(1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre onzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre IV. Fêtes de Théatre. » pp. 95-114
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(1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre onzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre IV. Fêtes de Théatre. » pp. 95-114

Chapitre IV.

Fêtes de Théatre.

PAR un ancien usage, la ville de Toulouse fait un feu d’artifice pour chaque nouveau premier Président du Parlement. M de Vandeuil, Conseiller de Requêtes du Parlement de Paris, qui vint présider à Toulouse en 1769 exigea si rigoureusement cet hommage, qu’il fit tirer deux fois ce feu, parce que la premiere fois, une pluye qui survint, en dérangea l’exécution ; tout cela fut suivi d’un grand festin, & d’un bal, à l’Hôtel de Ville, qui dura jusqu’au lendemain, où son épouse, Dame très dévote, fit les honneurs. Cette augmentation de fête, qui n’étoit pas de l’ancien usage, jetta la Ville dans des frais considérables, & occasionna bien des indécences & de querelles. Ce Seigneur regna moins que les Consuls Romains ; il ne finit pas son année, ayant déplu à sa Compagnie, il fit par désespoir, démission de sa place ; il s’en répentit inutilement ; le Roi ne voulut plus de lui. M. de Niquet, son successeur, homme bien différent, est au gré de tout le monde ; sa probité, sa douceur, sa charité lui ont gagné tous les cœurs. Bien loin d’exiger à son entrée, ce feu d’artifice, ce bal, ce festin, il le désendit ; & préférant le plaisir d’être utile à la Gloriole d’une fête, qu’une nuit auroit terminée, il voulut que les sommes qui y étoient destinées, fussent employées à marier des pauvres filles. Ses vues bienfaisantes furent exécutées ; on assembla toutes ces filles & leurs fiancés, dans le Consistoire de l’Hôtel-de-Ville, les Capitouls les conduisirent à l’Autel, où M. de la Galaistere, l’un des Grand-Vicaires (à l’absence de M. de Lomenie, Archevêque, qui demeure depuis plusieurs années à Paris, & qui, sans doute, se seroit fait un plaisir d’assister à la cérémonie ;) après un discours où il joignit à une exhortation convenable, l’éloge le plus vrai, du Magistrat, auteur de la fête, leur donna la bénédiction nuptiale ; de l’Autel, les époux avec chacun quatre de leurs parents, passerent à la salle où on leur avoit préparé un repas, après lequel on leur permit de danser à leur maniere, jusqu’au soir ; la plus grande décence, & une parfaite tranquilité accompagnerent la franche & agréable gayété qui y regnoit. La mémoire de ce beau jour se conservera longtems dans Toulouse, & sera pour les grands une occasion de se souvenir combien il est doux d’être bienfaisant & populaire, & d’apprendre qu’on soutient bien mieux sa dignité, en régnant par l’amour, qu’en intimidant par la hauteur.

Je ne sai par quelle fatalité, il faut que le théatre se mêle de tout, & gâte les meilleurs choses. Les actionnaires qui ont affermé la salle de spectacle, voulurent partager la gloire de cette belle fête ; il s’imaginerent que c’étoit un acte de charité chrétienne de donner, aux nouveaux mariés, qui certainement ne s’y attendoient pas, la comédie gratis, le jour de leurs noces, & le Dimanche suivant. Pour bien célébrer ces deux fêtes, & attirer la bénédiction du Ciel sur leur mariage, il y eut dans le parterre des places préparées pour eux. Les actionnaires furent les chercher, & les conduisirent en pompe, à la salle de spectacle, mais non pas sans rire, & on leur donna la comédie. La foule y fut très-nombreuse, & la recette les dédommagea abondamment des places gratuites dont ils avoient fait une aumône à ces pauvres gens ; on l’esperoit bien de ce charitable artifice, cette idée est neuve. Jusqu’ici, dans l’énumération des actes de charité spirituelle ou corporelle, aucun Théologien, aucun Prédicateur, aucun livre de dévotion n’avoient compris de donner par charité la comédie aux pauvres ; & au jour du Jugement, Dieu ne l’y ajoutera pas. On ne manquera pas de l’ajouter à l’avenir ; au reste, on sent bien que les Dames Toulousaines sont trop charitables pour avoir manqué de venir au bal, & d’aller à la comédie exercer leur charité. Gazet. 12  Février 1771.

