(1694) Sentiments de l’Eglise et des Pères « CHAPITRE IV. Deux conséquences que les Pères de l’Eglise ont tirées des principes qui ont été établis ci-devant. » pp. 82-88
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(1694) Sentiments de l’Eglise et des Pères « CHAPITRE IV. Deux conséquences que les Pères de l’Eglise ont tirées des principes qui ont été établis ci-devant. » pp. 82-88

CHAPITRE IV.
Deux conséquences que les Pères de l’Eglise ont tirées des principes qui ont été établis ci-devant.

Le but que se sont proposés les Saints Pères dans les instructions qu’ils donnaient à leurs peuples, a toujours été la réformation des mœurs. C’est pourquoi non seulement ils tâchaient de leur donner une grande horreur du vice ; mais ils les portaient aussi à fuir et à éviter les personnes qui pourraient les y porter. C’est sur ce principe que sont fondées deux conséquences.

La première est, qu’il faut chasser les Comédiens. Ce sont les propres termes de saint Chrysostome. Ces gens-là étant, déclarés infâmes, comme ils sont, dit-il, il les faut chasser.

C’est sur ce principe que le Concile de Paris, tenu en 829. sous Louis le Débonnaire, exhorte ce Prince à ne les pas entretenir ; et il les met en parallèle avec les impudiques, « impudicos et histriones non nutrire. »

C’est sur ce principe que Philippe Auguste les chassa de sa Cour les regardant comme les ministres du diable, dit Rigord son Historien ; et étant persuadé que leur donner les beaux habits qu’il quittait, c’était sacrifier aux démons. « Histrionibus dare, dæmonibus est immolare. » C’est pourquoi, suivant l’exemple du saint Empereur Henry I. il aima mieux les faire vendre, pour entretenir les pauvres, de l’argent qui en viendrait.
Mézeray qui loue fort ce grand Prince d’avoir chassé les Comédiens, nous en fait cette peinture.

Ce sont, dit-il, des gens qui ne servent qu’à flatter et à nourrir les voluptés et la fainéantise ; et à remplir les esprits oiseux de vaines chimères, qui les gâtent, et qui causent dans les cœurs des mouvements déreglés que la sagesse et la religion commandent si fort d’étouffer.

C’est sur ce principe que le grand saint Louis les chassa de sa Cour, histriones aula exegit, dit Paul Emile.

C’est sur ce principe que saint Charles Borromée témoigne dans un de ses Conciles, qu’il fallait prier les Magistrats de les chasser de Milan et de toute la Province, comme des gens perdus ; et de punir tres sévèrement les Cabaretiers et autres telles gens qui les recevraient chez eux.

C’est ce qui fit aussi que Ghuevara Gouverneur de Milan, les chassa effectivement de cette Ville, à la sollicitation de ce S. Archevêque, comme des gens qui passaient leur vie dans un métier honteux, et qui ne s’occupaient qu’à corrompre les bonnes mœurs de ceux qui les allaient voir, par des fables souvent déshonnêtes qu’il leur débitaient, « qui turpibus plerumque fabulis ad depravandos spectatorum mores accommodatis, sordidum quæstum faciunt ».

C’est sur ce principe que le Jésuite Mariana considérant les Comédiens, comme des gens tous corrompus et propres à corrompre les autres, exhorte Philippe III. Roi d’Espagne à les exterminer de son Royaume, et à ne pas souffrir qu’ils pervertissent ses sujets « Exturbet eam pravitatem, neque concedat mores suorum ea turpitudine depravari. »
Nous voyons aussi dans Tacite, que l’Empereur Tibère les chassa autrefois de toute l’Italie, par un Décret du Sénat.

Et certes, si l’on a toujours eu en horreur, et si l’on a exterminé autant qu’on a pu les empoisonneurs ; parce qu’on n’a rien de plus précieux que la vie du corps, laquelle ils tâchent d’ôter. Avec quelle exécration ne doit-on pas regarder les Comédiens, qui empoisonnent les âmes, et qui faisant doucement avaler le venin des passions dans les comédies, ôtent la vie de la grâce, qui est incompatible avec elles.

Lorsqu’on a une fois avalé le poison, l’on ne peut plus ensuite en empêcher l’effet, il faut qu’il agisse sur le corps ; il en est de même pour l’âme. Ainsi quand un jeune homme a été prendre quelques malheureuses leçons à la comédie, et qu’on lui a, par exemple inspiré, ou l’amour des plaisirs ou du luxe, ou de l’ambition, ou de la vengeance, il est après cela bien difficile de l’en guérir.

Il ne faut pas attendre que les Comédiens se puissent réformer. Ils cesseraient d’être ce qu’ils sont, et ne pourraient plus divertir le monde, s’ils n’émouvaient les passions. L’innocence est tout-à-fait incompatible avec cette profession.

