(1691) Nouveaux essais de morale « XXI. » pp. 186-191
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(1691) Nouveaux essais de morale « XXI. » pp. 186-191

XXI.

Le Docteur Fabricius professeur en Théologie à Heidelberg, n’est pas plus judicieux dans sa Dissertation pour la défense de la Comédie, et son dessein est bien peu convenable à la profession d’un homme qui enseigne la Theologie. Il faut que dans toutes ses études il ait pris bien peu, et du goût de la science qu’il professe, et de l’esprit de la Religion de Jésus-Christ, pour entreprendre la défense de ces spectacles, que les Pères et les Canons de l’Eglise ont condamnés comme contraires à la sainteté des mœurs et à la pureté du cœur, que nous veut inspirer Jésus-Christ par ses paroles et par ses exemples. Comment un Théologien s’avise-t-il de rebattre de faux arguments qui sont à tous moments dans la bouche des mondains, et qui ont été si solidement réfutés par plusieurs Auteurs aussi pieux que savants.

La raison prétendue par laquelle on veut justifier la Comédie d’aujourd’hui, savait qu’elle est épurée de toutes les ordures et de toute l’idolâtrie, qu’y mélaient les anciens, est une raison si faible, qu’elle n’est pas digne du moindre petit Ecolier de Théologie, ni d’un homme tant soit peu versé dans la connaissance de la Morale de Jésus-Christ, et dans celle du cœur de l’homme. Enfin c’est une raison mille fois confondue, puisque quand il serait vrai qu’on aurait ôté de la Comédie tout ce qui peut blesser les oreilles chastes des Chrétiens et tout ce qui sent l’idolâtrie, on a fait voir que la Comédie ainsi épurée n’en est encore que plus dangereuse, en ce qu’elle empoisonne plus finement et plus spirituellement. Car dans cet état même elle ne plaît que parce qu’elle représente d’une manière vive et touchante ce que peuvent les passions de l’amour, de la vengeance et de l’ambition, dans leurs plus grands emportements ; et il est vrai qu’on ne prend plaisir à la représentation de ces passions, que parce qu’on aime les passions mêmes. Ce qui a fait dire à saint Augustin, que c’était un crime véritable de faire son divertissement de la fiction des crimes. Falso crimine delectari, crimen est verum.

Mais peut-on dire avec vérité que la Comédie soit absolument purgée de toute idolâtrie, s’il est vrai qu’on ne puisse faire de Comédie sans y mêler les Dieux de la Fable. Tertullien traitait d’idolâtres les Chrétiens qui prononçaient seulement les noms des fausses divinités des Païens, et il ne pouvait souffrir que les Maîtres d’Ecole enseignassent les Poètes à leurs Disciples, à cause qu’ils sont pleins de ces fausses divinités, quel sentiment aurait-il de nos Poètes Français, qui se sont imaginés qu’on ne saurait faire de bons vers, si on ne les relève par les noms de ces divinités ? Il dirait sans doute que nous aurions bien perdu le goût de la Religion de Jésus-Christ.

Pour revenir au Docteur Fabricius et à son ouvrage ; il faut être un plaisant Théologien, pour dire que les Pères ont outré les matières dans la Morale : car c’est ce qu’il prétend dans l’ouvrage, où il fait l’apologie de la Comédie. Mais il ne s’en faut pas étonner, c’est un Théologien d’Heidelberg ; et dans sa Théologie on ne fait profession de croire que ce qu’on veut pour la Foi et pour la Morale. Parmi Messieurs de la Religion Prétendue Réformée, on ne lit les Pères et les Canons de l’Eglise que pour les critiquer, non pas pour les suivre. C’est pourquoi ce Docteur est si en peine de savoir comment on peut accorder les commandements que Dieu fait d’obéir aux Puissances, avec ces paroles de saint Pierre : « Qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes ». Qu’après un très long discours, il laisse la décision de la question imparfaite. Si ces Messieurs avaient tant soit peu de ce que j’ai déja dit ; de l’esprit de la Religion de Jésus-Christ, et qu’ils eussent lû en Disciples les Pères de l’Eglise, comme nous le faisons, et comme ils le devraient faire, il ne leur faudrait pas de grands discours ni de longues preuves pour décider juste sur ce chapitre ; et pour accorder les paroles de l’Ecriture sur l’obéissance qui est dûe à Dieu et aux hommes. Ils verraient clairement qu’il faut obéir à Dieu en tout, qu’il faut obéir aux puissances établies de Dieu en toutes les choses, où Dieu ne nous défend pas de leur obéir, et là où il nous le défend, s’il ne faut pas obéir, il faut souffrir, De sorte que la devise d’un vrai Chrétien à l’égard des Puissances, est d’obéir ou de souffrir.

C’était celle des premiers Chrétiens, qui ne se sont jamais armés que pour la défense de l’Empire et par l’ordre de leur Souverain. Aussi la Légion Thébaine n’eut pas la moindre pensée de se servir de ses armes contre la puissance de l’Empereur. Elle savait qu’elle ne les portait que par son autorité, et qu’elle ne s’en devait servir que selon ses ordres.

Voilà ce qu’un véritable Théologien qui a une juste idée de la Religion de Jésus-Christ, trouve sans peine. Il ne sue point dans une longue Dissertation, pour ne faire qu’embarrasser la question et la rendre plus difficile à décider, comme a fait le Docteur Fabricius par ses règles prétendues, qui mettent l’esprit dans une plus grande incertitude, que l’Ecriture même. Car ce sont des règles qu’on peut appliquer comme on veut. J’ai fait cette petite Digression sur l’obéissance qui est dûe aux Souverains, quoiqu’elle ne fût pas de mon sujet, parce qu’elle est assez de saison ; et que ce Docteur en parle dans le lieu, où il fait l’apologie de la Comédie. On m’avouera qu’il n’y a pas lieu d’espérer des décisions bien justes en matière de Religion, d’un Théologien qui se rend le défenseur des spectacles que l’Eglise et les Pères ont condamnés.