(1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE VIII. Actes de fanatisme et avanies exercés par quelques prêtres, contre des Comédiens français. » pp. 141-148
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(1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE VIII. Actes de fanatisme et avanies exercés par quelques prêtres, contre des Comédiens français. » pp. 141-148

CHAPITRE VIII.
Actes de fanatisme et avanies exercés par quelques prêtres, contre des Comédiens français.

Par quel délire des hypocrites, des fanatiques, des murailles blanchies o, se permettent-ils d’abuser d’un crédit qu’ils usurpèrent ? De quel droit, suivant leur caprice, refusent-ils la sépulture et les prières de l’église, à des chrétiens paisibles qui ne sont point en faute ? Pourquoi prétendraient-ils, contre toute justice et en dédaignant les formes prescrites par l’église, exercer contre des citoyens et sans l’aveu du prince, une action publique, une punition et un déshonneur sensibles, qui affligent les familles, qui mettent le peuple en émotion et troublent l’ordre public ? Ces prêtres orgueilleux frappent de réprobation des comédiens, à raison de leur profession d’acteur de comédie, et ils feignent d’ignorer que ces citoyens sont autorisés à exercer leur art sous la protection de l’autorité ecclésiastique et séculière ; mais Dieu vous désapprouve et il vous frappera lui-même, « percutiet te Deus, paries dealbate ». (Act. Apost., chap. xxiii, vers. 3.) C’est l’apôtre saint Paul et l’évangéliste saint Luc qui ont prononcé votre condamnation.

Les prêtres devraient savoir enfin que la police des théâtres, est uniquement dépendante de l’autorité séculière. Ils devraient encore faire attention, que blâmer et anathématiser ce que la loi et le prince autorisent, récompensent et honorent, c’est tout à la fois manquer de respect au prince et à la loi. Ce reproche est d’autant plus fondé, que la conduite de ces prêtres si mal conseillés, est en contradiction manifeste avec l’autorité temporelle de notre gouvernement, et avec l’autorité spirituelle du pape, ainsi que je l’ai déjà démontré dans le courant de cet écrit.

Les acteurs de théâtre, honorés et honorables, sont entièrement assimilés à tous les autres citoyens ; nous l’avons prouvé, et par conséquent, ils ne doivent pas être traités par l’Eglise, plus sévèrement que ces derniers. Pourquoi donc des ecclésiastiques, poussés par un zèle faux et si peu éclairé, méconnaîtraient-ils à ce point leurs devoirs ? Pourquoi sont-ils pour la plupart si ignorants et si peu instruits dans les matières théologiques ? s’ils en eussent fait une étude particulière, s’ils les eussent méditées en s’éclairant au flambeau de la morale évangélique, et en se réchauffant au foyer divin de la charité chrétienne, ils ne commettraient pas si souvent des fautes qui leur sont inspirées par l’orgueil, et ils ne feraient pas de fausses applications des saints canons et décrets des conciles. Par quels motifs voudraient-ils faire éprouver aux comédiens, à des époques plus ou moins rapprochées, des outrages non mérités ? Ces avanies, je le répète, affligent tous les hommes sensés, mettent la désolation dans les familles, produisent le mécontentement général, et causent parmi le peuple, des attroupements toujours dangereux.

Ne voulant point donner plus d’étendue à ma réponse, déjà trop longue, à M. de Sénancourt, je me dispenserai de citer plusieurs exemples trop fréquents, de ces refus de sépulture, qui, sans profit pour la religion, toujours ne causèrent que trouble et scandale.

Il semblerait que certains fanatiques, voulant se rendre importants et se faire craindre, font parade d’un faux zèle, qui est si indiscret et si orgueilleux, qu’il ne produit que du scandale et nuit essentiellement à la religion. C’est ce que nous avons vu, il n’y a pas longtemps, à l’occasion du décès d’un acteur10, et c’est à cet événement qu’est due la composition du livre intitulé des Comédiens et du Clergé. Le présent écrit en est la suite. C’est à M. de Sénancourt qu’on doit être redevable de ce supplément qu’a fait naître l’attaque injuste de ce critique qui s’est attaché à me calomnier avec une malignité toute jésuitique.

