(1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE IX. Des entreprises de la puissance spirituelle ecclésiastique, contre la puissance temporelle séculière. » pp. 149-173
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(1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE IX. Des entreprises de la puissance spirituelle ecclésiastique, contre la puissance temporelle séculière. » pp. 149-173

CHAPITRE IX.
Des entreprises de la puissance spirituelle ecclésiastique, contre la puissance temporelle séculière.

L’autorité du prince émane de Dieu ; c’est l’apôtre saint Paul qui nous confirme cette grande verité.

« Que toute personne, dit-il, soit soumise aux puissances supérieures…. Il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu…. Ceux qui résistent à l’ordre de Dieu attirent la condamnation sur eux-mêmes… car le prince est le ministre de Dieu pour notre bien…. » (Epit. de saint Paul aux Rom., chap. xiii.)

La puissance du prince est donc la puissance du ministre de Dieu. Lorsque la sagesse du prince parle, tous ses sujets doivent l’écouter, tous doivent lui obéir. Le prince est dans l’étendue de ses domaines, le protecteur placé par la Providence, pour veiller à ce que chacun fasse son devoir et jouisse de ses droits.

Les ministres des autels qui affichent l’indépendance, qui s’opposent aux volontés du prince, qui cherchent continuellement à empiéter sur les droits des souverains et qui font tous leurs efforts pour usurper sur terre une puissance temporelle et soumettre les gouvernements à l’autorité sacerdotale, non seulement sont rebelles à la parole de Dieu, transmise par le saint apôtre que nous venons de citer ; mais encore ils sont criminels aux yeux du christianisme, en foulant à leurs pieds, avec autant d’audace que d’impiété, les divins préceptes de Jésus-Christ, qui a dit, et j’aime à le répéter : « Mon royaume n’est pas de ce monde…. Rendez à César ce qui est à César…p. »

L’autorité ecclésiastique doit être uniquement spirituelle. C’est une hérésie antichrétienne des plus manifestes, de la part de l’ultramontanisme, de vouloir s’ingérer dans les gouvernements de ce bas monde ; d’affecter une espèce de suzeraineté terrestre au-dessus de tous les trônes de la terre ; d’avilir les couronnes et les placer au-dessous de la tiare ; d’entretenir dans tous les Etats une foule de prêtres et de moines qui si souvent dans les affaires temporelles se montrèrent désobéissants envers l’autorité séculière ; d’entretenir enfin auprès des cours l’espionnage jésuitique des enfants de Loyola, afin de tâcher, par des moyens de corruption et par toutes sortes d’intrigues criminelles, influencer et régenter les ministres d’Etat, dans les opérations politiques qui ne doivent dépendre que de la volonté du prince. Cette faction religieuse, qui tend évidemment à dénaturer et anéantir la vraie religion chrétienne qui ne respire que la paix et la charité, est parvenue plus d’une fois à siéger sur le trône apostolique. Elle a adopté un Code pénal religieux, dont les effets sont civils et politiques, sans la permission du souverain temporel et légitime. Elle a enfin poussé la barbarie, jusqu’à prétendre avoir le droit de relever les peuples du serment de fidélité envers le prince légitime, lorsqu’il est excommunié, d’inviter les sujets, leur ordonner même de désobéir à leur prince, de lui faire la guerre, de courir sus, de l’assassiner enfin, par trahison, faute d’autres moyens, et le tout pour la gloire de Dieu et l’intérêt de la religion, comme si le ciel avait besoin de crimes pour maintenir le vrai culte !

