(1705) Traité de la police « Chapitre premier. Des Spectacles anciens, leur origine, leur division, leurs dérèglements, et les Lois qui ont été faites pour les réformer. » pp. 434-435
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(1705) Traité de la police « Chapitre premier. Des Spectacles anciens, leur origine, leur division, leurs dérèglements, et les Lois qui ont été faites pour les réformer. » pp. 434-435

Chapitre premier.
Des Spectacles anciens, leur origine, leur division, leurs dérèglements, et les Lois qui ont été faites pour les réformer.

Tous les spectacles des Anciens étaient divisés en jeux de théâtre, θεατείκοι, et en jeux gymnastiques, γυμναϛιχοι ; ou selon les Latins en jeux qui se représentent sur la scène, ou qui s’exercent dans le cirque, scenici, et circenses, ce qui revient à la même signification du Grec. Ils subdivisaient ensuite les jeux de théâtre en Tragédie, Comédie, Mimes et Pantomimes ; et les jeux du Cirque en combats de différentes espèces, luttes, courses à pied, à cheval ou dans des chars, et en autres exercices du corps, soit par des personnes libres, ou par des Gladiateurs, et quelquefois par ceux-ci contre les bêtes féroces.
La Tragédie fut inventée par Icace qui régnait dans l’Attique vers l’an du Monde 2700. Ce n’était originairement qu’un poème que l’on chantait en dansant en l’honneur de Bacchus, et après lui avoir immolé un bouc. Les Grecs choisirent cet animal pour victime, parce qu’il fait un fort grand dégât des vignes, qui étaient selon eux sous la protection de Bacchus. Ce poème et ce sacrifice furent nommés Tragodie, et depuis par adoucissement Tragédie, de ces deux mots, τράγος, bouc, et ὠδὴ chanson. Les Athéniens y ajoutèrent des chœurs de musique et des danses réglées. Thespis y introduisit un Acteur vers l’an du Monde 3530. et quelques-autres depuis les augmentèrent jusqu’à trois. Ceux-ci mêlèrent au chant et aux danses les récits d’actions héroïques, tirés de l’Histoire ou de la Fable : tout cela se fit d’abord sans beaucoup d’appareil et sans qu’aucun lieu y fut singulièrement destiné. Les Athéniens furent les premiers qui inventèrent la commodité du théâtre et la pompe des décorations, qui rendirent l’action beaucoup plus commode et plus magnifique. La Tragédie se perfectionna toujours de plus en plus ; on lui donna des règles, et la principale fut de n’y admettre que des personnages distingués par leur rang, leur vertu, et par la triste et funeste fin de leur aventure, ou de leur vie.

La Comédie nous vient aussi des Grecs : Jules César Scaliger, et quelques-autres l’estiment plus ancienne que la Tragédie, et d’autres au contraire, qu’elle est plus nouvelle. C’est une pièce de théâtre où l’on représente les actions du peuple et les événements ordinaires de la vie commune. Elle eut encore de plus faibles commencements que la Tragédie ; ce ne furent d’abord que des chansons pleines de railleries et de médisances, qui se chantaient dans les places publiques des Bourgs et des Villages. Le nom de Comédie qui lui fut donné, et qu’elle porte encore aujourd’hui, nous marque assez cette origine. Il fut composé de ces deux mots, κώμη, Village ; ὠδὴ, chanson. L’on y ajouta bientôt des Acteurs, et alors la Comédie eut ses personnages, et ses sujets déterminés ainsi que la Tragédie.

Les Grecs ont varié trois fois dans leurs représentations comiques ; ce qui a distingué leurs Comédies en vieille, moyenne et nouvelle.

