(1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE X. De la protection due aux Comédiens par le ministère public, contre les entreprises du fanatisme. » pp. 174-185
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(1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE X. De la protection due aux Comédiens par le ministère public, contre les entreprises du fanatisme. » pp. 174-185

CHAPITRE X.
De la protection due aux Comédiens par le ministère public, contre les entreprises du fanatisme.

Ce que nous venons d’exposer en général dans le chapitre précédent concernant les entreprises de la puissance spirituelle ecclésiastique contre la puissance temporelle séculière, doit avoir son application particulière, à la cause des comédiens que j’ai entrepris de défendre. Ceux-ci en leur qualité de citoyens, ont un droit incontestable à la protection du prince, et ses agents doivent les garantir des entreprises du fanatisme et les faire jouir de tous leurs droits.

Il a été déjà démontré que les comédiens du troisième âge, sont entièrement affranchis de toute excommunication de la part de l’église. Il en résulte que les acteurs de comédie étant protégés, salariés, pensionnés et honorés par les souverains et par les papes, aucun prêtre en France, n’a le droit de son autorité privée, d’anathématiser et d’excommunier la profession de comédien, qui a été créée et autorisée par les diplômes du prince, par la législation du pays ; et par conséquent, c’est un véritable délit d’en exiger l’abjuration.

Le refus des prières de l’église et de la sépulture, fait par le clergé aux comédiens, est encore un autre délit manifeste et réel, car c’est infliger une action pénale et imprimer le mépris public, à une profession instituée et régularisée par la volonté et les ordonnances du prince, en vertu des lois du royaume et sous la protection des tribunaux.

Dans cette dernière circonstance, l’outrage est fait non seulement à la personne et à la profession du comédien, mais encore aux autorités suprêmes, qui ont autorisé et commandé son exercice.

Tous les employés du gouvernement qui sont l’organe des lois et les délégués du prince, doivent sans doute donner eux-mêmes les marques du plus profond respect pour la religion, et témoigner de la vénération pour les ministres du culte, lorsque ceux-ci sont pénétrés de la majesté de leurs fonctions et qu’ils méritent l’estime de leurs ouailles, par leur conduite sage et éclairée : mais lorsque ces derniers s’écartent de leurs devoirs, lorsqu’ils commettent des délits et lorsqu’ils troublent l’ordre social par des actes de fanatisme, il faut que les agents du ministère public, aient le sentiment de la dignité du poste qui leur est confié ; il faut qu’ils ne s’en laissent point imposer par le crédit du clergé, ni se laisser effrayer par l’ascendant que les prêtres n’usurpent que trop souvent sur le gouvernement ; et enfin ne pas courber honteusement la tête, sous le joug de la secte ultramontaine, si puissante et si menaçante, qui, aujourd’hui, sème de toute part, la division, le trouble et le désordre.

En ce qui regarde les théâtres, et d’après les institutions anciennes et nouvelles qui les concernent, le clergé n’est point en droit, dans aucun cas, d’exiger d’un acteur l’abjuration de la profession de comédien ; et si les prêtres persistaient dans cette prétention, ils se mettraient en pleine opposition et en plein délit, contre la puissance du prince et celle des lois.

Le délit dont nous venons de parler, considéré sous le point de vue de l’état politique et celui de la législation, impose nécessairement à MM. les procureurs du Roi, l’obligation de surveiller et de réprimer en ce qui les concerne les ministres du culte qui, par un faux zèle de religion, manqueraient au respect qu’ils doivent au souverain, et se mettraient en quelque sorte en insurrection, contre ce qui a été institué par l’action de l’autorité souveraine et par le fait de la législation et des règlements de la police du royaume.

Le ministère public est trop éclairé sur les intérêts de l’Etat et de la religion, et il est trop pénétré de ses devoirs envers le souverain, dont il est l’organe, pour se laisser dominer et avilir par l’influence du fanatisme qui sans cesse fait des efforts pour maîtriser le gouvernement. Il doit aussi surveiller les autres autorités qui, se laissant corrompre ou intimider par l’esprit de parti, viendraient à tolérer ou à seconder les entreprises des prêtres malveillants et ambitieux, qui nuisent essentiellement à l’Etat et à la religion.

