(1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE XII. Réflexions sur les Evêques et les Prêtres de la primitive Eglise, et de l’Eglise moderne, suivies de réponses aux reproches de M. de Sénancourt, sur le même sujet. » pp. 212-222
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(1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE XII. Réflexions sur les Evêques et les Prêtres de la primitive Eglise, et de l’Eglise moderne, suivies de réponses aux reproches de M. de Sénancourt, sur le même sujet. » pp. 212-222

CHAPITRE XII.
Réflexions sur les Evêques et les Prêtres de la primitive Eglise, et de l’Eglise moderne, suivies de réponses aux reproches de M. de Sénancourt, sur le même sujet.

Il me reste encore à répondre aux imputations et aux reproches injustes qui m’ont été adressés, au sujet de mes réflexions sur les prêtres et les évêques de la primitive église, et sur ceux des temps modernes.

M. de Sénancourt blâme la surveillance, qu’on voudrait exercer sur la conduite de quelques mauvais prêtres de nos jours. Il ne veut pas qu’on examine, si les ministres du culte sont dignes de cette confiance si bien méritée, que leurs prédécesseurs obtenaient à des époques anciennes, et principalement lors de l’établissement de l’église primitive. Ce critique paraît si peu instruit sur cette matière, qu’il semble ignorer l’origine des prétentions de l’autorité spirituelle sur l’autorité temporelle. On le soupçonne de ne pas connaître les circonstances qui favorisèrent, en France, l’empiètement et l’usurpation de la puissance ecclésiastique sur la puissance séculière. Si ce critique trop susceptible, voulait s’en instruire, qu’il lise sur ce sujet le Constitutionnel du 3 octobre courant, dont voici l’extrait que je crois devoir placer ici pour éclairer la discussion.

« Dans l’origine, l’église fut dotée de seigneuries temporelles, qui donnèrent aux évêques de France beaucoup de part dans les affaires de l’Etat. Ces affaires se traitaient dans les assemblées générales, où les évêques, comme plus instruits, se rendaient plus utiles que les autres seigneurs. Ils avaient par conséquent, plus d’influence. C’est de là que provient la source de ce mélange du spirituel et du temporel, qui, alors comme aujourd’hui, fut si pernicieux aux intérêts des princes. Ces prélats, se voyant seigneurs, et admis à participer au gouvernement de l’Etat, s’imaginèrent y avoir droit comme évêques, tandis qu’ils n’avaient obtenu quelques privilèges temporels qu’en leur qualité de seigneurs. »

On doit observer que cette portion d’autorité temporelle, ne devait pas s’étendre au-delà de la seigneurie qui leur était affectée.

Il en est de même de la puissance temporelle du pape. Elle ne doit pas s’étendre au-delà de ses Etats. Tout pontife romain, qui a prétendu exercer, dans ce bas monde, une monarchie universelle terrestre, ou temporelle, a cessé dès lors d’être véritablement chrétien, ou du moins de professer les maximes et la doctrine de Jésus-Christ, qui a dit formellement : Mon royaume n’est pas de ce monde ; mais l’ambition immodérée qui chez les gens d’église est devenue, pour ainsi dire, une seconde nature, fait disparaître l’humilité, le désintéressement et la charité évangélique qui devraient toujours distinguer les ministres de l’autel. Ils eurent la prétention de vouloir juger les rois, non seulement au tribunal de pénitence, mais encore d’avoir le droit de les citer par-devant les conciles, comme étant justiciables des tribunaux ecclésiastiques.

La cérémonie du sacre de nos rois, introduite depuis le huitième siècle, ainsi que l’a dit M. Fleury dans son troisième discours sur l’histoire ecclésiastique v, servit encore de prétexte pour en imposer à la royauté. Les évêques, en plaçant la couronne sur la tête des rois, faisaient accroire aux princes faibles, ignorants et superstitieux, qu’ils n’obtenaient légitimement leur royaume, qu’en le recevant de la part de Dieu, par les mains de ministres qui se prétendaient investis de la puissance divine sur terre, comme représentants immédiats de Dieu.