La deuxième conséquence que les Pères de l’Eglise ont tirée des principes qui ont été ci-devant établis, c’est qu’il n’est pas permis de contribuer à la subsistance des Comédiens ; parce que c’est entretenir le vice. Ceci est fondé sur ce qui est dit dans le 12. chapitre de l’Ecclésiastique, verset 7. Ne donnez rien à l’impie, et empêchez qu’on ne lui donne de quoi se nourrir. « Ne dederis impio, prohibe panes illi dari » ; car vous trouverez un double mal dans tout le bien que vous lui ferez, parce que le Très-haut hait les pécheurs, et qu’il exerce sa vengeance sur les méchants. « Duplicia malæ invenies in omnibus bonis, quæcumque feceris ; quoniam Altissimus odio habet peccatores, et impiis reddet vindictam. »

S. Augustin soutient que c’est faire un péché énorme, que de donner quelque chose aux Comédiens, parce que c’est louer et entretenir le pécheur dans les désirs criminels de son âme, et donner des bénédictions à celui qui fait mal. « Donare res suas histrionibus, vitium est immamane : quia laudatur peccator in desideriis animæ suæ, et qui iniquè agit, benedicitur. »
Cet incomparable Docteur met encore ailleurs les Comédiens en parallèle avec les femmes de mauvaise vie, qu’on sait bien ne pas devoir être entretenues dans leurs désordres. Ceux qui donnent quelque chose aux Histrions et aux femmes perdues, dit-il, n’ont pas égard à la nature, qui est l’ouvrage de Dieu ; mais ils ne considèrent que la dépravation de ces gens-là, dont ils tirent du plaisir. « Qui donant histrionibus et meretricibus, non ibi attendunt naturam operis Dei ; sed nequitiam operis humant. »
Le grand saint Grégoire se plaint aussi de cet abus qui régnait de son temps : il y a quelques gens riches, dit-il, qui font de grandes largesses aux Histrions, tandis que les pauvres périssent de faim. « Nonnulli hujus mundi divites, cum fame cruciantur pauperes, effusis largitionibus nutriunt Histriones. »
Jean de Sarisbery fait la même plainte, et dit que plusieurs personnes riches par une magnificence aveugle et très digne de mépris, prostituent leurs faveurs, et font des dépenses qui doivent plutôt faire pitié, que donner de l’admiration, afin de faciliter à des Comédiens et à des Bouffons le moyen de faire paraître davantage leur méchanceté. « Gratiam suam Histrionibus et Mimis multi prostituunt ; et in exhibenda malitia eorum cœcâ quadam et contemptibili magnificentiá, non tam mirabiles, quam miserabiles faciunt sumptus. »
Les cœurs des hommes sont si pervertis et si mal tournés, dit encore excellemment saint Augustin, qu’ils s’imaginent que le monde est heureux, lorsque ceux qui l’habitent, ne travaillent qu’à embellir leurs maisons ; et qu’ils ne font pas d’attention à la ruine de leurs âmes, lorsqu’on s’amuse à bâtir des Théâtres magnifiques, et qu’on détruit les fondements de la vertu ; lorsque les riches dans l’abondance des biens où ils se trouvent, mettent leur gloire à entretenir les débauches des Comédiens, pendant que les pauvres gémissent dans la misère, et que les choses les plus nécessaires à la vie leurs manquent. Quand Dieu permet que ces choses arrivent, c’est alors qu’il est plus en colère. Et quand il laisse ces crimes impunis ; c’est alors qu’il les punit plus sévèrement. Et quand il ôte aux riches le moyen d’entretenir leurs vices, et qu’il réduit à la pauvreté l’abondance qui leur était si funeste, c’est un traitement qu’ils doivent considérer comme un effet d’une grande miséricorde de Dieu à leur égard.
Qu’on juge après cela si le Théologien a raison de dire, comme il fait, « non seulement il n’y a point de péché à assister les Comédiens, mais encore, c’est une action de justice de leur donner, comme l’on y est obligé, la récompense de leur ministère ».

O étrange ministère qu’on est obligé de récompenser ! Les Comédiens contribuent à la damnation de leurs spectateurs : et il faut encore que les spectateurs les payent de leurs peines. Mais parlons mieux, comme les spectateurs sont cause que les Comédiens jouent ; ce sont eux aussi qui se chargent de répondre devant Dieu de leur péché. Car ils ne joueraient pas s’ils n’avaient point de spectateurs. Ainsi ce sont eux qui les font demeurer dans leurs professions criminelles. Or la raison souffre-t-elle qu’on fasse son divertissement du péché des autres, qu’on les porte à offenser Dieu, et qu’on se rende complice du mal qu’ils font ? Le péché des Comédiens est énorme, puisqu’il est puni dès cette vie de l’Excommunication et de l’infamie, qui sont les deux plus grandes punitions qu’aient l’Eglise et l’Etat civil : le péché de ceux qui contribuent à leur entretien, ne peut donc pas être léger. Que tous ceux qui vont à la Comédie fassent un peu de réflexion à cela.

La misère déplorable du temps, rend encore leur péché plus grief. Car si tous les Abbés, les jeunes fainéants, les Dames mondaines et autres telles gens qui ne plaignent pas trois ou quatre Louis à une Loge, pour passer deux ou trois heures de temps à voir offenser Dieu, en avaient donné chacun la moitié aux pauvres : combien y en aurait-il eu de soulagés, qui ne seraient pas morts de faim. Ils doivent donc craindre que Dieu ne leur dise en son jugement ; « quia non pavisti occidisti ». Vous êtes coupables de la mort d’autant de personnes que vous en auriez pu sauver en les assistant de ce que vous avez prodigué pour votre plaisir. Enfin on doit conclure que la Comédie est un plaisir contraire aux bonnes mœurs, aux règles de l’Evangile, aux décisions de l’Eglise, aux sentiments des Saints Pères, de tous les Auteurs Ecclésiastiques, de tous les gens de bien qui ont une piété solide, et que même elle est contraire aux sentiments des honnêtes Païens, comme on l’a fait assez voir.