(1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quinzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre IV. Christine de Suede. » pp. 111-153
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(1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quinzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre IV. Christine de Suede. » pp. 111-153

Chapitre IV.

Christine de Suede.

A la jupe courte & légère, à son pourpoint, à son colet, au chapeau garni d’un plumet, au ruban ponceau qui pendoit & par devant & par derrière, à la mine galante & fière d’Amazone & d’Avanturière, au nez de Consul Romain, au front altier d’Héroine, au grand œil tendre & hautain ; soudain je reconnois Christine, Christine qui céda pour rien son Royaume & son Église qui connut tout, & ne crut rien.

Ainsi parle un Poëte moderne dans une fiction ingénieuse qui la caractérise ; elle s’épargne encore moins, & dit d’elle-même dans une de ses lettres : Je suis méfiante, soupçonneuse, ambitieuse à l’excès, emportée, superbe, impatiente, méprisante, railleuse, indévote, incrédule, d’un tempérament ardent, impétueux, porté à l’amour ; elle y résiste pourtant , dit-elle, non par vertu, mais par fierté, par esprit d’indépendance, pour ne pas se soumettre à un mari ni à personne. Il faut l’en croire sans doute, qui devoit la mieux connoître qu’elle même ? A moins qu’on ne dise que par un excès d’humilité, elle chargeoit son portrait comme on l’a dit de plusieurs Saints, mais il est vrai que les œuvres attestent la sincérité du pinceau.

Christine n’est qu’une femme singuliêre, d’un mérite fort commun, elle a fait une action extraordinaire, elle a quitté la couronne, & changé de religion. Ce phénomène a un air d’héroïsme & de piété, que les harangueurs & les Poëtes ont élevé jusqu’au ciel, & que le peuple a cru sur leur parole ; l’histoire fournit peu d’exemple d’abdication d’une couronne, il n’y en a aucun parmi les femmes ; on voit bien des Impératrices & des Reines qu’on y a forcé, aucune ne la fait volontairement. Plusieurs Princesses se sont faites Religieuses ; une piété éminente, une vocation divine peut opérer ce prodige, la philosophie n’est pas capable d’un si grand effort. Comment croire ni l’un ni l’autre quand la conduite le dément ? Ni le Saint ni le Philosophe ne descendent du trône pour courir le monde en avanturier qui écoute toutes les passions, qui joue toutes sortes de rôles, qui se moque des loix de la décence, ne donne aucune marque de piété, quitta-t-il l’empire du monde, ne grossira jamais la liste des Héros & des Saints ; les éloges dont on comble son libertinage ne peuvent que couvrir de honte ses flatteurs, & la vanité de se faire un mérite d’une démarche forcée, ne peut que couvrir de ridicule celui qui veut prendre l’univers pour dupe.

Elisabeth d’Angleterre, qui après quarante ans de comédie venoit par sa mort de quitter la scène, lorsque Christine y monta ; avec tous les défauts de son sexe, une vanité, un luxe, une licence poussée plus loin que ceux de la Suédoise, parce qu’elle étoit plus aimable, plus puissante, plus riche. Elisabeth avoit un mérite supérieur au sien, elle savoit régner, ménager tout le monde, se contenir, se consulter, choisir ses Ministres, & les faire agir ; elle fut accréditée dans les Cours étrangères, s’y fit craindre. Le règne de la Suédoise d’abord heureux par la sagesse des Ministres de son père, pendant sa minorité n’étoit plus rien depuis qu’elle avoit pris les renes du gouvernement, elle faisoit jouer des comédies, n’avoit à sa Cour que des bouffons pour s’amuser & des savans pour lui donner un air de savante. Cette vie de théatre fit évanouir toutes les espérances qu’on avoit conçu de la sagesse de son gouvernement ; ce ne fut plus qu’une Actrice, qui forcée de quitter la scène glacée du nord, alla dans toute l’Europe promener son chagrin, & les défauts qui l’ont causé. Suivons-la sur les divers tretaux où elle s’est montrée ; un détail de divers rôles qu’elle a joué les mettra sous les yeux ; l’amour du théatre renverse jusqu’aux têtes couronnées.