La même Gazette de Monaco, 16 Juillet, rapporte un trait singulier, d’un goût différent. La ville de Frontignan en Languedoc, Diocese de Montpellier, est connue par les bons vins muscats qui se cueillent aux environs, & les raisins qu’on fait sechèr pour les mettre en caisse, & dont on fait un commerce ; c’est toute la richesse du pays, & l’unique illustration de la Ville. M. Teulon son Curé, en a voulu donner une autre. Le jour de Saint Jean, qui est son Patron, il s’est signalé par une belle fête, & un grand feu, qui se confondit avec celui de la Saint Jean, servit à la fois à honorer la naissance du Saint, & célébrer la fête du Pasteur ; heuresement la veille étoit un Dimanche, & le jeûne avoit été fait le Samedi. Il y eut d’abord sur le tard un très-bon soupé, où les principaux paroissiens furent invités ; après le repas, les convives se rendirent sur la terrasse du presbitere, & ceux de la campagne dans la cour, & aux environs, pour voir tirer un fort beau feu d’artifice, dont ces bonnes gens n’avoient aucune idée ; il réussit parfaitement, surtout un grand arbre Chinois, & un soleil dont les feux également vifs & variés, firent (qui en doute) l’admiration des spectateurs, qui, jusqu’alors pour tout feu de la Saint Jean avoient brûlé quelques bottes de paille, ou quelques sarmens. On n’admira pas moins l’effet des fusées d’honneur, qu’on tira d’un endroit fort élevé ; un arbre Chinois, un Soleil, des fusées d’honneur pour le Curé de Frontignan ! Il est vrai qu’on venoit de voir tout cela à Paris, à Turin, à Lyon, pour le mariage du Comte de Provence. Le feu d’artifice fini, nouveau repas, on trouva dans la salle basse du Presbitére, un ambigu qu’on mangea au bruit des acclamations de l’arbre Chinois ; cependant le célebre muscat du pays couloit à grand flots, on s’y amusa à divers jeux, jusques bien avant dans la nuit, sans doute au Colin Maillard. On n’ose pas dire un bal chez le Curé ; on ne voit pas de pareille fête chez les Curés de Paris. M. Toulon n’eût il pas mieux fait de suivre l’exemple du premier Président de Toulouse, & de convertir les fusées en aumônes ? On ne dit pas qu’il y eût ensuite une comédie, elle n’étoit pas nécessaire, la fête même en étoit une.

Comme tout est en France affaire de mode, on fait pour le théatre ce qu’on a fait pour les lettres. Le public a été inondé des Lettres Persannes, Chinoises, Péruviennes, Turques, Juives, Cabalestiques, &c. toutes très-Françoises, à qui ce nom étranger donnoit droit de parler licencieusement. Voici un théatre Russe, du Prince Clenerlow, traduit en François par le Baron de Blening-Casson. On va bientôt voir le théatre Japonnois, du Prince Facarondono, traduit par le Comte Pumphise. Le Monomotapa, le Madagascar auront aussi le leur. Le Prince Russe, & son traducteur Allemand, bien naturalisés François, connoissent parfaitement le monde, la société, les mœurs, les modes, les cercles, le persistage de Paris. Le titre des pieces est aussi François que le langage, l’intrigue, le dénouement ; les hommes à la mode, les liaisons du jour, les acteurs de société, &c. La préface peint très-bien l’état actuel des arts & du théatre ; on y trouve bien de jolies choses, qui ne sont pas originaires de Novogorod. L’auteur Russe est fort mécontant des comédiens, qui, en réfusant de jouer les pieces, l’ont forcé de se faire justice par l’impression. La manie des petites loges , dit-il, outre le ridicule & l’incommodité qu’elles produisent, prive le public des nouveautés, & donne aux commédiens la liberté de se négliger, & de rébuter les auteurs parce qu’elle leur assurent un révénu considérable ; les principeaux d’entr’eux, qui passent quatre mois dans leurs terres, ou leurs maisons de campagne, ne veulent pas se donner la peine d’apprendre les pieces nouvelles dont leurs porte feuiles sont remplis, à moins que les auteurs ne renoncens à leurs droits. Si le Prince Clenerlow avoit voulu renoncer à sa part d’auteur, on auroit pris la peine d’apprendre les pieces. N’est-il pas un peu ignoble que le Prince Russe, & le Baron son interprête, s’occupent de ces minuties d’intérêt, & en entretiennent le public ? Il est singulier que les comédiens ne se soient pas empressés à jouer les Drames de son Altesse. La recette eut été bonne, leur singularité eût attiré bien du monde, & ces Seigneurs (de fraiche datte) n’auroient pas regretté le séjour de leurs terres & de leurs chateaux, ni mérité les réproches du Prince Clenerlow.

