(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XIV. La fréquentation des spectacles ne peut se concilier avec la vie et les sentiments d’un véritable chrétien. » pp. 118-132
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(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XIV. La fréquentation des spectacles ne peut se concilier avec la vie et les sentiments d’un véritable chrétien. » pp. 118-132

Chapitre XIV.
La fréquentation des spectacles ne peut se concilier avec la vie et les sentiments d’un véritable chrétien.

« Le théâtre est contraire à ces vœux solennels
Qu’un chrétien, en naissant, fait au pied des autelsaz. »

« Depuis qu’un Dieu fait homme est venu nous apprendre à mortifier nos sens, à combattre nos passions ; depuis que l’Eglise nous a fait promettre de mourir au monde et à ses pompes, à la chair et à ses désirs, à Satan et à ses œuvres ; depuis que l’Evangile, toujours ouvert et toujours expliqué, ne prêche partout que le renoncement aux joies et aux vanités du siècle, il semble que des chrétiens ne devraient pas attendre, pour se déclarer contre les spectacles, qu’on les y contraignît, mais y renoncer d’eux-mêmes et les condamner hautement. Cependant des hommes qui se disent chrétiens ne se contentent pas de se déclarer pour des divertissements si contraires à la religion qu’ils professent, ils courent encore les autoriser par leur présence. Mais, pour leur ouvrir les yeux, il suffit de leur rappeler le véritable esprit du christianisme, et leur faire voir que les spectacles lui sont entièrement opposés dans leur nature et dans leurs effetsba.

« Pour comprendre combien les spectacles sont opposés au christianisme dans leur nature, il faut considérer ce que c’est qu’un chrétien, et ce que c’est que le spectacle lui-même, et l’on verra facilement combien l’un est indigne de l’autre.

« Qu’est-ce qu’un chrétien ? Un chrétien, disent les saints Pères, est un citoyen du ciel qui, exilé pour quelque temps dans une terre étrangère, ne doit soupirer qu’après cette patrie céleste, pour laquelle il est destiné ; qui, ne perdant jamais de vue la perfection à laquelle il est obligé de tendre, doit marcher sans cesse dans la voie de Dieu pour y atteindre ; et qui, ne jugeant des choses de la terre que par le rapport qu’elles ont avec l’éternité, s’interdit tout ce qui peut l’attacher au monde, aux créatures, pour ne s’attacher qu’à Dieu. Un chrétien est un homme qui, renonçant du fond de son cœur à tout ce qui flatte les sens, ne doit s’occuper qu’à les mortifier ; qui, ayant fait, comme le saint homme Job, un pacte avec ses yeux, pour ne point les arrêter sur aucun objet qui puisse corrompre la pureté de son âme, doit vivre en ange dans la maison d’argile qu’il habite : un chrétien est un homme dont les oreilles ne doivent entendre que ce qui est bon et édifiant ; qui, tout céleste dans ses pensées, tout spirituel dans ses actions, ne vit que selon Dieu et pour Dieu : un chrétien est un disciple de Jésus-Christ, qui, tout occupé de ce divin modèle, doit le retracer en lui tout entier ; qui adopte la croix pour son partage, qui goûte une vraie joie et une vraie consolation dans les larmes de la pénitence ; qui, toujours armé du glaive de la mortification, pour soumettre la chair à l’esprit, doit combattre sans cesse ses inclinations, réprimer ses penchants : un chrétien est un homme qui, convaincu que tout ce qui est dans le monde n’est, comme le dit saint Jean, que concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et orgueil de la vie, ne voit dans ces assemblées que périls, dans ces plaisirs que crimes ; et qui, en marchant à travers les créatures, doit craindre d’en être souillé : un chrétien est un homme mort au monde, mort à lui-même, et aussi différent des enfants du siècle que la lumière l’est des ténèbres ; enfin, un chrétien est un autre Jésus-Christ qui le représente, qui l’imite dans toutes ses actions, qui pense comme lui, qui non-seulement s’est engagé à marcher sur ses traces, mais qui a encore juré de ne jamais s’en écarter ; voilà ce que c’est qu’un chrétien.