Elle joua la comédie, non-seulement parce que toute sa vie fut une comédie perpétuelle, mais encore porce qu’elle faisoit jouer la comédie dans son Palais, jusques là le théatre étoit inconnu en Suède. Son père Gustave étoit trop sérieux & trop sage pour s’amuser de ces folies, & occupé dans la guerre qu’il fit en Allemagne n’avoit pas de temps à y perdre ; ses prédecesseurs n’en connoissoient pas même le nom : sa fille Christine fit à Thalie une réparation authentique du mépris de sa nation & de sa maison, elle bâtit un théatre, fit venir à grand frais & soudoya des troupes de Comédiens, fit jouer toute sorte de piècces, y passoit des temps considérable ; des dépenses & des occupations si frivoles qui nuisoient à toutes les affaires de l’État, furent une des raisons qui dégoûtèrent de son gouvernement, & enfin l’obligèrent d’abdiquer. Voilà les héroïnes que forme la scène.

Il y a plusieurs traits singuliers qui marquent sa frivolité, sa fureur pour le théatre, & le peu de cas qu’elle faisoit des savans ; elle engagea Descartes à composer une comédie pour la divertir, c’étoit une idée extravagante. Ce grand homme n’étoit pas fait pour être un tabarin ; l’élévation de son esprit, sa sublime géométrie, sa profonde métaphysique, son système du monde, son caractère sérieux ; sa vie triste & errante, que ses persécuteurs lui firent mener, l’objet qui l’avoit fait venir en Suêde, pour expliquer sa philosophie à la Reine, elle voulut se donner la comédie en y faisant travailler le plus grand Philosophe. Pour lui plaire. Descartes interrompit ses leçons & ses méditations, & eut la foiblesse de composer un drame, il ne réussit pas sans doute, il devoit s’y attendre, il voulut la brûler, M. Canut l’en empêcha. On a trouvé après sa mort cet ouvrage ridicule dans ses manuscrits avec ses sections coniques ; on a eu la sagesse de ne pas l’imprimer, & d’en épargner le ridicule à l’Auteur & à la Princesse. Baillet, vie de Descartes.

Elle avoit à sa Cour deux Savans distingués, Meibonius qui venoit de donner au public un traité sur la musique des anciens Grecs, & Naudé qui en avoit donné une sur la danse des Romains ; elle voulut que Meibonius chantât à la Grecque, & Naudé dansât à la Romaine selon les principes de leurs ouvrages ; ils ne savoient ni chanter ni danser, elle ne vouloit que se moquer d’eux : ainsi l’un avec la voix cassée, rauque & tremblante ; l’autre avec ses pas lourds, traînans & sans cadence, lui donnèrent la farce sur son théatre, Naudé n’en fit que rire, Meibonius s’en offensa, il sut que l’Abbé Bourdelot avoit suggéré cette idée burlesque ; il l’attend quelques jours après, lui donne des coups de bâton, & sans prendre congé de la Reine, monte à cheval & se retire. Les jeux des Princes ne plaisent qu’à ceux qui les font. Que cet air de science n’en impose pas, elle n’avoit des Savans à la Cour que par vanité, pour se donner un air & une réputation de sciences ; c’étoient des Officiers pour le département des lettres, comme elle avoit des Officiers de la bouche & de la garde-robe.

Ce Bourdelot, espèce de bouffon & d’Arlequin, qui avoit toute sa confiance & gouvernoit les affaires de ses plaisirs, lui donnoit la comédie, & dirigeoit les Comédiens ; il étoit Ecclésiastique & Médecin, & disoit avoir un bref du Pape qui lui permettoit d’exercer la Médecine, il en avoit sans doute un autre qui lui permettoit aussi de jouer la comédie quoiqu’ecclésiastique.

