(1710) Instructions sur divers sujets de morale « INSTRUCTION II. Sur les Spectacles. — CHAPITRE III. Qu'une Mère est très coupable de mener sa fille aux Spectacles. Que c'est une erreur de croire que la Comédie soit destinée à corriger les mauvaises mœurs. Que rien au contraire n'est plus propre à les corrompre. » pp. 65-75
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(1710) Instructions sur divers sujets de morale « INSTRUCTION II. Sur les Spectacles. — CHAPITRE III. Qu'une Mère est très coupable de mener sa fille aux Spectacles. Que c'est une erreur de croire que la Comédie soit destinée à corriger les mauvaises mœurs. Que rien au contraire n'est plus propre à les corrompre. » pp. 65-75

CHAPITRE III.
Qu'une Mère est très coupable de mener sa fille aux Spectacles. Que c'est une erreur de croire que la Comédie soit destinée à corriger les mauvaises mœurs. Que rien au contraire n'est plus propre à les corrompre.

D. Que doit-on dire d'une mère qui mène sa fille aux spectacles ?

R. On doit dire qu'elle est bien coupable d'exposer sa fille à perdre l'innocence de son Baptême par lequel elle a renoncé aux pompes du monde, qu'elle lui fait voir de si près, et dans un point de vue si flatteur, et si séduisant.

D. Mais si cette fille est si jeune qu'elle ne puisse suivre ni le sujet, ni les intrigues de la comédie, y a-t-il du mal de l'y méner ?

R. Oui. Il y a du mal de l'accoutumer à ouvrir son cœur à des plaisirs dont les impressions font d'ordinaire des plaies profondes et durables ; et de lui former l'esprit à des intrigues où tout est passion. Car on s'accoutume à aimer ce qu'on se fait une habitude de voir.

D. Que doit faire une fille que sa mère veut mener aux spectacles ?

R. Elle doit faire tous ses efforts pour obtenir de sa mère de ne point aller dans des lieux où son innocence serait exposée. Si sa mère la presse, elle lui représentera avec respect que l'Apôtre ordonne d'obéir en tout à ses parents, mais dans le Seigneur,et que leur obéir par préférence à Jésus-Christ, ce serait n'être pas digne de lui.
Les Pères de l'Eglise ont parlé conformément à ces règles Evangéliques. « Un fils, dit saint Augustin, doit obéir en tout à son père, excepté contre la Loi de Dieu, et quand dans cette circonstance un fils préfère Dieu à son père, le père n'a pas droit de se mettre en colere contre son fils. » « Il n'est permis de désobéir à ses parents que quand il s'agit d'obéir à Dieu », dit saint Bernard. De tous les Pères saint Jérôme est celui qui a parlé avec plus de force sur cette matière. Il écrit à son ami Héliodore. Il l'exhorte à retourner dans la solitude, et lui représente les avantages de sa vie qu'il a quittée : « Souvenez-vous, lui dit-il, que par le Baptême vous êtes devenu soldat de Jésus-Christ ; dès lors vous avez fait serment de lui être fidèle, et de n'avoir égard ni à votre père, ni à votre mère quand il s'agirait de son service …… Quelques caresses que votre petit neveu vous fasse pour vous retenir ; quoique votre mère les cheveux épars, et les habits déchirés vous montre le sein qui vous a allaité, pour vous obliger de demeurer, quoique votre père se couche sur le seuil de la porte pour vous empêcher de sortir : foulez-le courageusement aux pieds, et sans verser une seule larme, allez promptement vous ranger sous l'étendard de la Croix. C'est une espèce de piété d'être cruel dans cette occasion, et ce n'est que dans de pareilles conjonctures qu'il est permis de l'être. »

D. Si malgré les remontrances de sa fille une mère ne laissait pas de lui persuader, ou de la contraindre d'y aller, que penseriez-vous d'une telle mère ?

R. Ce que les Pères de l'Eglise en ont pensé.Malheur à une telle mère, elle devient la meurtrière de sa fille. Dieu lui redemandera son innocence, et lui fera porter la peine des péchés auxquels elle l'aura exposée.

D. Vous êtes donc bien éloigné de croire que la comédie soit destinée à corriger les passions, et les mauvaises mœurs ?

R. Ceux qui se déclarent les défenseurs de la comédie, lui attribuent une fin si utile, et si honorable ; mais ils se trompent. Car la comédie n'attaque que le ridicule des mœurs sans toucher à leur corruption. Tout au plus elle corrige une passion par une autre. La morale du Théâtre est une morale licencieuse qui ne tient par aucun endroit à celle de l'Evangile.