« Or, pour savoir si cette idée peut s’allier avec celles des spectacles, il suffit d’examiner ce que c’est que le spectacle ; il suffit de remarquer, avec Tertullien, que c’est une assemblée d’hommes mercenaires, qui, ayant pour but de divertir les autres, abusent des dons du Seigneur, pour y réussir, excitent en eux-mêmes les passions autant qu’ils le peuvent, pour les exprimer avec plus de force : il suffit de penser, avec saint Augustin, que c’est une déclamation indécente d’une pièce profane, où le vice est toujours excusé, où le plaisir est toujours justifié, où la pudeur est toujours offensée, dont les expressions cachent le plus souvent des obscénités, dont les maximes tendent toujours au vice et à la corruption, dont les sentiments ne respirent que langueur et mollesse, et où tout cela est animé par des airs qui, étant assortis à la corruption du cœur, ne sont propres qu’à l’entretenir et à la fortifier : il suffit de comprendre que c’est un tableau vivant des crimes passés, où on en diminue l’horreur par la manière de les peindre : il suffit de considérer, avec tous les saints docteurs, que le théâtre est un amas d’objets séduisants, d’immodesties criantes, de regards indécents, de discours impies, animés toutefois par des décorations pompeuses, par des habits somptueux, par des voix insinuantes, par des sons efféminés, par des enchantements diaboliques.

« Or, convient-il à un disciple de Jésus-Christ d’aller autoriser par sa présence des hommes scandaleux ; d’aller contempler avec curiosité des femmes sans pudeur, trop semblables à ces sirènes dont parle Isaïe9, qui ne charment que pour la mort ; des femmes qui, par des attitudes étudiées et des gestes expressifs répandent de tous côtés le poison de la volupté ? N’est-il pas indigne d’un chrétien, dont les pensées doivent être toutes saintes, d’aller écouter des maximes pernicieuses, d’autant plus propres à corrompre le cœur, qu’elles sont présentées d’une manière plus ingénieuse et plus capable d’en imposer ? N’est-il pas indigne d’un chrétien, dont la conversation doit être dans le ciel, d’aller voir les indécences les plus grossières, et entendre les discours les plus dissolus ? Un chrétien qui ne doit connaître que la mortification et la pénitence, qui, dans son baptême, a renoncé à la chair ; qui s’est engagé par là à ne pas vivre selon les sens, à ne pas flatter les désirs corrompus de son cœur, peut-il fréquenter des endroits où tout ne lui inspire que l’indolence, la mollesse et le plaisir ? Un chrétien, qui a promis d’embrasser la croix de Jésus-Christ et de mourir au monde, de faire vivre son Sauveur en lui, et de continuer sa vie sur la terre, peut-il se trouver dans des assemblées où règne l’esprit du monde, où on apprend à vivre comme lui, à se conformer à ses maximes, à ses coutumes, et à ses usages criminels ? Un chrétien, obligé par état de ne faire que des œuvres de Jésus-Christ, de rapporter tout ce qu’il fait à Dieu, peut-il regarder la fréquentation des spectacles comme une œuvre digne de Dieu ? et pourrait-il bien dire que c’est pour l’amour de Dieu qu’il y va ?

« Quoi ! cette œuvre profane, inventée par le démon pour perdre les âmes, serait une œuvre sainte et agréable au Seigneur ! Les spectacles tels que nous les voyons aujourd’hui, plus criminels encore par la débauche publique des créatures infortunées qui montent sur le théâtre, que par les scènes impures ou passionnées qu’elles débitent, les spectacles seraient des œuvres de Jésus-Christ ! » « Jésus-Christ aimerait une bouche d’où sortent des airs profanes ou lascifs ! Jésus-Christ formerait lui-même les sons d’une voix qui corrompt les cœurs ! Jésus-Christ paraîtrait sur le théâtre en la personne d’un acteur, d’une actrice effrontée, gens infâmes, même selon les lois des hommes ! Jésus-Christ présiderait à des assemblées de péché, où tout ce qu’on entend anéantit sa doctrine, où le poison entre par tous les sens dans l’âme, où tout l’art se réduit à inspirer, à réveiller, à justifier les passions qu’il condamnebb ! » « Jésus-Christ prendrait part à des divertissements si coupables ! Lui dirait-on bien que c’est pour sa gloire qu’on les prend ? « Quoi ! on oserait lui dire : C’est pour vous, Seigneur, c’est pour l’amour de vous que je vais aux spectacles ; c’est pour vous obéir que je vais rendre hommage au démon, qui préside à ces assemblées ; ce sera votre esprit qui m’y conduira, ce sera vous qui serez le principe de cette action ; c’est par votre croix que vous me l’avez méritée ! O Dieu ! qui serait assez impie pour souffrir sans horreur toute l’impiété de ce langage ?

