(1541) Affaire du Parlement de Paris « Procès-verbal de l’action intentée devant le Parlement de Paris par le procureur général du Roi aux “maîtres entrepreneurs” du Mystère des Actes des Apôtres et du Mystère du Vieil Testament (8-12 décembre 1541) » pp. 80-82
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(1541) Affaire du Parlement de Paris « Procès-verbal de l’action intentée devant le Parlement de Paris par le procureur général du Roi aux “maîtres entrepreneurs” du Mystère des Actes des Apôtres et du Mystère du Vieil Testament (8-12 décembre 1541) » pp. 80-82

Procès-verbal de l’action intentée devant le Parlement de Paris par le procureur général du Roi aux “maîtres entrepreneurs” du Mystère des Actes des Apôtres et du Mystère du Vieil Testament (8-12 décembre 1541)a

Manuscrit ARCH. NAT. X/1a/4914 (ff. 80r-82r)

 

ès Jours de décembre mille cinq cent quarante et un

St. André présidentb
hostiis clausis c

Entre le procureur général du Roi, prenant le fait en main pour les pauvres de Paris, demandeur et requérant l’entérinement d’une requête par lui présentée à la cour, d’une part. Et maître François Hamlin notaire au Châtelet de Paris, François Pouldrain, Léonard Choblet, Jean Louvetd, maîtres entrepreneurs du Jeu et mystère des Actes des Apôtres naguère exécuté en cette ville de Paris, défendeurs à l’entérinement de ladite requête, d’autree.

Le Maistref, pour le procureur général du Roi, dit que anciennement les Romains instituèrent plusieurs jeux publics, de la plupart desquels parle Tite Liveg, et les récite tous Flavius, qui a écrit de Roma triumphante h. Mais, quelques jeux que ce fussent, il n’y en avait aucuns qui fussent ordinaires, ains ne se faisaient sinon les occasions occurantesi et pour quelque cause notable et insigne, comme pour quelque victoire ou triomphe, ou pour quelque pompe funèbre, ou autre notable cause. Vrai est que Festus Pompeiusj récite une manière de jeux qui se faisaient sans occasion et dicebantur ludi saeculares k, mais ils ne se faisaient nisi centesimo quoque anno l. Et encore après que les Romains furent attediésm de tels jeux publics, et qu’ils connurent qu’il tournait en lascivité et in perniciem n de la république, qu’ils les laissèrent, et y euto loi expresse que les frais et impensesp qui se faisaient des jeux publics seraient employés ès réparations et fortifications de la ville de Rome. Et encore est aujourd’hui cette loi écrite in lectione unica codicis de expensis ludorum. Libro undecimo q.

Et, pour le fait,r dit que, depuis trois ou quatre ans en ças, les maîtres de la Passion ont entrepris de faire jouer et représenter le Mystère de la Passion, quit a été fait. Et parce qu’il s’est trouvé qu’ils y ont fait gros gain, sont venus aucuns particuliers, gens non lettrés ni entendus en tels affairesu et gens de condition infime, comme un menuisier, un sergent à verge, un tapissierv et autres semblables, qui ont fait jouer les Actes des Apôtres, en iceux commis plusieurs fautes tant ès feintes qu’au jeuw. Et, pour allonger le temps, ont fait composer et dicter et ajouter plusieurs choses apocryphes, quoi que soient non contenues ès Actes des Apôtres, et fait durer trois ou quatre journées ce qu’ils devaient jouer en une journée, afin d’exiger plus d’argent du peuple, en entremettant en la fin ou au commencement du jeu farces lascives et de moqueries, et ont fait durer leur jeu l’espace de six ou sept mois, dont sont advenues et adviennent cessations de service divin, refroidissement des charités et aumônes, adultères et fornications infinies, scandales, dérisions et moqueries.

Et, pour les déclarer par le menu, en premier lieu dit que, pendant lesdits jeux et tant qu’ils ont duré, le commun peuple, dès huit à neuf heures du matin ès jours de fêtes, délaissait sa messe paroissiale, sermon et vêpres, pour aller auxdits jeux garder sa place, et y être jusques à cinq heures du soir : ont cessé les prédications, car n’eussent eu les prédicateurs qui les eût écoutéesx. Et, retournant desdits jeux, se moquaient hautement et publiquement, par les rues, desdits jeux et des joueurs, contrefaisant quelque langage impropre qu’ils avaient ouï desdits jeux ou autre chose mal faite, criant par dérision que le Saint Esprit n’avait point voulu descendre et par autres moqueries. Et le plus souvent, les prêtres des paroisses, pour avoir leur passetemps d’aller auxdits jeux, ont délaissé dire vêpres ès fêtes, ou les ont dites tout seuls dès l’heure du midi, heure non accoutumée. Et même les chantres ou chapelains de la sainte chapelle de ce palais, tant que lesdits jeux ont duré, ont dit vêpres les jours de fêtes à l’heure de midi, et encore les disaient en poste et à la légère pour aller auxdits jeux, chose indécente non accoutumée et de mauvais exemple et contre les saints conciles de l’église, même contre le concile de Carthage in capitulo qui die de consecratione, distinctio 1ª, où est dit § qui die solemni praetermisso ecclesiae convenctu ad spectacula vadit excommunicetur y.

