(1694) Sentiments de l’Eglise et des Pères « CHAPITRE II [bis]. De la Comédie considerée dans elle-même, et dans sa nature. » pp. 29-54
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(1694) Sentiments de l’Eglise et des Pères « CHAPITRE II [bis]. De la Comédie considerée dans elle-même, et dans sa nature. » pp. 29-54

CHAPITRE II [bis]a.
De la Comédie considerée dans elle-même, et dans sa nature.

Si on peut la mettre au nombre des choses indifférentes.

Paroles de l’Auteur de la lettre.

« Je dis que selon moi, les Comédies de leur nature, et prises en elles-mêmes indépendamment de toute circonstance, bonne ou mauvaise, doivent être mises au nombre des choses indifférentes. »

Réponse.

C’est un excellent principe de Tertullien, que ce qui est bon et mauvais en soi, ne peut changer de nature ; puisque tout est fixe et certain à l’égard de la vérité de Dieu : « Non potest esse aliud quod verè bonum est, et malum, omnia penes Dei veritatem fixa sunt. »

Supposé ce principe, il faut considérer ce que c’est que la Comédie, car si tout ce qui est renfermé, et qui constitue sa nature est bon ; il faudra dire qu’elle est bonne. Et si au contraire tout y est mauvais, on se verra aussi obligé de dire qu’elle est mauvaise et qu’elle ne peut être indifférente. Je dis donc premièrement que la Comédie n’est pas une chimère ni une idée purement métaphysique ; et cela étant, c’est une vision qu’on puisse, selon la pensée du Théologien, la considérer indépendamment de toutes circonstances, bonnes ou mauvaises.

Je dis en second lieu, que la Comédie est une espèce d’action morale qui renferme en soi.

1. Les Comédiens qui la représentent.

2. Le but où elle tend d’elle-même.

3. La fin que les Comédiens et ceux qui les vont ouïr se proposent.

4. Les effets qu’elle produit d’ordinaire.

5. Les temps auxquels elle se joue.

Voilà comme il faut considérer la Comédie, et ce qui en constitue la nature.

Si donc tout cela est bon et honnête, l’on a droit de dire que la Comédie est telle ; c’est ce qu’il faut voir en détail.

ARTICLE I.
Des Comédiens et de plusieurs choses qui les regardent.

§. I.
Si on doit leur donner le nom d’honnêtes gens ?

L’Auteur de la lettre, qui est sans doute un des grands amis qu’aient jamais eu les Comédiens, fait de grands efforts pour persuader au monde que ce sont d’honnêtes gens. Voici comme il en parle.

« C’est une erreur aussi grossière que ridicule, de croire les Comédiens moins honnêtes gens que d’autres, suppose leur conduite aussi exempte de blâme que leur profession. »
« La Comédie étant devenue toute honnête, ceux qui la représentent et qui vivent honnêtement d’ailleurs, doivent sans difficulté être mis au nombre des honnêtes gens. »
« Ceux qui jouent la Comédie sont d’honnêtes gens, qui se sont destinés à cet emploi, et qui s’en acquittent sans scandale, et avec toute sorte de bienséance. »

Réponse.

C’est une erreur tout à fait grossière et ridicule de croire et de vouloir faire croire aux autres que des gens qui ont toujours été et qui sont encore présentement excommuniés par l’Eglise, qui ont toujours été déclarés infâmes par les lois civiles, et qui le sont encore à présent ; que des gens enfin qui ont toujours été et qui sont encore exclus de toutes sortes de charges, d’emplois et d’honneurs civils, et comme bannis de la société des hommes, doivent passer pour d’honnêtes gens, et que leur profession doive être estimée honnête.

L’excommunication et l’infamie sont des peines qui n’ont jamais été infligées que pour des péchés énormes. Il faut donc que les Evêques et les Magistrats aient de tout temps été convaincus que la profession de Comédien est bien déshonorable et bien criminelle, puisqu’ils ont toujours flêtri ceux qui l’exercent d’un opprobre si honteux. Ils n’ont donc pas cru que le nom d’honnêtes gens leur put convenir.

« Anathema est æternæ mortis damnatio, et non nisi pro mortali debet imponi crimine illi, qui aliter non potuerit corrigi » , dit le Concile de Melun.

Mais qu’entend ce faiseur de lettre par le nom d’honnêtes gens, dont il honore les Comédiens ?

Veut-il dire que ce sont des gens d’une conversation agréable, qui reçoivent bien leurs amis, et qui passent doucement leur temps, sans souci et sans chagrin ? Veut-il dire que ce sont des gens tels que sont ceux dont Horace nous fait la peinture, qui menaient à la vérité une vie païenne, mais couverte néanmoins d’un extérieur innocent, et qui n’avait rien qui pût blesser le monde.

Sont-ce là les gens qu’il dit vivre si honnêtement ? appelle-t-il vivre honnêtement employer son esprit et mettre tout son temps et sa peine aux jours mêmes qui sont consacrés au service divin, à apprendre son rôlet, à compasser ses pas, et à étudier ses gestes, ses postures et son ton de voix, pour s’imprimer dans le cœur les passions qu’ils veulent faire ressentir à leurs spectateurs ? Hé quoi offencer Dieu en s’entretenant sans cesse de passions criminelles, et en travaillant à les exciter dans les autres, scandaliser l’Eglise, et procurer la damnation de ceux qui leur donnent le moyen de faire quelque figure dans le monde ? Est-ce là ce qu’il appelle vivre honnêtement ? certes c’est un langage tout-à-fait nouveau.