Jean Michon, fils d’un Barbier Chirurgien de Sens, se fit appeler Bordelot du nom de sa mère, de la famille de Théodore de Beze, ce qui ne promet pas un fort bon Catholique, mais qui lui facilita l’entrée en Suede où il fut prôné & donné à la Reine pour un fort habile homme, par Saumaise autre Protestant ; c’étoit un facétieux qui savoit une infinité de petits contes, tels qu’il s’en débite journellement dans les boutiques des Barbiers par ceux qui viennent s’y faire raser, comme dit Horace : Omnibus & lippis notum & tonsoribus. Ce caractère jovial, cette fécondité d’historiettes inconnues en Suede y parurent un prodige & firent sa fortune, il plut à la Reine par ses folies même, elle étoit trop frivole elle-même pour ne pas en être enivrée ; son père lui avoit fait faire ses classes & prendre le petit colet, il l’envoya à Paris auprès d’un oncle, qui exerçoit la médecine, cet oncle qui n’avoit pas d’enfans, le prit en affection, le fit étudier & prendre le bonnet de Docteur en médecine. L’Abbé Médecin suivit quelque Seigneur qui voyageoit en Italie & en Espagne y fit des observations, & acquit quelque réputation ; il fut annoncé à Stocholm comme un hypocrate habile & agréable ; ce qui pour lors n’étoit pas commun dans la faculté ; la Reine en fut enchantée, le fit son Médecin & son petrone arbiter voluptatum. La matière médicale qu’il employa avec le plus de succès, fut le théatre, dont par l’ordonnance de son Médecin, Sa Majesté Suédoise prenoit chaque jour quelque dose comme le Cardinal de Richelieu prenoit par l’avis des Médecins un recipé de l’Abbé Bois-Robert ; espèce de Bordelot très-habile Charlatan & Comédien, qui à la vérité ne savoit pas la Médecine, mais qui composoit des comédies, ce que ne faisoit pas le Bois-Robert de Suede. Les fous agréables ont toujours eu de la vogue ; ce sont des Comédiens qui représentent sans théatre, mais qui on avec le théatre des liaisons les plus intimes. C’est à l’école de l’Abbé Médecin, Comédien Berthelot, que Christine devint amatrice & Actrice.

On connoissoit si bien son goût dans le monde, que dans toutes ses courses en Hollande, en Flandres, en France, en Italie, en Allemagne, le plus agréable régal qu’on pouvoit lui donner, étoit de la mener à la comédie, la France se signala, le théatre continnoit à y briller par ses soins, & les libéralités des Cardinaux Richelieu & Mazarin qui avoient été des petits Berthelot auprès de Louis XIII & de Louis XIV, quoiqu’avec des succès différens ; elle en parut enchantée, à l’exception des comédies que les Jésuites lui donnèrent, dont elle se moqua ouvertement, elle ne les aimoit point ; je ne sais pourquoi ; elle trouvoit mauvais qu’ils donnassent des comédies, & disoient qu’ils jouoient fort mal, elle n’avoit pas tort dans l’un ni dans l’autre.

Rien n’étoit plus plaisant que la manière dont elle y assistoit ; c’étoit une vrai comédie, elle en étoit si enthousiasmée qu’elle répétoit ou anticipoit tout haut les vers que les Comédiens déclamoient ; elle faisoit leurs gestes, prenoït leur attitude, s’agitoit, se levoit, se couchoit languissamment dans son fauteuil, prenoit & exprimoit toutes les passions, elle donnoit la comédie dans sa loge, ses organes se montoient à l’unisson des Acteurs & des objets : bien de gens entendant jouer des instrumens, battent naturellement la mesure, suivent l’air & font la basse. C’est le jeu d’une machine dont les ressorts se détendent ; on dit du Cardinal de Richelieu que faisant jouer la Mirame, il ne se possédoit pas, répétoit, anticipoit les vers, imposoit silence, ordonnoit d’applaudir, s’élançoit à mi-corps hors de la loge. Les passions au théatre rendent presque l’homme machine ; c’est un coup d’œil amusant de voir les attitudes, les gestes, les physionomies des Spectateurs pendant la représentation plus variées, plus naturelles, plus expressives que ceux des Acteurs même, si l’on pouvoit peindre tous ces objets innombrables, ce seroit un traité complet de pantomime : si on pouvoit pénétrer dans l’intérieur, que ne verroit-on pas ? des mouvemens de l’ame, des gestes du cœur, des allures, des sentimens dont le jeu des organes n’est que l’image ; c’est que le théatre transporte l’homme hors de lui-même, une Reine même en présence de toute une Cour n’y peut pas tenir, elle en oublie les loix de la décence, & n’est plus sa maîtresse.

