(1687) Avis aux RR. PP. jésuites « VII. » pp. 36-41
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(1687) Avis aux RR. PP. jésuites « VII. » pp. 36-41

VII.

Enfin, mes Pères, si on voulait approfondir les choses, peut-être trouverait-on que celui que vous avez reçu d’une manière si Païenne comme Archevêque d’Aix, n’est encore à présent qu’Evêque de Lavaur. En effet qui a dissout ce mariage spirituel que M. de la Berchère avait contracté avec cette Eglise ? Quelle nécessité pressante ou quelle utilité publique de l’Eglise,12 qui sont les seules raisons légitimes, selon tous les Canonistes, de passer d’une Eglise à une autre, lui a fait quitter l’Evêché de Lavaur pour prendre l’Archevêché d’Aix ? Quelle autorité légitime y est intervenue ? Quelle violence lui a-t-on faite pour l’y contraindre ? Votre Ballet allégorique, Mes Pères, ne nous faisant voir que de l’empressement de son côté, si on s’en tient là, n’a-t-on pas sujet de croire qu’il n’a été poussé à faire ce changement d’un petit Evêché à un Archevêché considérable, que par un esprit d’avarice et d’ambition. « Apparet eos, dit le Concile de Sardique, avaritiæ ardore inflammari et ambitioni servire, et ut dominationem agant. » Et sur quel fondement le Concile appuie-t-il sa conjecture ? C’est, dit-il, que les Evêques ne passent jamais d’un grand Evêché à un moindre : « Cum nullus inventus sit Episcopus qui de majore civitate ad minorem transiret. » Ainsi à considérer simplement ce passage de l’Evêché de Lavaur à l’Archevêché d’Aix, on a lieu de conjecturer qu’il n’a eu pour motif que l’avarice et l’ambition. Mais à en juger par l’idée que nous en donne le Ballet allégorique, on ne saurait douter que ce ne soit une ambition démesurée qui lui ait fait mépriser sa première Epouse pauvre, mais chaste pour jouir des embrassements d’une autre plus riche, mais illégitime, selon l’expression de S. Jérôme,13 « ne virginalis pauperculæ societate contempta, ditioris adulteræ quærat amplexus » ; Ce qu’Hincmar assure que les Conciles n’estiment pas être un moindre mal que la réitération du baptême ou de l’ordination. « Sed et colligendum est, dit-il, quam grande scelus sit hujusmodi translatio (qui se fait sans un besoin pressant ou une utilité publique de l’Eglise) quæ rebaptizationi et reordinationi comparanda conjungitur. »

Mais ce n’est pas le seul défaut de cause légitime qui se rencontre dans la Translation qui fait le sujet de votre fête. Celui de l’autorité Ecclésiastique ne la rend pas moins vicieuse ni moins illégitime. Cette autorité a varié selon les temps et selon les lieux. C’était autrefois au Concile Provincial à examiner les causes des Translations de sa Province, et à relâcher les Canons qui les défendent. C’est maintenant au Pape privativement à tout autre que cela appartient ; Et tout le monde convient, que l’on ne doit avoir aucun égard à une Translation faite sans son autorité. Or votre Ballet, mes Pères, ne nous dit point que cette autorité soit intervenue en aucune manière : Et en effet on sait bien qu’elle n’y est point intervenue. Qui vous a donc donné droit de recevoir M. l’Evêque de Lavaur comme Archevêque d’Aix ? Direz-vous que c’est assez que le Roi l’ait nommé à cet Archevêché ? Mais le Roi lui a-t-il donné en le nommant le Titre Ecclésiastique sans quoi il ne peut être Archevêque ? Le Roi l’a-t-il pu affranchir des liens qu’il a contractés avec l’Eglise de Lavaur sa première et légitime Epouse ? Mais peut-être que le Chapitre d’Aix a remédié à tout en lui remettant son autorité. Il est vrai que c’est par là que les Evêques nommés qui sont aujourd’hui en très grand nombre en France prétendent avoir droit de gouverner leur Diocèse. Mais c’est ce qui est difficile d’accorder avec les Règles de l’Eglise et avec la Jurisprudence qui est maintenant en usage. On ne comprend pas que des Chanoines assemblés puissent donner l’autorité de gouverner leur Diocèse à un Evêque qui n’est pas encore déchargé du soin qu’il est obligé de prendre du sien. Et quand ils le pourraient, mes Pères, ce ne serait qu’en lui conférant le titre de Grand Vicaire, et non celui de Monseigneur l’Archevêque d’Aix que vous donnez à votre Héros au frontispice de votre Ballet.

Je n’ai pas besoin, mes Pères, d’examiner la 3. condition d’une légitime translation, qui est qu’elle ne se fasse que par obéissance, et l’Evêque y étant comme forcé, maxima exhortatione , dit le Canon Apostolique. Votre Ballet nous fait assez entendre que s’il y a eu de la violence ce n’a été que pour emporter la Pomme allégorique qui est demeurée à votre Héros. Ainsi de quelque côté qu’on envisage, en suivant l’allégorie de votre Ballet, cette prétendue translation de Lavaur à Aix, on n’y trouve que des défauts essentiels pour lesquels, selon l’ancienne discipline de l’Eglise, 14 votre Héros n’aurait pas du seulement être renvoyé avec confusion à son Epouse qu’il a quittée sans raison, mais même en être privé comme s’en étant rendu indigne par l’ambition qu’il a eue, selon vous, pour une plus riche et plus considérable. Je ne sais pas ce que sa Sainteté chargée du soin de faire observer les Canons fera en cette rencontre. L’exemple du Pape Hilaire qui suivant la résolution d’un Concile tenu à Rome cassa la translation d’Irénée à Barcelone quoi que faite par les Evêques de la Province de Tarracone, fait assez voir ce qu’il peut faire dans cette occasion où le Ballet des R.R. Pères Jésuites montre qu’il a encore plus de sujet d’être offensé d’une translation qui s’est faite sans son intervention qui est maintenant indispensable,15 que le Pape Hilaire n’en avait de l’être de celle d’Irénée qui avait été faite par les Evêques d’une Province. Ce n’est pas que sur le pied où en sont aujourd’hui les choses, il ne soit difficile que sa Sainteté en fasse éclater son juste ressentiment avec fruit ; mais le Héros n’en sera que plus à plaindre, et les gens de bien, mes Pères, au lieu de prendre part à la joie profane de votre ridicule Ballet, gémiront de voir un homme qui selon l’expression de l’Ecriture, « abandonne son propre lieu, et devient comme un oiseau qui quittant son nid », court risque d’être foulé aux pieds des passants.

Mais laissons-là ces matières odieuses qui ne sont bonnes qu’à troubler les divertissements de notre Prélude.