C’est dans la violation de ces divins préceptes de Jésus-Christ, que nous venons de citer plus haut, que réside le principe de l’abominable doctrine des régicides. Telle est la source des maux innombrables qui si souvent se renouvelèrent par les entreprises d’un clergé orgueilleux et intolérant. Cette source empoisonnée a produit et reproduit sans cesse des troubles suscités par un fanatisme ambitieux, et des guerres de religion empreintes du caractère particulier d’une cruauté implacable et raffinée. De là, et on ne saurait trop le répéter, tant de parjures, tant d’empoisonnements, tant d’assassinats et tant de régicides, colorés du nom de tyrannicides, et enfin tant de crimes religieux de toute espèce, qui inspirent l’horreur et l’effroi, et qui sont si contraires à la charité, à la douceur et à l’humilité évangéliques ! C’est ainsi, que depuis un si grand nombre de siècles, des souverains faibles et imprudents se laissèrent accabler, en se soumettant à la funeste influence de l’hypocrisie et de la perfidie, masquées d’un voile religieux.

Voilà les véritables causes qui produisirent de si grands schismes en Europe, et forcèrent des gouvernements guidés par la dignité de leur indépendance et effrayés par les prétentions ultramontaines, à se séparer de la communion de l’église romaine.

Les vérités incontestables que je viens de proclamer, ne recèlent rien d’irrespectueux, ni d’offensif, envers le souverain pontife, qui aujourd’hui professe la morale chrétienne et évangélique la plus pure, et qui, par ses éminentes qualités, sert de modèle à tous les vrais chrétiens. Il est le premier, et il n’en faut pas douter, à condamner le zèle indiscret et fanatique de certains prêtres séculiers et réguliers qui, plus ultramontains que les papes eux-mêmes, soutiennent avec tant d’orgueil et d’acharnement, que le père spirituel de la chrétienté, est sur terre au-dessus de tous les gouvernements, et qu’il peut disposer du trône et de la vie des souverains.

Sa sainteté n’approuverait pas, également, que des évêques et des prêtres, aient la prétention de se soustraire, pour le temporel, à l’autorité séculière, dans les pays où ils exercent leurs fonctions sacerdotales, ni qu’ils y formassent un pouvoir terrestre, supérieur, indépendant et en opposition au prince légitime, de manière à constituer une espèce de gouvernement intérieur au milieu même des gouvernements.

Les souverains qui, par trop de condescendance, se laisseraient tromper, dominer et avilir par des prêtres et par des moines factieux et entreprenants, compromettraient leur dignité ; car, leur devoir est d’être jaloux du pouvoir que Dieu leur a décerné. Ils ne doivent point oublier qu’ils sont destinés à faire le bonheur des peuples.

La puissance séculière doit, lorsqu’il est nécessaire, montrer un bras armé pour maintenir sa propre autorité et faire respecter la religion, non seulement par le peuple, mais encore par les prêtres eux-mêmes, qui, si souvent, se sont livrés à des excès en tout genre et se sont fourvoyés tant de fois, dans un système de fanatisme anarchique et d’envahissement de pouvoir !

Les ecclésiastiques, dans un état, sont, avant tout, les sujets du prince. Ils sont par conséquent soumis, comme les autres citoyens, à la loi commune ; mais il ne faut pas oublier qu’ils tiennent aussi à un autre chef suprême, au souverain pontife, auquel ils ne doivent obéir que pour le spirituel ; mais combien n’y en a-t-il pas eu parmi les prédécesseurs de ce dernier, qui, éblouis par la nature de leur dignité et par l’éclat de leurs fonctions, comme vicaires de Jésus-Christ, ont abusé de la majesté de la religion pour prétendre mal à propos à une supériorité directe sur les rois !

Cette supériorité, au spirituel, n’est pas douteuse ; mais au temporel, après avoir été longtemps disputée pendant les temps d’ignorance, de superstition et d’abrutissement, elle est enfin considérée comme n’étant qu’une usurpation anti-chrétienne, que les souverains, autrefois, eurent tant à redouter ! Cette usurpation trouve encore aujourd’hui de fanatiques défenseurs dans une secte ténébreuse et hypocrite ; je veux parler des disciples de Loyola, qui aspirent avec tant d’ardeur à se faire reconnaître légalement et authentiquement !