MM. les procureurs du roi doivent informer de ce délit, le dénoncer aux tribunaux et faire condamner les délinquants. C’est leur devoir, attendu qu’ils sont eux-mêmes institués pour faire respecter tout ce que le souverain et les législateurs ont voulu et créé, et qu’il n’y a pas de délit plus avéré, ni d’infraction plus complète aux lois du royaume, que d’exiger l’abjuration d’un état que le souverain et les lois ont établi.

S’il en était autrement, MM. les procureurs du roi se rendraient coupables de laisser dans le gouvernement, une puissance qui usurperait sur l’autorité légitime et régulière.

Puisque le clergé ne peut exiger l’abjuration des comédiens, sans se constituer en délit contre la volonté du prince et des lois, il s’ensuit que le refus d’admettre à l’église le corps des acteurs, et de leur accorder des prières, ne peut non plus avoir lieu.

Ce refus de recevoir à l’église le cadavre des comédiens décédés sans confession, est une conséquence de la réprobation de la profession d’acteur. Le clergé, en se déclarant ainsi, ferait l’application de cette punition ecclésiastique d’une manière plus outrageante encore pour le prince et pour les lois, que pour les comédiens mêmes. Il se constituerait par le fait, puissance législative et exécutive dans l’état et punirait dans le corps mort d’un citoyen, le zèle et le dévouement que celui-ci aurait apporté pendant sa vie, à remplir une profession voulue par le prince et consacrée par les lois. Le clergé serait donc en délit permanent contre la puissance législative et exécutive du royaume ?

Quoi ! le roi et les législateurs auraient honoré un comédien pendant toute sa vie, ils lui auraient accordé des regrets à sa mort, ils enverraient consoler sa veuve, ils lui auraient promis une pension, lorsque tout à coup, les justes effets de la puissance et de la munificence souveraine, se trouveraient frappés d’anathème et de déshonneur, par la réprobation d’un prêtre qui leur dirait : « Ce que vous avez voulu, ce que vous regrettez même est réprouvé, va être couvert d’ignominie et du mépris public, telle est ma volonté. Celui dont vous osez prendre la défense est frappé d’une damnation éternelle. » Le prêtre alors, ne serait-il pas dans l’état, beaucoup plus puissant que le prince et les lois ?…

Si le refus de sépulture, ainsi que nous l’avons déjà dit, est plus outrageant pour l’autorité du prince que pour le comédien même, il en résultera aussi, que la classe des personnes dévotes et, ce qui est pire encore, la classe du peuple abrutie par l’ignorance, et par conséquent si susceptible d’être fanatisée, comme elle l’est en Espagne, par le monachisme et le jésuitisme ultramontain, sera autorisée d’après cette conduite du clergé, à blâmer et mépriser le prince et la loi, qui, d’après les allégations du prêtre, se trouveraient en contradiction avec la religion. C’est ainsi que serait atténué le respect inviolable, que les peuples doivent à la personne sacrée des rois. De là naîtraient des pensées, des discours et des actes séditieux ; car le prêtre par sa conduite, semble dire publiquement, le prince et les lois ont tort d’honorer ce qui est digne d’anathème, mon autorité dans l’état est supérieure à celle du prince et à celle des lois, et j’ai la puissance de punir, d’anathématiser publiquement, et sans opposition, les actions sacrilèges du prince. »

MM. les procureurs du roi doivent donc punir ce délit réel, qui est d’autant plus dangereux, qu’il laisse propager une usurpation de pouvoir, qui met le clergé au-dessus du prince et des lois, et qui lui donne les moyens terribles de punir audacieusement et publiquement, ce que le roi et les lois constituent et protègent.