Dans les vieilles Comédies, en reprenant les vices, ils apostrophaient les personnes et les appelaient par leur nom, sans aucun déguisement. Eupolis, Cratinus et Aristophane s’étaient rendus formidables par cette méthode. Ils reprenaient avec une entière liberté, dit Horace, tous ceux qui méritaient d’être notés pour leurs malices, leurs rapines, leurs débauches, et leurs autres crimes. Cette manière de dire les vérités était assez du goût du peuple, et n’était pas désagréable à la plus grande partie des personnes de qualité. On s’en lassa néanmoins par le scandale et les animosités que cela causait. Alcibiade fit publier dans Athènes une Ordonnance vers l’an du Monde 3647. avant J.C. 407. qui défendit à tous Poètes de nommer les personnes dans leurs pièces comiques.

Cette Loi donna naissance à l’autre espèce de Comédie que l’on a nommée moyenne ; elle consistait à représenter des actions véritables sans nommer les personnes. Ce fut le même Aristophane qui l’inventa : Philémon, Platon le Comique, et plusieurs autres à son imitation prirent cet honnête milieu entre la sévérité de nommer les coupables, et la complaisance de dissimuler les vices ; il y avait encore beaucoup à redire à cette méthode : tous ceux qui avaient eu part à l’action véritable qui était représentée, ne laissaient pas de s’en offenser quoiqu’ils ne fussent point nommés. Il arrivait même souvent que la malignité qui accompagne toujours la satyre, les indiquait par des portraits si vifs et si naturels, qu’il était presque impossible de les méconnaître. Cela donna lieu à une seconde réforme de la Comédie, qui consistait à n’y représenter que des sujets feints et sous des noms inventés. Ménandre en fut l’Auteur, ou du moins celui qui la mit en crédit par son habileté à y réussir. Ce fut celle-ci qu’ils nommèrent Comédie nouvelle, et dont ils conservèrent l’usage.

Les Mimes étaient certains Bouffons qui divertissaient le peuple dans les maisons particulières, ou en public, par des postures ridicules. Les plus habiles d’entr’eux avaient aussi l’adresse d’exprimer par des gesticulations ingénieuses du corps, des doigts et des yeux, les principales actions d’une Comédie. Ceux qui excellaient dans cette Profession furent nommés Pantomimes, de ces deux mots παντὸ, tout, μϊμος, imitateur. Ils paraissaient quelquefois sur le théâtre dans les intermèdes, pour divertir et amuser le peuple, pendant que les Acteurs se reposaient ; et ils jouaient une espèce de Comédie muette, représentant par leurs gestes ce qui se devait jouer dans l’Acte suivant.
Ils avaient aussi des Danseurs de corde qu’ils nommaient Schœnobates, de χοίνος, corde, et βάτης, qui dans la composition signifie celui qui marche. Ceux-ci exerçaient leur art de quatre différentes manières. Les premiers voltigeaient autour d’une corde, comme une roue autour de son essieu, et s’y suspendaient par les pieds ou par le cou : les seconds y volaient de haut en bas, appuyés sur l’estomac, ayant les bras et les jambes étendus. Les troisièmes couraient sur la corde tendue en droite ligne, ou de haut en bas : les derniers enfin non seulement marchaient sur une corde, mais ils y faisaient aussi des sauts périlleux, et plusieurs autres tours de subtilité du corps.

Tous ces jeux passèrent de la Grèce en Italie, mais en différents temps. Les Gymnastiques y furent apportés par Enée, lorsqu’il s’y établit avec sa Colonie de Troyens fugitifs. Romulus les augmenta, et Tarquin l’ancien fit construire le grand Cirque pour les représenter plus commodément, et avec plus de magnificence. Les jeux de théâtre moins conformes à l’humeur austère et martiale des Romains n’y furent admis que l’an 389. de la fondation de Rome. Une peste qui ravageait alors l’Italie en fournit l’occasion. Ces Peuples idolâtres et superstitieux jusqu’à l’excès, crurent qu’en représentant ces jeux en l’honneur de leurs fausses Divinités, cela les appaiserait, et ferait cesser le fléau.