Cette société à jamais déshonorée par l’immoralité de ses principes et par la doctrine du régicide qu’elle prêcha audacieusement en bravant les tribunaux, et que malheureusement elle ne mit que trop souvent en pratique, est atteinte de la manie de vouloir à tout prix se donner la mission de régenter les gouvernements et d’asservir les ministres d’Etat auxquels elle s’arroge insolemment le droit d’accorder sa protection. Elle veut enfin asservir et diriger les princes.

Si on veut lire leurs brochures modernes, on y verra que cette infâme et audacieuse société, s’annonce très ouvertement pour être un ordre tout à la fois monastique et politique.

Est-ce là le langage de prêtres chrétiens ? Mais ne sait-on pas que cette société anti-chrétienne se moque également de la religion comme de la morale, et qu’elle se livre avec impudence à toutes sortes d’intrigues, au moyen de congrégations, de confréries du sacré-cœur, et de clubs jésuitiques ?

C’est dans ces différents repaires que les jésuites, pères de la foi et missionnaires universels, prétendent former l’opinion publique, s’en emparer pour la diriger. C’est là qu’ils prétendent régler les intérêts des souverains, des gouvernements et des peuples. Déjà ils parviennent à procurer à leurs partisans les plus dévoués des emplois publics et importants.

Cette société ambitieuse et sans cesse agissante a tout osé, car elle a renversé de fond en comble la religion chrétienne pour y substituer une nouvelle religion de son invention, une religion jésuitique, mais infâme, car leurs maximes favorites sont, que la religion ne peut se soutenir et triompher, que par le pouvoir absolu et les richesses, que par la force, la terreur et les supplices, et enfin, que par les crimes les plus odieux, en soutenant que ces crimes deviennent des vertus, lorsqu’étant commis avec une direction d’intention, ils ont pour but l’intérêt de la religion et de la gloire de Dieu.

Quel est l’homme de bonne foi, qui oserait reconnaître dans cette atroce religion jésuitique, la vraie et sublime religion chrétienne, qui ne veut se propager, que par la douceur et la persuasion, et qui est fondée sur la charité et sur l’humilité évangéliques ?

Les prétentions ultramontaines ne sont qu’assoupies et non détruites. On doit toujours se souvenir qu’on a vu des Papes ambitieux et audacieux, employer les armes de la religion, si imposantes sur l’esprit des hommes, pour renverser des trônes, pour anéantir des gouvernements, pour enlever la vie à des souverains, et répandre par le fer et la flamme la discorde, la désolation et la destruction au sein des nations.

La tiare voulait exercer autrefois un pouvoir absolu sur tous les Etats de la chrétienté : elle y comptait des milliers d’ecclésiastiques et de moines dévoués au saint-siège, elle les y considérait comme des troupes fidèles qu’elle y faisait stationner pour ses intérêts.

De pareils dangers, sans doute, nous menacent encore ; mais on sait, il est vrai, que la justice et la modération du souverain pontife actuel, ainsi que nous l’avons déjà dit, éloignent pour longtemps de semblables catastrophes ; cependant, puisque l’expérience nous a démontré qu’elles avaient eu lieu dans un temps, la prudence doit nous commander de prendre des mesures, pour empêcher qu’elles ne puissent renaître à une autre époque.

Tout nous indique que les factions religieuses du monachisme, du fanatisme et du jésuitisme ultramontain, exercent aujourd’hui leurs fureurs dans la péninsule. Elles font tous leurs efforts, au moyen de leurs correspondances avec Montrouge, etc., pour franchir les Pyrénées, où nous devrions, avec plus de raison, établir un cordon sanitaire religieux, pour empêcher les disciples de saint Ignace de Loyola de reproduire en France de pareils désastres.

Les princes doivent donc être toujours en garde contre les actes du clergé, qui seraient attentatoires au pouvoir temporel du souverain, car l’autorité spirituelle, sans cesse rivalise l’autorité séculière des gouvernements, elle tend à l’affaiblir, à la dominer, et enfin à la détruire, si elle ne peut parvenir à la subjuguer.

