(1687) Avis aux RR. PP. jésuites « XI. » pp. 55-57
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(1687) Avis aux RR. PP. jésuites « XI. » pp. 55-57

XI.

Orphée par la douceur de son Luth apaisea insensiblement trois hommes transportés de colère, et fait le second trait du caractère du Prélat.

Il semble, mes Pères, que vous ayez oublié ici la promesse que vous avez faite de représenter les vertus de votre Héros par des Symboles clairs et expressifs tirés de la fable. Car rien n’est plus obscur que la liaison qu’on devrait trouver entre les effets que vous attribuez au Luth d’Orphée, et la douceur d’un Evêque que vous vous êtes engagés de représenter. Trouvez vous par exemple que ce que vous dites, que trois furies sorties de l’enfer poursuivent une ombre. Qu’Orphée commence à jouer du Luth ; qu’au même instant elles paraissent toutes changées, et dansent avec l’ombre qu’elles poursuivent, soit un Symbole bien clair et bien expressif de la douceur d’un Evêque ? Il faudrait pour cela que votre Héros pût par sa douceur changer les furies de l’enfer ; c’est-à-dire, les Démons, ou convertir les damnés, ce qui est une hérésie que vous n’oseriez soutenir. De plus, des furies de l’enfer qui dansent au Luth d’Orphée sont plutôt le Symbole d’un Sabbat de Sorcières que de quelque chose de Chrétien.

Des vents qui s’arrêtent au milieu de la plaine pour entendre les concerts…. Les forêts, les rochers, les montagnes qui tressaillent, et qui suivent Orphée en cadence partout où il va sont des fictions trop outrées et trop éloignées de la vraisemblance pour servir d’allégorie, ou pour être au moins des Symboles clairs et expressifs de quelque chose de réel.

Mais des Bergers qui abandonnent leurs troupeaux pour suivre Orphée et danser après lui. Des Matelots qui viennent du fond de la mer et qui ne rentrent dans leur barque qu’après avoir dansé, peuvent-ils être des Symboles d’une vertu qui ne pouvant enseigner aux hommes qu’à s’acquitter de leur devoir, ne pourrait que condamner ces Pasteurs Mercenaires et ces Matelots infidèles, qui abandonnent pour danser, les uns leurs troupeaux ; les autres leurs barques ?

En vérité, mes Pères, il paraît que vous n’avez seulement pas l’Idée de la douceur Chrétienne et que vous ignorez en quoi elle consiste. Sachez donc que la douceur naît de l’humilité intérieure du cœur qui fait qu’on ne s’offense pas facilement des faiblesses des autres dont on se reconnaît capable.20 « Car, comme dit S. Bernard, ainsi que l’enflure du cœur est la mère de la présomption, de même la véritable douceur ne procède que de la vraie humilité. » Ce sont deux vertus que Jésus Christ a rendu lui-même comme inséparables : « Apprenez de moi, dit-il, que je suis doux et humble de cœur. » « C’est une double petitesse que l’humilité et la douceur, dit encore S. Bernard, mais l’une et l’autre de ces vertus est néanmoins très grande, et pour faire que notre sanctification soit parfaite et achevée il faut nécessairement que nous apprenions du Saint des Saints la douceur et l’humilité. »

Ainsi, mes Pères, n’y ayant aucune ombre d’humilité parmi les Symboles du Luth d’Orphée, ils n’ont pu exprimer au plus qu’une fausse douceur. Mais que voulez-vous ? L’humilité n’est pas la vertu de la Compagnie. Il n’est donc pas étrange qu’elle ne soit pas aussi celle de vos Héros.