(1667) Traité de la comédie et des spectacles « Sentiments des Pères de l'Eglise sur la comédie et les spectacles — Avertissement » pp. 72-80
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(1667) Traité de la comédie et des spectacles « Sentiments des Pères de l'Eglise sur la comédie et les spectacles — Avertissement » pp. 72-80

Avertissement

Les passages des Pères qu'on emploie dans cet ouvrage pour montrer que la Comédie est un divertissement défendu à ceux qui font profession de la Religion Chrétienne, sont de trois sortes. Ou ils sont contre les Spectacles en général, dans lesquels la Comédie est comprise, où ils entrent dans le détail des différentes sortes de Spectacles, et ils n'y oublient jamais la Comédie, ou bien ils sont particulièrement contre la Comédie, sans parler des autres Spectacles.

Ceux qui défendent les Spectacles en général condamnent le Théâtre aussi bien que l'Amphithéâtre, et le Cirque, parce qu'ils comprennent tous les Spectacles. Ceux qui entrent dans le détail mettent très peu de différence entre la vanité du Cirque, les fureurs de l'Amphithéâtre, et les désordres du Théâtre, et ceux qui attaquent le Théâtre en particulier sont en si grand nombre, si exprès et si étendus, qu'ils ne laissent rien à dire ou à penser sur ce sujet, parce qu'ils épuisent la matière. Il est certain qu'il n'y a rien dans toute la doctrine des mœurs que les Pères aient traité plus à fond, ni où ils se soient mieux précautionnés contre tous les faux raisonnements dont on se devait servir dans la suite des siècles pour justifier la Comédie, de sorte qu'ils n'ont laissé aucun moyen à ses défenseurs de donner à ce qu'ils en ont écrit, des interprétations à leur mode, ni aucun lieu de douter de leurs sentiments, à ceux qui cherchent la vérité dans la tradition de l'Eglise, dont ils sont les dépositaires.

Personne ne nie que les désordres de la Comédie, contre lesquels les Pères ont employé leur zèle et leur éloquence, ne fussent des désordres véritables. Mais beaucoup de gens prétendent qu'il n'y a rien de si différent que la Comédie des siècles passés, qui a été l'objet de leur colère et de leur indignation, et la Comédie moderne. Que la première était pleine d'idolâtrie, de superstition et d'impureté ; et que la dernière est exempte de tous ces vices, contre lesquels les Pères se sont principalement étendus. Or il faut avouer de bonne foi que la Comédie moderne est exempte d'idolâtrie et de superstition: mais il faut qu'on convienne aussi qu'elle n'est pas exempte d'impureté ; qu'au contraire cette honnêteté apparente, qui avait été depuis quelques années le prétexte des approbations mal fondées qu'on donnait à la Comédie, commence présentement à céder à une immodestie ouverte et sans ménagement, et qu'il n'y a rien par exemple de plus scandaleux que la cinquième Scène du second Acte de l'Ecole des Femmes, qui est une des plus nouvelles Comédies.

Il faut qu'on convienne encore que, si l'idolâtrie et la superstition en sont bannies, l'impiété leur a succédé. Y a-t-il une Ecole d'athéisme plus ouverte que le Festin de Pierre, où après avoir fait dire toutes les impiétés les plus horribles à un athée, qui a beaucoup d'esprit, l'Auteur confie la cause de Dieu à un valet, à qui il fait dire, pour la soutenir, toutes les impertinences du monde ; Et il prétend justifier à la fin sa Comédie si pleine de blasphèmes, à la faveur d'une fusée, qu'il fait le ministre ridicule de la vengeance divine; même pour mieux accompagner la forte impression d'horreur qu'un foudroiement si fidèlement représenté doit faire dans les esprits des spectateurs, il fait dire en même temps au valet toutes les sottises imaginables sur cette aventure.

Mais comme ces choses sont si claires et si évidentes qu'elles n'ont pas besoin de preuves; et que le dessein de cet ouvrage a été principalement de montrer que la Comédie moderne, revêtue même de toute son honnêteté prétendue, est un mal, et que les Pères l'ont condamnée par les endroits qui paraissent les plus innocents à ceux qui ne savent pas assez quelle est la sainteté de la morale chrétienne, il faut faire voir dans cet avertissement les sentiments de ces grands hommes sur ce sujet, recueillis en peu de paroles, afin que ceux qui liront les traductions suivantes aient moins de peine à les remarquer lorsqu'ils les trouveront répandus dans leurs Ouvrages.