§. II.
Si l’on peut dire des Comédiens, que ce sont de véritables Chrétiens et des Saints.

Paroles de l’Auteur de la lettre.

« Les Comédiens joignent à leur devoir d’honnêtes gens celui de véritables Chrétiens. »
« J’en ai confessé et connu assez particulièrement qui hors du théâtre et dans leur famille menaient la vie du monde la plus exemplaire, faisaient des aumônes, etc. »

Réponse.

Est-ce un Religieux, est-ce un Prêtre et un Professeur en Théologie, qui parle et qui nous donne une telle idée des Chrétiens ?

L’amour que Dieu a eu de toute éternité pour eux, a été jusqu’à vouloir, non pas qu’ils fussent seulement appellés ses enfants ; mais qu’ils le fussent en effet. « Ut filii Dei nominemur et simus. »

Comme donc le Fils de Dieu engendré du Père Eternel a paru durant toute sa vie l’image vivante de son Père : il faut de même que les Chrétiens qui sont nés de Dieu par J.C. fassent paraître dans toutes leurs actions l’image de la vie de J.C. que Dieu leur a donné pour modèle.

Il faut qu’ils soient toujours animés et conduits par son esprit : « Qui spiritu Dei aguntur, hi sunt Filii Dei. » Il faut donc que comme ses enfants, ses disciples et ses imitateurs, ils étudient la volonté de leur Père céleste et qu’ils en fassent la règle inviolable de toutes leurs actions.

Or de bonne foi, a-t-on lieu de dire cela des Comédiens ? Toute leur vie est-elle conforme à l’Evangile de J.C. Ne recherchent-ils en tout ce qu’ils font que l’honneur et la gloire de Dieu ? Hélas, nullement, on peut au contraire leur appliquer avec justice ce que J.C. dit aux Juifs. Vous êtes les véritables enfants du diable, vous agissez par son esprit, vous suivez ses inclinations et ses désirs, et vous ne travaillez qu’à faire réussir ses desseins : « Vos ex patre diabolo estis et desideria patris vestri vultis perficere. »

Jésus-Christ a donné jusqu’à la dernière goutte de son sang, pour laver les âmes de ses Elus de toutes leurs souillures, et pour procurer leur salut ; et vous vous donnez toutes vos sueurs et vos peines pour les souiller de plus en plus, et pour procurer leur damnation.

Jésus-Christ n’a travaillé durant toute sa vie qu’à établir le Royaume du Ciel, et vous vous ne vous occupez qu’à le détruire : que vous dirai-je de plus, vous devenez les profanateurs du Temple de Dieu dans autant d’âmes qu’il y en a, dans lesquelles vous tâchez, ou d’exciter des passions criminelles, ou de les réveiller, et de les fortifier.

C’est un commandement de Dieu qui regarde généralement tous les Chrétiens, de travailler à leur propre sanctification : « Hæc est voluntas Dei sanctificatio vestra. » Les Comédiens en ont-ils jamais eu le moindre dessein ? et demeureraient-ils dans un emploi qui est condamné par l’Eglise, s’ils avaient une telle pensée ?

Jésus-Christ ayant acquis avec justice sur tous les Chrétiens le droit d’être le principe et la fin de toutes leurs actions, en qualité de leur Créateur et de leur Rédempteur ; est-il jamais venu en l’esprit à un Comédien en montant sur le théâtre, de dire : C’est pour plaire à Dieu que je vais faire cette action.

Un Chrétien est aussi obligé de procurer en toutes choses le salut de son prochain : « Unicuique mandavit Deus de proximo suo. » Mais un Comédien peut-il dire qu’il a cela en vue ?

Enfin la vie d’un Chrétien est, selon l’Evangile, une vie de mortification, d’insensibilité, et de mort à tous les vains plaisirs et les fausses joies du monde.

Et au contraire la vie des Comédiens est une vie molle et sensuelle, une vie de gens qui ne cherchent qu’a se procurer des commodités temporelles ; qui n’aiment qu’à se divertir, qu’à rire, et à faire rire les autres. Ils ne remplissent donc aucunement l’idée qu’on doit avoir d’un véritable Chrétien.

« Mais, me direz-vous, est-ce que ces gens-là ne vont pas à l’Eglise, et ne fréquentent-ils pas les Sacrements, occupations toutes saintes, et les plus sérieuses ; ou plutôt les seules sérieuses, qu’on puisse avoir dans la vie ? Nous lisons dans la vie des Saints Pères du désert, qu’il fut un jour révélé à S. Paphnuce, qu’il n’aurait pas en l’autre vie un plus haut degré de gloire, qu’un certain Comédien. »

Réponse.