Elle a joué le désintéressement, elle-même qualifia de comédie son abdication tant vantée, arrivée à la frontière de Suède, & ayant pris les habits de son nouveau personnage, elle s’écria comme Auguste mourant : j’ai joué mon rôle, personam egi . Sur le bord d’un ruisseau qui sépare le Dannemarck de la Suède, comme Jules-César sur le Rubicon, elle saute lestement & à pieds joints le petit ruisseau, & courant à toute jambe, s’écria de toutes ses forces je suis libre, comme ce fou de Philosophe qui jeta tout ce qu’il avoit dans la mer, puis s’écria : je suis libre. On donnoit dans le monde cette abdication de la couronne de Suede pour une action héroïque de philosophie & de religion, on le lui a dit cent & cent fois à elle-même dans les harangues qu’on lui faisoit dans les vers qu’on lui adressoit ; elle s’en moquoit, sachant bien que ce n’étoit que foiblesse & libertinage ; on en voit quelques exemples dans l’histoire, ils ont rarement réussi, elle s’en est cent fois répentie, on le lui avoit prédit en particulier le fameux Chancelier Oxenstiern, habile Ministre qui lui étoit fort attaché, & l’avoit utilement servie, ainsi que son père, & vouloit l’empécher d’abdiquer. Ce Chancelier peu avant la mort apprenant les scènes qu’elle jouoit dans le monde, dit en soupirant : Je le lui avois prédit, mais taisons-nous, c’est la fille du grand Gustave. Ce répentir la rendoit sombre, rêveuse, mélancolique, de mauvaise humeur, brusque, capricieuse jusque dans la compagnie du Roi, de la Reine, au milieu de la plus agréable comédie après avoir ri aux éclats, elle tomboit dans une profonde rêverie d’oû l’on avoit de la peine à la tenir, même le Roi & la Reine.

Christine avoit des bonnes qualités, elle étoit capable de grandes choses, il y avoit en elle de quoi faire un bon Roi ; les premières années de son règne furent heureuses, son père dans son testament lui donna pour tuteurs cinq Ministres habiles qui gouvernèrent sagement & glorieusement. Sortie de Tutele, mais consultant encore ses cinq Ministres, elle gouverna aussi bien elle-même, elle avoit de la bonté, de la franchise, elle étoit économe, ne faisoit point de dépense inutile, elle avoit l’humeur guerrière, dans le goût des peuples du nord. Le théatre changea tout, & la jeta dans la dissipation, l’indécence, l’indépendance, la prodigalité, & la fit repentir de son abdication, à laquelle elle survécut plus de trente ans, y jeta les noirceurs & les inquiétudes de la mélancolie & du désespoir.

Elle voulut quelques années après, comme le Roi de Sardaigne, reprendre la couronne qu’elle avoit abdiquée. Les États à qui elle le fit dire, & le Roi son successeur la prièrent de renoncer à ce projet, le Roi n’étoit pas d’humeur de descendre du trône comme elle, ni personne de l’y faire remonter ; elle vint pourtant en Suede après ce refus, pour se faire payer de ses pensions qui étoient fort mal payées, & qu’on avoit grande envie de supprimer, ce qui selon le détail qu’en donne Me. de Motteville, lui faisoit mener une vie très-pauvre & très-mesquine ; elle fut reçue comme un particulier qui vient demander des graces. On s’arrangea avec elle pour ses pensions dont on lui paya une partie, elle s’en retourna comme elle étoit venue.

