Chapitre XVII.
Accidents arrivés dans les spectacles.
« Que quelqu’accident imprévu, disait Tertullien, vous
surprenne au théâtre, qu’un coup de tonnerre, par exemple, vous avertisse des vengeances
du Seigneur, aussitôt on vous voit effrayé ; vous vous empressez à porter la main à
votre front, pour y tracer le signe de salut ; mais que faites-vous ? ce signe de
sainteté et de recueillement, ce signe de pénitence vous condamne. Certainement vous ne
seriez point là, si vous aviez dans votre cœur ce que vous osez marquer sur votre
front « : combien ne voit-on pas arriver d’événements dont Tertullien fait ici la
suppositionbn ?
« Le 26 juillet 1769 on jouait la comédie à Feltri, en Italie, lorsqu’il s’éleva
tout à coup une tempête horrible. Le ciel, qui jusqu’alors avait été serein, fut
obscurci par d’épais nuages : tout l’horizon était en feu par la multitude d’éclairs
qui se succédaient sans interruption, et la pluie tombait avec
violence. Plus de six cents personnes étaient alors renfermées dans la salle du
spectacle ; la comédie n’était encore qu’au troisième acte, lorsque le tonnerre tomba
sur le théâtre par une grande ouverture qui se fit au comble du bâtiment. La foudre
parut sous la forme d’un boulet de canon du plus gros calibre. La salle était éclairée
par un grand nombre de lumières qui toutes furent éteintes en un instant. Au morne
silence, premier effet de la frayeur, succédèrent bientôt des cris affreux, lorsqu’au
retour de la lumière, on aperçut l’horrible tableau des ravages de la foudre. De tous
côtés on ne voyait que des hommes, des femmes et des enfants privés de la vie ou du
sentiment. Six personnes furent entièrement réduites en cendres par le feu du ciel ;
soixante-dix autres en furent atteintes mortellement.
« Comme on était sur le point de jouer la comédie sur le palais d’Asté à Rome, le
plancher de la salle du spectacle s’enfonça de manière qu’il tourna en tombant, renversa
les spectateurs et fit enfoncer le second plancher. On retira dix personnes mortes, et
plusieurs autres blessées très dangereusement, dont dix ou douze moururent.
« Comme on jouait à Amsterdam en 1772, la Fille mal gardée et
le Déserteur, le feu prit à une ficelle tombée sur un lampion. Cette
flamme légère monta rapidement dans le centre où la ficelle
aboutissait, et embrasa dans le moment les toiles et toute la partie supérieure du
théâtre. L’incendie devint bientôt général. La frayeur et le désespoir forcèrent les
femmes à se jeter des loges dans le parterre, où l’on était écrasé et étouffé par la
chute des décombres embrasées : aussi il y en eut peu qui échappèrent à la
mort.
« Ce qui arriva le 5 novembre de la même année à Chester, en Angleterre, est à peu
près semblable. On célébrait le jour anniversaire de la conspiration des poudres :
pendant qu’on jouait la comédie dans la salle du bal, le feu prit à de la poudre qu’un
épicier avait imprudemment mise sous le théâtre. L’explosion fit sauter le plancher et
une chambre qui était au-dessus, et mit le feu à la couverture, qui, en tombant,
renversa une partie des murs et embrasa le théâtre ; la plupart des spectateurs
sautèrent en l’air avec l’édifice, ou furent ensevelis sous ses ruines embrasées. Ceux
qui échappèrent à la mort furent presque tous mutilés ou blessés grièvement.
« Quelle que soit la cause de ces tristes événements, ne peut-on pas conclure
qu’il vaut mieux écouter, dans le calme, la vérité, que d’attendre qu’elle tonne pour
nous soumettre à elle »
; et fuir, sans hésiter, des plaisirs illégitimes,
plutôt que de s’exposer à ressentir l’amertume du repentir qui les accompagne souvent, et
qui les suit toujours ? Nous ne pourrions nous empêcher de regarder
comme un terrible châtiment une mort soudaine arrivée au milieu d’un
spectacle, et nous regarderions comme une marque de réprobation de mourir sur un théâtre :
ne passons donc pas une partie de notre vie où nous aurions horreur de mourir. Si on n’y
court pas toujours le danger d’y perdre la vie du corps, on y court toujours le danger d’y
perdre la vie de l’âme.