(1687) Avis aux RR. PP. jésuites « IV. » pp. 17-22
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(1687) Avis aux RR. PP. jésuites « IV. » pp. 17-22

IV.

On n’y voit au contraire par tout que des divinités Païennes. Jupiter, Hercule, Orphée, Apollon, Esculape, Argus, Mercure, des Génies, des Zéphyrs, des Songes, la Renommée, la Discorde, les Furies, en sont les principaux Acteurs : L’Innocence, la Vérité, la Religion, n’y paraissent que pour être déshonorées.

On a reproché à vos Confrères de Luxembourg. « Qu’ils avaient imité les peuples transportés d’Assyrie dans les Villes du Royaume d’Israël qui joignaient le culte du vrai Dieu qu’ils appelaient le Dieu de cette terre à celui des fausses divinités de leur pays ; Qu’ils avaient mis l’arche avec Dagon, et qu’ils avaient voulu allier Jésus Christ avec Bélial. » Ce reproche leur convenait bien parce qu’ils avaient joint par tout la Sainte Vierge aux divinités Païennes. Mais on aurait moins de raison de vous le faire. Car le Paganisme règne tellement dans votre Ballet, qu’on n’y trouve rien qui applique l’esprit à quelque chose de particulier à la Religion Chrétienne. En quoi néanmoins on vous doit plutôt excuser que blâmer. Car qu’auriez-vous fait de Jésus Christ ou de sa sainte Mère, ou de quelque autre Saint, si vous les aviez introduits dans un Ballet où tout doit danser ? Les auriez-vous fait danser avec vos divinités baladines ? Qui aurait pu souffrir cette impiété ? Cependant cela n’aurait pas été plus impie, que de faire danser l’Amour divin, c’est à dire, le S. Esprit avec des divinités fabuleuses, comme firent il y a quelques années vos Confrères de la Flèche dans un Ballet où pour montrer le peu de pouvoir qu’a le S. Esprit sur nos cœurs, ils lui faisaient employer Vulcain, les Naïades, Morphée pour dompter un cœur rebelle sans en pouvoir venir à bout.

Vous ne manquerez pas de nous dire à l’exemple de l’Avocat qui a entrepris de justifier votre scandaleuse Procession de Luxembourg, que ce Ballet aussi bien que cette Procession n’est qu’une Allégorie, que c’est s’arrêter à des vétilles, et être susceptible de petits scrupules que d’en condamner l’usage dans des Ecoliers qui étudient les belles Lettres et la fable. Et vous n’oublierez pas de nous alléguer encore, comme a fait cet Avocat en deux endroits, ces vers de M. Despreaux :

« De n’oser de la fable employer la figure,
De chasser les Tritons de l’Empire des eaux,
D’ôter à Pansa flûte, aux Parques leurs ciseaux,
D’empêcher que Caron dans la fatale barque,
Ainsi que le Berger, ne passe le Monarque ;
C’est d’un scrupule vain s’alarmer sottement,
Et vouloir aux Lecteurs plaire sans agrément,
Bientôt ils défendront de peindre la prudence :
De donner à Thémis ni bandeau ni balance,
De figurer aux yeux la Guerre au front d’airain,
Où le temps qui s’enfuit une horloge à la main :
Et par tout des discours comme une idolâtrie,
Dans leur faux zèle iront chasser l’allégorie.
Laissons les applaudir à leur pieuse erreur,
Mais pour nous bannissons une vaine terreur. »

Ne dirait-on pas en effet que M. Despreaux vous donne cause gagnée, et qu’après une décision si formelle il n’y a plus d’appel ?

J’en appelle cependant et à M. Despreaux lui-même qui ne sera peut-être pas fâché que je le venge de l’injure qu’on lui fait d’employer son nom et ses vers pour autoriser une chose qu’il a expressément condamnée dans la même page d’où les Vers que je viens de rapporter sont tirés. Car voici comme il commence la période dont votre Avocat a affecté de ne rapporter qu’une partie.

« Ce n’est pas que j’approuve, en un sujet Chrétien,
Un Auteur follement idolâtre et Païen,
Mais dans une profane et riante peinture,
De n’oser de la fable employer la figure, etc. »

Le sujet pouvait-il être plus Chrétien, qu’une Procession où on portait le S. Sacrement, et que le devait être aussi la réception d’un Archevêque et d’un Ministre de Jésus Christ ? Et les Auteurs de ces deux pièces, que l’on sait bien, Mes Pères, n’être point des Ecoliers, mais des Religieux et des Prêtres, pouvaient-ils être plus follement idolâtres, au sens de M. Despreaux, que de mêler tant de fausses divinités, où on ne devait rien représenter qui ne respirât la piété Chrétienne ? Gardez-vous donc bien de nous donner M. Despreaux pour garant de vos folies. Il est trop judicieux pour les approuver. Et vous le pouvez encore apprendre de ces six Vers que vous trouverez au même Chant :

« De la foi d’un Chrétien les Mystères terribles,
D’ornements égayés ne sont point susceptibles.
L’Evangile à l’esprit n’offre de tous côtés,
Que pénitence à faire, et tourments mérités,
Et de vos fictions le mélange coupable,
Même à ses vérités donne l’air de la fable. »

C’est donc, selon M. Despreaux, abuser de la fable, ou plutôt de la Religion, que d’y mêler vos ornements profanes dont elle n’est point susceptible. C’est donner l’air de la fable à des sujets Chrétiens, que d’y faire entrer vos fictions.

Mon dessein n’est pas de pousser davantage votre Avocat de Luxembourg. Je n’en ai parlé que pour vous ôter l’envie d’employer pour votre défense les mêmes vers dont il abuse. Pour le reste de ses bévues et de ses sottises il en a reçu la confusion qu’il méritait par le jugement qu’a fait de son libelle l’Auteur des Nouvelles de la République des Lettres que votre fameux P. Hazart prit l’autre jour pour son Apologiste contre un Factum fait en faveur des petits Neveux de M. Jansénius Evêque d'Ypres. C’est dans le mois de Mai de cette année 1686. qu’il dit ce qui suit p. 592.

Réflexion sur le Libelle intitulé, Avis aux R.R.P.P. Jésuites sur leur Procession de Luxembourg. Par un Avocat de Luxembourg in 12.

« On a parlé amplement de cet Avis dans les dernières Nouvelles d’Octobre, et on ne s’étendrait pas moins sur la Réponse de cet Avocat, si on y trouvait de la matière, mais on ne sait sur quoi donner fond. Cela diminue l’étonnement où l’on a été de voir que l’Avocat d’une cause si favorisée n’ose ni dire son nom, ni marquer le lieu où il a fait imprimer son livre. Il nous assure que les Jésuites n’ont pas seulement songé à répondre ; il devait suivre leur exemple et craindre le bon mot d’un Sicilien,3 " Quæso, inquit Prætor, Adversario meo da istum patronum, deinde mihi neminem." De grâce donnez cet Avocat à mes parties, et puis ne m’en donnez aucun. »