(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre VII. Les spectacles favorisent les suicides. » pp. 90-92
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(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre VII. Les spectacles favorisent les suicides. » pp. 90-92

Chapitre VII.
Les spectacles favorisent les suicides.

« Rebus in angustis facile est contemnere vitam.
Fortiter ille facit qui miser esse potest. »

Mart. Ep. LVII, lib. II.

Le mal que causent les spectacles s’étend beaucoup plus loin qu’on ne pense ; ils n’attaquent pas seulement la pudeur et la foi, ils favorisent encore l’orgueil, l’ambition, la jalousie, la vengeance, le désespoir. En donnant à ces vices un air de grandeur, ils les rendent plus dangereux, et les font entrer plus facilement dans les âmes bien nées. Quel rôle joueraient sur le théâtre les vertus chrétiennes, comme le silence, la patience, la modération, la sagesse, la pauvreté et la pénitence ? Elles ne seraient guère propres à divertir les spectateurs. Ceux qui ont voulu faire paraître des saints sur la scène ont été contraints de leur donner un air de fierté incompatible avec l’humilité chrétienne, et de leur mettre dans la bouche des discours plus propres à des héros de l’ancienne Rome qu’à des saints et à des martyrs.

Le vice s’embellit sur la scène, les maximes qui feraient horreur dans le langage ordinaire, s’y produisent impunément, y prennent même un air de noblesse et d’élévation. C’est peu d’y étaler des exemples qui instruisent à pécher ; on en fait des conseils et même des préceptes. C’est ainsi que le théâtre nous représente le suicide, qui est en lui-même le plus grand crime qu’un chrétien puisse commettre, comme une action héroïque et comme un devoir, quand on ne peut se soustraire autrement aux rigueurs de l’infortune. Virgile a placé Didon, qui s’était tuée elle-même, dans un lieu des enfers plein de tristesse, et parmi les imagines analogues à son désespoir. Molière, plus corrompu que les païens dans sa morale, représente deux amants de Psyché qui se sont précipités du haut d’un rocher, jouissant après la mort, dans des jardins délicieux, d’une tendresse agréable : une éternelle nuit n’ose chasser le jour qui les éclaire. La plupart des pièces tragiques sont pleines de cette sorte de fureur, qu’on nomme force d’esprit, mais qui n’est au fond qu’une faiblesse occasionnée par un chagrin qu’on n’a pas le courage de surmonter. Comme elles font valoir la force au détriment de la raison, le courage au détriment de la prudence, l’homme le plus fougueux, le plus impétueux et le plus violent y paraîtra aimable, et plaira davantage par sa fureur, par sa haine et par sa rage, que celui qui n’a que la vertu pour briller. S’il se tue dans un moment de désespoir, il paraît mourir noblement. « De même que la lecture des romans rend l’esprit romanesque, l’assiduité au théâtre rend aussi l’âme tragique. S’il se trouve parmi les spectateurs un malheureux réduit au désespoir, ou qui, au premier jour, se trouvera dans cette affreuse situation, n’est-il pas à craindre que l’exemple de tant de héros, qu’il a vus se délivrer de la vie, ne se retrace dans son imagination, et ne le porte à cette fatale extrémitéan », suivant cette maxime que Voltaire met dans la bouche de Mérope :

« Quand on a tout perdu, quand on n’a plus d’espoir,
La vie est un opprobre et la mort un devoir. »