Si Christine n’avoit point connu le théatre, elle eut été heureuse, & eut rendu ses peuples heureux. Le théatre fut l’époque de tous ses malheurs, sa légéreté, sa vie libertine, ses folles dépenses, son inapplication aux affaires, sa conduite indiscrette qui en furent les fruits, aliénèrent une nation peu galante, à qui les folies dramatiques étoient inconnues, & qui n’a pas à beaucoup près pour les femmes les adorations des complaisans de Paris. Les peuples visigots & ostogrots ne s’amusoient point d’un pantomime, d’une arriette, d’un pas de trois, & n’apprécioient les Clairons, les Molés, les Guimards que ce qu’ils valent. La Reine sentit bientôt qu’elle perdoit l’estime, la confiance, l’attachement des Suédois, & qu’elle ne les regagneroit point, tandis qu’elle meneroit une vie d’Actrice, qu’on vouloit d’elle une vie réglée, sérieuse, appliquée ; la vie d’une véritable Reine telle que la menoit le grand Gustave son père ; elle étoit bien éloignée de remporter sur elle-même cette victoire, ni même de le vouloir, elle étoit trop fiêre & trop indépendante pour s’y soumettre, elle ne pouvoit donc s’attendre qu’à beaucoup de désagrémens, tôt ou tard des révoltes, & peut-être la destitution de la part d’un peuple grossier, belliqueux & sauvage comme le climat qu’il habite. Puffendorf ajoute qu’elle avoit dissipé toutes les finances, & ne trouvoit plus de quoi payer les charges de l’État, ni même soutenir sa propre dépense & ses libéralités excessives. On se voyoit à la veille d’une grande guerre, n’ayant rien pour en soutenir les frais ; les revers si ordinaires à la guerre, pouvoient aisément flétrir ses lauriers, dont les Ministres & la Reine avoient ceint plusieurs fois son front. Ces Ministres formés de la main de son père, étoient morts ou vieillis, & les baladins qui l’environnoient n’étoient point faits pour les remplacer ; c’étoit un parti nécessaire que celui de la retraite pour conserver sa gloire.

Le Roi de Pologne étant mort, elle envoya un Agent en Pologne pour négocier, & se faire élire Reine : projet le plus chimérique. Les Polonois n’ont jamais élu des Reines, & celle-ci n’avoit ni argent ni crédit pour acheter les suffrages, & encore moins le mérite qu’on exige pour les accorder, pouvoit-on penser que cette nation iroit chercher pour la gouverner une aventurière, une libertine, une fugitive qni n’avoit pas su gouverner ni même conserver un Royaume héréditaire où elle régnoit depuis vingt ans. Cette tentative ne fit que donner à l’Europe une scène qui acheva de la rendre ridicule. La France même qui avoit paru l’admirer, & qui à la prière de son successeur Charles XI l’avoit reçue magnifiquement, perdit toute l’estime qu’elle avoit eue pour elle, ses indécences l’y firent mépriser, elle voulut y faire un second voyage, on y consentit avec peine, on la fit rester à Fontainebleau, sans paroître à la Cour, elle s’y rendit odieuse par l’assassinat de Monadelschi, le Roi lui fit dire poliment qu’elle avoit été assez long-temps dans le Royaume ; elle s’en retourna à petit bruit mourir obscurément à Rome, où même le Pape qui l’avoit d’abord reçue en triomphe pour faire honneur à la religion Catholique de la conversion d’une grande Reine, s’en dégoûta, & n’avoit presque plus pour elle que des égards d’étiquettes. Ainsi les comédies médiocres après les premières représentations où la curiosité & la nouveauté ont attiré la foule, & des applaudissemens, tombent, sont oubliées, & ne paroissent plus ; le théatre lui-même sert à détruire ce qu’il avoit servi à élever. Le grand jour où il montre fait encore mieux appercevoir les défauts.

Ce peuple sage dans sa grossiéreté craignoit qu’une jeune Reine si dissipée ne lui donnât quelque fils naturel qui attroit causé du trouble pour la succession, ou peut-être qu’un mariage bisarre formé par la passion ne fit monter sur le trône quelque amant indigne qui l’auroit déshonoré, ou quelque Prince étranger qui seroit venu gouverner l’État & enlever ses finances ; on souhaita qu’elle se mariât & qu’elle épousât le Prince Palatin, Charles, son proche parent, héritier présomptif de la couronne, mariage à tous égards très-convenable, qui assuroit le repos de la Suède, l’âge, la naissance, la religion, le mérite, tout étoit parfaitement assorti ; on le lui proposa, on l’en pria, on l’en pressa ; un mariage formé par la sagesse n’est pas du goût de Thalie, elle ne veut que les chaînes de la passion, ou l’indépendance du célibat, & quoique toutes les comédies se terminent par un mariage, la plupart des Auteurs, Acteurs, Actrices, Amateurs préfèrent au joug de l’hymen, la dissipation & le libertinage, elle avoit devant les yeux l’exemple récent d’Elisabeth d’Angleterre qui avoit refusé vingt-quatre mariages & joué la virginité pendant quarante ans.

