(1705) Traité de la police « Chapitre II. De l’origine des Histrions, des Troubadours, des Jongleurs, et des autres petits spectacles qui ont précédé en France l’établissement des grandes pièces de Théâtre, et des Règlements qui les ont disciplinés. » p. 436
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(1705) Traité de la police « Chapitre II. De l’origine des Histrions, des Troubadours, des Jongleurs, et des autres petits spectacles qui ont précédé en France l’établissement des grandes pièces de Théâtre, et des Règlements qui les ont disciplinés. » p. 436

Chapitre II.
De l’origine des Histrions, des Troubadours, des Jongleurs, et des autres petits spectacles qui ont précédé en France l’établissement des grandes pièces de Théâtre, et des Règlements qui les ont disciplinés.

Les Cirques et les Amphithéâtres, dont on montre encore aujourd’hui les débris dans les principales Villes de France, qui ont été les premières sous la domination des Romains, ne laissent aucun lieu de douter, qu’après leurs conquêtes des Gaules, ils y établirent tous les jeux, et tous les spectacles qui étaient en usage à Rome.

La décadence de l’Empire, au commencement du cinquième siècle, attira celle de ces mêmes jeux, et les ensevelit, pour ainsi dire, sous les ruines des lieux où ils avaient été autrefois représentés. Les armes victorieuses des Français, des Bourguignons, et des autres Conquérants, qui en partagèrent les Provinces entr’eux, donnèrent bien d’autres spectacles à l’Europe.

Nos premiers Rois tout occupés à conserver, ou à étendre leurs conquêtes, et à s’affermir sur leur nouveau Trône, plus souvent à la tête de leurs Armées que dans leurs Palais, négligèrent longtemps les jeux et les plaisirs, qui ne sont ordinairement que les fruits d’une heureuse et parfaite tranquillité.

De là vient que dans leurs Ordonnances, il n’est fait mention que des seuls Histrions ou Farceurs, les plus méprisables de tous les spectacles anciens. Ceux-ci qui n’étaient attachés à aucun lieu permanent, continuèrent à courir le monde, et à représenter leurs bouffonneries dans les Places publiques, ou dans les maisons des particuliers qui les y appelaient pour s’y donner ce plaisir. Ils ne furent pas longtemps sans abuser de cette liberté ; les obscénités et les insolences qu’ils mêlerent dans leurs récits et dans leurs postures, les rendirent enfin odieux, et attirèrent également contr’eux l’indignation de l’une et de l’autre des deux Puissances, la spirituelle et la temporelle.

Charlemagne par une Ordonnance de l’an 789. les mit au nombre des personnes infâmes, et auxquelles il n’était pas permis de former aucune accusation en Justice.

Les Conciles de Mayence, de Tours, de Reims, et de Châlon-sur-Saone qui furent tenus l’an 813. défendirent aux Evêques, aux Prêtres et aux autres Ecclésiastiques, d’assister à aucuns de ces spectacles ; à peine de suspension, et d’être mis en pénitence.

Charlemagne autorisa cette disposition par une Ordonnance de la même année ; elle est fondée sur ce motif, que pour se conserver l’âme pure de tous vices, il fallait éviter de voir ou d’entendre les insolences de ces jeux sales et honteux des Histrions. Histrionum turpium et obscœnorum insolentias jocorum : c’est ainsi que ce Prince les qualifie.

Ils furent enfin tellement décriés, que l’usage en était aboli, lorsque Hugues Capet parvint à la Couronne ; du moins nous ne trouvons plus que depuis ce temps il en soit fait aucune mention.

A ces Farceurs succédèrent les Trouvères ou Troubadours ; les Conteours et les Jugleours ; ces noms nous en découvrent assez l’origine, quand l’histoire serait demeurée sur cela dans le silence : ils sont Provençaux, et tous ceux de ces professions venaient en effet de cette Province, et se répandirent dans toutes les autres parties de la France.

Les Trouvères ou Trouveours, composaient en vers des sujets tirés de l’histoire des Grands Hommes, qu’ils nommaient leurs Gestes, du Latin, Gesta ; ils y mêlaient quelquefois la Satyre contre les vices, ou les éloges de la vertu. D’autrefois ils les composaient de contes fabuleux, ou de Dialogues entre des Amants ; ce qu’ils nommaient Tensons, syruentes Fabliaux, ou disputes d’amours : ils récitaient eux-mêmes les vers de leur composition, ou les faisaient chanter par les Chanteours ou Chantres.

