(1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE III. De la comédie et des comédiens chez les païens et chez les chrétiens. » pp. 101-112
/ 446
(1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE III. De la comédie et des comédiens chez les païens et chez les chrétiens. » pp. 101-112

CHAPITRE III.
De la comédie et des comédiens chez les païens et chez les chrétiens.

C’est dans l’intention de repousser les injustes soupçons élevés par M. de Sénancourt contre la pureté de mes intentions, que je vais ici présenter au public, un résumé succinct des faits historiques, et une analyse rapide des principaux raisonnements que j’ai mis en œuvre pour défendre la cause des Comédiens français. Si on désirait de plus grands détails à ce sujet, je renvoie le lecteur à l’ouvrage même6 qui a été attaqué.

Les comédiens de tout temps furent assez souvent auteurs et acteurs à la fois. Ils récitaient et représentaient des pièces de théâtre, la plupart tragiques et imaginaires, dans lesquelles ils peignaient de grandes actions ; ils en composaient des tableaux frappants, capables d’émouvoir leurs spectateurs. C’est en empruntant principalement leurs sujets de la fable, qui leur offrait un paradis et un enfer, que les comédiens de l’antiquité, trouvaient si facilement, dans le séjour céleste des dieux du paganisme, et dans le royaume infernal de Pluton, un merveilleux surnaturel propre à relever et agrandir les objets. Ils plaçaient enfin sur leurs théâtres trois sortes de personnages, savoir, des hommes, des dieux, et des êtres fantastiques ou allégoriques.

Des prêtres du christianisme, pendant plusieurs siècles, n’en ont-ils pas fait tout autant ? Ne se donnèrent-ils pas en spectacle sur des théâtres où ils jouaient la comédie, ainsi que dans les processions, dans les danses et dans les farces scandaleuses et obscènes, au milieu desquelles trop souvent ils profanaient nos plus saints mystères ?

Les jésuites, de tout temps grands comédiens de religion et de vertu, furent également amateurs de comédie. Ils faisaient construire des salles de spectacle dans leurs principaux collèges. Ils y inspiraient à leurs écoliers le goût du théâtre, et dès l’âge le plus tendre ils les faisaient monter sur les planches, et ils y montaient eux-mêmes pour y jouer la comédie.

Telle a été la conduite des jésuites jusqu’à l’époque de leur destruction. Assurément il n’est jamais venu à la pensée du clergé de France de frapper les disciples de Loyola d’excommunication, ni de fulminer contre eux les canons et décrets des conciles d’Elvire et d’Arles, concernant les gens de théâtre. Pourrait-on s’en étonner ? Les jésuites ne faisaient-ils pas trembler eux-mêmes les rois et les souverains pontifes ? N’exerçaient-ils pas une suprématie orgueilleuse sur le clergé séculier ?

Si on veut connaître les processions licencieuses, les farces indécentes et les représentations profanes que les jésuites se permirent à diverses époques, on pourra en prendre connaissance dans le livre des Comédiens et du Clergé, aux pages 136, 142, 143 et 144. On y remarquera, entre autres, qu’ils voulurent, dans l’une de leurs processions, tourner en ridicule un des plus célèbres pères de l’église, ainsi que ses disciples, parce qu’ils furent les défenseurs de la grâce. Je veux parler de saint Augustin.

Nous démontrerons bientôt que les conciles d’Elvire et d’Arles, que nous venons de citer, ne sont plus applicables aux comédiens français, et nous ferons connaître les décisions des papes à l’appui de nos assertions.

Nous allons citer encore au nombre des comédiens les clercs de la Basoche, qui s’étaient rendus recommandables depuis longtemps par leurs poésies. Ils s’étaient constitués vrais comédiens, en obtenant la permission de jouer leurs ouvrages, qui étaient déjà connus sous le nom de pièces de moralité. Dans ces pièces, ils y personnifiaient les vertus et les vices. Ils y joignirent des farces, qui étaient des pièces satiriques contre des personnages respectables par le rang et la naissance. Leur théâtre fut établi en 1580, sur la table de marbre dans la grande salle du palais, et jamais les clercs de la Basoche ne furent excommuniés pour avoir joué la comédie.