Le rigorisme ambitieux et ignorant qui frappa d’anathème le cadavre de l’acteur que nous venons de désigner, faillit troubler la tranquillité publique en ameutant le peuple. Chacun, de toute part, exprimait son mécontentement ; on voyait la foule irritée grossir à vue d’œil, de moment en moment, et l’agitation générale faisait craindre de voir renouveler les désordres et les scènes scandaleuses que produisirent toujours les refus de sépulture. Le fanatisme goûtait sans doute cette douce jouissance que lui fait éprouver le trouble qu’il excite et sur lequel il fonde son importance ; mais heureusement le gouvernement, dans sa sagesse, prévint les funestes effets que l’intolérance indiscrète du curé de Saint-Laurent devait produire. Il ne fut employé dans cette circonstance que des mesures de police ordinaires ; l’indulgence et la douceur y présidèrent. Le trouble ne fut point envenimé par ces sortes d’agents provocateurs, d’invention jésuitique, et ne fut suivie d’aucune mise en jugement.

Désormais, et il faut l’espérer, le parti religieux, trop exalté, ne renouvellera plus ces commotions, funestes avant-coureurs de l’inquisition. De pareilles scènes ne se reproduiront plus à la honte de l’autorité séculière, qui peut si facilement les prévenir, et l’autorité ecclésiastique ne doit plus se les permettre. Cet événement sera donc, il n’en faut pas douter, le dernier de ce genre.

Les rois de France sont maîtres chez eux, ils ne sont point soumis à l’autorité ecclésiastique. Aucune puissance n’a le droit de contrarier leur législation et leurs institutions. Les actes émanés du souverain, élaborés et proclamés dans les assemblées législatives, et adoptés par le roi, deviennent loi de l’état. Nulle autorité, hors de notre gouvernement, n’a le pouvoir ni le droit de blâmer, d’infirmer, de condamner ce qui a été fixé par la loi. Il en était ainsi dans notre monarchie ancienne, il doit en être de même dans notre monarchie restaurée.

Or, puisque nos souverains, nos lois et nos règlements de police ont fondé des théâtres et créé des comédiens auxquels ils accordent protection, salaire, pensions et honneurs, aucune puissance ecclésiastique, telle qu’elle puisse être, n’a de droits à exercer sur la profession de comédien.

En frappant d’anathème des acteurs de théâtre, et en exigeant d’eux l’abjuration de leur état, comme incompatible avec l’exercice de la religion, le clergé commet un véritable délit contre la puissance du prince, contre celle des lois, et contre l’autorité du pape. Ce délit est punissable et doit être réprimé. L’autorité séculière se doit à elle-même ces exemples de justice : ils sont absolument nécessaires pour restreindre l’ambition, la cupidité et le fanatisme de certains ecclésiastiques, dont les entreprises causeraient du trouble dans l’état, et corrompraient la pureté de notre sainte religion.

La puissance temporelle est donc la véritable conservatrice d’une religion qui mérite tous nos respects ; car il est démontré, par des faits nombreux dont fourmille notre histoire, ainsi que celle de tous les peuples chrétiens, que si les prêtres n’avaient pas toujours rencontré dans la force et dans l’autorité séculière, une barrière contre leurs écarts, contre leur ambition et leur ignorance, cette même religion serait anéantie par les excès de ses propres ministres.

Il est prouvé, en effet, d’une manière incontestable, que le clergé, dans sa grande majorité, foule continuellement à ses pieds la vraie morale chrétienne et évangélique, et que ses fautes, ses égarements, sa corruption et ses crimes mêmes ne le cèdent en rien aux autres classes de la société. Que de vexations, que de vols, que de parjures, que d’empoisonnements, que d’assassinats n’a-t-on pas à lui reprocher à des époques anciennes et modernes ! Combien de guerres de religion n’a-t-il pas suscitées ! et plus d’un souverain et grand nombre de particuliers succombèrent sous le poignard du fanatisme religieux. L’Espagne en offre aujourd’hui une preuve affligeante.