordre très-pernicieux & défendu par les ordonnances de nos Rois & les Parlements du Royaume ; les Magistrats & autres supérieurs doivent s’y opposer & l’empêcher autant qu’ils peuvent. 2. Que les pères & les mères, les maîtres & maîtresses qui permettent à leurs enfants & domestiques, de se masquer, participent à tous les péchés qu’ils commettent à l’occasion de ce déguisement. 3. Que les ouvriers & les marchands qui font métier de faire & de vendre des masques tels qu’on les porte au carnaval, exercent une profession mauvaise par elle-même ; & par conséquent qu’ils sont obligés d’y renoncer, s’ils veulent mériter la grace de l’absolution, puisqu’ils donnent occasion au prochain d’offenser Dieu. Ils ont beau dire qu’ils ne prétendent pas consentir au péché de ceux qui s’en servent, ils ne laissent pas d’être coupables : car s’il n’y avoit point d’artisans qui fissent & vendissent des masques, on n’en verroit pas tant dans les rues & dans les bals, au grand scandale des gens de bien. Nous pouvons dire d’eux ce que Tertullien a dit de ceux qui tailloient les idoles des païens. Quidquid idolatra committit, in artificem quemcumque & cujuscumque idoli deputetur necesse est ; quomodo enim renuntiavimus Diabolo & Angelis ejus, si eos facimus ?
Finissons par ces paroles que S. Paul adresse aux Éphésiens : Hoc igitur dico & testificor in Domino, ut jam non ambuletis, sicut & gentes ambulant in vanitate sensûs sui  : Je vous dis avec l’Apôtre, & je vous conjure, mes Frères, par le Seigneur, de laisser toutes ces folies, & de ne plus vivre comme les gentils qui suivent dans leur conduite la vanité de leurs pensées : enchantés des vaines apparences du Monde, ils ne cherchent qu’à remplir le vuide de leur cœur par des objets qui les amusent & les divertissent. Ne les imitez pas ; éloignez vous pour toujours de ces lieux de dissolutions, où l’on apprend à se corrompre & où ne se trouve jamais l’esprit de Dieu. Danses, bals, comédies, spectacles vains & dangereux, renoncez à tous ces restes du paganisme. Souvenez vous que ce n’est pas ainsi que vous avez été instruits dans l’école de Jésus-Christ ; si toutefois vous y avez bien appris ce qu’on vous y a dit selon la vérité de sa doctrine : Vos autem non ita didicistis Christum ; si tamen illum audistis & in ipso edocti estis, sicut est veritas in Jesu. On vous a enseigné que dans votre baptême vous aviez renoncé à Satan, à ses pompes, & aux maximes du siécle, pour ne plus vivre que de la vie de Jésus-Christ & imiter sa sainteté : considérez combien vous vous en êtes éloignés. Lorsque vous vous êtes trouvés dans ces assemblées profanes dont nous avons parlé, combien avez-vous déplu à Dieu, aux Anges & aux Saints ? Que n’avez-vous pas fait pour vous y rencontrer ? Vous avez desobéi à vos supérieurs ; vous avez perdu l’instruction & le service divin ; vous avez couru la nuit pendant que tant de saintes ames étoient occupées à prier ou à chanter les louanges de Dieu. Considérez que pendant que vous dansiez, un million de personnes étoient à l’agonie & souffroient de cruelles douleurs ; que votre tour viendra ; que le temps passe, & que la mort approche où il vous faudra rendre compte de tous ces vains amusements ; en un mot qu’ils sont indignes d’une ame qui a un vrai desir de se sauver : Non sunt ista, dit un Père de l’Église, salvari cupientium.