Nous ajouterons, en passant, que dans l’antiquité, comme chez les modernes, la profession de comédien eut également des attraits pour les nobles ou gentilshommes. Sans entrer dans de grands détails à ce sujet, je me contenterai de citer Favo, noble Romain, vivant en l’an 81. Il exerçait la profession de bateleur. C’est lui qui représenta Vespasien aux funérailles de cet empereur ; et, selon la coutume de ces temps-là, il en joua le personnage en imitant et en contrefaisant les paroles, les gestes, les mœurs et les inclinations de ce prince.

Dans l’histoire, les troubadours, pour la plupart gentilshommes, étaient aussi de vrais comédiens ambulants, qui se faisaient une gloire, ainsi que les clercs de la Basoche, dont nous avons parlé plus haut, de représenter eux-mêmes leurs poésies. Par ce moyen ils introduisirent en France le goût de la comédie et du chant.

On pourrait encore citer un grand nombre de gentilshommes qui, jusqu’à nos jours, par goût encore plus que par nécessité, se vouèrent à la profession de comédien, qui d’ailleurs avait obtenu le privilège extraordinaire et bien remarquable de ne point déroger à la noblesse. Or, on n’a jamais vu de gentilshommes excommuniés pour avoir joué la comédie et en avoir exercé la profession.

Ce qui a été dit plus haut sur la corruption des prêtres comédiens, est prouvé par les canons des conciles de Carthage, de Mayence, de Tours, de Reims, de Chalon-sur-Saône m, etc., qui défendaient au clergé de jouer la comédie et d’assister à des représentations théâtrales. Cela est encore attesté par l’histoire inexorable, cet épouvantail de l’hypocrisie, et qui déplaît tant à la bigoterie fanatique et ignorante.

Il est donc prouvé que des moines et des prêtres, ainsi que des évêques et des archevêques, exercèrent en quelque sorte l’art du comédien ; mais plus souvent comme amateurs, pour leur plaisir.

Le clergé, à des époques plus ou moins reculées, en donnant lui-même l’essor à des comédies, la plupart licencieuses et de mauvais goût, était bien éloigné de se montrer rigoriste envers les comédiens dont, en quelque sorte, il partageait la profession. C’est alors qu’à l’exemple des païens les prêtres employaient les mêmes ressorts pour émouvoir puissamment leurs spectateurs, à l’exception cependant qu’ils puisaient le sujet de leurs compositions dans les vérités de la révélation.

C’est dans les farces indécentes et dans les danses souvent obscènes que le clergé, alors ignorant et fanatique, faisait intervenir la caricature de toutes sortes de personnages, sans en excepter le Père éternel, son fils J. C., le Saint-Esprit, la Sainte-Vierge, les saints, les démons, et des hommes chargés quelquefois des rôles les plus profanes.

Ce que je viens d’exposer sommairement sur les prêtres qui ont joué la comédie, dont on trouve la preuve et les détails dans le livre des Comédiens et du Clergé, n’aurait pas dû irriter la susceptibilité de M. de Sénancourt. C’est bien à tort qu’il y découvre une tendance coupable. Il lui est bien libre, sans doute, d’avoir une opinion à cet égard, mais son opinion ne peut jamais constituer un crime, un délit ; cependant, si M. de Sénancourt était un juge, son opinion serait homicide, elle constituerait une peine, une punition plus ou moins grave. Cette opinion sur la tendance est donc purement inquisitoriale, ou du moins elle a une tendance à ramener l’inquisition, dont les conséquences inévitables sont les vexations, les persécutions, les arrestations, les assassinats judiciaires, et enfin la torture et les bûchers.

M. de Sénancourt, et la chose est claire, voudrait m’accuser de porter atteinte aux choses saintes, d’exciter la haine contre les ministres de l’autel, et nuire à la religion. Il lui répugne que je professe moi-même du respect pour cette même religion ; car, suivant lui, ce respect n’est qu’une vénération apparente. Il préférerait de ma part des attaques inconvenantes et irrespectueuses qui tourneraient en ridicule notre sainte religion, afin d’avoir sans doute la douce jouissance si jésuitique, de me voir condamné comme sacrilège.

M. de Sénancourt me fait donc un reproche sérieux de raconter historiquement les excès de prêtres ignorants, fanatiques et superstitieux, qui autrefois déshonoraient le caractère sacré dont ils étaient revêtus. Cette publication ne déplaît qu’aux prêtres corrompus, qui veulent imposer silence à leurs surveillants pour obtenir l’impunité. C’est par cette raison qu’ils portent tant de haine à la liberté de la presse.

