Chapitre XV.
Les spectacles éteignent le goût de la
piété.
« On serait peut-être moins coupable en assistant aux représentations théâtrales,
si leur effet n’était que d’allumer des passions vicieuses ; mais elles éteignent encore
le goût de la piété. Comme on n’y apprend à juger des choses que par le sens, et à ne
considérer comme subsistant et réel que ce qui les frappe et fait impression sur eux,
c’est dans ces sens aussi que l’âme s’accoutume à se répandre toute entière. Quelle idée
peut-elle avoir du vrai bonheur, quand, amusée ainsi par des objets frivoles, elle y
place toute sa félicité, et qu’au lieu d’apaiser sa faim par une nourriture solide, elle
s’empoisonne par le mensonge et l’erreur ? N’est-ce pas là la cause de sa plus grande
misère, puisqu’elle y perd tous les dons de la grâce à la fois ? L’amour de Dieu qui
doit brûler sur l’autel de notre cœur, et dont chaque chrétien doit être le prêtre,
comment ne s’éteindrait-il pas dans des lieux où tous les sens sont saisis par l’attrait
de la volupté ? L’esprit de prière, comment le conserver,
après que tant d’objets profanes ont fait sortir l’âme d’elle-même, quand elle n’est
remplie que de fantômes ; et la prière qu’on adresserait à Dieu au sortir de ces
représentations, supposé qu’on en fît, ne serait-elle pas plus propre à l’irriter qu’à
le fléchir ? Le goût de la vérité peut-il subsister dans un cœur qui ne se nourrit que
du mensonge ? Livré aux joies charnelles d’un monde corrompu, quel attrait peut-il
conserver pour ellebc ?
« Celui qui se plaît à n’entendre que des fables se plaira-t-il à entendre la
vérité ? Ah ! une expérience journalière nous apprend qu’on perd le goût de tous les
biens spirituels en s’abandonnant aux plaisirs grossiers des spectacles, que les actions
même sérieuses et communes deviennent à charge, qu’on n’aime plus qu’à se satisfaire, et
que ce désordre est si funeste à l’homme, qu’il ruine entièrement en lui toutes les
qualités de l’esprit et du cœur, et devient la source de tous les vices.
« Qui peut mieux nous en convaincre que la dissolution générale de notre siècle ?
N’est-ce pas de ce fond impur que coule à grands flots ce torrent de crimes qui inondent
les villes ? La mollesse, l’impudicité, l’irréligion, le blasphème, tant d’autres vices
inconnus autrefois, seraient-ils si communs, si les spectacles ne les occasionnaient
pas ? Verrait-on les grands si impies, les riches si voluptueux,
les jeunes gens si débauchés, les femmes si corrompues ? L’esprit impur
serait-il en possession de tant de chrétiens, s’ils n’allaient recevoir aux spectacles
de funestes impressions qui, en éteignant dans leur cœur le goût de la piété, y allument
le feu des plus fougueuses passions ?
« Combien de personnes qui, avant de connaître ce funeste plaisir, ne trouvaient
de joie et de consolation que dans la pratique des œuvres de justice ! La mortification,
la prière, les bonnes lectures, la fréquentation des sacrements, en nourrissant leur
piété, faisaient leurs délices. Mais, dès qu’elles se sont livrées à ces divertissements
contagieux, elles ont donné dans les plus grands excès, et se sont familiarisées avec
les plus grands crimes.
« Doutera-t-on, après cela, qu’une source d’où coulent tant de désordres ne soit
une source infecte, et que des plaisirs si contraires à l’innocence et à la vertu ne
soient interdits aux chrétiens ? Quand on connaît les obligations et l’essence du
christianisme, on sent que des représentations si obscènes ne peuvent s’accorder avec sa
pureté ; qu’on ne peut participer à la table des démons et à celle du Seigneur, et que
Bélial ne peut être adoré sur le même autel avec Jésus-Christ. »
« Je ne connais pas, dit un auteur, d’esprit plus opposé à l’esprit du
christianisme que l’esprit
du théâtre ; j’en ai peut-être été
aussi entêté qu’un autre, mais j’avoue, à ma confusion, que je n’ai jamais été moins
chrétien que pendant cet entêtement. On se trouve dans un certain relâchement, dans un
je ne sais quel vide de Dieu, dans une inapplication si grande des exercices de la
religion. Quand même on ne serait pas engagé dans de grands désordres, on peut dire
qu’on vit parmi des chrétiens d’une manière toute païenne ; et c’est un mal qui ne vient
pas tout d’un coup, mais peu à peu, d’une manière imperceptible et par degré ; car le
crime a les siens comme la vertu. L’harmonie de l’âme est entièrement dissipée à la
comédie, puisqu’on y perd ordinairement les sentiments de la pudeur, de la piété et de
la religion, si on y va souvent ; et elle est fort ébranlée, pour peu qu’on y aille,
parce qu’elle excite et réveille les passions ; parce qu’elle fait ou doit faire cet
effet dans tout le monde ; parce que c’est son but, sa fin et son dessein, et que ce
n’est que par accident qu’elle ne le fait pas toujoursbd.
« Le démon, dit Tertullien, ne conduit plus aux temples des idoles, mais au
théâtre, où l’on voit des statues animées, des idoles vivantes, qui s’étudient par tous
les charmes à séduire le cœur et à le faire apostasier. Aussi ne trouve-t-on jamais de
chrétiens aux spectacles ; et si on en trouve, dit-il, c’est une marque qu’ils ne le
sont plus. »
« La morale de notre religion est aussi invariable que ses dogmes ; ce qui
blessait la conscience des premiers fidèles peut-il n’être pas interdit à tous les
chrétiensbe ? »