(1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XXV. Quatrième, cinquième et sixième réflexion : passage exprès de Saint Thomas, et conciliation de ses sentiments. » pp. 88-92
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(1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XXV. Quatrième, cinquième et sixième réflexion : passage exprès de Saint Thomas, et conciliation de ses sentiments. » pp. 88-92

XXV. Quatrième, cinquième et sixième réflexion : passage exprès de Saint Thomas, et conciliation de ses sentiments.

En quatrième lieu, quand il serait vrai, ce qui n’est pas, que Saint Thomas, à l’endroit que l’on produit de sa Somme, ait voulu parler de la comédie ; soit qu’elle ait été ou n’ait pas été en vogue de son temps, il est constant que le divertissement qu’il approuve doit être revêtu de trois qualités, dont « la première et la principale est qu’on ne recherche point cette délectation dans des actions ou des paroles malhonnêtes ou nuisibles ; la seconde, que la gravité n’y soit pas entièrement relâchée ; la troisième, qu’elle convienne à la personne, au temps et au lieu ». Pour donc prouver quelque chose, et pour satisfaire à la première condition, d’abord il faudrait montrer, ou qu’il ne soit pas nuisible d’exciter les passions les plus dangereuses, ce qui est absurde ; ou qu’elles ne soient pas excitées par les délectables représentations qu’on en fait dans les comédies, ce qui répugne à l’expérience et à la fin même de ces représentations comme on a vu ; ou enfin que Saint Thomas ait été assez peu habile pour ne sentir pas qu’il n’y a rien de plus contagieux pour exciter les passions, particulièrement celle de l’amour, que les discours passionnés : ce qui serait la dernière des absurdités, et la plus aisée à convaincrez par les paroles de ce saint, si la chose pouvait recevoir le moindre doute. Voilà pour ce qui regarde la première condition. Nous avons parlé de la seconde qui regarde les bouffonneries, et la troisième paraîtra quand nous traiterons des circonstances du temps par rapport aux fêtes et au Carême.
Cela posé, nous ferons encore une cinquième réflexion sur ces paroles de Saint Thomas dans la troisième objection de l’article troisième. « Si les histrions poussaient le jeu et le divertissement jusqu’à l’excès, ils seraient tous en état de péché ; tous ceux qui se serviraient de leur ministère ou leur donneraient quelque chose, seraient dans le péché. » Saint Thomas laisse passer ces propositions qui en effet sont incontestables, et il n’excuse ces histrions, quels qu’ils soient, qu’en supposant que leur action, de soi, n’a rien de mauvais ni d’excessif, secundum se. Si donc il se trouve dans le fait, quel que soit cet exercice en soi-même, que parmi nous il est revêtu de circonstances nuisibles, il faudra demeurer d’accord selon la règle de Saint Thomas, que ceux qui y assistent, quoiqu’ils se vantent de n’en être point émus, et que peut-être ils ne le soient point sensiblement, ne laissent pas de participer au mal qui s’y fait, puisque bien certainement ils y contribuent.
Enfin, en sixième lieu, encore que Saint Thomas spéculativement et en général ait mis ici l’art des baladins ou des comédiens, ou en quelque sorte qu’on veuille traduire ce mot histrio, au rang des arts innocents, ailleurs, où il en regarde l’usage ordinaire, il le compte parmi les arts infâmes, et le gain qui en revient, parmi les gains illicites et honteux ; « tels que sont, dit-il, le gain qui provient de la prostitution et du métier d’histrion : quaedam dicuntur male acquisita, quia acquiruntur ex turpi causa, sicut de meretricio et histrionatu et aliis hujusmodi  ». Il n’apporte ni limitation ni tempérament à ses expressions ni à l’horreur qu’il attire à cet infâme exercice. On voit à quoi il compare ce métier qu’il excuse ailleurs. Comment concilier ces deux passages, si ce n’est en disant, que lorsqu’il l’excuse, ou si l’on veut, qu’il l’approuve, il le regarde selon une idée générale abstraite et métaphysique : mais que lorsqu’il le considère naturellement de la manière dont on le pratique, il n’y a point d’opprobre dont il ne l’accable.

Voilà donc comment Saint Thomas favorise la comédie : les deux passages de sa somme, dont les défenseurs de cet infâme métier se font un rempart sont renversés sur leur tête, puisqu’il paraît clairement, en premier lieu, qu’il n’est pas certain qu’il ait parlé de la comédie ; en second lieu, que plutôt il est certain qu’il n’en a pas voulu parler ; en troisième lieu sans difficulté et démonstrativement, que quand il aurait voulu donner quelque approbation à la comédie, en elle-même, spéculativement et en général, la nôtre en particulier et dans la pratique, est excluse ici selon ses principes, comme elle est ailleurs absolument détestée par ses paroles expresses. Que des ignorants viennent maintenant nous opposer Saint Thomas, et faire d’un si grand docteur un partisan de nos comédies.