Comme les Comédiens sont excommuniés et retranchés du corps de l’Eglise, ils ne sont plus de l’Eglise. Ils ne sont plus animés du S. Esprit, qui la vivifie ; ils n’ont plus aucune part a ses prières : mais ils sont comme des sarments desséchés, qui ne tiennent plus au cep, qui n’en reçoivent plus le suc et la sève ; et ainsi ils ne sont plus bons qu’à être jetés au feu, comme nous dit l’Evangile.
Ils peuvent donc bien surprendre les Prêtres (qui ne les connaissent pas pour tels qu’ils sont) et ainsi ils peuvent ouïr la Messe, et même fréquenter les Sacrements : mais n’ayant pas la véritable piété dans le cœur, et ne la pouvant avoir, tandis qu’ils persisteront dans cet emploi, qui est condamné par l’Eglise, toutes les actions qu’ils font par une piété apparente, ne peuvent plaire à Dieu. Il ne se contente pas d’un culte extérieur, et tout Judaïque ; « mais il veut être servi en esprit, et en vérité. Ce sont là les adorateurs qu’il cherche » , comme parle S. Jean. « Tous ceux qui diront, Seigneur, Seigneur, n’entreront pas pour cela dans le Royaume du Ciel : mais ceux là seuls y entreront qui feront la volonté de mon Père qui est dans le Ciel. »

Il s’ensuit donc qu’on ne peut appeler les Comédiens de véritables Chrétiens.

§. III.
Les Comédiens ont toujours été excommuniés par l’Eglise, et ils le sont encore à présent.

On voit dans les anciens Canons que ceux qui conduisaient les Chariots dans le Cirque, et les bouffons qui représentaient par leurs gestes ce qui était exprimé par les vers des Comédiens, étaient obligés de renoncer à ces métiers en se faisant Chrétiens.

Cependant conduire un chariot pour le faire courir plus vite que les autres (qui était ce qui se faisait dans les spectacles du Cirque, et où il y avait de l’adresse de l’esprit et du corps) était une chose bien plus innocente, que de réciter des Vers, et de représenter des passions souvent mauvaises, et qui peuvent porter au péché.

Le Concile d’Elvire tenu en 303. ordonne que si un de ces conducteurs de chariots, ou de ces gesticulateurs veulent embrasser la Foi, ils renoncent à leur métier avant qu’on les reçoive, et promettent de ne l’exercer jamais. Et si après cela ils viennent à y retourner, ce Concile veut qu’on les chasse de l’Eglise.

Il défend aussi aux Chrétiennes d’épouser des Comédiens, ou autres gens de Théâtre, sous peine d’être retranchés de la Communion de l’Eglise.

Le premier Concile d’Arles tenu en 314. ordonne que les Chrétiens qui sont Cochers du Cirque, ou Comédiens, soient séparés de la Communion tandis qu’ils exerceront ce métier.

La raison que ces Conciles ont eue d’en user ainsi a été, que ç’aurait été traiter avec mépris, et faire injure à la dignité de cet adorable Sacrement, que d’admettre à la participation des saints Mystères ces personnes qui s’en rendaient indignes.

L’Eglise ne s’est point relâchée en ce temps de cette apparente sévérité avec laquelle elle a autrefois traité les Comédiens.

Car le Rituel de Paris défend expressément de leur administrer le saint Viatique, comme en étant indignes. « Cavendum imprimis ne sacra communio ad indignos cum aliorum scandalo deferatur. Quales sunt publici usurarii, concubinarii, Comœdi. »

Le Rituel d’Alet approuvé par 24. des plus savants et des plus pieux Evêques de France, fait la même défense. La voici.

Demande.

Qui sont ceux qui ne doivent point être admis à la sainte Communion.

Réponse.

Ce sont ceux qu’on sait publiquement en être indignes, tels que sont les Excommuniés, les Interdits, les Infâmes. Par exemple, ceux qui sont reconnus pour Concubinaires, les Usuriers, les Magiciens, les Comédiens, etc.

Le Rituel de Reims donne pour première règle, sous le titre de l’absolution, de ne la point accorder à ceux qui font une profession, qu’on ne peut exercer sans péché, jusqu’à ce qu’ils y aient renoncé comme sont les Magiciens, les Sorciers, les Farceurs.

celui de Châlons sur Marne, de l’année 1649. p. 12. défend de les recevoir pour Parains, Il les prive de la Communion. p. 139. Ceux de Sens, de Bayeux, et de Coustances disent la même chose.

Aussi est-ce aujourd’hui une pratique ordinaire de Messieurs les Curés de Paris, de ne pas donner le Viatique à un Comédien malade, s’il n’a auparavant renoncé à sa profession par un écrit public, et devant deux Notaires ; et s’il ne promet de ne plus monter sur le Théâtre.

C’est ainsi qu’en usa autrefois M. Marlin Curé de S. Eustache, envers Floridor, fameux Comédien, qui fut fidèle à garder sa parole, après que Dieu lui eut rendu la santé.

L’on sait que Rosimond (Comédien assez connu dans la Paroisse de S. Sulpice) étant mort subitement il y a environ trois ans, il fut enterré sans Clergé, sans luminaire, et sans aucunes prières, dans un endroit du Cimetière, où l’on met les enfants morts sans Baptême.

Et il est bon de remarquer ici en passant, que Messieurs les Ecclésiastiques de cette grande Paroisse, ont les Comédiens en si grande horreur, qu’ils ont discontinué de faire passer la Procession du S. Sacrement par cette belle et large rue, où ils se sont établis, depuis qu’ils y sont.

§. IV.
Les Comédiens ont toujours passé pour des gens infâmes ; et ils sont encore traités présentement de la même manière.

Les Lois civiles bannissent en quelque façon les Comédiens de la société humaine, en les jugeant indignes de toute créance en Justice, et de toutes sortes d’emplois, qui ont besoin de quelque probité, de quelque honneur, et de quelque conscience.