« Si la fréquentation des spectacles ne peut être une œuvre de Jésus-Christ, ou du moins qui puisse lui être rapportée, que peut-elle être, sinon une œuvre de Satan, par conséquent indigne de Dieu, et qui, étant mauvaise de sa nature, ne mérite que ses châtiments et la damnation éternelle ? » Donc un chrétien viole les vœux de son baptême, lorsqu’il fréquente les spectacles ; de quelque innocence dont il puisse se flatter, en reportant dans ces lieux son cœur exempt d’impression, il en sort souillé, puisque, par sa présence, il a participé aux œuvres de Satan auxquelles il avait renoncé dans son baptême, et violé les promesses les plus sacrées, qu’il avait faites à Jésus-Christ et à son Eglise.

« On ne prétend pas défendre tout délassement ; ce serait outrer la morale de l’Evangile, et vouloir laisser l’homme sans soulagement dans sa faiblesse. Il y a des délassements nécessaires au corps et à l’esprit, quand l’un et l’autre ont été affaiblis par le travail, et il ne faut que savoir quelle est notre condition depuis le péché, pour sentir le besoin que nous avons de ce secours. Aussi la religion règle plutôt l’usage de nos divertissements qu’elle ne les défend.

« Mais, si la religion nous permet certains divertissements, elle ne les permet que comme un remède à notre faiblesse, et pour nous préparer à de plus sérieuses occupations. Elle veut alors qu’ils soient honnêtes à tous égards, qu’ils ne nuisent ni à la piété ni aux bonnes mœurs, qu’ils n’aient rien de contagieux, qu’ils n’inspirent point le goût de la frivolité, de la dissipation et de l’oubli de ses devoirs, et qu’enfin ils soient de nature à être offerts à Dieu.

« Or, peut-on appliquer ces caractères aux spectacles auxquels on court aujourd’hui avec tant d’empressement ?

« En examinant la chose de bonne foi, on verra que la plupart des hommes n’ont pas besoin de délassements. Ceux qui sont destitués de toute occupation pénible, dont les jours se passent dans un cercle de promenades, de jeux, de visites, ont-ils besoin de délassements ? Ceux mêmes dont le travail n’a rien de sérieux ont-ils besoin de délassements, avec une vie qui est un délassement continuel ? Ceux qui sont occupés à des travaux corporels ont-ils besoin d’autres délassements que la cessation de ces mêmes travaux ? Après avoir bien travaillé, ne devraient-ils pas être satisfaits en cessant de travailler ? Ceux qui sont obligés de se livrer à des affaires pénibles qui leur causent trop de dissipation, ont-ils besoin de se livrer ensuite à des divertissements tumultueux qui attachent trop fortement leur esprit et qui les remplissent de folies ? Ceux qui sentent ce besoin sont-ils autrement constitués que ceux qui vivaient du temps de saint Louis, qui s’en passaient bien ? Ceux qui se divertissent toujours, et qui sentent le besoin d’aller au spectacle, pour y trouver un remède au dégoût, qui accompagne naturellement la continuation des plaisirs, ne doivent-ils pas considérer ce besoin comme un vice d’habitude, dont ils doivent se défaire en s’occupant sérieusement ?

« Quand même ces personnes auraient besoin de délassements, doivent-elles se procurer celui des spectacles qu’on ne peut offrir à Dieu comme une œuvre chrétienne, qui est opposé au véritable esprit du christianisme, non seulement par sa nature, mais encore par ses effets ?