Les Conteours ou Conteurs inventaient des Historiettes en prose qui ont été imitées par Boccace, et comme sont aujourd’hui nos contes des Fées ; et les Jongleours ou Jongleurs jouaient des instruments. Ainsi pour se rendre plus agréables, ils se joignaient souvent ensemble, et se trouvaient aux grandes assemblées, pour divertir ceux qui voulaient les employer. Les Princes et les Grands Seigneurs se donnaient souvent ce plaisir, et leur faisaient de riches présents.
Les plus habiles d’entre les Trouveours, qui étaient les Poètes de ce temps, et les chefs de cette troupe moururent ; d’autres leur succédèrent, mais fort incapables. Dans ce débris tous ceux de cette profession se séparèrent en deux différentes espèces d’Acteurs ; les uns sous l’ancien nom de Jongleurs, joignirent aux instruments le chant, ou le récit des vers. Les autres prirent simplement le nom de Joueurs, Joculatores, c’est ainsi qu’ils sont nommés dans les anciennes Ordonnances. Tous les jeux de ceux-ci consistaient en gesticulations, tours de passe-passe, par eux, ou par des singes qu’ils portaient, ou en quelques mauvais récits du plus bas burlesque. Les uns et les autres tombèrent enfin dans un tel mépris, et les folies qu’ils débitaient dans le Public parurent si scandaleuses, que par un commun Proverbe, lorsqu’on voulait parler d’une chose mauvaise, folle, vaine ou fausse, on la nommait jonglerie ; et que Philippe Auguste dès la première année de son règne, les chassa de sa Cour, et les bannit de ses Etats.
Quelques-uns néanmoins qui se reformèrent s’y rétablirent, et y furent soufferts dans la suite du règne de ce Prince, et des Rois ses Successeurs : nous en avons la preuve dans un tarif qui fut fait par saint Louis, pour régler les droits de péage, qui se payaient à l’entrée de Paris sous le Petit Châtelet ; l’un des articles porte, que le « Marchand qui apporterait un Singe pour le vendre, payerait quatre deniers ; que si le singe appartenait à un homme qui l’eût acheté pour son plaisir, il ne donnerait rien : que s’il était à un joueur, il en jouerait devant le Péager, et que par ce jeu, il serait quitte du péage, tant du singe, que de tout ce qu’il aurait acheté pour son usage. C’est de là vraisemblablement que vient cet ancien Proverbe populaire, payer en monnaie de singe, en gambades. Un autre article porte qu’à l’égard des Jongleurs, ils seraient aussi quittes de tous péages, en faisant le récit d’un couplet de chanson devant le Péager. »
Tous prirent dans la suite ce nom de Jongleurs comme le plus ancien, et les femmes qui s’en mêlaient celui de Jongleresses : ils se retirèrent à Paris dans une seule rue qui en avait pris le nom de rue des Jongleurs, et qui est aujourd’hui celle de saint Julien des Ménétriers ; on y allait louer ceux que l’on jugeait à propos pour s’en servir dans les fêtes ou assemblées de plaisir. Il y a une ancienne Ordonnance de Guillaume de Germont Prévôt de Paris, du jour de sainte Croix en Septembre 1341. qui défend à ceux ou à celles des Jongleurs ou « Jongleresses, qui auraient été louées pour venir jouer dans une assemblée, d’en envoyer d’autres en leurs places, ou d’en amener avec eux un plus grand nombre que celui dont on serait convenu. »
Par une autre Ordonnance du Prévôt de Paris, du quatorzième Septembre 1395. il leur fut défendu, « de ne rien dire, représenter, ou chanter dans les Places publiques ou ailleurs, qui put causer quelque scandale, à peine d’amende arbitraire, et de deux mois de prison au pain et à l’eau. Depuis ce temps il n’en est plus fait aucune mention. »
Ce n’est pas que l’usage de ces spectacles se perdit ; mais les principaux d’entre les Acteurs s’étant adonnés à faire plusieurs tours surprenants et périlleux, avec des épées et d’autres armes, on commença de les nommer Batalores, et en Français Bateleurs : ce nom a depuis passé à tous les autres Histrions ou Jongleurs, et ils n’en ont point d’autres aujourd’hui.

Il y a encore eu des Règlements contre eux sous ce dernier titre, pour les soustenir dans leur devoir. Tous sont renfermés dans celui du mois de Janvier 1560. aux Etats d’Orléans ; il fait défenses à tous Joueurs de farces, « Bateleurs, et autres semblables gens, de jouer les jours de Dimanches et de Fêtes, aux heures du Service divin ; de se vêtir d’habits Ecclésiastiques, et de jouer des choses dissolues, ou de mauvais exemple ; à peine de prison, et de punition corporelle : il fait aussi défenses à tous Juges de leur donner permission de jouer que sous ces conditions. » Ces mêmes défenses furent réitérées par Arrêt du Parlement du 15. Octobre 1588. et cette discipline n’a reçu depuis aucun changement.