La raison qu’on peut apporter d’un traitement qui paraît si dur, dont les lois Ecclésiastiques et civiles usent envers les Comédiens, c’est qu’il n’y a rien de plus indigne, je ne dis pas d’un Chrétien, mais d’un homme tant soit peu raisonnable, que de consacrer son esprit, ses soins, ses peines, et sa vie au divertissement de quelques fainéants, ou de quelques femmes mondaines, sans y être attiré que par l’amour, et par l’espérance d’un gain, peut-être un peu plus grand et plus commode, que n’est celui qu’il pourrait faire dans un métier légitime, honnête, et utile au public. Jésus-Christ a-t-il donc répandu son Sang pour des hommes, qui sont honorés de son nom, afin qu’ils employassent ainsi leur vie, qui en est le prix, à faire rire, et à divertir les autres ?

Que si des Idolâtres condamnaient ces sortes de gens à une telle ignominie, quoi qu’ils prissent plaisir à leur art et à leur adresse, combien doivent-ils être odieux à Dieu ? « Quanto magis divina justitia in illos animadvertet. »

Et si des Païens les excluaient de toutes les Charges ; avec combien plus de raison des Chrétiens doivent-ils les éloigner de la participation de l’Eucharistie, qui est le plus grand honneur qu’on puisse recevoir dans l’Eglise ?

Mais si cette profession est infâme, et infâmante pour des hommes ; combien l’est-elle davantage pour des femmes, et selon l’esprit du Christianisme, et selon la nature même ? Car si c’est une fille ; n’est-ce pas offenser la pudeur du sexe, et blesser l’honneur de la virginité, rachetée du Sang de Jésus-Christ, que de voir sur un Théâtre une Chrétienne se produire, pour faire le personnage d’une femme passionnée, coquette, effrontée, emportée ou furieuse, selon les diverses passions qu’exige son rôlet. Le Christianisme qui doit être une Ecole de pudeur et de modestie pour des filles, doit-il avoir quelque chose de commun avec le Théâtre, qui est une Ecole d’effronterie et d’impudence ? En effet, quelle doit être celle d’une fille qui se dispose à parler devant 2000. personnes, qui ont tous les yeux arrêtés sur elle ? Et combien doit-elle se fortifier contre la retenue, si bienséante et si naturelle à son sexe, pour pouvoir parler avec assurance ? Frons meretricis facta est tibi ; noluisti erubescere.

Mais si c’est une femme mariée, ne blesse-t-elle pas encore davantage l’honneur dû à ce Sacrement, en employant ses soins, ses frisures, et son fard, pour se faire un visage de Comédienne ; afin de paraître belle aux yeux impudiques de tant de spectateurs qui la doivent regarder ? Ne craint-elle pas de se rendre coupable devant Dieu de toutes les pensées criminelles qu’elle peut faire naître dans leurs esprits ? Enfin y a-t-il rien si capable d’attirer son indignation, que de scandaliser ainsi toute l’Eglise, et violer sa discipline toute pure et toute sainte par une effronterie sans pareille, et une licence si publique et si honteuse « Erubescat senatus, erubescant ordines omnes ; ipsæ illæ pudoris sui interemptrices semel erubescant », dit à ce sujet Tertullien.

Que les Comédiens ne nous viennent pas dire ici, que par une Déclaration de Louis XIII. donnée à S. Germain en Laye, en leur faveur le 6. Avril 1644. il est porté que leur exercice ne leur sera pas imputé à blâme, ni ne pourra préjudicier à leur réputation dans le commerce public.

Car cet Arrêt ne leur peut servir (qu’en cas qu’ils règlent tellement les actions du Théâtre, qu’elles soient entièrement exemptes d’impureté) ce qui ne doit pas seulement s’entendre de l’amour impudique, mais aussi de toutes les autres passions qui souillent l’âme, et la rendent désagréable à Dieu.

Or comme les Comédiens n’ont jamais exécuté cette condition, et qu’ils sont même dans l’impuissance de l’exécuter, parce que la Comédie n’est pas réformable sur ce point, il s’ensuit que ce sont eux-mêmes qui se rendent cet Arrêt inutile ; et que par conséquent ils doivent toujours être considérés dans le monde comme des gens infâmes.

ARTICLE II.
La fin de la Comédie et des Comédiens est toujours mauvaise ; et celle des spectateurs l’est aussi pour l’ordinaire.

La fin à laquelle la Comédie tend d’elle-même, et le but que les Acteurs s’y proposent ; c’est d’émouvoir, d’entretenir, et de fortifier les passions qui ont rapport à leurs sujets, dans l’esprit et le cœur de leurs spectateurs, et particulièrement celles de l’amour, de l’ambition, de la jalousie, de la colère, de la vengeance, et autres semblables.

Car les Comédiens ayant à plaire aux gens du monde, ce leur est une malheureuse nécessité de mêler toujours dans leurs pièces quelques-unes de ces passions, qui en sont tout le sel et l’assaisonnement ; puisque sans cela elles ne pourraient leur plaire : et ainsi ils ne pourraient arriver à la fin qu’ils se proposent, qui est le gain et le profit.

C’est cela qui fait distinguer un bon Acteur d’avec un méchant. L’on aime l’un, et l’on n’écoute pas seulement l’autre. Un bon Acteur sait animer de telle sorte sa voix, et si bien ajuster ses paroles avec ses gestes et ses postures, que la passion qu’il représente fait d’ordinaire impression sur ceux qui l’écoutent, parce qu’il paraît ressentir lui-même cette passion, Et c’est ce qui les touche.