Un des meilleurs moyens que puisse employer le gouvernement, pour résister à la faction jésuitique ultramontaine et s’opposer à l’empiètement de l’autorité spirituelle du clergé, est de comprimer les intrigues et les cabales des congréganistes, si dévoués aux pères de la foi, et qui, par l’influence des coteries et des confréries, parviennent à obtenir toutes les places et tous les emplois ; il faut qu’il surveille autant qu’il est possible, les prêtres et les jésuites qui entourent les grands, excitent parmi eux les passions ambitieuses, et cherchent avec hypocrisie à fanatiser et à séduire toutes les classes les plus distinguées, ainsi que les moins éclairées, afin d’augmenter et de fortifier le pouvoir de l’autorité spirituelle.

Il est une vérité reconnue de tout temps, que deux pouvoirs, qui chacun prétendent à l’indépendance, ne peuvent longtemps subsister à côté l’un de l’autre, sans se nuire réciproquement, sans se faire la guerre. Enfin, l’un, prenant le dessus, détruit ou subjugue entièrement l’autre.

C’est ce qui est déjà nécessairement arrivé et arrivera toujours, entre le pouvoir spirituel ecclésiastique et le pouvoir temporel séculier. Les fonctions et les attributions de ces deux pouvoirs, doivent être à jamais distinctes et séparées les unes des autres. Ce serait l’imprévoyance la plus blâmable et la plus funeste, si le pouvoir temporel, qui doit être absolument indépendant du pouvoir spirituel, laissait exercer à l’autorité ecclésiastique la moindre portion d’autorité séculière. Ce premier pas a déjà été funeste, et les conséquences en ont toujours été désastreuses, pour les souverains et pour les peuples.

Sous ce point de vue, il serait bien impolitique, de confier au clergé la tenue des registres de l’état civil, pour les actes de mariage, de naissance et de mort. On sait combien le parti fanatique, réuni à la faction jésuitique, s’agite et s’intrigue pour s’en emparer, principalement pour faire précéder les cérémonies religieuses, à des actes qui sont purement civils, qui ne doivent avoir que des effets civils, et qui, sous ce rapport, sont entièrement indépendants des religions. Le droit naturel est en effet bien distinct du droit divin.

Où en serions-nous, si les prêtres devenant maîtres absolus, de l’expédition des actes importants de la vie et de la mort des citoyens, ils étaient chargés de les enregistrer comme magistrats ? C’est alors que sous prétexte de faire observer par contrainte, les pratiques religieuses, ils mettraient en action leur principe favori, que la religion ne peut se soutenir que par la force et la terreur, tandis qu’elle ne doit obtenir de succès, que par la persuasion, la douceur, l’humilité et la charité.

Les prêtres, une fois devenus les maîtres, se croiraient autorisés légalement à refuser arbitrairement la sépulture, à entraver ou empêcher les mariages, et à tracasser les citoyens pour l’enregistrement des actes de naissance ; que de vexations inquisitoriales, que de refus de sépulture qui ne sont déjà que trop nombreux, que de troubles, que de désordres, n’en résulteraient-ils pas dans l’ordre social, et toujours, d’après ce principe affreux que nous venons de citer, que c’est par la violence et par les punitions, et même par les supplices, qu’on doit obliger chaque particulier à se soumettre aux pratiques des religions qui furent si souvent vides de charité !

Les vexations du parti religieux, seraient d’autant plus accablantes que les gouvernements se laissant influencer, diriger et subjuguer, par l’intolérance religieuse, deviendraient théocratiquement les cruels instruments des vengeances sacerdotales.

Ce parti religieux n’est autre chose que le fanatisme, ligué avec la faction jésuitique ultramontaine, ennemie déclarée de nos libertés de l’église gallicane. Ce parti si redoutable pour les ministres d’état eux-mêmes, et auxquels il intime ses ordres, devient de plus en plus exigeant. Il obtient tout ce qu’il demande. Il s’empare de l’enseignement public ; il supprime partout les maisons d’instruction qui ne lui conviennent point ; il persécute ouvertement le mode d’enseignement mutuel, et il chasse tout individu qui lui porte ombrage. C’est ainsi que ce parti ambitieux et affamé de richesses et d’autorité, bouleverse tout, au risque de porter le trouble dans la société et d’en ébranler l’autorité souveraine.

