(1687) Avis aux RR. PP. jésuites « I. » pp. 6-8
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(1687) Avis aux RR. PP. jésuites « I. » pp. 6-8

I.

Le silence, Mes Pères, que vous affectez à l’égard de M. le Cardinal Grimaldi prédécesseur de celui à qui vous faites une réception si magnifique et en même temps si profane et si Païenne, ne vous fait pas d’honneur. Mais avant que d’en découvrir le mystère, il faut vous en faire rougir s’il y a moyen, en vous faisant voir combien ce silence est injuste, et combien il est contraire à la piété et aux sentiments que les véritables Chrétiens ont toujours fait paraître en de semblables occasions.

Si vous étiez aussi versés dans l’histoire de l’Eglise et dans ses saintes pratiques, que vous témoignez l’être dans les fables des Poètes, vous auriez su peut-être ce qui se passait autrefois aux Elections et aux Ordinations des Evêques. On en peut juger par ce qui se faisait à Rome, selon ce qu’on en apprend d’un Livre du VIII. Siècle intitulé Diurnus Romanorum Pontificum, qui a été donné au public, il y a quelques années, par votre P. Garnier. On y voit quelle était la douleur des fidèles dans la perte de leurs bons Pasteurs. C’était la coutume qu’on en annonçait la mort à l’Exarque de Ravenne qui gouvernait l’Italie sous l’Empereur qui tenait son Siège à Constantinople : Et voici comme ceux qui représentaient alors le S. Siège s’acquittaient de ce devoir : « Ce n’est pas sans beaucoup de gémissements et de larmes, disaient-ils, que nous faisons connaître à Votre Excellence, que Dieu conserve, qu’il a plu à Dieu qui gouverne le monde par les lois de sa providence, de retirer de cette vie notre très-saint Pontife, dont la mort a causé une douleur si universelle, que tous jusqu’aux pierres mêmes, s’il est permis de le dire, en ont pleuré, "Cujus cuncti verè, et si dicendum est, etiam lapides ipsi fleverunt exitum". Il est mort, poursuivent-ils, le N. de ce mois, et dans l’accablement de tristesse où nous met une telle perte, la seule chose qui nous reste, est d’élever nos yeux vers Jésus Christ, afin qu’ayant pitié de l’abandonnement où nous sommes, il daigne donner un véritable Pasteur à son Eglise qu’il a fondée lui-même, et contre laquelle, selon sa promesse les portes de l’Enfer ne prévaudront jamais. »

Et afin que l’on ne dise pas que cette tristesse n’était que passagère, et que la joie du successeur en effaçait entièrement le souvenir,1 on n’a qu’à lire pour être convaincu du contraire, le Décret qui se faisait en suite de l’Election pour être mis et conservé dans les Archives de l’Eglise de Rome. On y parle à la vérité de consolation et de joie, mais on n’y perd point de vue la tristesse qui les a précédées. « On remercie la divine providence d’avoir converti les gémissements et les pleurs de l’Eglise en des cris d’acclamation et de joie, et d’avoir fait succéder une abondance de consolation à un excès de douleur.… la mort de notre S. Pontife, ajoutent-ils, que Dieu a appelé de cette vie à une meilleure, nous avait mis dans un grand accablement nous voyant ainsi destitués de notre Pasteur ; mais la bonté divine n’a pas laissé longtemps en cet état ceux qui espéraient en lui. »

Mais peut-être qu’on avait soin de cacher cette tristesse au Successeur, et qu’on affectait de ne faire paraître devant lui que de la joie. Les vrais Chrétiens ont toujours été plus simples, et la dissimulation n’a jamais été leur caractère. Ceux que nous proposons ici pour modèle, parlaient dans des actes publics qui étaient vus de tout le monde, et ils ne faisaient point de difficulté d’y témoigner que ce qui causait leur joie dans2 l’Election de leur Pasteur était qu’il avait autant de mérite que celui qui venait de leur être enlevé, et qu’ils espéraient de retrouver dans le Successeur le même avantage qu’ils venaient de perdre avec le défunt, « Ut quidquid boni in illo amisimus, in hoc nos invenire indubitabiliter confidamus. »