C’est d’après de pareilles prétentions, que résultèrent les actes les plus révoltants de la part des papes et des évêques contre la royauté. On vit des rois excommuniés, déposés, assassinés ; on vit le fanatisme allumer des guerres de religion, suscitées contre les trônes ; et enfin la doctrine du régicide fut prêchée ouvertement, par des théologiens corrompus, qui appuyaient leurs principes sur les prétentions exorbitantes du clergé et des papes.

Ce système d’empiètement et d’usurpation d’autorité fut adopté par les ministres du culte, qui, foulant à leurs pieds les préceptes de la religion chrétienne, convoitaient les richesses terrestres de ce bas monde, et voulant, disaient-ils, s’en emparer pour la gloire de Dieu, ils s’appliquèrent, dans toutes les occasions, à en imposer au stupide vulgaire et à rançonner la crédulité. Pour réussir dans leurs projets ambitieux, ils y employèrent toutes sortes de moyens, souvent les plus criminels de séduction, de violence et de cruauté, afin d’extorquer les biens d’ici-bas, et ils allèrent même jusqu’à usurper des principautés et des royaumes, après en avoir expulsé les souverains légitimes, par des intrigues, par des séditions et des complots, dont l’histoire fournit de nombreux exemples.

M. de Sénancourt, en me prêtant de mauvaises intentions, me fait un crime d’avoir invoqué les canons de plusieurs saints conciles, pour rappeler aux évêques et aux prêtres, qu’ils devraient montrer l’exemple en pratiquant les vertus de la primitive église.

Voici le nom des conciles que j’ai osé citer, savoir : ceux d’Arles, années 314 et 1234 ; de Carthage, en 349, 397 et 398 ; de Chalon-sur-Saône, en 813 ; de Cologne, en 1536 ; d’Elvire, en 300 ; de Mayence, en 813 et 888 ; de Nice, en 300 ; d’Oxford, en 1222 ; de Pavie, en 850 ; de Reims, en 813 ; de Rome, en 744, 787 et 1059 ; de Salzbourg, en 1420 ; de Tolède, en 589 ; de Tours, en 813 et 1239. Nos lecteurs pourraient en vérifier les citations dans le livre des Comédiens et du Clergé, aux pages 67, 69, 127, 128, 201, 344, 345, 347, 349, 350 et 351.

Dans quelques-uns de ces canons et décrets des conciles, insérés dans le livre des Comédiens et du Clergé, M. de Sénancourt en rapporte les citations suivantes. « C’est par la foi que l’évêque soutiendra son rang…. Il doit avoir son petit logis. Sa table sera pauvre et ses meubles de vil prix. » (Concile de Carthage, l’an 398, et concile de Pavie, l’an 850.)

Tels sont les passages choisis malignement par M. de Sénancourt, par ce vétilleux inquisiteur, qui va jusqu’à blâmer les canons de l’église qui jadis recommandaient aux évêques la simplicité évangélique et la pratique des vertus chrétiennes de la primitive église. Il s’écrie ensuite avec indignation : « Croit-on sans dessein à une telle bassesse d’expression ? » Puis il ajoute jésuitiquement, « on verra l’auteur insinuer qu’un évêque, dînant avec des pauvres, serait tout aussi respecté qu’en sortant de la table d’un ministre ».

Je n’ai point parlé dans mon livre de la table d’un ministre ; mais si M. de Sénancourt sait raisonner, il doit convenir qu’il avoue par sa dernière phrase, qu’un évêque est plus respectable à la table d’un ministre d’Etat qu’à celle d’un pauvre, ce que je ne prétends ni soutenir, ni contredire.

La grande colère et l’indignation de M. de Sénancourt sembleraient annoncer, qu’il n’a jamais entendu parler de ces anciens et vénérables prélats, qui n’avaient de luxe que les aumônes qu’ils répandaient sur les pauvres, et de cortège que leurs vertus. Ces pasteurs si respectables unissaient cependant à toute la simplicité des premiers apôtres, la fermeté et le courage ; ils tonnaient en chaire contre les abus et les vices et ils prêchaient avec autant de zèle que d’onction la charité, l’humilité et le mépris des richesses.

Si le premier pape saint Pierre revenait sur terre avec les dehors de la pauvreté et de la simplicité, je craindrais bien qu’il ne fût méconnu de M. de Sénancourt, car il ne veut que des prélats riches, traînés dans de brillants équipages, jouissant de grands biens et logés dans de somptueux hôtels. Il dédaignerait sans doute un évêque modeste et simple, dont la table serait pauvre. Il le trouverait plus respectable à la table d’un ministre d’Etat, plutôt que dînant avec des personnes peu fortunées. Il ne voudrait, enfin, voir dans les évêques que de grands seigneurs, entourés de tout le luxe mondain de nos princes séculiers.