A peine a t-on été maître de la Corse, que le premier soin de ses conquérans a été d’y élever un théatre, & de faite annoncer dans les Gazettes, la nouvelle province ajoutée à l’empire de Thalie. C’est à la place des Bandits, qu’on tâche de détruire, que le Gouverneur veut établir des comédiens ; c’est opposer Bandits à Bandits. Ceux-ci sont à la vérité, moins meurtriers mais plus pernicieux pour les mœurs. Je crois même que la débauche ruine autant & plus des corps que les assassinats, avec d’autant plus de facilité, qu’on n’est point en garde contre ses traits. Que ne laisse-t-on ce peuple dans son ignorance ? La comédie leur étoit inconnue ; on ne peut pas dire comme à Paris, qu’ils la désiroient. On leur apporte le poison, on les oblige à le boire ; on a commencé par des bals, ils ont été très-fréquents, dit la Gazette, & très-nombreux pendant tout le carnaval, quoique fort long ; on y a toujours vu une multitude étonnante de personnes de toutes qualités, (c’est la nouveauté.) Les Dames Françoises n’ont pas témoigné autant d’empressement que les Dames Corses. Ont-elles donc perdu de leur gaietté, en raison de ce qu’elles en ont communiqué ? (réflexion ridicule, il y a peut-être deux ou trois femmes d’Officiers François) Le séjour des François opere des grands changements dans les mœurs : les festins, les danses, les comédies ont succédé aux horreurs de la guerre ; ce prodige a été opéré par le caractère (frivole & libertin) d’une nation qui répand par-tout l’amour du plaisir : Incidit in Scyllam cupiens vitare caribdim.

Les Corses se donnent le spectacle guerrier d’une bataille simulée, qui leur rappelle les exploits de leurs ancetres, fort exposés aux incursions des Sarrasins, dans une grande pleine où des rentes dressées offrent la vue de deux camps ; on voit des troupes en bataille, d’un côté en habit de Turc, & de l’autre en habit du Pays. Ces braves guerriers se provoquent mutuellement, en récitant les vers que le Tasse met comme Homere, dans la bouche de ses héros ; de la Jérusalem délivrée. Les Turcs s’avancent avec fierté, branlent leur cimeterre, & ménacent les chrétiens. Ceux-ci méprisant leurs bravades avec une noble intrépidité, les font trambles à leur tour. On en vient aux mains ; à entendre le bruit des armes, & les cris des vainqueurs & des vaincus, on diroit que c’est un véritable combat. Les coups, comme à l’opéra, sont portés en cadence, & l’on se bat en dansant, au bruit de quelques instruments de musique ; la bataille est terminée par une musique brillante, & des chansons à la gloire des vainqueurs. Les Dames viennent en foule les couronner.

Ce spectacle suffisoit aux Corses ; mais il faut des théatres aux François. On ne construisit d’abord un à la hate, peut-on s’en passer ? C’est une matiere de premiere nécessité. On l’a depuis bâti en grand, & décoré convenablement : c’est un spectacle en regle, pour l’instruction du peuple ; mais leur a-t-on donné des missions, des sermons ? Bon, les vrais Apôtres sont des actrices, l’Evangile, c’est l’opéra bouffon ; enfin, le 16 Juin 1771, trois mois après, le théatre étant fini dans la ville de Bastia, on en fit solemnellement l’ouverture & la dédicace, le Gouverneur, les Magistrats en robes de cérémonie, la Noblesse, la Bourgeoisie s’y rendirent, il y eut le plus grand concours ; ce ne fut d’abord qu’une troupe Italienne, en attendant la troupe Françoise, elle s’est faite attendre quelques mois, c’étoient des siécles, quelle impatience ! Non pour les naturels du pays, qui n’en avoient que faire, mais pour les François. Elle est enfin arrivée, ô jour trois fois heureux ! Les Gazettes ont annoncé ce grand événement ; elle a enchanté tout le monde, non par des pieces sérieuses, mais par des opéra bouffons, où la nouvelle actrice, la Caille, distinguée par une voix agréable, plaira bientôt aux Corses, par d’autres attraits. Les deux troupes jouent alternativement sur le même théatre, jusqu’à ce qu’on en ait bâti un second, & bientôt un troisiéme pour l’opéra. On y a pensé très-sérieusement, point d’affaire plus importante ; aussi le théatre aura en Corse, la même époque que l’Empire François : ces deux Empires sont inséparables, l’Empire de la Réligion & de la vertu y aura-t-il la même datte ?