« Pour savoir si un chrétien peut allier la fréquentation des spectacles avec la sainteté de son état, examinons l’impression que ces divertissements font sur son cœur. Remarquons d’abord que nous avons en nous-mêmes un fond de corruption, que nous portons avec nous une malheureuse concupiscence capable de nous livrer aux plus affreux excès, si on n’a soin de la réprimer, une concupiscence que nous avons promis solennellement de combattre, et à la destruction de laquelle sont attachées les couronnes dont jouissent tant de saints ; une concupiscence que la moindre parole excite, que le moindre objet allume, dont les Hilarion, les Antoine, les Paul ont gémi plus d’une fois ; c’est ce souffle de Satan dont l’apôtre saint Paul priait le Seigneur de le délivrer ; c’est le malheureux apanage de la nature corrompue qui doit coûter tant de violence ; c’est le vieil homme, sur les débris duquel doit s’élever l’homme nouveau, et que nous ne saurions vaincre qu’en mourant sans cesse au péché et à tout ce qui peut nous y porter.

« Or, avec des inclinations si déréglées que les nôtres, quel peut être l’effet des spectacles, si ce n’est de les réaliser en nous et de leur donner une nouvelle force ? N’est-ce pas là que, par des peintures vives qu’on y fait, les passions s’excitent dans notre âme, et que le cœur, bientôt capable de tous les sentiments qu’un acteur exprime, passe tour à tour de la tristesse à la joie, de l’espérance à la crainte, de la pitié à l’indignation ? n’est ce pas là qu’il se sent attiré au crime par les pièges qui lui sont tendus ; que, se laissant prendre aux amorces les plus dangereuses, il s’abandonne aux transports les plus déréglés, aux saillies les plus vives ? n’est-ce pas là en un mot que le cœur, se voyant lui-même dans celui qui paraît épris d’un objet séduisant, devient aussitôt un acteur secret, qui, tandis qu’on joue une passion feinte, en éprouve lui-même une véritable ?

« Pour bien comprendre ce que nous venons d’avancer, il ne faut que considérer quelles impressions font sur l’âme les images les moins animées par elles-mêmes, et quel est le sentiment naturel qui accompagne la lecture d’un événement profane, la vue d’une peinture immodeste ou d’une statue indécente : si ces objets, tout inanimés qu’ils sont, se retracent naturellement à l’esprit, si on ne peut même en sentir toute la beauté et toute la force sans entrer dans la pensée de l’auteur ou dans l’idée du peintre, quelle impression ne font pas les spectacles, où ce ne sont pas des personnages morts ou des figures muettes qui agissent, mais des personnages animés, qui parlent aux oreilles, qui, trouvant dans les cœurs une sensibilité qui répond aux mouvements qu’ils ont tâché d’y produire, jettent toute une assemblée dans la langueur et la font brûler des flammes les plus impures !

« L’effet serait moins infaillible, si la passion était représentée dans sa difformité et avec des couleurs propres à en inspirer toute l’horreur qu’on en doit avoir : mais sous quels traits a-t-on coutume de l’offrir ? Est-ce avec ce caractère d’opprobre qui pourrait la faire redouter ? Ne la regarde-t-on pas comme une belle faiblesse qu’on propose à imiter ? N’essaie-t-on pas d’en cacher la honte et le crime sous des noms pompeux qu’on emprunte pour la faire aimer ? Ne se fait-on pas gloire d’y applaudir et d’en être touché ? N’admire-t-on pas un auteur, qui, employant toute la force de son génie à représenter quelque grande passion, sait vous amener insensiblement et par degrés jusqu’à exciter en vous cette passion qu’il a voulu dépeindre ? On regarde l’effet comme une partie si essentielle à la pièce, que, si elle manque par cet endroit, elle passe pour un ouvrage froid et insipide. Où en est donc un cœur ainsi préparé à la séduction par tant d’illusions ? où en est la vertu d’une femme chrétienne, lorsqu’elle entend une personne de son sexe avouer sa faiblesse et la déclarer même au séducteur qui l’a fait naître ? N’est-ce pas au spectacle que l’on voit ce que le monde, partout ailleurs, n’oserait offrir ? Et en qui le voit-on ? Si c’était dans un homme à qui la dépravation de nos mœurs permît tout ; mais non, c’est dans une femme dont on affecte de vanter la modestie, qu’on présente comme un modèle de vertu, comme une héroïne. On suit comme des yeux les honteux progrès de sa passion ; on écoute de sa bouche ses criminels aveux, et les sens ne résistent pas à une amorce si dangereuse. On n’est pas longtemps à chérir ce que l’on voit représenté avec tant d’art ; le cœur ouvert à la séduction reçoit bientôt le trait qui le blesse ; et tel qui était chaste avant d’entrer au spectacle, n’en sort point sans cesser de l’être. 

