(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XXIII. Impossibilité de réformer entièrement les spectacles. » pp. 191-194
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(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XXIII. Impossibilité de réformer entièrement les spectacles. » pp. 191-194

Chapitre XXIII.
Impossibilité de réformer entièrement les spectaclesbt.

« Ut tamen hoc fatear, ludi quoque semina præbent
Nequitiæ : tolli theatra jube. »

Ovidius

Ovide, devenu sage dans le cours de ses disgrâces, avait représenté à Auguste que le moyen le plus capable de réformer les mœurs de Rome était, non pas d’épurer les théâtres, mais de les détruire. Après s’être longtemps élevé en France contre ces divertissements, on essaya de les réduire à quelque chose d’honnête et de supportable, mais on reconnut bientôt que le plaisant et le facétieux touchent de trop près au licencieux pour en être entièrement séparé. Si on avait pu approuver quelques représentations, c’étaient surtout celles que les maîtres proposaient quelquefois dans les collèges à leurs jeunes élèves, pour les aider à former leur style et leur action, et pour leur procurer à la fin de l’année un honnête délassement. Ces représentations étaient ordinairement en latin : le sujet en était toujours saint et pieux, et excluait tout ce qui s’éloignait de la décence. Les rôles de femmes et les habits de ce sexe y étaient inconnus, et l’usage en était très rare. Mais le parlement voyant d’un côté tout ce qu’on avait à redouter du goût excessif de la nation pour le théâtre, et voyant d’un autre que ces représentations de collège habituaient les jeunes gens à avoir moins d’horreur pour celles qui avaient lieu à la comédie, les supprima. Les amateurs des spectacles s’autorisaient de ces sortes de représentations. Cependant ils ne s’appuyaient que sur un abus dont les bons instituteurs désiraient la réforme. Si, sous des maîtres pieux, on avait tant de peine à contenir les théâtres dans les bornes de la décence, on sent aisément qu’ils ne peuvent qu’être très licencieux lorsqu’ils sont dirigés par des comédiens, qui n’ont d’autre but que de plaire aux spectateurs, et de tirer un salaire du plaisir qu’ils leur procurent. Si on excluait de la comédie les rôles de femmes et les déguisements, qui sont défendus aux chrétiens ; elle serait réduite à si peu de sujets, et ces sujets seraient si éloignés du goût des spectateurs, qu’elle tomberait d’elle-même : car elle ne se soutient que parce qu’elle présente un bizarre assemblage du bien et du mal, et que le mal l’emporte de beaucoup sur le bien. C’est parce qu’il est moralement impossible de sanctifier cette œuvre des ténèbres que, parmi les graves invectives des saints Pères contre elle, on ne voit point qu’ils aient songé à la réformer. Ils savaient que, quand on veut plaire, on le veut à quelque prix que ce soit, et que de toutes les pièces de théâtre qui sont toujours ou graves et passionnées, ou plaisantes et bouffonnes, on n’en trouverait pas une seule qui fût digne d’un chrétien ; on a cru qu’il valait mieux détruire la comédie que de penser à la réduire, contre sa nature, aux règles sévères de la vertu. César ne trouvait pas que Térence fût assez plaisant. On veut plus d’emportement dans le risible ; et le goût qu’on avait pour Aristophane et pour Plaute montre assez que le goût pour le risible dégénère ordinairement en licence. Térence qui, à l’exemple de Ménandre s’est modéré sur le ridicule, n’en est pas plus chaste pour cela : tant il est difficile de séparer le plaisant de l’illicite. La comédie, entreprenant de traiter les grandes passions, ne peut en quelque sorte se dispenser de remuer les plus dangereuses qui sont aussi les plus agréables. Lorsqu’elle veut faire rire, elle ne peut guère se dispenser d’être licencieuse ; et les gens du monde, quelque modérés qu’ils paraissent, l’aiment mieux de cette manière que si elle était entièrement chaste. On voit par expérience que la réforme qu’on a voulu introduire dans la comédie s’est terminée à bien peu de chose. Les farces, qui lui ressemblent beaucoup, et qui sont peut-être encore plus du goût des spectateurs, sont restées en possession de ce qu’il y a de plus ouvertement licencieux. Les pièces sérieuses ne seraient point goûtées, si l’amour n’y jouait le principal rôle. Ainsi, les efforts qu’on a faits pour purger le théâtre n’ont abouti qu’à présenter aux âmes informes des appâts plus cachés et plus dangereux.