Si M. de Sénancourt pouvait être soupçonné de remplir la tâche d’un écrivain vénal, et si on avait l’injustice de croire, que le clergé l’eût pris pour en faire son défenseur et son panégyriste, on serait obligé de convenir, que les évêques auraient choisi un avocat bien mauvais et bien malhabile. Quoi qu’il en soit, il y a toujours plus de profit d’écrire en faveur de ceux qui ont du crédit et de l’argent.

Je ne puis m’imaginer enfin, par quelle raison M. de Sénancourt, que je n’ai pas l’honneur de connaître, m’a attaqué si gauchement et avec si peu d’esprit. J’ignore entièrement s’il a une réputation littéraire ; au surplus elle n’est pas encore parvenue jusqu’à moi, et la critique amère qu’il m’a décernée n’en fait pas preuve. Serait-il le même dont il est parlé dans le cinquième tome de la Biographie des hommes vivants, in-8°, par M. Michaud ; Paris, 1819 ? On y lit en effet, à la page 355, qu’un M. de Sénancourt est auteur de plusieurs ouvrages, où l’on trouve beaucoup d’exaltation, du vague, de l’obscurité et une couleur constamment sombre. A ces traits de famille, celui-ci et mon critique pourraient être parents.

Quoi qu’il en soit, je suis surpris que mon adversaire, qui porte aussi le nom de Sénancourt, ait eu la fantaisie de déchirer mon livre des Comédiens et du Clergé sans l’avoir bien compris. On pourrait croire qu’il n’a pas su rendre compte de cet écrit qu’il prétendait critiquer. La cause des Comédiens, que je ne prétends pas avoir défendue aussi habilement qu’elle le méritait, est pourtant bien facile à comprendre. L’article assez mal écrit de cet auteur, ne présente point une analyse claire de mon ouvrage, et n’en fait point connaître les parties principales. Il aurait dû en saisir le but et en présenter les traits les plus saillants qui le caractérisent. Il pouvait parler des trois âges de la comédie, et contrôler cette division s’il l’eût jugé à propos. Il aurait pu admettre ou rejeter la manière dont j’ai envisagé les droits des comédiens, que j’ai placés sous l’égide de l’autorité des rois et de l’autorité du pape, qui, à Rome, n’anathématise pas la profession de comédien. Il était libre enfin, d’après ses opinions jésuitiques, de justifier le fanatisme de quelques prêtres qui prétendent encore, contre toute justice, pouvoir excommunier les acteurs et leur refuser les prières de l’église et la sépulture, à raison de leur profession.

Loin d’éclairer la discussion à la lueur du flambeau d’une critique saine, M. de Sénancourt, sans aucune transition et sans aucunes réflexions préalables, se permet aussi de divulguer, pour son propre compte, les farces et les processions licencieuses et quelquefois obscènes du clergé d’autrefois. Il se plaît à parler de la mère Sotte et du Prince des sots, ainsi que du contrat d’un mariage mystique d’une pénitente avec Jésus-Christ ; de frère Arnoux, carme déchaussé, confesseur de cette dévote, qui joue le rôle de notaire pour apposer sa signature à cet acte bizarre ; mais M. de Sénancourt, voulant donner un échantillon de son orthodoxie, a bien soin de dire que ces sortes d’alliances spirituelles deviennent rares depuis que les croyances se perdent, et c’est lui-même qui fait remarquer ces derniers mots, imprimés en lettres italiques, à la page 265 du Mercure du dix-neuvième siècle, que j’ai indiqué dans le chapitre Ier qui précède.

C’est ainsi que M. de Sénancourt m’a attaqué si charitablement pour plaire aux pères de la foi et leur offrir une victime digne de leur être offerte inquisitorialement. Quelle jouissance pour lui et pour ses semblables, si un réquisitoire terrible, digne des siècles d’ignorance et de barbarie, me déclarait impie et sacrilège, et provoquait ma condamnation, d’après des imputations aussi injustes qu’odieuses !