« Si vis me flere, dolendum est
Ante tibi. »

Mais au contraire un Acteur froid et languissant, qui ne paraît pas ressentir les mouvements de la passion qu’il tâche d’exciter dans le cœur des autres, devient ennuyeux et insupportable.

Or il est constant que cette fin ne vaut rien, puisqu’elle est entièrement opposée à l’esprit du Christianisme, qui ne tend qu’à mortifier et à affaiblir de telle sorte les passions, durant le temps qu’on est dans cette misérable vie, qu’elles ne dominent pas dans le cœur : car l’esprit du Christianisme est un esprit de calme et de paix. Et c’est cet esprit que Jésus-Christ inspira à ses Apôtres un peu avant son Ascension, en leur disant que leur cœur ne devait pas être dans l’agitation et dans le trouble : « Pacem meam do vobis : non turbetur cor vestrum, etc. »

L’esprit de la comédie au contraire qui ne tend qu’à fomenter les passions, est un esprit de trouble, d’agitation et de fureur. C’est pourquoi Tertullien appelle les Comédiens, « Furiarum ministros et animarum inquietatores. »

Quelque belle et bien entendue que soit une pièce, s’il n’y a pas de passions qui soient soutenues et poussées par de bons Acteurs, elle n’est point goûtée et elle échoue toujours.

Le gain que les Comédiens se proposent dans la représentation de leurs Pièces, est encore une mauvaise fin ; car quoi que ce soit peut être par une malheureuse nécessité, et pour ne pas mourir de faim, qu’ils persistent dans ce métier infâme, ils n’ont pas dû néanmoins s’y engager, et il leur était libre de choisir quelque autre profession honnête, où ils auraient trouvé de quoi subsister, comme tant d’autres en trouvent.

Ce n’a donc été que la corruption de leur cœur, et le désir de gagner davantage dans ce métier, qu’ils ne feraient dans un autre qui les y ont engagés. Or ce désir vient de la cupidité que saint Paul dit être la racine de toutes sortes de maux : « Radix malorum omnium cupiditas. »

La vanité et le désir d’acquérir de la réputation et le plaisir de paraître sur un Théâtre, et d’avoir accès chez les Grands, peuvent encore être des motifs qui font agir les Comédiens ; mais qui ne voit que rien n’est si peu solide que tout cela.

Voilà quelles sont les fins des Comédies, et des Comédiens.

Celles des Spectateurs ne valent guère mieux.

La curiosité est celle qui conduit la plupart de ceux qui y vont. « Nemo in spectaculo ineundo prius cogitat, nisi videre, et videri », dit Tertullien : c’est pour cela que les Dames prennent tant de soin de se parer en y allant.

« Spectatûm veniunt, veniunt spectentur et ipsæ. »

Or S. Thomas dit, que la curiosité est autant un péché que la concupiscence de la chair et la superbe. « Concupiscentia oculorum. ait Beda, non solum est in discendis magicis artibus ; sed etiam in contemplandis spectaculis. Est ergo quoddam vitium, sicut etiam superbia vitæ, et concupiscentia carnis. »
Et certes, la curiosité ne passera jamais pour une chose innocente dans l’esprit de ceux qui ont lu dans les saintes Ecritures les funestes suites qu’eut celle de Dina, quoi que le simple désir de voir des femmes étrangères, et de s’y laisser voir, ne parut pas être une chose fort blâmable.

Enfin le plaisir des sens qu’on se propose en allant à la Comédie, ne peut encore servir de légitime motif à un Chrétien pour y aller Car quoi que le divertissement soit quelquefois nécessaire à l’esprit pour renouveller sa vigueur, comme la nourriture l’est au corps pour réparer ses forces ; il ne s’ensuit pas pour cela, qu’on puisse aller à la Comédie pour se divertir et en faisant consister uniquement sa fin dans le divertissement. Cela n’est pas permis à un chrétien, selon cette maxime de S. Augustin : « Multa licet facere cum voluptate ; nihil omnino propter voluptatem. »

ARTICLE III.
Les effets de la Comédie sont d’ordinaire très pernicieux, et très funestes aux âmes.

La Comédie produit une infinité de mauvais effets dans ceux qui la fréquentent. Voici comme en parle S. Chrysostome dans son Homélie 25. sur les Actes des Apôtres.

« Ce sont les Théâtres qui rendent les chrétiens si déréglés, si corrompus, et si difficiles à conduire, qu’ils sont à présent ; car tout ce que je tâche d’édifier dans l’Eglise, non seulement s’y détruit ; mais c’est une malheureuse nécessité que ceux qui hantent les personnes qui les fréquentent, contractent avec eux une infinité de souillures… car ils deviennent plus corrompus dans leurs mœurs, plus libres dans leurs paroles, plus dissolus dans leurs gestes et leurs ris, et plus paresseux dans le bien…. Ainsi travailler à les purifier, c’est entreprendre de nettoyer un champ, dans lequel une fontaine qui serait dans un lieu plus élevé, entraînerait sans cesse quantité de limon et de boue, puisqu’il en reviendrait continuellement autant qu’on en pourrait ôter. »

Pétrarque témoigne que l’un des effets ordinaires de la Comédie est de détruire, ou du moins d’ébranler et d’affaiblir extrêmement la chasteté.