« Nous en avons un bel exemple dans Alipe, ami de saint Augustin : il avait autrefois passionnément aimé les spectacles, et saint Augustin l’avait guéri de cette passion. Ses amis lui proposèrent un jour d’aller avec eux à l’amphithéâtre ; il résista à leur invitation et à leurs pressantes sollicitations : ils l’y entraînèrent de force. Il ferma constamment les yeux pendant le spectacle ; mais tout à coup, sur la fin, un cri extraordinaire frappa ses oreilles et excita sa curiosité : il ouvrit les yeux. A peine vit-il le spectacle qu’il s’y sentit intéressé. Ravi, transporté, il mêla ses applaudissements à ceux des autres spectateurs, et sortit plus épris que jamais de l’amour du théâtre : tant il est vrai que le cœur ne peut être indifférent pour tout ce qui est passionné ! Enchanté des images de sa maladie, il idolâtre tout ce qui lui rend sa corruption sensible. Si des plaisirs si cruels, qui ne devaient inspirer que de l’horreur, étaient capables de produire de tels effets, que sera-ce des spectacles de nos jours, où, loin de révolter, tout amollit et flatte, où l’on n’éprouve que les attaques d’une insinuante volupté ? Il est donc manifeste que la représentation de ces passions agréables les excite naturellement, ne fût-ce qu’en nourrissant la concupiscence qui en est la source ; ce n’est pas tout, elle apprend encore à les satisfaire.

« En effet, c’est là que la volupté, l’ambition, la haine donnent tour à tour des leçons de tendresse, de perfidie, de vengeance ; qu’elles enseignent à réaliser ce qu’elles ne font que peindre ; c’est là que, le cœur s’exprimant en mille façons touchantes, on est frappé par des expressions d’autant plus faciles à retenir, qu’une poésie profane leur prête des charmes corrupteurs. C’est là où, par des attitudes et des regards plus éloquents que les expressions, on est excité à observer tous les mystères de l’iniquité, et qu’on apprend à conduire habilement toutes les intrigues criminelles ; en sorte que tout ce que la corruption peut inventer pour plaire et séduire y est comme réduit en art. C’est là que le spectateur, découvrant tous les ressorts que l’ambition fait mouvoir pour arriver à son but, est instruit à vaincre, le plus souvent par le crime, tous les obstacles qui s’opposent à ses desseins. Trahisons, fourberies, violences, cruautés, tout est employé : comme le meurtrier de Naboth, il ose tout tenter, sans respecter ni le sacré ni le profane. C’est là que, s’accoutumant à regarder un chimérique honneur comme le bien le plus précieux, il apprend à tout sacrifier pour se le conserver ou le réparer, sans égard pour les droits même les plus inviolables du sang et de l’amitié ; et il l’apprend d’autant plus volontiers que c’est un père barbare qui met lui-même un fer assassin entre les mains de son fils, et lui ordonne de tuer ou de mourir.

« Voilà les leçons qu’on reçoit souvent aux spectacles, presque sans le vouloir. Ces leçons s’allient-elles bien avec les sentiments de l’Evangile ? Un chrétien, dont le principal soin doit être de triompher des penchants qu’il a promis solennellement de combattre, et qui ne peut être chrétien qu’à ce prix, peut-il, non-seulement les exciter et les nourrir, mais appeler à son secours des maîtres également entendus à les exciter et à les faire naître ? N’est-ce pas le comble de la misère de ne pouvoir trouver de plaisir que dans ses propres maux, et de récompenser ceux qui apprennent à les entretenir et à les rendre incurables ? Cette conduite s’allie-t-elle bien avec ce que Jésus-Christ nous prescrit dans l’Evangile ? Que deviennent cette vigilance et les autres vertus, qui nous y sont commandées par ce divin Sauveur ? N’est-ce pas se jouer de la sainteté de la religion et désavouer les promesses de son baptême ? n’est-ce pas avouer tout haut qu’on veut rentrer sous l’empire du démon, et se rendre à lui tout entier ? »