Les Négociants François, qui sont ici (Smirne) ont exécuté sur le théatre national, une tragédie en cinq actes, composée par M. Peisonnel, Consul de la nation, intitulée Selim ou la foi du sujet ; elle a eu les plus grands applaudissements, le sujet en a été trouvé neuf, & vraiment tragique ; les caractères bien soutenus, la conduite sage, les situations intéressantes, le style noble & nerveux, les sentiments d’amour & de fidélité du sujet envers son Roi, y sont dévelopés d’une maniere, qui fait autant d’honneur à l’auteur qui en est rempli, qu’au Monarque qui les inspire. Ces grands mots de la Gazette de Monaco, art. De Marseille, 17 Avril 1772, bien aprécié, veulent dire qu’une poignée de Négociants de Marseille, qui trafiquent au Levant, & qui ont un Comptoir à Smirne, & un Consul de leur Nation, avec leurs commis, facteurs, courtiers, matelots, (quel auteur, quels acteurs, quels juges !) que ces gens-là voulant se donner un air de littérature & de beaux esprits, & se mettre à la mode de Paris, ont bâti un théatre qu’ils décorent du grand nom de Théatre National, qu’ils y représentent des pieces, qu’un d’entr’eux, qui fait des vers, a composé une tragédie, qu’ils ont jouée ; mais quelle piece, mais quel succès, mais quels applaudissements ! Que n’en ont-ils pas mandé à leurs correspondans ? Personne n’ira sur des lieux les contredire. Quel délire de théatre, d’en aller construire au Levant, & d’y jouer des pieces ! Il en faudra construire de même à Alep, à Alger, à Surate, à Bengale, &c. & ce sera une des fonctions du Consul, & un des articles des traités du commerce avec le grand Turc & le grand Mogol. Moyen infaillible de rendre le commerce florissant, en rendant les commercants libertins & frivoles ? Moyen de faire estimer la nation chez des peuples chez qui le metier de comédien, plus infâme & plus scandaleux qu’en France, s’il étoit possible, n’est exercé que par des femmes prostituées, qui, pour de l’argent, vont de maison en maison, se livrer au goût du public. Quelle estime pour la Réligion chrétienne doit donner la Foi du Sujet, qui, par son indifférence pour la Réligion, croit prouver son amour & la fidélité pour son Prince ; ce n’est point la foi Catholique qui fait les Martyrs, c’est la foi des Dieux, des tems de la Cour. La foi qui fait le Luthérien en Suéde, l’Anglican à Londres, le Mahométan à Constantinople, l’Idolâtre à Pekin. Voilà une Mission nouvelle que l’incrédulité fait dans ces pays lointains. Les Missionnaires y prêchent l’Evangile, les Négociants François y vont porter l’irréligion. On ne sauroit faire prêcher de meilleur Apôtre que le théatre François ; il est bien différent de tous les autres.

Rien n’est plus dévot que le théatre Grec & Latin ; il n’est point de livre de piété qui parle plus de Dieu & de ses Saints, que les tragédies de Sophocle, d’Eschile & de Séneque, ne parlent de la Mithologie payenne ; ce sont par-tout les actions des Dieux, des prieres, des offrandes, des cantiques ; les Dieux font tout, on en espére, on en craint tout. Nous avons quelques piece dévote, Athalie, Polieucte, où il est parlé de Dieu. C’est le rôle des acteurs. Pour tout le reste, il y a plus de piété dans une tragédie d’Eschile, que dans tous le théatre de Corneille, de Racine, de Crébillon & de Voltaire. C’étoient des faux Dieux sans doute ; mais les payens les regardoient comme vrais : c’étoit leur réligion, & ils montroient plus de dévotion à leur maniere, que les poëtes chrétiens dans la Réligion véritable. Jamais la piété ne fut chez eux un sujet de plaisanterie ; jamais ils ne rougirent de la pratiquer sur la scéne, & de l’honnorer par leurs discours. Qui suit en ce point, des modeles si vantés ? Il y en a moins dans leurs comédies, mais il y en a beaucoup encore, & plus que dans toutes les nôtres, où on n’en voit pas la plus légere trace. Térence est en ce genre, un livre de dévotion, en comparaison de Moliere, de Dancourt, de Gerardhi, &c. que dans une tragédie d’Eschile ou d’Euripide, à la place du nom de Jupiter, d’Apollon, de Minerve, on mette le nom du Dieu véritable, sans rien changer dans les pieces & les sentiments ; on en fera un ouvrage si pieux, que notre théatre ne pourra souffrir la bigotterie de ces chefs-d’œuvres. Si les anciens, au lieu qu’ils nous ont précédé, venoient après nous, & traduisoient nos théatres ; en voyant notre Réligion bannie de presque toutes nos piéces, tournée en ridicule dans plusieurs, & traitée si froidement dans la plupart de celles où par hazard on en parle, ils nous traiteroient d’impies, auroient-ils tort ?