Les uns et les autres firent des progrès à proportion que l’Etat devint plus florissant ; ils en instituèrent en l’honneur de Jupiter, d’Apollon, de Neptune, de Mars, de Cérès, de Cybèle, de Flore et de leurs autres principales Divinités. Les Magistrats en faisaient représenter avant que d’entreprendre une guerre, ou en action de grâces d’une bataille gagnée, ou de quelqu’autre événement favorable. Ils en célébraient la dernière année de chacun des siècles. Les Grands et les riches en donnaient aux pompes funèbres de leurs parents, dans cette pensée, que le sang de leurs Esclaves gladiateurs qu’ils y faisaient répandre, et la vie que ces malheureux y perdaient, étaient autant de sacrifices agréables aux Mânes des défunts. Il y en eut enfin qui n’avaient d’autre objet que l’exercice du corps et le pur divertissement.

Ainsi après avoir divisé leurs spectacles selon leur matière, en jeux de théâtre et jeux du cirque : ils les divisèrent ensuite par rapport à leur fin, en jeux sacrés, jeux votifs, jeux funèbres et jeux de plaisir. Inter ludos sacros, votivos, funebres et ludicros.

Ils conservèrent aussi l’usage des Mimes et des Pantomimes sous ces mêmes noms Grecs, et celui des Danseurs de corde qu’ils nommèrent, Funambuli, de funis corde, et ambulo je marche ; et ils ajoutèrent enfin à tous ceux-ci les Histrions, qui joignaient des récits de vive voix aux postures et aux gesticulations des Mimes : ce nom fut donné à ces derniers, selon quelques-uns, parce qu’ils étaient venus de l’Histrie, ou selon d’autres, dont Plutarque est du nombre, parce que celui qui inventa cette sorte de jeux se nommait Hista, et qu’il fit passer son nom à tous ceux de sa profession.

Quoique par une superstition affreuse ces Anciens engagés dans l’erreur du Paganisme, fissent entrer la Religion dans tous ces spectacles profanes, ils ne s’y comportaient pas néanmoins avec plus de sagesse, d’humanité et de modestie ; les nudités, les paroles et les postures impudiques, l’effusion du sang des Acteurs, la perte de leur vie, les cruels combats contre les bêtes féroces en faisaient souvent les principales circonstances, et selon eux les plus grands agréments.

Aussi les plus sages des Païens condamnaient-ils ces dérèglements outrés, et par leur exemple aussi bien que par leurs paroles, ils portaient leurs Concitoyens à s’éloigner de ces cruels et de ces funestes divertissements. Les Lacédémoniens par ces considérations en abolirent même totalement l’usage dans leur République.

Depuis la naissance du Christianisme, ces spectacles et ces jeux se trouvèrent encore beaucoup moins compatibles avec la sainteté de notre Religion et la pureté de nos mœurs. Une abolition totale aurait été néanmoins difficile et peut-être dangereuse. Les Païens qui composaient encore le plus grand nombre du Peuple, auraient eu peine à la souffrir, et cette condescendance que l’on avait pour eux, pouvait être d’ailleurs un attrait pour leur conversion. C’était encore, disait-on, un amusement qui les empêchait de commettre de plus grands crimes, et qui les détournait des cabales et des conspirations. Ainsi l’Eglise se contenta d’abord d’en blâmer l’exercice, et d’en découvrir aux Chrétiens tous les écueils pour les en détourner. Et les Empereurs ne purent faire autre chose de leur part, que d’en diminuer le nombre et d’en réformer les abus les plus grossiers.

Ce fut dans cet esprit de réduction que Valentinien, Valens, et Gratien par une Loi de l’an 372. « ordonnèrent que les jeux seraient seulement représentés dans les Villes où ils avaient été établis d’antiquité, » et défendirent de les transférer en d’autres lieux.