« Pour ne pas parler ici de ceux qui sont tellement plongés dans le vice, qu’ils font même gloire des choses aussi honteuses que le sont les adultères. Tenez pour constant, dit-il, que plusieurs femmes y ont entièrement perdu leur chasteté ; que plusieurs s’en sont retournées chez elles bien moins résolues de la garder, qu’elles ne l’étaient auparavant et que pas une n’en est jamais revenue plus chaste et plus pure, qu’elle n’y était allée. »

La Comédie produit encore une infinité d’autres méchants effets que je ne fais que toucher.

Le premier est une grande dissipation d’esprit : car elle le remplit des idées de toutes les choses qu’on y a vues et entendues. Ainsi elle est tout à fait opposée à l’esprit de prière, qui est si nécessaire aux chrétiens durant le pèlerinage de cette vie.

Quand on désire obtenir de Dieu quelque grâce, il faut sans doute s’approcher de sa divine Majesté avec beaucoup de recueillement et d’attention. Or les divers fantômes des choses qu’on a vues empêchent ce recueillement. C’est pourquoi les ténèbres de l’âme s’augmentent, et elle se trouve enfin dans l’impuissance de résister aux tentations.

Le second mauvais effet que produit la Comédie, est un grand dégoût pour la lecture des bons Livres, qui doivent faire la plus grande consolation des chrétiens, et toutes leurs délices : car il est impossible qu’étant rempli des fadaises du Théâtre, on ait de l’attrait et du goût pour les vérité éternelles, et pour les biens ineffables dont traitent les Livres de piété.

Ce que je viens de dire de l’éloignement de la prière, de la lecture des bons Livres, et de toutes les choses de Dieu, se doit appliquer particulièrement à la sainte Communion, qui demande une grande attention, et un merveilleux recueillement, pour peser quel bonheur c’est à un homme de s’approcher de la Table de son Dieu. « Quando sederis ut comedas cum principe, diligenter attende quæ apposita sunt ante faciem tuam. »

Cela étant ainsi, il ne faut pas s’étonner si l’on voit la plupart de ceux qui fréquentent la Comédie s’abandonner à la mollesse d’une vie toute sensuelle ; et si au lieu qu’on ne doit se divertir que pour mieux travailler, ces sortes de gens se divertissent incessamment, et ne travaillent jamais.

Leur esprit ne jouit d’aucun calme. Tout les dégoûte, tout les chagrine, tout leur déplaît. Comme ils ne trouvent rien de solide dans les faux plaisirs qu’ils recherchent, on les voit continuellement passer d’un vain amusement à un autre. De la table au jeu, du jeu à la promenade, aux visites, à l’Opéra. Et ils ne laissent pas avec tout cela d’être insupportables et à eux-mêmes, et aux autres.

après avoir vu ci-devant que la Comédie est mauvaise, soit par rapport à ceux qui la représentent, soit par rapport à la fin à laquelle elle tend d’elle-même, et à laquelle les Comédiens, et ceux qui assistent à leurs Pièces se proposent, faisons encore voir qu’elle est mauvaise par rapport à ses circonstances, et principalement à celle du temps auquel elle se joue.

ARTICLE IV.
La profanation des Fêtes et des Dimanches, et celle des sacrés Temps de l’Avent et du Carême, doit rendre les Comédies de ce temps plus odieuses et plus condamnables que celles du temps passé.

Rien n’était autrefois si édifiant que les assemblées des fidèles aux jours des Fêtes et des Dimanches ; rien n’était plus saint, ni plus terrible aux démons que les prières qui s’y faisaient, lesquelles étant soutenues par leurs bonnes œuvres, montaient jusqu’au Trône de Dieu, et en attiraient mille bénédictions.

O Dieu ! quel changement voyons-nous à présent dans le Christianisme. L’on quitte sa Paroisse ; l’on méprise les instructions de son Pasteur ; les prières publiques sont négligées, le chant des Psaumes ne se fait plus que du bout des lèvres. On se contente d’aller à une petite Messe les jours de Fêtes et les Dimanches ; et après cela l’on croit avoir une liberté entière de se divertir.

Si l’on va aux Sermons au temps de Carême, c’est souvent par coutume, par curiosité, et pour ne pas passer pour impie. Mais encore avec quelle immodestie, quelle distraction, et quel égarement d’esprit fait-on cela ? Tant il est vrai qu’une infinité de chrétiens n’ont plus à présent qu’une vaine et trompeuse apparence de Religion qui les distingue des Païens.

Dieu nous commande de sanctifier avec exactitude le jour du Dimanche, qui était le Sabath des Juifs. « Videte ut Sabbathum meum custodietis. »

Il nous dit de nous bien souvenir de ce commandement qu’il nous fait. « Memento ut diem Sabbathi sanctifices » ; pour montrer combien la chose qu’il nous recommande est importante, et combien il est jaloux que nous fassions ce qu’il nous ordonne.

Si c’était une chose difficile, nous devrions pourtant nous efforcer de la faire, puisqu’il y va de notre bonheur.

Mais ce qu’il nous commande est très aisé. Car y a-t-il rien si aisé que de se reposer en Dieu ? c’est à dire, s’appliquer uniquement à penser à lui, prendre plaisir à s’entretenir de ses bienfaits, lui en témoigner sa reconnaissance, le remercier de ses bontés, lui demander pardon de ses ingratitudes, et de ses offenses.

Le travail n’est pas mauvais en soi, puisque Dieu l’a commandé, et l’a imposé à l’homme pour pénitence après son péché.