Secundo, les prédications sont plus décentes pour l’instruction du peuple, attendu qu’elles se font par théologiens gens doctes et de savoir, que ne sont les actes ou représentations qu’on appelle jeux, que font gens ignorants et indoctes, et qu’ils n’entendent ce qu’ils font ni ce qu’ils disent, représentant des actes des apôtres du vieil testament et autres semblables histoires qu’ils s’efforcent représenter.

Tertio, il est certain et indubitable par jugement naturel que fiction d’une chose n’est possible sans préalable intelligence de la vérité. Car fiction n’est autre chose qu’une approche que l’on s’efforce faire au plus près que l’on peut de la vérité. Et tant les entrepreneurs que les joueurs sont gens ignares non lettrés qui ne savent ni a ni b qui n’ont intelligence non seulement de la sainte écriture immo z ni d’écritures profanes. Sont les joueurs artisans mécaniquesaa, comme cordonniers, savetiers, crocheteurs de grève, de tous états et arts mécaniques, qui ne savent lire ni écrire et qui onques ne furent instruits ni exercés en théâtres et lieux publics à faire tels actes, et davantage n’ont langue diserte, ni langage propre, ni les accents de prononciation décente, ni aucune intelligence de ce qu’ils disent, tellement que le plus souvent advient que d’un mot ils en font trois, font point ou pause au meilleur d’une proposition, sens ou oraison imparfaiteab, font d’un interrogant un admirantac ou autre geste, prolation ou accents contraires à ce qu’ils disentad, dont souvent advient dérision et clameur publique dedans le théâtre même, tellement que, au lieu de tourner à édification, leur jeu tourne à scandale et dérision.

Quarto, ils mêlent le plus souvent des farces et autres jeux impudiques, lascifs ou dérisoires, qu’ils jouent en la fin ou au commencement, pour attirer le commun peuple à y retourner, qui ne demande que telles voluptés et folies, qui sont choses défendues par tous les saints conciles de l’église de mêler farces et comédies dérisoires avec les mystères ecclésiastiques, ainsi qu’il est traité par tous les docteurs in capitulo ‘Cum decorem’, ‘De vita et honestate Clericorum’, et per hoc in summo eodem titulo distinctio ex quibus usis ; Item ‘ludi theatrales’ ae. Et par le concile de Bâle au décret De spectaculis in ecclesiis non faciendis af.

Quinto, l’on reconnaît oculairement que ce qu’ils en font est seulement pour le quêteag et pour le gain, comme ils feraient d’une taverne ou négociationah et qu’ils veulent devenir histrions, joculateursai et bateleurs car, comme dit Panormitanusaj in titulo « Cum decorem », un personnage est réputé histrion, bateleur et joculateur quand par deux fois il retourne causa questus ak à faire jeux ou spectacles publics, et ainsi en propres termes le déclare Panormitanus In dicto titulo « Cum decorem » divine domus. Ici l’on voit que jà par deux fois ils y sont venus pour le quête et profit seulement et, d’an en an, ils haussent le prix. Car la première année, ils faisaient payer vingt-cinq écus pour chacune loge. La seconde ils en ont fait payer trente et trente-six écus et maintenant ils les mettent à quarante et cinquante écus solal ; ainsi l’on connaît oculairement qu’il n’y a que le quête et profit particulier qui les mène et ne font qu’inventions pour tirer subtilementam argent du peuple.

Sexto, il advient mille inconvénients et maux car, sous couleurs de ces jeux, se font plusieurs parties et assignationsan, infinies fornications, adultères, maquerellages et pour cette cause est eadem rubrica seu titulo in libro XI, capitulo « De spectaculis et scenicis et lenonibus » ao.

