(1715) La critique du théâtre anglais « PREFACE DE L’AUTEUR » pp. -
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(1715) La critique du théâtre anglais « PREFACE DE L’AUTEUR » pp. -

PREFACE DE L’AUTEUR

Persuadé comme je le suis que rien n’a contribué davantage à corrompre notre siècle que les spectacles, je consacre volontiers quelques-unes de mes veilles à écrire sur ce sujet. Certainement nos Dramatiques regardent la vertu comme leur grande ennemie : ils en ont donné des marques non équivoques en l’attaquant avec un acharnement incroyable ; et (ce que je ne puis avouer sans une extrême douleur) avec un succès aussi qui passe l’imagination. Cependant, ils croiraient ce semble ne réussir qu’à demi, s’ils se bornaient à dérégler les mœurs, sans toucher à la religion ; et s’ils ne joignaient à leurs leçons de libertinage des leçons d’Athéisme. Sans cela l’homme le plus corrompu rentrerait encore en soi-même, et substituerait à la morale du Théâtre qui l’a perverti celle de l’Evangile qui le convertirait. Mais nos Poètes coupent cette voie de retour, autant qu’il est en eux ; ils nous retranchent toute ressource, et se comportent à notre égard comme des Corsaires qui ne se contenteraient pas de nous enlever nos richesses, s’ils ne nous ôtaient encore la vie.

Pour leur rendre la justice qu’ils méritent : leurs mesures sont bien prises dans le dessein qu’ils ont de nous perdre tout à fait. Il n’est rien tel pour cela que de renverser les principes de conduite ; la pratique suivra à coup sûr ce renversement : car n’avoir aucun bon principe, c’est n’avoir aucune raison d’être vertueux. En effet, il ne faut pas attendre de l’homme qu’il réprime ses injustes penchants, ni qu’il renonce à ses plaisirs, quand nul motif ne l’engagera à se faire ces violences : il ne se mettra guère en peine de la vertu, si elle est sans récompense : la voix de la conscience ne l’inquiétera guère, si ce n’est qu’une idée en l’air, un fantôme, un effet de la mélancolie.

Au reste, je ne rapporterai qu’un très petit nombre d’endroits de nos Poètes, eu égard à la multitude infinie qu’ils sont en état de me fournir ; c’eût été un trop long ouvrage pour moi que de les recueillir tous exactement : et d’ailleurs dans la crainte de fatiguer le Lecteur, j’ai cru ne lui devoir montrer qu’un échantillon lequel suffît pour le faire juger de tout le reste.

En traduisant les Pères de l’Eglise, je n’ai rien négligé pour entrer bien dans leur pensée. Je ne me suis pourtant pas fait scrupule d’ajouter en quelques occasions un mot ou deux à l’Original ; mais uniquement pour en rendre le sens plus intelligible, pour en conserver mieux toute la force, et pour garder en même temps les règles de la langue dans laquelle j’écris.

Je dois encore avertir ici, que je n’ai point hésité à rendre les termes d’Amant et de Maîtresse en d’autres plus propres et plus expressifs : et je ne suis pas convaincu que j’aie péché en ceci contre la politesse bien entendue. Puisque le mal diffère du bien, il faut sans doute exprimer l’un d’une manière qui le différencie de l’autre ; ce serait le moyen de les confondre en effet que de les confondre dans le langage : toutes les mauvaises qualités doivent être désignées par des termes capables d’en inspirer de l’horreur.

Il est certain que les choses dans la vie dépendent beaucoup des noms qu’on leur attribue : par exemple on ne pare point d’un beau nom un indigne caractère, sans en déguiser l’idée naturelle, sans faire illusion à ceux qui ne sont pas assez sur leurs gardes, et sans les attirer par là dans le piège. Du moins, n’est-ce pas faire un insigne affront à la vertu et la mettre comme de pair avec le vice, que de revêtir des mêmes expressions ce qui est infâme et ce qui est honnête ? Pour moi, je déclare que je ne sais point ce que c’est que de flatter le crime, et à mon avis, quiconque le prétend ménager, n’a plus qu’un pas à faire pour fléchir le genou devant Baal.