A Nîmes le 13 Novembre 1771, jour de la rentrée du nouveau Conseil-supérieur, M. de la Boissiere, premier Président, fit un discours dont la Gazette de Monaco, contre son usage, ne vante pas l’éloquence, après lequel il donna un grand dîné à ses confreres. En voici la brillante description, qui fait l’éloge du confisseur qu’il avoit employé. La table en fer à cheval, étoit bordée d’une galerie continue, composée de 37 portiques, percés à jour, & faisoit la communication de cinq Temples placés à égale distance, qui faisoient cinq surtouts ; les groupes des figures qui couronnoient ces Temples, en distinguoient les différentes allégories. Sans doute ces cinq Temples étoient destinés aux quatre vertus cardinales, la Prudence, la Justice, la Force, la Tempérance, & enfin à la Réligion, qui doivent faire le caractère du Magistrat. On se trompe : le premier, il est vrai, placé au centre de la table, étoit le Palais de la Justice, les autres n’étoient pas tout-à-fait des vertus. On voyoit à chacun la divinité à laquelle il étoit dédié ; non en dedans sur un autel, mais au-dessus du toit. C’est un nouveau goût, un nouveau genre de culte. A celui de la Justice on voyoit Themis avec son bandeau, sur des nuages, qui réposoit sur les trois marches de l’amortissement de la voute ; de la main droite elle soutenoit l’écusson de la France, avec une balance, & de la gauche celui de M. le Comte d’Eu, Gouverneur de la Province, avec une épée nue, cet attirail est embarrassant : une main chargée d’un écusson ne peut guere ni manier l’épée, ni suspendre la balance. Jamais les vertus n’ont porté l’écusson de personne ; c’est au contraire la personne que l’écusson annonce, qui se fait honneur des attributs d’une vertu. Le Roi porte le sceptre de la Justice, jamais la Justice n’a porté les armes de France, encore moins d’un sujet, même Prince. Le Gouverneur de la Province, quoique Prince du sang, n’a qu’une autorité déléguée, & la justice n’est point rendue en son nom : son écusson ne peut être mis en parallele avec celui du Souverain dont-il tient la place. Deux génies sur des nuages soutiennent l’écusson de M. le Chancelier ; il eût été mieux placé à la main de la justice, dont il est le chef. Celui de M. le Comte de Périgord, Commandant de la Province, & celui de M. de Saint-Priest, Intendant, qui tous deux inférieurs au Gouverneur & au Chancelier, ne pouvoient aller de pair avec eux.

Les deux Temples suivants aux deux côtés de la Justice ne sont pas dédiés à des vertus, mais apparamment ce sont les Divinités des Magistrats de Nîmes. Sur la droite de Temple de l’Amour, à la gauche le Temple des Graces : le premier couronné par un groupe représentant Vénus, nonchalament couchée sur des nuages, tenant d’une main un carquois, & de l’autre une fléche dont un petit amour éguisoit la pointe avec le bout du doigt. Deux génies portoient deux flambeaux allumés, dont la flamme se réunissoit sur ses aîles ; le Temple des Graces étoit couronné par trois figures de femmes, couvertes d’un voile léger, qui paroissoit être le jouet des vents ; trois femmes toutes nues, couvertes d’un voile léger, qui paroissoient être le jouet des vents, sont-elles bien dans la décence, dont de graves Magistrats font profession ? Cette Vénus nonchalament couchée, dont la gaze aussi légere, n’est pas moins le jouet des zéphirs, est la premiere Présidente des graces, avec lesquelles elle assiége le Temple de la justice, dont les barrieres ne sont pas difficiles à forcer ; mais si c’est le Costumé actuel de la Magistrature, ce n’est pas du moins le Costumé Mithologique. Jamais Vénus n’a porté de carquois, ni lancé de fléche. Cupidon ne fit jamais porter son flambeau par des génies, & n’eut jamais qu’un flambeau ; & il est très suffisant pour 30 Sénateurs. Au bout de la table, à droite, le Temple des Arts & de la Guerre, (deux choses qu’on n’a jamais fait aller de pair) couronné par Minerve, en habit guerrier ; le bouclier passé dans le bras, position ridicule, qui suppose un bouclier percé, dans lequel on passe le bras, (c’est peut être une méprise du confisseur) ayant à ses pieds des instrumens de Mathématique, de Musique &c. autre ridicule. Minerve ne s’est jamais mêlée de Mathématique, ni de Musique. Apollon étoit le Dieu de la Musique, Uranie de l’Astronomie ; ni l’un ni l’autre n’est l’attribut de Thémis : ce n’est ni avec l’astrolabe, ni à l’orchestre de l’opéra, qu’on étudie les loix. Lulli, Rameau, Moliere, Racine ont formé peu d’oracles de la Jurisprudence ; si ce n’est dans Pourseaugnac ; le Temple de la Guerre, termine ces belles allégories en sucre. Mars y est assis sur un faisseau d’armes, & ayant sous les pieds, ce qu’il n’avoit jamais vu, des canons, des bombes, des boulets, qu’il avoit fait porter sur le toit de son Temple, qui ne l’enfonçoient pas, & y tenoient je ne sai comment. Vous voyez que nos nouveaux Magistrats ont l’esprit guerrier, au lieu que l’ancienne Justice passoi pour pacifique. Aussi sont-ils tous Marquis, Comtes, Barons, tous nobles de mille ans au moins ; tous portent dans leurs armoiries des pieces militaires ; sont habillés de couleurs brillantes ; une coëffure cavaliere, galants auprès des Dames ; conduisant savamment un élégant cabriolet, &c. Sur-tout à Nîmes où les belles Arénes qu’on voit encore, sont un monument du goût qu’on y avoit pour les combats sanglants des Gladiateurs. M. de la Boissiere est un grand peintre, il a dirigé le moule de son Confesseur, pour rendre au naturel, par ces symboles, l’ancien & le nouveau Sénat de la Province. Cette longue file de Portiques étoit couronnée, à chaque pilastre, d’une statue analogue à quelqu’un des cinqs sujets, & le chef du ceintre, des armes du Roi, du Comte d’Eu, du Chancelier, du Conte de Périgord, de l’Archevêque de Narbonne, très-canomiquement placé entre Vénus, l’Amour, les Graces & Mars ; & enfin, l’Intendant, chacun suivant son rang. Le premier Président eut la modestie de n’y pas mêler les siennes (pourquoi non) à celles de l’Evêque de Nîmes, Becdelievre.

