(1825) Des comédiens et du clergé « Des comédiens et du clergé. —  piété et bienfaisance d’un comédien.  » pp. 365-370
/ 272
(1825) Des comédiens et du clergé « Des comédiens et du clergé. —  piété et bienfaisance d’un comédien.  » pp. 365-370

piété et bienfaisance d’un comédien.

On a déjà vu dans les chapitres précédents que la qualité de comédien n’excluait pas la pratique de la piété, et que plusieurs d’entre eux se faisaient un devoir de suivre les obligations qui nous sont imposées par la religion, en même temps qu’ils exerçaient leur propre profession.

Beauchâteau (François Châtelet de) gentilhomme de naissance, et comédien de la troupe de l’hôtel de Bourgogne, où il débuta en 1633, avait coutume d’entendre la messe, chaque jour, en l’église de Notre-Dame à Paris ; il y rencontra auprès d’un pilier une femme qui avait la tristesse imprimée sur le visage, et qui fondait en pleurs et en gémissements. Le comédien qui avait l’âme bienfaisante et plus sensible que tous ceux qui se trouvaient alors dans l’église, s’approcha de cette femme, et lui demanda la cause de tant de chagrin et de tant de larmes ! La malheureuse lui répondit avec fierté qu’elle n’avait pas besoin de consolateur, et qu’elle ne demandait rien à personne. Beauchâteau, qui savait que l’infortune donne à l’âme de l’élévation, ne se rebuta point ; à force de prières et de paroles respectueuses, il parvint à lui faire raconter qu’un désastreux procès l’avait réduite au point de manquer de tout, et que ne pouvant ni se résoudre à mendier, ni à retourner dans la chambre qu’elle avait louée, parce qu’il lui était impossible de payer le terme qu’elle devait à l’hôte, elle était décidée à se laisser mourir de faim dans l’église.

Beauchâteau, touché de ce récit, supplia cette femme de venir chez lui, lui promit que rien ne lui manquerait, et que son épouse s’empresserait de la consoler. Cette dame se rendit à des offres si généreuses, et crut devoir, par reconnaissance, instruire son bienfaiteur des particularités de sa famille. En présence de Beauchâteau et de son épouse, elle raconta qu’elle appartenait à de très honnêtes gens ; mais que sa mère, devenue veuve, avait dissipé son bien et celui de ses enfants ; qu’alors elle fut obligée de demeurer avec un frère qui subsistait par le moyen d’un bénéfice.

Elle ajouta qu’elle avait eu une sœur qui était morte dans un couvent, après y avoir vécu dans la plus grande austérité, pour expier la faiblesse de s’être laissé abuser par l’amour, et par un président de qui elle avait eu une fille, mais que malgré des recherches multipliées, elle n’était jamais parvenue à faire aucune découverte sur le sort de cet enfant.

Beauchâteau fut moins étonné de ce récit que sa femme ; elle l’avait écouté avec une attention inquiète ; à la fin, ses doutes étant éclaircis, elle ne put retenir son émotion ni ses larmes, et se précipita dans les bras de cette dame en disant : Ma chère tante ! Ma chère tante ! C’est moi qui suis cette fille inconnue ! C’est moi qui suis votre nièce ! Quelle joie pour cette malheureuse de trouver dans la femme de son bienfaiteur une nièce qu’elle croyait perdue ! Beauchâteau, qui n’avait cru faire du bien qu’à une étrangère, était enchanté d’obliger la tante de sa femme, et de lui avoir sauvé la vie.

Ce comédien mourut en septembre 1665.

Il eut un fils qui parvint à un degré de célébrité, car, dès l’âge de huit ans, il fut mis au rang des poètes de son temps. La reine, mère de Louis XIV, le cardinal Mazarin et le chancelier Séguier, se faisaient un plaisir d’exercer l’esprit de cet enfant. A douze ans, il donna un recueil de ses poésies ; quelque temps après, il fut en Angleterre ; on croit que de là il fit un voyage en Perse. Depuis ce temps on n’a pu découvrir ce qu’il était devenu.

Si les comédiens eussent été des excommuniés dénoncés, aurait-on vu Beauchâteau assister tous les jours à la messe, dans l’église métropolitaine de Paris ? Son fils, qui eût été alors le fils d’un excommunié, aurait-il eu l’honneur d’être le protégé favori de la reine, mère de Louis XIV, Anne d’Autriche, fille de Philippe III, roi d’Espagne, et l’une des princesses les plus pieuses de son temps ? Le cardinal Mazarin, prince de l’Eglise, et le chancelier Séguier, eussent-ils accordé leurs soins protecteurs à un enfant qui n’avait puisé le goût de la poésie que dans la propre profession de son père, si cette profession avait été frappée d’une excommunication réelle ?

Le caractère de bienfaisance que Beauchâteau a déployé dans la circonstance que je viens de décrire, et qui a pris son origine dans la pratique d’un des devoirs que la religion nous impose, doit couvrir et honorer sa mémoire de l’estime générale.