Il faut pourtant espérer, que le gouvernement ne se laissera pas assez influencer par la secte jésuitique, au point de commettre la faute politique, d’exiger des citoyens, que l’acte religieux précède l’acte civil, pour le mariage, et que les actes de naissance et de mort soient enregistrés par des prêtres. L’ordre actuellement établi ne blesse en aucune manière les droits de la puissance ecclésiastique ; car cet ordre, par sa nature, appartient à l’ordre civil, et ne nuit en rien à l’efficacité du sacrement.

Si on en agissait autrement, ce serait provoquer des abus et des vexations inévitables de la part de l’intolérance et du fanatisme. Et dans quel but je le demande ! apparemment pour plaire à une secte qui corrompt tout ce qu’elle touche. Pourquoi ne pas réfléchir que le retour des persécutions religieuses, serait une source féconde de troubles anarchiques, de désordres et de révolutions, dont il est temps enfin de fermer l’abîme.

On doit donc encore se flatter, ou du moins former des vœux, pour que ce parti religieux, si exigeant, ne parvienne pas à persuader au gouvernement de présenter des lois funestes, qui indiqueraient positivement le désir du ministère :

1°. D’obtenir le rétablissement légal des jésuites régicides, que chacun alors serait obligé de respecter ; 2° la proposition d’un nouveau projet de loi pour accorder au clergé les registres de l’état civil et le constituer comme formant une espèce de magistrature séculière, chargée d’enregistrer les actes de mariage, de naissance et de mort, et dans le mariage, d’exiger que l’acte religieux ou sacrement précède l’acte civil ; 3° d’adopter de nouvelles mesures, soit pour détruire la liberté de la presse, soit pour la museler de plus en plus par de nouvelles lois de tendance, ou par de nouvelles ordonnances qui envahiraient l’imprimerie et la librairie, etc., etc.

Déjà les journaux sont courbés sous la loi de tendance du 17 mars 1822, qui heureusement n’a pas pris naissance sous le règne de Charles X, de ce roi franc et loyal, qui jamais n’aimera les lois inquisitoriales ; mais si une pareille loi, était dirigée contre les auteurs, elle serait terrible contre eux et pourrait un jour servir à condamner tout écrivain, qui déplairait à l’infâme société de Loyola. En effet, il n’est pas une page, une ligne, et même un mot, dans la plupart des écrits de l’opposition, auxquels on ne puisse donner un sens réquisitorial des plus criminels, et par conséquent qui ne deviennent le sujet d’un réquisitoire.

Une pareille loi de tendance, paralyserait entièrement tous les écrivains qui voudraient se dévouer pour combattre le jésuitisme. L’incertitude sur le genre d’accusation, dont ils seraient sans cesse menacés, les paralyserait, et l’opinion déjà connue d’un juge inamovible, pèserait sans cesse sur leur tête, comme autrefois l’épée suspendue sur celle de Damoclès.

La secte de saint Ignace, obtiendrait enfin un triomphe complet en imposant silence à ses adversaires, elle serait toujours sûre de les faire condamner, lors même qu’elle aurait jugé à propos de les accuser d’avoir voulu voler les tours de Notre-Dame, comme le disait un célèbre jurisconsulteq.

Les lois de tendance enfin, qui sans injustice peuvent être classées avec la loi des suspects, sont en jurisprudence ce que les agents provocateurs sont en police. Ces sortes de lois ainsi que les agents provocateurs, sont des pourvoyeurs de prisons qu’ils remplissent aisément de victimes innocentes. Peut-on nier en effet que les uns et les autres ne cherchent que des coupables ? on doit craindre qu’ils ne produisent des persécutions.

