(1823) Instruction sur les spectacles « Conclusion. » pp. 195-203
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(1823) Instruction sur les spectacles « Conclusion. » pp. 195-203

Conclusion.

« Fuis ce lieu dangereux, innocente pudeurbu ;
Fuis ces rochers couverts des débris de l’honneur. »

On reconnaissait les premiers chrétiens à leur éloignement pour le cirque. On n’avait d’autre reproche à leur faire que celui de ne jamais y paraître, et de ne point se couronner de fleurs comme les autres. Comme ces vrais disciples de Jésus-Christ, vous devez éviter les spectacles de nos jours, qui sont, sans contredit, plus funestes à la vertu que ceux du paganisme. Si on n’y adore plus les faux dieux, on y divinise les vices les plus honteux, on leur donne le coloris des vertus les plus sublimes ; on y avilit, on y dégrade les vertus les plus sublimes en leur faisant jouer des personnages gothiques et ridicules. La pudeur, l’innocence, la piété et la justice, n’y paraissent que pour essuyer le mépris des spectateurs : aussi les personnes foncièrement vertueuses et de bonne foi les regardent-elles comme une école d’impureté, comme le foyer de toutes les passions et le centre de tous les scandales qui ravagent la société. Pour peu que vous réfléchissiez sur tout ce qu’on y représente, vous reconnaîtrez aisément que les plaisirs du théâtre sont entièrement opposés à la morale évangélique, incompatibles avec l’esprit de piété qui doit animer tous les chrétiens, et qu’ils présentent encore aujourd’hui tous les dangers qui les ont fait condamner par les saints Pères. Plus irréligieux que ceux des païens, les théâtres d’aujourd’hui sont si loin de respecter la religion et ses ministres, qu’ils ne respectent pas même la Divinité. Pour faire expirer la pudeur, sans la faire rougir, ils dépouillent le ciel de ses foudres, ils jettent un voile de décence sur les obscénités les plus grossières, ils enduisent d’un vernis transparent les maximes les plus libertines, ils habillent de la gaze la plus claire les bouffonneries les plus sales. La vue des héros et des héroïnes imaginaires qui viennent y soupirer avec fureur leurs amours criminelles ferait sur votre cœur des impressions qui ne finiraient pas avec la pièce. Si vous éprouvez des tentations dans le temple du Seigneur au milieu des cérémonies les plus imposantes de la religion, où tout contribue à les éloigner et à les affaiblir, vous n’en seriez pas exempts dans ces temples de la volupté, où tout les fait naître et les fortifie. Ces pièces, dont la simple lecture, faite dans le silence du cabinet, serait capable d’échauffer votre âme, l’embraseraient d’un feu impur lorsqu’elles sont animées par les voix séduisantes des acteurs et par leurs attitudes passionnées. Les comédiennes, montées sur le théâtre à la place des passions, en secouant les torches de l’impureté sur les spectateurs, en feraient jaillir sur votre cœur des étincelles que vous ne pourriez pas facilement éteindre. Le démon n’exigerait pas de voir d’abord que vous vous livrassiez aux plus grands désordres, mais il ferait naître dans votre âme une multitude de pensées criminelles qui diminueraient ses forces, et qui lui feraient perdre la vie de la grâce.

Vous, jeune personne, gardez-vous de paraître dans ces lieux pernicieux où votre innocence ne manquerait pas de faire un triste naufrage. Votre âme, bientôt éprise des plaisirs trop vifs du théâtre, trouverait les plaisirs innocents trop froids et trop insipides, et ne sentirait plus que du dégoût pour la piété. Les devoirs que vous remplissez maintenant avec joie et facilité vous paraîtraient gênants et onéreux, et les plus respectables et les plus réels vous paraîtraient ridicules et chimériques. Vous douteriez des vérités saintes que vous avez crues fermement jusqu’ici, vous vous accoutumeriez à parler un langage doucereux et romanesque, et à tenir des propos dont votre innocence ne rougirait plus : vous deviendriez une femme sans principes et sans mœurs. Vous n’avez pas besoin de ces danses voluptueuses, de ces décorations éblouissantes et de ces enchantements diaboliques pour vous corrompre, cette concupiscence qui est en vous, et qui ne périra qu’avec vous, ne vous en donne que trop souvent l’occasion. Si vos parents veulent vous conduire au spectacle, et vous engagent à y aller, rappelez-vous qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes.