Au milieu du répas, le Prince du Sénat porta à l’assemblée, la santé du Roi, on y répondit par acclamation, au bruit des boëtes ; ensuite celle de Monseigneur le Dauphin, de Madame la Dauphine, Monsieur le Comte de Provence, Madame la Comtesse de Provence, des trois Dames de France, Madame Marie-Élizabeth, toute la Famille Royale ; celle du Comte d’Eu, du Chancelier, du Comte de Périgord, de l’Archevêque de Narbonne, de l’Intendant. Ce nombre honnête de rasades valoit bien un Temple de Bacchus, qu’on avoit eu tort de ne pas élever ; mais qui y suppléa. Le lendemain, M. le premier Président donna un second repas, aux personnes de distinction des deux sexes ; il y avoit trois tables contenant cent couverts, pour les Dames, qui y furent servies par trois cens Cavaliers. On comprend bien que parmi ces Cavaliers, il y en avoit de robes longues & de robes courtes ; on y porta au déssert, les mêmes santés, les mêmes hommages de rasades, à l’honneur des fils de Tatone. Après le soupé, un beau feu d’artifice, suivi d’un bal paré, où se réunirent les graces & le plaisirs : qui sait mieux les réunir que les élégants Magistrats du dix-huitieme siécle. Mais pourquoi ne pas donner aussi la comédie, pour completter la fête ? 1°. Parce que le répas & le bal emporterent tout le tems ; 2°. parce que le répas lui-même étoit une vraie comédie. Tout cela est bien éloigné des vieilles Ordonnances, des antiques mercuriales, de la gothique discipline du Palais, qui, des Conseillers & Présidents, faisoient d’espéces de Capucins, par la régularité de la vie, & l’austérité des Mœurs. La nouvelle Justice est toute jeune ; & n’est ce pas l’appanage de la jeunesse, de faire asseoir la Justice entre Vénus & les Graces, de quitter un moment les Déesses, pour se montrer au Palais ; de revenir d’abord dans leurs bras se délasser des fatigues accablantes du Palais, & de prononcer les Arrêts que ces belles bouches ont dictés ?

Mr. Turpin, Histoire de Siam, rapporte qu’il est un jour dans l’année où l’on choisit une femme flétrie par ses débauches ; on la porte sur un brancard, dans toute la ville, au son des tambours & des hautbois, tout le monde lui vomit des injures, lui jette de la boue ; après l’avoir bien promenée, on l’abandonne sur un fumier ou sur un buisson, hors des remparts, avec défense de jamais rentrer. Cette cérémonie superstitieuse est fondée sur la persuasion où l’on est, que toutes les malignes influences de l’air & des esprits malfaisans, tomberont sur cette femme. C’est à peu-près comme le Bouc Emissaire des Juifs, qui peut-être en est l’origine. Les Japonnois font un traitement pareil à toutes les comédiennes ; mais ce n’est qu’après leur mort, par mépris pour leur état, & non par superstition ; ils trainent leur cadavre dans les rues, ne l’enterrent pas, mais les laissent pourrir sur un fumier, comme un chien. Ce qui arrive très fréquemment.

Quoique la comédie soit fort fréquentée à Siam, le metier de comédien n’y est pas moins ignoble, bas & abject. Quiconque l’exerce est flétri par la loi ; c’est une tache ineffacable que l’éclat des richesses, de la faveur, des dignités ne couvre pas. Ainsi l’on voit que l’anathême prononcé parmi nous, n’est point un préjugé national. Le Grec & le Barbare, le Japonnois, le Siamois y attachent également une idée d’opprobre, que nos loix appellent infamie. A Siam les femmes ne montent jamais sur le théatre, les hommes jouent tous les rôles, on croiroit blesser les bienséances de leur sexe, si on les exposoit aux regards du Public. Toutes les piéces françoises ne sont que l’exposition des faits, ou plutôt des Fables consacrées par la crédulité du vulgaire, ou la critique des mœurs & le tableau des ridicules. On y censure tout le monde avec impunité, même les malversations & les sottises des hommes en place ; ils ne s’en corrigent pas ; mais ne s’en fâchent pas ; & prenent le parti d’en rire comme les autres.