La censure serait donc mille fois préférable et moins odieuse. Charles X, un des plus francs et des plus loyaux souverains, n’adoptera jamais une loi de tendance dont le principe est incontestablement inquisitorial. Mieux vaudrait retirer la liberté de la presse : c’est au prince à juger dans sa sagesse, s’il doit adopter cette mesure.

Les deux journaux qui vont être jugés d’après la loi de tendance précitée du 17 mars 1822, sont à la merci de l’opinion de leurs juges. Chacun, il est vrai, peut avoir son opinion ; mais une opinion en matière politique ou religieuse, ne peut constituer qu’arbitrairement un délit, ou un crime, tandis qu’elle va constituer ou produire si facilement, une peine ou une punition. En effet, cette loi n’est autre chose qu’un jury, uniquement composé de juges inamovibles, dont on connaît de longue main l’opinion. Quoique ces juges soient en apparence indépendants, ils ne sont que des juges ordinaires, dont l’indépendance ne ressemble en rien, à celle des anciens parlements qui, autrefois, formaient un contrepoids politique entre l’Etat et le peuple.

La cour royale, en obtenant le privilège de juger d’après son opinion, va se trouver transformée, pour ainsi dire, en chambre ardente. Si elle partage cette idée, qui est bien naturelle, en y réfléchissant, elle se déclarera incompétente, car elle ne peut rien ajouter à sa considération, en acceptant de pareilles fonctions.

Quoi qu’il en soit, si le gouvernement par le seul fait de la présentation des nouvelles lois dont je viens de parler plus haut, annonçait le désir de les obtenir, il serait de toute justice de prononcer auparavant, la dissolution de la chambre des députés. Cette chambre, en effet, devrait être à juste titre, cassée, annulée et renouvelée, attendu que les dernières élections sont presque généralement illégitimes et illégales, tant elles ont été frauduleuses, et opérées par des moyens machiavéliques, dont l’immoralité politique a été si publique et si scandaleuse, que le ministère actuel a désapprouvé lui-même cette immoralité, mais sans avoir encore réparé cette injustice manifeste ; on sait d’ailleurs que de telles manœuvres, ont été commises par l’influence des principes du jésuitisme, qui enseignent que tout est permis, les crimes même, pour arriver à ses fins.

Nous sommes sans cesse menacés du retour des institutions inquisitoriales ; elles s’efforcent de reparaître déguisées sous différentes formes, déjà elles portent le trouble et le désordre dans la société pour y favoriser une secte désorganisatrice. On ne sait que trop, combien l’intolérance en religion comme en politique, fut toujours le fléau de la civilisation !

Il faut donc éviter des mesures, qui tendraient à concéder aux ecclésiastiques une autorité civile et des fonctions mixtes, spirituelles et temporelles, une espèce de magistrature, enfin, comme nous l’avons déjà dit, qui produirait un mal d’autant plus alarmant, qu’il est d’une nature susceptible de s’accroître continuellement en cherchant à tout envahir.

Qu’on ne dise pas que ce soit de vaines craintes. Il faudrait être sourd et aveugle, pour n’avoir pas vu et entendu le parti religieux proclamer leurs prétentions exorbitantes. Il ne cesse d’annoncer aux ignorants, et de faire accroire aux imbéciles que les prêtres, étant les ministres de la Divinité, sont au-dessus des autres hommes, que tous les princes temporels doivent s’humilier devant la puissance spirituelle et temporelle du pape, et qu’ils s’exposent aux plus grands malheurs en lui désobéissant, parce que le sacerdoce, disent-ils, a reçu de Dieu le pouvoir de déposer les rois sur terre, et de mettre sur les trônes de véritables chrétiens. S’ils avaient cette puissance, pourquoi donc ne détrônent-ils pas le Grand-Turc à Constantinople pour y faire siéger le pape ?

