(1804) De l’influence du théâtre « PREFACE. » pp. -
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(1804) De l’influence du théâtre « PREFACE. » pp. -

PREFACE.

Quand le souffle empesté de longs orages politiques a corrompu, détruit ou renversé ce que l’Etat offrait de plus pur et de plus imposant, on ne saurait, sans un juste sentiment de reconnaissance et d’admiration, voir son premier Magistrata en relever les débris, en réparer les ruines, et ajouter même à l’éclat de son ancienne splendeur.

Son généreux dévouement, pour ramener et consolider le bonheur public, devient un exemple efficace qui gagne tous les cœurs, et rallume partout le feu sacré de l’amour de la Patrie.

Le dernier des Citoyens, alors, met toute sa gloire et tout son bonheur à l’imiter ; et il n’est point d’Ecrivain sensé qui ne se sente naturellement enflammé du désir de consacrer sa plume au développement de quelques vérités utiles.

C’est à ce titre que, rempli d’espérance à la vue des miracles qui chaque jour se développent à nos regards étonnés, j’ose m’élever moi-même contre tout ce qui pourrait encore arrêter l’effet des desseins magnanimes du Héros qui les produit.

Oui, c’est à ce titre honorable que j’ai cru pouvoir exprimer mon vœu personnel pour l’entier rétablissement de la Morale et des Lois, sous un Gouvernement paternel, également ami des Arts et des Mœurs ; mais où la doctrine de nos Poètes dramatiques ne peut plus être désormais qu’en harmonie parfaite avec celle de la Chaire et du Barreau qu’il vient de rappeler à leur gloire primitive.

Aux yeux de quelques personnes qui n’y feraient point assez d’attention, cette production, à cause d’une sorte de similitude dans le titre, pourrait offrir des traits de ressemblance avec l’ouvrage du cardinal Maury, qui, en nous donnant un excellent traité de l’Eloquence de la Chaire et du Barreau b, s’est récemment acquis de nouveaux droits à la reconnaissance publique et aux faveurs de la renommée.

Mais cet ouvrage et le mien n’ont absolument rien de commun, soit pour le fond des choses, soit pour leur objet réel.

Il appartenait à un homme aussi justement célèbre d’examiner la théorie de l’art, et d’exposer, d’une manière et si noble et si judicieuse, les règles propres à former des orateurs qui pussent un jour lui ressembler.

Mais c’était assez pour moi, qui ne voulais que prémunir mes Lecteurs contre le danger de n’attacher d’importance et de prix qu’aux choses de pur agrément, et de flétrir souvent d’une sorte de mépris ce qui vraiment est le plus utile à la société ; c’était, dis-je, assez pour moi d’examiner l’influence de cet art si beau, si puissant de la parole dans l’état civil, afin de montrer le grand intérêt que nous avons tous au succès comme au rétablissement de l’éloquence de la Chaire et du Barreau.

Mais comme la véritable morale en doit toujours être la compagne inséparable, et que son ennemie naturelle, ou du moins trop ordinaire, est celle que nos Auteurs, ou nos Artistes dramatiques au nom de ceux-ci, ont quelquefois l’imprudence de publier et d’accréditer sur la scène, je n’ai pu considérer cette influence de la Chaire et du Barreau, sans examiner en même temps celle du théâtre, qui aujourd’hui chez nous, comme autrefois chez les Grecs et les Romains, semble attirer à lui tous les regards et tous les vœux de la multitude.

Voilà ce qui m’a déterminé à réunir et à rapprocher des objets si disparates entre eux, et à entretenir le Lecteur de la frivolité de la scène, au milieu même d’une discussion aussi grave que celle où je traite de la dignité des fonctions des Orateurs, soit en présence des autels, soit au pied des tribunaux.

Mais comme la morale évangélique a dû me servir de base et d’objet de comparaison, il était naturel autant que nécessaire que je commençasse par considérer l’influence de la Chaire dans la société civile.

En l’examinant donc sous son véritable point de vue, j’ai établi qu’elle était d’un grand secours pour consolider le bonheur public sous ce triple rapport, en ce que, en tempérant à l’égard des peuples l’autorité souveraine, elle la leur rendait respectable et chère ; en enchaînant l’injustice des passions, elle maintenait l’harmonie sociale ; en offrant aux malheureux de véritables consolations, et leur aidant à supporter les peines de la vie, elle conservait à l’Etat des Citoyens utiles.

Jetant ensuite un coup-d’œil rapide sur les malheurs déplorables dont l’Etat un jour serait la victime, si par la perte ou le trépas des Orateurs chrétiens, que la Providence a su nous conserver au milieu des tempêtes, la religion venait à perdre son plus beau lustre et son dernier appui, j’en ai conclu que rien ne nous importait d’avantage que de rétablir, dans tout leur éclat, ces maisons illustres, où le savoir et la vertu formèrent autrefois ces saints Docteurs, qui depuis ont rempli l’Univers du bruit de leurs heureux succès, et ont fait de la France le berceau comme le séjour ordinaire de la véritable éloquence.

Passant ensuite à l’influence réelle du théâtre en France, et le considérant particulièrement aux époques des grands événements qui ont précédé ou suivi le cours de la révolution, j’ai fait voir qu’il avait beaucoup contribué au bouleversement de l’Etat, et nui singulièrement à sa prospérité, en affaiblissant les grandes idées religieuses dans l’esprit des peuples, en corrompant les mœurs, loin de les corriger, enfin en altérant jusqu’au bon goût, et en changeant même le caractère national sous le rapport du sentiment et de l’urbanité.

Après avoir examiné toute la frivolité des objections, qu’on oppose ordinairement pour arrêter ou suspendre toute réforme au théâtre, j’ai fait voir qu’il était possible de le rappeler au but réel de son institution, et de donner à ceux que des talents particuliers y appellent, un véritable lustre dans la société.

L’influence du Barreau est le troisième et dernier objet dont je me suis occupé.

En considérant la noblesse et la grandeur des fonctions de ses orateurs, en remontant à l’origine des grandes associations politiques, où ils ont toujours joui d’une haute considération, j’ai commencé par combattre cet injuste préjugé qui les range dans la classe de ces hommes dangereux, qui ne sont que les aveugles instruments des passions des autres. J’ai démontré qu’ils n’en étaient réellement que les honorables défenseurs, et que sans leur auguste ministère, l’innocence et la vertu seraient à chaque instant les victimes de l’aveuglement et de l’oppression.

Forcé de m’arrêter un moment sur cette époque douloureuse, où le sanctuaire des lois indignement profané par l’ignorance ou l’avidité, n’était plus qu’un théâtre de brigandage et d’immoralité, je me suis hâté de porter mes regards sur des temps plus heureux.

Alors, bénissant la main auguste et libérale qui, pour illustrer la Nation, veut désormais unir aux palmes de ses guerriers les trophées de ses orateurs, j’ai vu le Barreau français renaître dans toute sa gloire, et ramener les beaux jours de l’éloquence.

C’est ainsi qu’après avoir parcouru successivement tout ce qui peut tenir à la gloire comme à le décadence de la Chaire, du Théâtre et du Barreau, et « en comparant chacune de mes idées avec l’idée éternelle du vrai et du juste, j’ai vu qu’il n’y avait de bien que ce qui était utile à la société et conforme à l’ordre, de mal, que ce qui leur était contraire. »(Eloge de Marc Aurèle.)