[Septimo], se font auxdits jeux commessationsap et dépenses extraordinaires par le commun peuple, tellement que ce qu’un pauvre artisan aura gagné toute la semaine, il ira dépenser en un jour auxdits jeux, tant pour payer à l’entrée que en commessation et ivrognesseaq, et faudra que sa femme et enfants en endurentar toute la semaine.

Octavo, l’on a connu par expérience que lesdits jeux ont grandement diminué les charités et aumônes, tellement que, en six mois que ont duré lesdits jeux, les aumônes ont diminué de la somme de trois mille livres, et en appert promptement par certification signée des commissaires pour le fait des pauvres.

Ce néanmoins, un nommé Le Royeras et vendeur de poisson, un tapissierat, un menuisier et quelques autres leurs compagnons ont de nouveau entrepris faire encore jouer l’année prochaine le Vieil Testament et veulent faire désormais un ordinaire desdits jeuxau pour exiger argent du peuple.

Dont averti, le procureur général du Roi a présenté requête pour leur faire inhibitions et défenses de non passer outre à leur entrepriseav. Ils lui ont apporté une lettre de privilège qu’ils disent avoir obtenue du Roi, qu’ils ont présentée avec une requête au lieutenant criminel qui ne leur a voulu répondre. Au moyen de quoi, ils se sont retirés au lieutenant civil, qui leur a répondu leur requête. Et pour ce que, par lesdites lettres, ils ont donné à entendre au Roi qu’ils le font par zèle de dévotion et pour l’édification du peuple, quiaw est chose non véritable, et y répugne leur qualité et encore plus leurs facultés, mais le font seulement pour une négociationax ou marchandise, et pour le quête, gain et profit qu’ils en espèrent, et autrement ils ne le feraient. Davantage a plusieurs choses au Vieil Testament qui n’est expédient déclarer au peuple, comme gens ignares et imbéciles qui pourraient prendre occasion de Judaïsmeay, à faute d’intelligence. Pour ces causes, et autres considérations qui seraient de long récit, conclutaz à l’entérinement de sa requête et en ce faisant que défenses leur soient faites de non passer outre à leur entreprise desdits jeux du Vieil Testament, jusques au bon plaisir, vouloir et intention du Roi, les choses susdites par lui entenduesba.

A aussi ledit procureur général présenté autre requête à ce que, pour les causes susdites, les anciens entrepreneurs soient tenus mettre et délivrer, de leur gain et deniers procédant desdits jeux des Actes des Apôtres, la somme de huit cents livres parisisbb en la boîte aux pauvres par provision, et sauf après avoir vu par la cour l’état de leurs frais et de leur gain en ordonner plus grande somme, si faire se doit, ainsi qu’il fut en pareil cas ordonné contre les maîtres de la Passion bc. Et requiert qu’à ce faire ils soient contraints chacun d’eux seul et pour le tout, par vente et exploitation de leurs biens, et même par emprisonnement de leurs personnesbd. Et conclut.