Pères et mères, loin de vous montrer les fauteurs et les protecteurs de cette œuvre des ténèbres, éloignez-en vos enfants, sauvez-les du naufrage ; si, dans la crainte de les attrister, vous les conduisiez vous-mêmes dans ces assemblées ténébreuses, vous ne seriez pas moins cruels et moins barbares que ces peuples idolâtres qui immolaient leurs enfants aux faux dieux : vous immoleriez les vôtres, non point aux faux dieux, mais au démon de la volupté. N’est-ce point assez que vous leur ayez communiqué le feu de la concupiscence en leur donnant la vie, faut-il que vous en augmentiez l’activité en les conduisant dans ces lieux pervers ? Ne soyez donc plus étonnés s’ils ne vous respectent plus, s’ils méprisent vos ordres, s’ils ont secoué le joug de l’obéissance et de la soumission qu’ils vous doivent, s’ils se livrent au libertinage ; ce sont là les tristes résultats des maximes antichrétiennes et libertines qu’ils ont recueillies au théâtre : sous prétexte de corriger en eux quelques travers et quelques ridicules, on leur a fait avaler le poison de la volupté, dont la violence les porte à toute sorte d’excès.

Chrétiens, gardez-vous bien d’aller au théâtre, quand même le sujet de la pièce serait tiré de l’Ecriture sainte. Vous avez pour vous diriger l’Eglise de Jésus-Christ, qui est la colonne de la vérité : écoutez sa voix, vous marcherez dans le chemin du salut. Les auteurs de ces pièces ne sont pas dignes d’être les interprètes de l’Ecriture sainte et les organes du Saint Esprit. Les comédiens ne pouvant être revêtus que d’une sainteté romanesque, sont incapables d’exprimer et de persuader les vertus héroïques des saints : il ne sied point à des comédiennes de prêcher la modestie et la décence et de représenter l’innocence des vierges.

Vous, qui ne fréquentez les théâtres que pour vous décharger du poids de l’oisiveté, et qui n’y éprouvez que de l’ennui, cessez donc de rechercher un divertissement dont vous sentez bien le vice et le faux : craignez que votre assiduité à y aller ne vous en fasse naître le goût, et ne le rallume en vous, s’il était éteint ; souvenez-vous que l’on apprend facilement à faire ce que l’on a coutume de voir. Vous dites que vous en revenez triste et mécontent, vous faites voir par là que vous êtes fâché d’en rapporter un peu d’innocence, et que vous n’y cherchiez que des plaisirs illégitimes. Il faut que votre blessure soit bien profonde pour désirer qu’elle le soit encore davantage ; il faut que vous soyez bien familiarisé avec le mal, pour être plus corrompu que le théâtre n’est corrupteur. Mais fussiez-vous invulnérable et inaccessible à toute espèce de corruption, votre présence au théâtre est un sujet de scandale pour plusieurs, et ce motif seul devrait vous en éloigner pour toujours. Votre présence au théâtre est un sujet de scandale pour ces âmes faibles qui ne se décident que sur l’exemple d’autrui, qui ne penseraient point à y aller, si elles ne vous y voyaient point courir avec une espèce de fureur, et qui n’y vont que parce qu’elles y sont entraînées par l’exemple pernicieux que vous leur donnez. Votre présence au théâtre est un sujet de scandale pour les acteurs que vous entretenez dans une profession frappée de tous les anathèmes de l’Eglise, et qui les voue à l’infamie publique ; c’est pour vous plaire que ces insensés se séparent de la communion des fidèles, qu’ils s’éloignent des sacrements et qu’ils seront peut-être à la mort privés de la sépulture ecclésiastique. C’est pour satisfaire votre goût déréglé pour les plaisirs, qu’ils renoncent en quelque sorte à leur salut. En contribuant pour votre part à les entretenir dans une profession aussi criminelle et aussi déshonorante, vous participez à leur faute, et vous attirez sur votre tête les éclats des foudres que l’Eglise lance contre eux. Votre présence au théâtre est un sujet de scandale pour les auteurs dramatiques, qui, pour flatter la corruption de votre cœur, composent licencieusement et chargent la scène d’intrigues amoureuses et d’impiétés révoltantes. Vous avez beau désapprouver secrètement leurs pièces, votre présence leur sert d’applaudissement et est un suffrage de plus que vous leur donnez ; votre présence au théâtre est un sujet de scandale pour vos frères à qui vous donnez l’exemple d’une dureté barbare envers les malheureux. En vous réunissant pour enrichir des bouffons et des histrions, vous vous mettez dans l’impossibilité de soulager les membres souffrants de Jésus-Christ, vous devenez insensibles à leurs misères. L’expérience prouve qu’il n’y a point d’âmes plus dures et plus féroces que celles qui s’attendrissent sur des malheurs chimériques et romanesques. N’a-t-on pas vu un fils abandonner le chevet de son père mourant pour voler au spectacle ? N’avez-vous pas assez de malheurs réels à pleurer et à réparer, sans gémir sur des malheurs imaginaires ? N’est-ce pas une barbarie que de couvrir, par les cris que la joie vous fait pousser au théâtre, les cris que la douleur arrache à tant de malheureux qui vous environnent de toutes parts ?