Que dirait donc M. de Sénancourt, si je venais à réclamer contre un scandale évidemment nuisible à la religion qui depuis trop longtemps subsiste aux yeux de tous les Parisiens, et excite la désapprobation et le dégoût ? On voit en effet, dans l’une des cures les plus importantes de Paris, et qui a l’honneur d’être la paroisse de notre auguste souverain, un curé dont la réputation est attaquée de la manière la plus virulente et qui néanmoins ne s’est pas encore justifié dans l’opinion publique. Il est accusé, comme parjure et faussaire, d’imposture et de mensonge. Son accusateur prétend prouver que ce prêtre a spéculé sur les malheurs d’une auguste victime de la révolution7, et qu’au moyen d’un faux matériel, il en a tellement imposé, qu’il est parvenu d’abord, à certaines époques, de ramasser à son profit d’abondantes aumônes ; et profitant d’un crédit usurpé, il aurait enfin obtenu l’une des meilleures cures de Paris, qui n’aurait dû être confiée qu’aux talents et à la science, unis à la vertu.

Je ne me range point parmi les accusateurs de M. le curé de Saint-Germain l’Auxerrois ; mais de deux choses l’une, ou ce curé est coupable et il est indigne du poste qu’il occupe, ou il est innocent et alors son caractère sacré lui impose l’obligation de prouver publiquement et authentiquement son innocence, de la manière et sous telle forme que le jugeront convenables ses supérieurs. En attendant il doit s’éloigner de son emploi, sous peine d’être violemment soupçonné du crime de faux ; telle est la conduite qui devrait lui être imposée tant que l’accusation d’imposture pèsera sur son front ridé, qui jusqu’alors repousse la vénération et le respect qui sont dus au poste qu’il occupe.

M. de Sénancourt va me dire encore que c’est nuire à la religion et exciter la haine contre les prêtres, que de dévoiler leur inconduite et leur corruption ; et moi je lui répondrai que c’est précisément ce fatal principe qui a le plus nui jusqu’à présent à la religion et au respect qu’on doit aux bons prêtres. M. de Sénancourt ne sait donc pas que ce principe qu’il professe, se trouve inscrit positivement et clairement dans les constitutions de l’infâme société des jésuites dont on ne saurait trop dévoiler les doctrines fausses et horribles ainsi que tant d’auteurs l’ont prouvé et pour ainsi dire inutilement, tant est grande leur influence !

Il n’est donc pas étonnant que les pères de la foi aient conçu une haine si violente contre cette précieuse liberté de la presse, vrai palladium de la morale politique, de la morale religieuse et de la morale particulière. Ils ne savent que trop combien cette liberté de la presse est capable de dévoiler leurs menées et leurs séductions et combien la publicité des désordres qu’ils répandent de tous côtés s’oppose à l’impunité à laquelle ils aspirent. Leur esprit d’indépendance s’irrite toutes les fois qu’on leur oppose une digue pour arrêter les progrès de leurs entreprises fanatiques et audacieuses, qui, sans cesse, troublent l’ordre social.

C’est donc en affectant un rigorisme anarchique, que ces hypocrites non seulement nuisent essentiellement à la religion, mais ils insultent encore à l’autorité séculière qui veille au maintien de la tranquillité publique et qui protège, autorise, paie et honore les comédiens.

Pourquoi voudrait-on qu’une juste surveillance sur les ecclésiastiques prévaricateurs et fanatiques, recélât une intention irréligieuse ? Cette surveillance ne peut réellement faire tort aux bons prêtres qui professent la charité évangélique en dépit de la funeste influence anti-chrétienne, que les disciples de Loyola exercent aujourd’hui. Les ministres des autels qui se rendent recommandables par une piété éclairée, sont présentement plus nombreux qu’on ne le pense : en effet depuis le rétablissement du culte et surtout depuis la restauration, le zèle des chrétiens, ranimé par les pieuses exhortations des prêtres, s’est tellement accru, qu’on voit les fidèles remplir les églises à l’heure des offices, et entendre les prédicateurs avec une attention vraiment exemplaire.