La religion est dans l’Etat, et non l’Etat dans la religion. Telle est la volonté du prince, manifestée dans l’article 6 de la Charte, qui s’exprime ainsi : « La religion catholique, apostolique, et romaine, est la religion de l’Etat. »

L’Eglise n’a donc aucun droit de faire invasion dans l’Etat, car c’est par la volonté et l’autorité du prince et de la loi, que la religion existe dans l’Etat ; si cette volonté avait été contraire, cette religion n’y existerait pas, ou du moins elle n’y aurait pas la supériorité que la Charte lui donne ; par conséquent, la religion n’est là que parce que le prince l’a voulu, c’est sa puissance qui l’a instituée religion de l’Etat ; or, la puissance qui institue, est toujours la puissance supérieure ; le clergé qui doit son institution à cette puissance supérieure, ne peut ni ne doit la censurer, ni la blâmer, et encore moins la guerroyer, à la manière du jésuite Guignard, qui fut pendu et brûlé comme régicide, en place de Grève.

Les prêtres, non seulement naissent sujets du roi, et soumis à toutes les lois du royaume, comme les autres citoyens, mais ils ne peuvent dans l’exercice de leurs fonctions, rien faire, rien articuler, de contraire à la volonté du prince et aux lois de l’Etat.

Les principes qu’on vient de lire, qui découlent de la Charte, sont anathématisés sans doute, par l’intolérance religieuse, et par cet esprit d’indépendance et de domination, qui, de tout temps, caractérisèrent trop souvent, le clergé séculier et régulier.

Maintenant, on comprendra aisément, pourquoi le jésuitisme anarchique et ultramontain, a saisi toutes les occasions, pour témoigner une haine implacable contre la Charte, au point de saisir toutes les occasions pour la déchirer en lambeaux. Il n’est plus étonnant qu’un curé fanatique, des environs de Blois, après avoir lu dernièrement le mandement de son évêque, à l’occasion du sacre de notre auguste souverain, actuellement régnant, se soit exprimé avec la rage d’un ligueur, ainsi qu’il suit :

« Mes très chers frères, comme Charles x n’est pas chrétien, qu’il veut maintenir la Charte, qui est un acte contre la religion, nous ne devons point prier pour lui, pas plus que pour Louis xviii, qui a été fondateur de cette Charte. Ils sont damnés tous deux ; que ceux qui sont de mon avis se lèvent !…. »

En effet, une partie de l’auditoire, fanatisée par la sortie virulente de ce scélérat, se leva en signe d’adhésion.

Dans cette circonstance, qui pouvait être considérée comme alarmante, l’autorité ecclésiastique a laissé apercevoir une indifférence blâmable, contre le délit de ce curé séditieux. Elle n’a pas même daigné envoyer au roi, une seule adresse, pour rassurer publiquement le souverain sur les dispositions du clergé. Celui-ci s’expose ainsi à être soupçonné d’approuver et de recéler au fond du cœur, les mêmes principes et les mêmes doctrines abominables, qui causèrent de si grands désordres au temps de la ligue.

On se croirait aujourd’hui reporté à cette époque de rébellion religieuse et régicide, qui se souilla de tant de crimes et s’arma de poignards parricides pour verser le sang des rois.

Oubliera-t-on que les jésuites, qui proscrivaient alors les Bourbons et appelaient en France l’étranger, étaient les provocateurs et les soutiens les plus zélés de la ligue ? Ils en conviennent eux-mêmes, en avouant qu’en cela, ils partageaient l’opinion générale de l’église et des souverains pontifes. En prenant acte de cet aveu, que les jésuites et leurs partisans regrettent sans doute, d’avoir renouvelé dans leurs brochures modernes, on acquerra la triste conviction, que ce qu’ils appellent l’église, ainsi que les papes d’alors, étaient, en ces temps-là, plongés dans la corruption la plus infecte, et foulaient audacieusement à leurs pieds, la vraie religion chrétienne, les préceptes de Jésus-Christ et la morale évangélique, qui commande la charité, la douceur, l’humilité, et prescrit formellement d’obéir aux princes de la terre.

On éprouve une sensation pénible, en lisant dans l’histoire, que depuis cette fatale époque de la ligue, la société des disciples de saint Ignace de Loyola, dont la domination ne peut s’établir que sur les discordes civiles et la désorganisation sociale, n’a cessé d’exciter des troubles et des désordres, dans tous les gouvernements qui ont eu l’imprudence de la recevoir et d’en suivre les conseils ; il n’est enfin, pour ainsi dire, aucune conspiration régicide, dans laquelle des jésuites n’aient figuré comme conspirateurs et complices.