Les dépenses qu’on fait pour les funérailles s’étendent jusqu’aux Perroquets, l’amitié singuliere du grand Prince pour un de ces oiseaux, fit croire que l’ame de quelque Monarque avoit passé dans son corps, qu’il falloit lui rendre des honneurs proportionnés à sa dignité, on éleva une grande pyramide où l’on montoit par degrés, il y avoit au haut une plate forme ; pour y brûler le corps de l’oiseau, qu’on y porta dans une cage d’or. Cette Fête dura huit jours, pendant lesquels les Talapains se succédoient pour faire leur priere, on jettoit au peuple des piéces de toile, des vases de cuivre, des miroirs de la Chine ; enfin la fête se termina en réduisant en cendre le défunt Perroquet, dont les funérailles surpasserent en magnificence celle des principaux Officiers de l’Etat, son ame passa sans doute dans le corps de quelque Monarque.

Celle-ci est déjà rapportée ailleurs ; l’histoire de l’Ordre de Saint Dominique, vie du Cardinal dél Prato, Tome I. Livre VIII, d’après Villani, Livre VIII. Chapitre 70, rapporte que ce Cardinal étant Légat du Pape à Florence, on y fit des réjouissances ridicules, on fit crier que tous ceux qui voudroient savoir de nouvelles de l’autre monde, en apprendroient le premier Mai sur le Pont de la Ville ; au jour marqué parurent sur la riviere Darne, un grand nombre de barques, remplies de personnages qui représentoient l’enfer, des feux, des fouets, des roues, & divers instrumens de supplices, des Dragons, des Serpens, des démons, des hommes nuds qu’on frappoient, qui crioient & hurloient comme des Damnés dans les tourmens ; mais rien ne pouvoit être plus tragique, que ce qui termina cette scene, dans le tems qu’on étoit le plus attentif, le Pont qui étoit de bois, trop chargé par la foule immense du peuple, tomba tout à coup. Une infinité de gens furent précipités dans l’eau, & y périrent ; ceux qui se sauverent furent la plupart estropiés, & toute la ville dans la plus grande désolation.

L’Abbé le Noir Théologal de Séez, si fameux par ses talens, ses écrits, ses procès, ses disgraces, mort enfin dans une prison, dût originairement ses persécutions & ses malheurs au théatre. Une troupe de Comédiens vint jouer à Séez, dressa ses trétaux devant la Cathédrale, & représentoit pendant les Offices, & les sermons du Théologal. Plusieurs Prédicateurs se sont trouvés dans le même cas ; mais ils ont été soutenus, ou ils ont souffert avec patience. L’Abbé le Noir fut moins heureux, ou moins tranquille. Il ne pût voir sans indignation élever Autel contre Autel, & déserter son Auditoire. Il se livra à son zéle, & tonna contre les spectacles en général, & contre le scandale de celui ci en particulier. Tel S. Chrisostome, qui déclama contre les jeux qu’on faisoit autour de la statue de l’Imperatrice, devant la porte de la Cathedrale de Constantinoble. L’Evêque de Séez en fut instruit, & au lieu de prendre son parti, comme il le devoit, ou de lui donner quelque avis paternel, se déclara hautement contre lui, & le fit releguer par Lettre de cachet. Deux motifs faisoient agir le Prêlat, il se prétendoit Gouverneur de la Ville, & en cette qualité avoit eu la foiblesse de donner aux comédiens la permission de jouer, & de les prendre sous sa protection ; emploi & conduite assez peu analogue à sa dignité ; il régarda les sermons du Théologal, comme un attentat sur son autorité, & une censure de la conduite. Il étoit d’ailleurs en procès contre son Chapitre, pour des intérêts temporels, & le Théologal le plus habile & le plus ferme de son Corps, en soutenoit vivement les droits. L’éxil le débarrassa de cet Adversaire rédoutable. Revenu de son éxil, soit par zéle, soit par vengeance, l’Abbé suscita des affaires à l’Evêque, attaqua ses Mandemens, & son Catéchisme, où il crut voir des hérésies, le defféra juridiquement à l’Archévêque de Rouan son Métropolitain (Harlai transféré peu après à Paris ;) & par malheur pour lui l’Evéque de Séez fut transfére à Rouen. Il l’y poursuivit, s’opposa à sa prise de possession, le traitant d’hérétique, & d’excommunié. Démarche inutile, & très-imprudente. Il y mêla même le Jansémisme fort mal à-propos. C’est une suite immense d’affaires dont il fut enfin la victime. Le théatre fut la premiere étincelle qui alluma ce grand feu.