Ne croyez point que la protection que l’autorité civile accorde aux théâtres en rende les plaisirs plus décents et moins dangereux. La police extérieure souffre quelquefois de moindres maux pour en éviter de plus grands, si elle occupe pendant deux heures des gens corrompus à des divertissements mauvais pour eux-mêmes, c’est pour les empêcher de commettre ailleurs des crimes plus grands, qui compromettraient la sûreté publique. Aussi ce ne fut jamais faire l’éloge de la moralité d’une ville que de dire qu’elle avait dans ses murs un théâtre fréquenté. Laissez les hommes malfaisants et les femmes perdues chercher au théâtre un aliment proportionné à la corruption de leur cœur, la sûreté publique y gagnera peut-être ; mais vous, fuyez des plaisirs auxquels vous ne pouvez vous livrer sans danger, et qui vous rendraient moins fort pour résister aux attaques des passions. Ceux que vous y voyez aller assidument ne sont pas toujours aussi respectables que vous pourriez vous l’imaginer. Ce sont ordinairement des esprits légers, des hommes inutiles, des époux qui, fatigués de leurs querelles domestiques, seraient chez eux des acteurs peut-être plus tragiques et plus comiques que ceux qu’ils vont voir. Ne vous étayez point de l’autorité de certains casuistes qui ne condamnent pas absolument les plaisirs du théâtre ; n’oubliez pas qu’ils sont forcés de convenir que ces plaisirs sont du moins frivoles et suspects, et que l’on ferait mieux de s’en passer. Mais ces casuistes ne sont pas sûrement des ecclésiastiques bien respectables, ils gémissent peut-être en secret de ce que leur état les empêche d’aller à la comédie. Sont-ils plus instruits des règles des mœurs et des vérités de la foi que les saints Pères, que Bossuet, que saint François de Sales, qui les condamnent ? Si un aveugle conduit un autre aveugle, dit l’Esprit saint, ils tomberont tous deux dans la fosse. Préférez le sentiment de ces grands personnages, qui vous conduiront dans la voie du salut, à celui de ces imprudents directeurs qui vous en éloigneraient. Ces grands hommes vous disent qu’on ne peut aller au théâtre sans abjurer sa qualité de chrétien, sans désobéir à l’Eglise, sans se livrer aux vanités et aux pompes auxquelles on a renoncé dans le baptême, et sans se fermer l’entrée du ciel. Ils ajoutent que, si vous n’y renoncez pas pour toujours au lit de la mort, vous vous donnerez, à vous-même et aux autres, un spectacle bien triste et bien tragique. La terreur, l’épouvante, le désespoir, composeront cette scène d’horreur dont le dénouement sera votre réunion dans l’enfer avec les poètes, les comédiens et les spectateurs aux fautes desquels vous aurez participé et qui auront participé aux vôtres.

FIN.