Les prêtres se trouvent perpétuellement dans une fausse position, entre l’autorité du souverain dont ils sont les sujets, et l’autorité du souverain spirituel, vers lequel ils sont entraînés par un sentiment religieux irrésistible, de manière qu’en toutes choses ils obéissent de préférence à celui-ci, et qu’ils résistent à celui-là lorsqu’ils croient qu’il y va de l’intérêt de la religion, mais en confondant bien aisément et trop souvent, leurs intérêts personnels et temporels avec les intérêts du ciel.

Les saints Evangélistes viennent à l’appui de ce que je viens de développer, dans l’intérêt direct du prince, qui doit être le chef unique de l’Etat, et dans l’Etat. Voici ce que saint Mathieu et saint Luc en ont dit. Ils se sont exprimés sur ce sujet d’une manière trop précise, pour n’y pas faire une profonde attention.

« Nemo servus potest duobus Dominis servire : aut enim unum odio habebit, et alterum diliget : aut unum sustinebit, adhærebit, et alterum contemnet : non potestis Deo servire et mammonæ. »

« Nul serviteur ne peut servir deux maîtres ; car, ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera et se soumettra à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et les richesses : » (Saint Mathieu, chap. VI, v. 24, et saint Luc, cap. XVI, v. 13.)

D’après les conseils salutaires de ces deux saints évangélistes, on voit évidemment, et avec effroi, qu’il n’y va rien moins que du mépris et de la haine, de la part des prêtres, contre les puissances séculières, et ceux-là préfèreront toujours d’obéir aux souverains pontifes, lorsque le chef de l’église jugerait à propos d’anathématiser les princes, de les excommunier, de les déposer de leurs trônes, de dispenser leurs sujets du serment d’obéissance et de fidélité, de les inviter, de leur ordonner même, de courir sus, contre leur souverain légitime, de lui arracher la vie de vive force, ou de l’assassiner, ou de l’empoisonner par trahison, dans l’intérêt de la religion et pour la gloire de Dieu.

M. de Sénancourt, mon implacable adversaire, et j’ai droit de le considérer ainsi, essaiera peut-être de prouver, que mes sentiments et mes raisonnements ont une tendance séditieuse et irréligieuse ; il accusera sans doute d’hypocrisie, la manière franche et loyale avec laquelle je viens de manifester d’immenses vérités utiles au roi, à l’Etat, et à la vraie religion chrétienne et évangélique. Il prétendra que j’ai voulu exciter la haine contre les bons prêtres, néanmoins si respectables à mes yeux, lorsqu’ils mettent en pratique la charité, cette vertu divine qui est au-dessus de la foi, ainsi que l’a dit saint Paul (voyez ci-dessus page 17).

De quelque manière que M. de Sénancourt et ses semblables, jugent à propos de m’attaquer, je proteste avec toute la force dont je suis capable, contre une calomnie aussi jésuitique et à laquelle très certainement je succomberais, non seulement devant des tribunaux d’inquisition présidés par des jésuites, mais encore par-devant tout tribunal chargé de mettre à exécution des lois de tendance ; heureusement je puis placer toute ma confiance dans la sagesse de notre gouvernement, et dans la surveillance éclairée de notre illustre magistrature.

Depuis longtemps comme aujourd’hui, les magistrats français, ont toujours su remplir avec autant de prudence et d’impartialité que de courage, le plus pénible de leurs devoirs, celui de signaler les progrès de cet esprit d’ambition, de cupidité et d’intolérance fanatique qui brave toutes les lois, qui plus d’une fois fit trembler les souverains sur leurs trônes, et maîtrisa despotiquement les dépositaires de l’autorité en se servant même de cette autorité pour accomplir les plus odieux projets.

C’est donc aux magistrats intègres, c’est aux défenseurs courageux de nos libertés gallicanes, à apprécier l’action du sentiment religieux dans l’ordre social, et, lorsqu’il y a lieu, de savoir résister à l’influence anarchique du fanatisme, qui tend continuellement à corrompre la morale politique, la morale particulière et la morale chrétienne, en y substituant la morale pernicieuse des intérêts que les jésuites sont parvenus à introduire dans toutes les classes de la société.