(1707) Réflexions chrétiennes « Réfléxions chrétiennes, sur divers sujets. Où il est Traité. I. De la Sécurité. II. Du bien et du mal qu’il y a dans l’empressement avec lequel on recherche les Consolations. III. De l’usage que nous devons faire de notre temps. IV. Du bon et mauvais usage des Conversations. Par JEAN LA PLACETTE, Pasteur de l’Eglise de Copenhague. A AMSTERDAM, Chez PIERRE BRUNEL, Marchand. Libraire sur le Dam, à la Bible d’Or. M DCCVII — Chapitre XIII. Du temps que l’on perd au bal et à la danse. » pp. 280-284
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(1707) Réflexions chrétiennes « Réfléxions chrétiennes, sur divers sujets. Où il est Traité. I. De la Sécurité. II. Du bien et du mal qu’il y a dans l’empressement avec lequel on recherche les Consolations. III. De l’usage que nous devons faire de notre temps. IV. Du bon et mauvais usage des Conversations. Par JEAN LA PLACETTE, Pasteur de l’Eglise de Copenhague. A AMSTERDAM, Chez PIERRE BRUNEL, Marchand. Libraire sur le Dam, à la Bible d’Or. M DCCVII — Chapitre XIII. Du temps que l’on perd au bal et à la danse. » pp. 280-284

Chapitre XIII.
Du temps que l’on perd au bal et à la danse.

Le bal a beaucoup de choses qui lui sont communes avec le theatre, mais la principale est la perte du temps qu’on y passe. En effet, on ne peut nier que ce ne soit là tout au moins une occupation bien frivole. Qu’on en pense ce que l’on voudra. On ne me contestera pas au moins que ce ne soit quelque chose de bien inutile ; et en effet, on ne sauroit indiquer un seul bon effet qu’il produise. Vaut-il donc la peine qu’on y emploie autant de temps et de dépense qu’il en faut necessairement, et pour y paroître, et pour se mettre en état de le pouvoir faire, apprenant des années entieres ce ridicule exercice ?

Dés là donc tout ce temps est un temps perdu, ce qui, comme on l’a déja veu, n’est pas peu de chose, sur tout pour des gens qui en auroient tant d’autres plus utiles et plus pressantes à faire. Sur tout encore si l’on considere que ce n’est pas ici le seul temps qu’on perd. Je veux, en effet, que cette perte ne paroisse pas grande à la regarder toute seule. Peut-on me nier qu’elle n’aille extrémement loin si on la joint aux autres dont j’ai parlé, et qu’en les prenant toutes ensemble, elles n’absorbent la meilleure partie de la vie ?

Mais ce n’est pas là le seul manquement que je remarque dans le procedé de ceux qui se font une grande affaire d’un amusement aussi creux, et aussi vain que celui-ci. Je compte pour beaucoup plus la maniere immodeste, et nullement Chrétienne, pour ne pas dire dissolue, en laquelle on se pare et on se produit dans ces occasions, l’excés des ornemens dont on s’embarrasse, et l’étalage qu’on fait de ce que la pudeur voudroit qu’on cachât. Quoi de plus opposé, en effet, que ce qui se pratique dans ces occasions, et ce que S. Paul vouloit que son cher Disciple recommandât aux femmes d’Ephese, Que les femmes, dit-il, se parent d’un vêtement honéte, avec pudeur et modestie, non point avec des tresses, ni avec de l’or, ni avec des perles, ni des habillemens somptueux, mais de bonnes œuvres, comme il est seant à des femmes qui font profession de servir Dieu. I. Tim. II. 9. 10.

Je souhaitterois aussi qu’on fît attention aux pieges que tout ceci tend à la chasteté, et au danger qu’il y a que le démon s’en prevaille pour nous porter au peché. Et on ne peut nier que les bals n’aient produit souvent cet effet. Est-il donc de la prudence Chrétienne de s’exposer soi-même, et d’exposer les autres à de tels dangers ? N’est-il pas juste de les éviter, et de fuir toutes ces occasions d’offenser Dieu et de se perdre ?

Il est bon encore de considerer qu’un des plus grands attraits qu’ait le bal c’est l’esperance qu’on a d’y faire remarquer son adresse, et de s’attirer les éloges, et l’admiration même des assistans. Et que peut-on imaginer de plus vain qu’une telle pretension ? Qu’y a-t’il même de plus dangereux ? Car comme je l’ai remarqué dans un autre endroit, on cherche par là à nourrir et à fortifier l’orgueil, et par consequent on envenime un mal qu’on ne devroit penser qu’à guerir.

Quand même tout ce que je viens de dire ne seroit pas vrai, je ne vois pas comment on pourroit me nier que ce ne soit un contretemps insupportable, que de rechercher tous ces vains divertissemens lors qu’on est appellé à gémir et à pleurer, comme on l’est toutes les fois que l’Eglise est dans la souffrance. En effet, s’abandonner alors à la joie, et se plonger sans reserve dans les plaisirs des mondains, c’est faire voir avec la derniere évidence qu’on regarde les maux de l’Eglise avec un œil fort indifferent, ce qui marque une disposition d’esprit tout à fait profane, et trés-opposée à tout ce qu’il y a de plus essentiel à la veritable regeneration. Qu’on en juge par les reproches que le Prophete Amos faisoit à cette occasion aux anciens Israélites, trouvant fort mauvais qu’ils se plongeassent dans le luxe, et dans la débauche, et ne fussent pas malades de la froissure de Joseph : Amos. VI. 4. 5. 6.

Est-ce là cependant quelque chose de fort extraordinaire que de voir l’Eglise de Dieu dans l’affliction ? N’est-ce pas là l’état où elle se trouve presque toûjours, sur tout depuis trente ans, ou environ ? Je ne m’amuserai pas à prouver, ou même à presser ceci. Il faudroit être aveugle pour ne le pas voir, et plus que stupide pour y être insensible.

Enfin, je ne vois pas quel temps il peut rester pour rechercher ces amusemens criminels, à ceux dont l’esprit doit être éternellement occupé de deux objets, qui y ont trés-peu de rapport, je parle de la mort de Jesus-Christ et de nos pechés. Dans quel moment est-il permis de perdre de veue ni l’un, ni l’autre, de ces objets ? Et se peut-il qu’un homme qui fait la moindre attention à quel que ce soit des deux, puisse ni penser aux réjouïssances des mondains, ni y trouver quelque goût et quelque plaisir ? C’est ce qui me paroît impossible. Ainsi je ne saurois me persuader qu’aucun de ceux qui possedent une veritable et solide pieté : qu’aucun même de ceux qui ont quelque amour pour Dieu, et quelque soin de leur salut, puissent avoir tant soit peu d’attache pour des amusemens si frivoles.

Il faudroit maintenant parler des conversations, qui sont, sans doute, l’une des choses qui font perdre le plus de temps. Mais comme le Traité qui suit celui-ci ne doit avoir que ce seul sujet, je puis me dispenser de m’y arrêter presentement. Ainsi je passe à une matiere d’un tout autre ordre.