S’il est donc défendu aux jours des Dimanches et des Fêtes, c’est parce qu’il détourne notre esprit du culte intérieur de Dieu, qui est la fin du précepte : « Quod mentem à divino cultu, qui finis est præcepti, abstrahit », comme parle le Concile de Trente.

Il faut donc en ces saints jours s’abstenir des œuvres ordinaires de notre vacation, dit le Pape Nicolas dans la Réponse qu’il fait aux consultations des Bulgares, afin de pouvoir aller à l’Eglise pour y chanter en l’honneur de Dieu des Psaumes, des Hymnes, et des Cantiques spirituels, pour s’appliquer à la prière, célébrer la mémoire des Saints, implorer leur secours, et enfin pour pouvoir obtenir de Dieu la grâce de les imiter. Que si le Chrétien négligeant de faire ces choses, demeure dans une oisiveté honteuse ; ou bien, ce qui est encore pis, si au lieu de s’occuper à quelque chose d’honnête et utile, il passe son temps dans les vanités et les folies du siècle ; certainement il vaudrait mieux qu’il travaillât des mains, suivant le conseil de l’Apôtre, pour avoir le moyen d’assister les pauvres de gain de son travail.

L’on ne peut dire des Comédies ce qu’on dit du travail. Car les Conciles ayant expressément défendu de jouer des Comédies aux saints jours des Dimanches et des Fêtes, comme aussi d’y assister, sous peine d’excommunication, c’est une contravention formelle à ces saintes Ordonnances que de le faire : « Qui prætermisso Ecclesiæ Conventu ad spectacula vadit, excommunicetur. » Conc. Carthag. 4.

Les Ordonnances d’Orléans font la même défense art. 24.

Et nous voyons dans le Code qu’autrefois les Empereurs Chrétiens ne voulaient pas qu’en ces saints jours on fit des spectacles, des courses de chevaux, ou des combats d’autres bêtes : « Dies festos majestati divinæ dedicatos nullis volumus voluptatibus occupari… nihil itaque eadem die sibi vindicet Scena theatralis, aut ferarum lacrymosa spectacula. » Et lorsque le jour de leur naissance y échoit, ils faisaient différer les réjouissances, et les transféraient en un autre jour : « Si in nostrum ortum, vel natalem celebranda solemnitas inciderit, differatur. »

Mais au grand mépris du commandement de l’Eglise, des Canons, des Conciles et des Ordonnances Royaux ; les Comédiens font aujourd’hui tout céder à leurs interêts, et les faux chrétiens à leurs plaisirs.

Notre faiseur de lettre veut ici plaisanter, mais très mal à propos. « Les Comédiens qui jouent tous les jours, ne pèchent pas, dit-il, en jouant les jours des fêtes et Dimanches, et pendant le Carême (temps consacré à la pénitence, temps de larmes et de douleurs pour les Chrétiens) parce qu’étant dévoués au public ; c’est moins pour leur divertissement qu’ils jouent, que pour celui des autres et ils peuvent jouer tous les jours, parce que tous les jours il se peut trouver des particuliers qui veulent prendre une récréation modérée. »
O aveuglement déplorable ! ô illusion grossière ; un Prêtre, un Religieux, un Professeur en Théologie, croit qu’on ne pèche point, et qu’on ne laisse pas de sanctifier les Dimanches, en allant à la Comédie, et dit froidement, « Grace au zèle des Evêques, à la vigilance des Pasteurs, et à la dévotion des fidèles, les théâtres ne s’ouvrent qu’après que les Eglises sont fermées » : d’où il conclut, « que ce n’est pas un péché que d’aller à la Comédie les Dimanches ».
Dieu veut être obéi quand il commande ; il ne s’est réservé que le Dimanche entre les jours de la semaine, et il veut qu’on le sanctifie tout entier : « A vespera usque ad vesperam celebrabitis Sabbatha vestra. »

Or est-ce sanctifier le Dimanche, que d’aller à la Comédie, ou à l’Opéra ? cela peut-il contribuer à la sanctification des personnes, ou à la plus grande gloire de Dieu ? certainement c’est bien vouloir se tromper et ne guère craindre un Dieu dont les menaces sont si terribles.

Mais il faut encore voir la ridicule interprétation que ce Théologien donne au repos que Dieu ordonne de prendre au jour du Dimanche. « Les Dimanches ont été donnés, dit-il, non seulement pour vaquer plus particulièrement qu’aux autres jours au service de Dieu : mais ils ont aussi été institués pour prendre du repos ; afin qu’à l’exemple de Dieu même, qui se reposa le septième jour après le grand ouvrage de la création du monde, nous puissions nous reposer en quelque manière, en prenant un plaisir aussi honnête qu’est la Comédie. »

O la jolie pensée ! peut-on s’imaginer qu’un Prêtre ait pu croire que Dieu ait institué le Dimanche, pour y être plus offensé qu’aux autres jours de la semaine ? Les métiers les plus innocents et les plus utiles sont interdits par respect à la sainteté du jour. Et la Comédie toute nuisible qu’elle est, sera-t-elle privilegiée ?