Christine répondit : il pourroit naître de moi un Néron aussi bien qu’un Auguste, il vaut mieux désigner un successeur, je ne veux point me marier . Idée fausse, dans un Royaume héréditaire le successeur est tout désigné par sa naissance ; ainsi en Angleterre l’union des maisons rivales d’York & de Lancastre par un mariage, termina une guerre qui avoit bouleversé l’État pendant tant d’années. Les États mécontens de sa conduite & de sa résolution pensoient à la forcer au mariage ; ou à se donner un maître ; le Prince Palatin lui déplaisoit d’ailleurs par sa figure, ce Prince n’étoit rien moins qu’un Adonis, il étoit grave, sérieux, sévère, vivoit dans la retraite, il n’eut jamais souffert la vie licencieuse de sa femme qu’il eut obligé de vivre dans le devoir ; il étoit économe, & n’eut jamais prodigué les finances à entretenir des baladins. Quel mari pour une Actrice accoutumée à l’indépendance, & à tous les plaisirs ! il fallut prendre le parti de se retirer ; c’étoit le seul qu’elle eut à prendre.

Mais on voulut s’en faire un honneur, & on donna une démission forcée pour l’acte le plus héroïque du désintéressement & de la religion ; il y a des Gascons en Suède comme sur les rives de la Garonne. Elle se fit donc un honneur de son abdication forcée, & se donna pour une Héroïne ; cette idée romanesque, son unique ressource, analogue à son caractère & aux chimères de grandeur dont elle se repaissoit ; elle s’imagina que toute l’Europe l’admireroit comme un prodige, le changement de Religion en relevoit le prix, il lui donnoit un air de martyre, cependant elle voulut conserver l’éclat, les honneurs, les richesses de la royauté ; après l’avoir quittée, & même en exercer l’autorité souveraine de vie & de mort, elle trouva d’abord assez de condescendance pour entrer dans ses vues, & des flatteurs pour la combler d’éloges ; mais le prestige cesse, les vices, les défauts parurent, & après quelques éclairs de grandeur, elle tomba dans le mépris, fut oubliée, & mourut dans l’obscurité. On voudroit aujourd’hui la relever pour en faire honneur à la philosophie, parce que dans le fonds elle n’avoit point de Religion. Voltaire la canonise, & cependant convient de toutes ses foiblesses ; c’est élever l’autel d’une main, & le renverser de l’autre. Ces contradictions ne sont pas rares. Au reste l’acquisition est médiocre ; c’est le rebut des Protestans qu’elle a abandonné & qui la dédaignent. Les Catholiques dont elle professa la Religion ne s’en embarrassent guère davantage ; mais quand on a besoin de recruter ses troupes, tout fait nombre, le théatre n’y gagne guère qu’une assez mauvaise Actrice couverte de clinquant.

Enfin après avoir été plusieurs années à se consulter, à s’observer, à se sonder, menacer, s’appaiser ; car elle n’en avoit nulle envie, sa résolution fut prise & exécutée, on se fit beaucoup de complimens de part & d’autre ; elle fit semblant de pleurer en quittant un si bon peuple, ce peuple fit aussi semblant de pleurer en perdant une si bonne Reine. Enfin on se sépara au grand contentement de toute la Suède, elle mit à sa place son successeur présomptif aux acclamations de toute la nation, celui-ci fit semblant de refuser, recula de quelques pas, protesta qu’il seroit inconsolable de l’éloignement de sa bienfaictrice, qu’elle gouvernoit toujours encore plus que lui ; en un mot fit toutes les grimaces de la modestie, accepta pourtant malgré lui ce qui lui tardoit de tenir ; elle partit.