Ryantbe dit qu’il n’a charge de défendre à la requête du procureur général du Roi pour le regard des maîtres entrepreneurs du Mystère des Actes des Apôtres, mais seulement à charge pour les nouveaux maîtres entrepreneurs du Mystère de l’Ancien Testament. Remontre à la cour les causes qui les ont mus entreprendre faire exécuterbf ledit Mystère de l’Ancien Testament. Est que, le Roi ayant vu jouer quelque fois le Mystère de la Passion y a deux ans, et pour le rapport qui lui a été fait de l’exécution du Mystère des Actes des Apôtres, et averti qu’il ferait bon voir la représentation de l’Ancien Testament bg, un nommé Le Royer s’était retiré vers lui et lui aurait donné à entendre que, sous son bon plaisir, il entreprendrait volontiers faire représenter cet Ancien Testament par mystère, à quoi volontiers le Roi avait incliné tellement qu’il avait permis audit Le Royer faire représenter ledit Ancien Testament par mystère et, à cette fin, lui avait fait expédier ses lettres patentes adressantesbh au Prévôt de Paris, juge ordinaire. Le Royer ayant lesdites lettres, en demande en Châtelet la vérification, appelés les gens du Roibi. De leur consentement, ledit Prévôt de Paris ou son lieutenant, en faisant lesdites lettres, permit audit Le Royer qu’il commence à faire faire quelques préparatifs pour l’exécution et, connaissant que lui seul il ne pourrait subvenir aux frais nécessaires pour la grandeur de l’acte et magnificence qu’il y fallait garder, associe avec lui quatre ou cinq honnêtes marchands de cette ville, et pour autant que tous étaient ignorants des frais que l’on pourrait faire, prennent avec eux un des maîtres entrepreneurs des Actes des Apôtres pour les instruire de ce qu’il leur conviendrait fairebj, et eux se pensant assurés au moyen de la permission du Roi et de la vérification du consentement des gens du Roy faitebk, marchandent aux marchands de draps de soie et autres pour les fournir des étoffes qu’il leur fallait et ont avancé grande somme de deniers, aux uns deux mille livres, aux autres sept cents, tellement qu’il y a obligation sur euxbl de plus de sept mille livres. Ont fait dresser le livre de l’Ancien Testament en rythmebm, icelui communiqué au théologien Piccardbn pour ôter ce qu’il verrait n’être à dire. Ont choisi gens experts et entendus pour exécuter le mystère et sont quasi tous les rôlesbo faits, et jà partout publiébp que l’on doit jouer. Néanmoins le procureur général du Roi, par une requête baillée à la cour, les avait fait inhiber de passer outre. Dit qu’ils ne veulent être désobéissants mais attendu les lettres patentes du Roi, la vérification du consentement des gens du Roi, la cour sous correction doit lever les défenses. Joint qu’il n’est question de ludis pertinentibus tantum ad ornatum urbis vel laetitiam populi bq, qui encore ne seraient prohibésbr, mais de l’édification du peuple en notre foi. Il est vrai que les entrepreneurs ne sont gens pour faire l’édification mais par l’histoire jouée sera représenté l’Ancien Testament, et le pourront les rudesbs et non savants mieux comprendre, à le voir par l’œil, que par la seule parole qui en pourrait être faitebt. Et de dire qu’il y a des scandales et des assemblées mauvaises et que les aumônes des pauvres en pourront être refroidies cela n’est considérablebu. Car ne s’est point trouvé qu’il y ait eu de scandales ni mauvaises assemblées aux Mystères de la Passion et Actes des Apôtres. Et quant aux aumônes, elles se refroidissent tous les jours pour autres causes, que chacun ne sait pas. A cette cause supplie la cour, vu la permission du Roi, la vérification d’icelle, et considéré les préparatifs que les entrepreneurs ont faits, et que res non est amplius integra bv, il plaise à la cour lever lesdites défenses, autrement perdraient les pauvres gens beaucoup. Et néanmoins offrent du gainbw qu’ils pourront faire. La cour en ordonne telle somme qu’elle verra pour les pauvres.

Le Maistre dit qu’il n’y a point de permission du Prévôt de Paris, ains au contraire ledit Prévôt a ordonné qu’aucuns seraient appelés pour ouïr après ordinaire ordonnébx ce que de raison. A dit Ryant que si estby : a lu la requête présentée audit Prévôt, répondue et signée De Mesmesbz.

A dit Le Maistre qu’il y avait obreptionca car premièrement s’étaient adressés au lieutenant criminel qui les avait refusés. Et pour ce requiert les défenses tenircb, jusques à ce que le procureur général aura averti le Roi et que, sur ce, il aura entendu son intention et vouloir.

Interpellé Ryant s’il voulait rien dire pour les maîtres des Actes des Apôtres, a dit qu’il y en a un ou deux présents qui lui font dire qu’ils sont prêts de rendre compte.

La cour dit qu’en ayant égard à la requête faite par ledit procureur général du Roi, elle a ordonné et ordonne que les anciens maîtres bailleront la somme de huit cent livres parisis par provision, pour employer à l’aliment et nourriture des pauvres de cette ville de Paris. Et semblablement mettront par devers ladite cour leur état et compte, pour icelui vu leur être pourvucc ainsi qu’il appartiendra par raison. Et, à ce faire, ils seront contraints par prise de corps, un seul pour le tout. Et quant à la seconde requête dudit procureur général, tendant à ce que défenses fussent faites aux nouveaux maîtres entrepreneurs du Mystère du Nouveau Testament, ladite cour a fait et fait inhibitions et défenses auxdits nouveaux maîtres de procéder à l’exécution de leur entreprise, jusques à ce qu’elle ait su le bon plaisir et vouloir du Roi pour, icelui ouïcd, leur faire telle permission qu’il plaira audit Seigneur ordonner.

Après lequel prononcé, a requis Ryant délai être donné auxdits Maîtres anciens pour bailler ladite somme de VIII cents livres car ils n’avaient presentem pecuniam ce.

A dit Brulart, procureur général, qu’il leur accordait quinzainecf.

Ladite cour a ordonné que lesdits anciens maîtres payeront la moitié de ladite somme dedans quinzaine et l’autre moitié dedans la quinzaine ensuivant.

Hostiis apertis cg.