Dans son livre du nouvel Evangile. il accuse le Cardinal Pallavicini d’avoir favorisé le théatre, & il est vrai que dans son histoire du Concile de Trente l. 1. c. 24. on trouve : La société & la politique parlent pour le théatre. Le peuple le désire, il faut le rendre magnifique & agréable, pour l’y attirer. Ce sentiment ne surprendroit pas dans Pallavicini & son Traducteur latin. Ce sont deux Jesuites ; mais ce passage n’est pas de lui, il est du Cardinal Aloander, dont l’historien du Concile rapporte le discours prononcé à la Diette de Wormes contre Luther. Le Nonce de Leon X. n’avoit garde de fronder le goût décidé de son maître, pour les spectacles. D’ailleurs pour justifier la Cour de Rome du luxe, de la dissipation, des mauvaises mœurs dont on l’accusoit, il dit, 1°. Qu’on exagére beaucoup ses désordres : 2°. Qu’il est écrit, faites ce qu’ils vous disent, & ne faites pas ce qu’ils font . Que la doctrine est indépendante des mœurs. 3°. Qu’il y a bien de choses permises, qui sentent le luxe, la magnificence de bâtimens, le nombre des domestiques, le théatre public ; parce que le peuple aime les spectacles. Il auroit aussi bien fait de ne pas parler du théatre, dont Luther ne s’embarrassoit guere ; mais il parloit devant l’Empereur & tous les Princes d’Allemagne, qu’il croyoit devoir ménager, pour conserver leur protection à l’Église Romaine, alors si vivement attaquée par les Luthériens. Tout cela fit fort peu de sensation dans le monde, & je n’ai vu aucun auteur qui pour justifier le théatre aille chercher à Wormes le Nonce du Pape Aloander.

La salle de la comédie à Fontainebleau, selon la description de Quirbon Tom. 2. forme une petite histoire singuliere. Ce fut d’abord la plus grande, la plus belle salle du Château. François I. l’avoit bâtie, & Henri IV. y avoit fait faire en 1590, la plus magnifique chéminée, où au milieu de plusieurs colomnes, des statues du plus beau marbre blanc, des vases de bronze, des bas reliefs qui représentent les victoires de ce Prince, on voyoit sa figure équestre en demibosse, armée, & couronnée de lauriers avec des inscriptions, des chiffres, des emblêmes à sa gloire. Cet ouvrage avoit coûté cinq ans de travail des plus célébres Sculpteurs, & des sommes immenses. On l’appelloit la salle de la belle chéminee. Ce chef d’œuvre meritoit bien d’être conservé, & préféré aux legeres beautés d’un vil théatre ; écueil ordinaire de la chasteté & de l’innocence, qui y apprennent toujours l’art funeste de faire un naufrage inévitable , dit l’auteur en gémissant. Louis XIII. en 1633 y fit célébrer les plus rédoutable Mastère de la Réligion, le jour de la Pentecôte, à la grande promotion de 49. Chevaliers de l’Ordre du St. Esprit.

Qui auroit cru que cette magnifique salle deviendroit la salle de la comédie, & seroit détruire pour y placer le théatre ? Après avoir détruit les bonnes mœurs, le Regne exterminateur de Thalie épargneroit-il des statues & des bas reliefs ? Si c’eut été des nudités, des avantures galantes, on les auroit employées aux décorations. Mais qu’a-t-on à faire des victoires de Henri IV ? On s’est avisé depuis peu de faire un Drame d’une chasse de Henri IV. mais c’est pour mettre sur le théatre des propositions, & des caresses indécentes qu’on fait faire par ce Prince à une Païsanne, chez qui il reçoit l’hospitalité. François I. qui bâtir ce Château, ni ses Successeurs qui l’avoient embelli, n’avoient pendant 100 ans songé à bâtir un théatre, encore moins à le placer dans le plus bel endroit de la maison. Si quelquefois on représentoit des Drames ; on construisoit pour le moment un théatre, qu’on démolissoit après la Fête ; mais on n’imaginoit pas d’en construire un à demeure, comme le plus bel ornement d’une maison Royale. On commença d’y faire de ces théatres mobiles sur la fin du Regne de Louis XIII, & on continua pendant celui de Louis XIV ; mais sans toucher à aucun de ces ornements, & le théatre démoli ; la salle étoit rendue à toute sa beauté. Ce ne fut qu’en 1725 qu’on vit disparoître en peu d’heures tous ces monuments de la gloire du Grand Henri, qu’il y avoit lui-même fait éléver, pour y substituer plusieurs rangs de loges, tout au tour, & de tous côtés des peintures grotesques, grand nombre de particuliers qui ont fait des théatres de société ont offert à Thalie de pareils sacrifices, de ce qu’il y avoit de plus beau dans leurs appartements. Aujourd’hui on prend d’autres mesures, on bâtit exprès un corps de maison pour le théatre, dans le plan d’un hôtel. L’Architecte ne manque pas de lui assigner sa place comme pour la cuisine ; car c’est la moitié de la vie Française, panem & circenses ; on manqueroit plûtôt à la Chapelle ; & quand on en bâtit une, elle est infiniment moins grande, & moins belle ; cela est dans l’ordre. Qui prie Dieu dans le monde, & qui ne va pas à la comédie ? Le parterre seroit désert, si on n’y alloit que comme à la Messe, & quelle vaste Chapelle ne faudroit il pas pour y loger tous les spectateurs ?