Nous voyons dans Esdras, que Nehemie étant animé de l’esprit de Dieu, reprit fortement les chefs des Juifs, de ce qu’ils souffraient qu’on profanât la sainteté du Sabath, en apportant en ce jour à Jérusalem des choses qui étaient nécessaires à la vie. C’est pour avoir commis ce péché, dit-il, que nos pères ont mérité les châtiments qui sont tombés sur nous et sur cette ville. Et vous vous augmentez encore aujourd’hui la colère de notre Dieu, en violant la loi qu’il nous a donnée : « Et vos additis iracundiam super Israël violando Sabbathum ? »

Mais les Comédiens n’en sont pas demeurés aux Dimanches et aux Fêtes. Comme s’ils avaient entrepris de combattre ouvertement la Religion de nos Pères et la piété de toute l’Eglise, et s’ils avaient dessein de porter ses enfants aux passe-temps les plus mondains, lorsqu’elle prend à tâche de les exciter à la pénitence, ils ne font aucun scrupule de profaner les temps sacrés de l’Avent et du Carême, qui ont toujours été particulièrement destinés au jeûne, à la retraite, au recueillement et à la prière.

L’on retranche en ces saints temps les nôces et les réjouissances qu’on permet en d’autres. A plus forte raison donc doit-on empêcher celles qui y ont toujours été défendues.

Cette sainte Mère des fidèles quitte ses Cantiques de joie et ses beaux ornements, pour en prendre de tristes et de lugubres ; afin de donner à ses enfants une preuve sensible de sa douleur, et pour leur faire avoir un vif ressentiment de leurs péchés, qui ont donné la mort à son divin Epoux. Et les Comédiens font cependant fi hors de leur bon sens, qu’ils ne font aucune reflexion à tout cela. Comme s’ils prenaient plaisir d’attirer sur leurs têtes criminelles, et sur tous ceux qui les favorisent, les effets de l’indignation d’un Dieu si juste, et tout ensemble si terrible dans ses châtiments.

ARTICLE V.
Conclusion qu’on doit tirer de tout ce qui a été dit ci-devant.

Comme il n’y a rien qui excite si puissamment au bien que les exemples et les histoires des Saints ; aussi n’y a-t-il rien qui porte davantage aux vices que les aventures des personnes mondaines, et la représentation de leurs passions ; surtout quand elles sont exprimées agréablement et d’une manière qui touche les sens.

Tout ce qui se représente dans la Comédie, n’est qu’intrigues d’amour, que jalousies, que vengeances, ambitions et colères. Ce ne sont que des exhortations au mal ; et des leçons qui portent d’elles-mêmes à l’amour du monde, et au dégoût des vertus chrétiennes. D’ailleurs, il n’y a rien de bon dans la Comédie considerée en elle-même, soit par rapport aux Comédiens qui sont excommuniés par l’Eglise, et déclarés infâmes par les Lois civiles, soit par rapport à la fin qu’ils se proposent, ou à la honteuse profanation des Fêtes, des Dimanches et des temps sacrés du Carême et de l’Avent ; soit enfin par rapport aux effets que produit ordinairement la Comédie, et à la perte du temps qu’on y fait. Tout cela étant donc mauvais, que peut-on conclure autre chose sinon qu’elle est aussi mauvaise, et qu’elle n’est pas permise aux Chrétiens.

Salvien ce savant Prêtre de Marseille, dont j’ai déjà parlé ci-devant, confirme ce que je viens d’avancer.

Car il prétend qu’elle est pire que le blasphème, le larcin, l’homicide et les autres crimes.

La différence qu’il y met ; c’est, dit-il, que ces crimes souillent à la vérité ceux qui les commettent ; mais ils ne souillent pas, et ne rendent pas criminels ceux qui les voient commettre, ni ceux qui en entendent seulement faire le récit.

Ainsi l’on ne participe pas au crime d’un blasphémateur quand on a horreur de l’entendre blasphémer. Il en est de même du larcin, de l’homicide, et de tous les autres grands crimes.

Mais la Comédie souille et rend également coupables, et ceux qui la représentent, et ceux qui la voient représenter. Car, lorsque les spectateurs prennent plaisir à regarder ce qui se passe sur le théâtre lorsqu’ils l’approuvent et y applaudissent ; c’est comme s’ils la représentaient eux-mêmes. Et c’est particulièrement en cette occasion qu’a lieu cette maxime de saint Paul ; que « non seulement ceux qui sont ces choses sont dignes de mort ; mais aussi tous ceux qui les approuvent, et qui y prennent part de quelque manière que ce soit ».

Cet Auteur met encore cette différence entre les autres crimes et la Comédie ; que les premiers n’attaquent chacun qu’un de nos sens à la fois ; les pensées déshonnêtes par exemple ne souillent que l’esprit ; les regards impudiques ne se commettent que par les yeux ; les mauvaises paroles ne sont reçues que par les oreilles ; et lorsque l’un de ces sens est souillé et corrompu par le crime qui lui est propre, les autres en sont cependant exempts.

Mais il n’en est pas de même de la Comédie, car elle attaque et elle corrompt en même-temps et l’âme, et tous les sens.

Elle corrompt, dis-je, l’âme par les mauvaises pensées ; le cœur par les mauvais désirs ; les oreilles par les paroles déshonnêtes et équivoques, et les yeux par les regards lascifs et licencieux.

Tandis que nous nous amusons à rire des sottises qui se disent à la Comédie, et des offenses de Dieu, dit encore ce Père, nous commettons les deux plus grands crimes qu’on puisse commettre, dont l’un est de nous faire des blessures mortelles ; et l’autre est de les faire à Dieu même : « Cum duo sint maxima mala, si homo aut seipsum perimat, aut Deum lædat, utrumque in ludis publicis agitur. »