La présence des Magistrats autorisait ordinairement la licence et les autres désordres du théâtre et du cirque. Les jeux étaient attachés à certains jours des mois, et ces jours tombaient quelquefois au Dimanche ; la représentation commençait dès le grand matin jusqu’à midi, recommençait après dîner jusqu’à l’entrée de la nuit ; et la licence était toujours beaucoup plus grande à la fin qu’au commencement : les dépenses enfin y étaient excessives, et c’était à qui en donnerait de plus extraordinaires et de plus magnifiques.

Théodose, Gratien et Valentinien firent cesser tous ces inconvénients par une Loi du 19. Mai de l’an 386. Elle fait défenses à tous Juges de se trouver aux jeux publics, « soit du théâtre, soit du cirque, sinon lorsqu’ils seront donnés pour célébrer le jour de la naissance des Empereurs, ou celui de leur avènement à l’Empire. Elle leur défend même en ces jours d’y assister l’après-dîner. Elle ordonne que la dépense en sera réglée par les Consuls, et fait défenses à tous autres Juges d’en connaître. Elle défend enfin d’en représenter aucuns le jour du Dimanche, pour ne pas confondre, dit cette Loi, une solennité toute divine avec ces spectacles profanes. »
Entre les spectacles il y en avait un qu’ils nommaient Majuma, qui était rempli d’obscénités. L’Empereur Constance le défendit par une Loi dont Libanius et S. Chrysostome font mention, et que nous n’avons point. Julien l’Apostat et Valentinien son successeur, pour satisfaire le Peuple, en tolérèrent le rétablissement. Théodose le souffrit pendant quelque temps, et sur la fin de son règne le défendit. Honorius et Arcadius importunés par le Peuple en ordonnèrent le rétablissement, par une Loi du vingt-quatre Avril 396. mais à « condition de n’y rien représenter qui put blesser la pudeur, ou qui fut en quelque autre manière contre les bonnes mœurs. »
Le purger ainsi de ce qu’il avait de mauvais, c’était véritablement l’interdire ; car tout ce qu’il y avait de plus sale et de plus honteux, en faisait l’essentiel : il parut néanmoins en vertu de cette Loi, mais toujours accompagné de ces mêmes ordures ; ce qui le fit enfin totalement abolir par une Loi des mêmes Princes, du mois d’Octobre 399.

Par cette même Loi, pour ne pas jeter le Peuple dans la tristesse, par une trop grande austérité sur cette matière des spectacles, ne ex nimia harum restrictione tristitia generetur ; ils permirent la représentation des autres jeux, à condition d’en retrancher toutes sortes de licences contraires à l’honnêteté, et aux bonnes mœurs.

La Loi qui interdisait les spectacles le jour du Dimanche, ne faisait aucune mention des Fêtes, on les y avait sans doute sous-entendues ; quelques-uns prétendirent qu’elles n’y étaient pas comprises ; les Juifs et les Païens soutenaient, que du moins à leur égard ces Lois, qui avaient pour fondement le Christianisme, ne les regardaient point, et s’émancipaient d’y contrevenir ; cela donna lieu à une Loi de Théodose le Jeune, et de Valentinien de l’an 425. « Elle porte de nouvelles défenses, de représenter aucuns jeux, soit du théâtre, soit du cirque le jour du Dimanche, et y ajoute les jours de Noël, de l’Epiphanie, de Pâques, les cinquante jours d’entre Pâques et la Pentecôte, et les Fêtes des Apostres, afin, dit cette Loi, qu’en ces saints jours, le Peuple n’étant point distrait par des plaisirs profanes, put appliquer tout son esprit au service de Dieu. Et elle ordonne, que les Juifs et les Païens seront soumis à ces dispositions. »
Enfin Théodoric Roi des Goths s’étant rendu le Maître de l’Italie l’an 493. y abolit les combats cruels, et sanglants du cirque, tous les autres Princes Chrétiens en ont fait autant dans leurs Etats ; et de ces spectacles des Anciens ; il n’est plus resté que ceux du Théâtre.