Tatien défend la Comédie aux Chrétiens, parce qu'elle est pleine de choses frivoles et inutiles.
Tertullien la défend, parce que les Chrétiens ignorent toutes sortes de réjouissances.
Que l'Ecriture sainte condamne toute sorte de concupiscence et de volupté ; que l'esprit de l'homme n'est pas assez insensible pour n'être pas agité de quelque passion secrète, même dans l'usage le meilleur, et le plus modéré des Spectacles ; que quand même on assisterait à la Comédie sans affection et sans plaisir, on ne laisserait pas d'être coupable du péché de vanité : que la vanité et l'occupation à des choses inutiles est un péché : que le monde est l'ouvrage de Dieu; mais que les œuvres du monde sont l'ouvrage du Diable, et que la Comédie doit être mise au nombre des œuvres du monde ; que la Comédie, en elle-même nous éloigne de Dieu et de l'esprit chrétien ; qu'en l'état même le plus honnête où on la puisse mettre, c'est une volupté interdite aux Chrétiens ; mais surtout dans les chapitres 28, 29 et 30 de son traité contre les spectacles, il établit merveilleusement quels doivent être les plaisirs des Chrétiens, par opposition à ceux dont il prétend leur défendre l'usage.

Clément d'Alexandrie ne lui est pas plus favorable par les mêmes raisons, et surtout par le danger dans lequel se mettent les hommes et les femmes qui vont dans ces assemblées pour se regarder. Et par l'inutilité et la vanité de ce divertissement.

Minutius Félix compare les fureurs de l'Amphithéâtre aux passions qu'un Comédien émeut, lorsqu'il feint d'en être ému lui-même.

St Cyprien dit qu'en y représentant des parricides, on y enseigne ce qu'on peut faire par l'exemple de ce qu'on a fait ; que les comédiens émeuvent les sens, qu'ils flattent les passions, et qu'ils abattent la plus forte vertu ; que quelque innocente que fût la Comédie en elle-même, elle ne serait toujours qu'un dérèglement de vanité, qui ne convient pas à ceux qui font profession du Christianisme.

Lactance Firmien y condamne le changement d'habits d'un sexe à l'autre : il nous avertit aussi que le sens de l'ouïe nous est donné pour entendre les enseignements de Dieu, et pour ouïr chanter ses louanges.

Saint Ambroise condamne la Comédie en plusieurs endroits par sa seule vanité.

Saint Jean Crysosthome veut qu'on se consulte soi-même, et qu'on remarque la différence de l'état auquel on se trouve lorsqu'on revient de l'Eglise, et de celui auquel on est lorsqu'on revient de la Comédie.

Saint Augustin, qui a mieux connu la corruption du cœur de l'homme qu'aucun Père de l'Eglise, déplore dans ses Confessions l'amour qu'il avait avant sa conversion pour les Comédies, et le plaisir qu'il sentait à y être ému de douleur. Il dit que ce plaisir vient d'une étrange maladie d'esprit, et qu'on est d'autant plus touché de ces aventures Poétiques, qu'on est moins guéri de ses passions. Il reconnaît devant Dieu, comme un grand mal, le sentiment qui le portait, lorsqu'il voyait représenter des Amants qui étaient contraints de se séparer, à s'affliger avec eux. Je ferais un volume, et non pas un avertissement, si je voulais rapporter les sentiments de tous les Pères des autres siècles ; on les verra dans les traductions suivantes, et on les trouvera conformes à ceux des premiers siècles; ils désapprouvent tous la Comédie, par tous ces endroits qui se trouvent dans celles de ce temps d'une manière encore plus délicate, et par conséquent plus dangereuse que dans les Comédies anciennes.

Si quelqu'un persiste après cela à préférer son jugement particulier à celui de l'Eglise, qui a toujours suivi comme une de ses plus importantes règles le consentement unanime des Pères, et qu'il continue à approuver un divertissement qu'ils condamnent, il ne faut pas essayer de lui prouver davantage une vérité si certaine; mais il suffit de lui dire ce que dit saint Athanase à un évêque de Corinthe, vos sentiments ne sont point ceux de l'Eglise orthodoxe, et nos ancêtres ne les ont point eus.