Ce serait une conversion bien surprenante que celle d'un homme qui se serait converti à la comédie. « O la belle réformatrice des mœurs que la poésie qui nous fait une Divinité de l'amour, source de tant de dérèglements honteux, s'écrie un Païen ! mais il n'est pas étonnant de lire de telles choses dans une comédie, puisque nous n'en aurions aucune si nous n'approuvions ces désordres. »
D. N'a-t-on pas dit qu'un fameux Comédien du dernier siècle avait corrigé plus de défauts à la Cour, et à la Ville que tous les Prédicateurs ?

R. On l'a dit. Mais on n'a pas parlé selon la vérité. Quand on examine de près quels sont les défauts que ce Comédien a corrigés, on trouve que tout se réduit à quelque faux goût, à quelque sot entêtement, à des affectations ridicules, telles que sont celles qu'il a reprises dans les précieuses, dans ceux qui outrent les modes, qui s'érigent en gens de qualité, qui parlent incessamment de leur noblesse, qui ont toujours quelques vers de leur façon à montrer.

Voilà des défauts dont ce Comédien a peut-être arrêté le cours. Car pour la galanterie criminelle, certainement il ne l'a pas corrigée. Rien au contraire n'est plus propre à l'inspirer que ses comédies, parce qu'on y tourne éternellement en ridicule les soins que les pères, et les mères prennent de s'opposer aux intrigues amoureuses de leurs enfants.

D. Ne doit-on être en garde à la comédie que contre la galanterie ?

R. Outre qu'on y trouve des leçons de galanterie, on y en trouve d'envie, de fourberie, d'avarice, d'orgueil. On apprend aussi dans cette école des maximes de libertinage contre les véritables sentiments de la Religion. On en trouve les semences non seulement dans les comédies où cet Auteur joue la dévotion, et les dévots, mais encore dans la plupart des autres, d'une manière si subtile qu'il est très difficile de s'en défendre.

Ce qui a fait dire à un célèbre Auteur que ce Comédien est un des plus dangereux ennemis que le siècle ait suscités à Jésus-Christ, et qu'on le doit d'autant plus craindre qu'il fait encore après sa mort dans le cœur de ses Lecteurs le même ravage qu'il faisait dans celui de ses Spectateurs.

D. Les Pièces de Théâtre d'où cette licence est bannie, et où l'on réprésente les actions héroïques des anciens Grecs, et Romains vous paraissent-elles dangereuses ?

R. Ces Pièces sont aussi très nuisibles, parce qu'elles inspirent d'autres vices dont nous ne sommes pas moins susceptibles. Plus l'artifice avec lequel on dépeint la vengeance, l'ambition, l'orgueil, est subtil, plus il est dangereux. Mieux le Poète réussit à imprimer une image de grandeur, et de générosité aux passions de ses Heros, plus il s'insinue vivement dans le cœur de ses Spectateurs. « Quand les vices paraissent sous leur forme naturelle, on ne s'y laisse pas surprendre, au lieu qu'ils nous trompent quand ils prennent le masque, et l'apparence des vertus. »

D. Confirmez ces vérités par l'expérience de quelque personne qui merite toute croyance ?

R. Il est aisé de vous satisfaire par celle de saint Augustin. Il dit que dans sa jeunesse, il avait une passion emportée pour les spectacles du Théâtre, dont les représentations étaient des expressions contagieuses de l'état de son âme. Il n'aimait pas encore, mais il demandait à aimer, et une secrète misère faisait qu'il avait regret à n'être pas assez misérable. Une vie tranquille sans agitation, et sans péril lui était insupportable, et il n'aimait que les routes pleines de pièges, et de filets.Il en trouva enfin dans la comédie qui lui représentait l'image de sa misère, et lui fournissait la nourriture de sa passion. Rien n'est plus propre à faire sentir quels effets la comédie est capable de produire qu'une expérience exprimée si vivement, mais si humblement.

D. Si cela est ainsi, y a-t-il d'autre sûreté, que de quitter le monde, et de se retirer dans le désert ?

R. Dieu n'appelle pas tous les Chrétiens à une retraite entière. La vie de retraite a ses dangers comme la vie d'un commerce réglé. « Où me fuirais-je, et où ne me suivrais-je pas »,disait S. Augustin, la sûreté de ceux qui vivent dans les usages du monde par état, et par vocation, consiste à vivre dans la vigilance Chrétienne, et à prendre toutes les précautions nécessaires pour se garantir des pièges dont il est plein.

D. Les périls où l'on est exposé aux spectacles, sont-ils plus grands que ceux qu'on trouve à tout moment, et à chaque pas dans le monde ?

R. Il y a une très grande différence entre les uns, et les autres. Les périls où l'on est exposé sans les avoir pu prévoir, éloignent moins la grâce de Dieu, et nous laissent une légitime confiance de l'obtenir par nos prières ; au lieu que ceux qu'on cherche de gaieté de cœur, portent Dieu à nous abandonner à nous-mêmes. N'est-ce pas une présomption criminelle que de croire,qu'il nous délivrera des dangers où nous nous exposons volontairement.