Je me représente l’assemblée des États où cette abdication fut reçue comme une véritable farce de la foire, une salle magnifiquement ornée, un trône superbe ; tous les États affublés de leurs habits de cérémonie, couverts de leurs fourrure ; la Reine la couronne sur la tête un globe à la main comme la maîtresse du monde (quoique la Suède n’en soit pas la centième partie, mais ridicule d’usage, plusieurs Rois en sont décorés) elle monte gravement sur son trône pour annoncer sa volonté suprême & dernière ; les États qui le désiroient avec ardeur lui font des protestations de fidélité & des prières pressantes de ne pas se demettre. Charles assis sur une chaise basse à côté, & loin du trône comme le moindre des sujets, proteste qu’il n’en veut point, elle descend, & va le prendre par la main, pour le forcer d’y monter. Christine forcée de descendre fait un grand discours pour excuser son abdication, pour montrer sa résolution & sa fermeté, & consoler des gens qui s’en réjouissoient, & tous le mouchoir à la main, essuyoient leurs yeux qui n’étoient point mouillés, tandis qu’ils mouroient d’envie de rire & s’épuisoient réciproquement en éloges. Les États élevoient jusqu’au Ciel la gloire & la sagesse de son règne, & en méprisoient le tabarinage ; la générosité héroïque de son abdication l’y avoient forcée. De son côté, Sa Majesté mourante ne pouvoit se lasser d’admirer la fidélité d’un peuple qui la chassoit, parce qu’il étoit très-mécontent de sa conduite. Le Prince & la Princesse s’encensoient mutuellement, & se détestoient très-sincérement.

Enfin on lut à haute voix l’acte d’abdication qu’elle signa, & que le Prince & les États acceptèrent, & la toile fut baissée. C’est dommage que Mosiere n’ait pas osé mettre en œuvre cet événement, il l’eut intitulée l’Héroine malgré elle ; ce sujet eut bien valu le Médecin malgré lui. La suite fut peu agréable, quand on peut traiter avec elle comme de couronne à couronne, on lui disputa la plupart des conditions qu’elle avoit apposées, elle vouloit désigner le successeur de Charles s’il mouroit sans enfans ; on le refusa, la pension réservée paroissoit trop forte, on vouloit qu’elle la mangeât dans le Royaume, & n’allât pas comme les Angéliques & les Bradamantes courir les terres & les mers. On ne voulut pas lui accorder en souveraineté les fonds sur lesquels elle étoit assise. On prétendoit ne rien payer si elle se faisoit Catholique ; on négocia, on accorda bien de choses de part & d’autre, on craignoit qu’elle ne changeât, ce qui auroit pu faire une guerre civile, mais dans la suite elle fut si mal payée de ses pensions qu’elle n’avoit pas de quoi vivre, elle revint en Suède pour les demander, & en obtint une partie jusqu’à sa mort.

Elle joua le sexe. Le penchant d’un sexe pour l’autre est naturel à tout le monde, mais ce penchant a pour objet de s’en faire aimer & de goûter les plaisirs que la nature a attaché à leur union. Il est rare que ce goût aille jusqu’à vouloir changer de sexe, & affecter les apparences d’un sexe différent. Tel étoit le goût décidé de cette Reine gothique selon l’expression de Madame de Motteville, sa vie fut une mascarade perpétuelle, toujours habillée en homme comme l’Abbé de Choisi en femme, l’Abbé des Yvetaux en berger, un juste aucorps, un chapeau, une perruque, un plumet, l’épée au côté, une chaussure d’homme, elle étoit plus propre à faire peur qu’à plaire, ou plutôt à faire rire, c’étoit un Arlequin ; la nature s’est trompée , disoit-elle, en me faisant femme  ; pensée qu’elle avoit empruntée du distique fait contre le Roi d’Angleterre Jacques Ier. : error naturæ sic in utroque fuit . Aussi son père qui désiroit fort d’avoir un garçon, & qui n’eut que cette fille, s’en consoloit quand il eut connu son caractère, en disant, elle vaut bien un garçon.

Elle ne s’en cachoit pas, mais se faisoit honneur de cette comédie : J’aime les hommes , disoit-elle, non parce qu’ils sont hommes, mais parce qu’ils ne sont pas femmes. Jeu de mots qui ne signifie rien en lui-même, comme s’il y avoit un Être qui tient le milieu entre les deux sexes ; elle devoit aimer les arbres qui ne sont point femmes, c’étoit assez maladroitement écarter le soupçon du vice, elle affectoit une grosse voix, marchoit avec précipitation, rioit à gorge déployée, elle faisoit profession de mépriser les femmes à cause de leur ignorance & de la frivolié des choses dont elles ont coutume de parler, & de la futilité de leur caractère ; mais elle prenoit plaisir de s’entretenir avec les hommes, & sur des choses mauvaises plutôt que sur des bonnes, sa conversation étoit fort licencieuse, pleine de gros mots & de juremens ; car quoiqu’elle entendit & parlât assez bien le François, elle avoit retenu, je ne sais quoi de grossier qui sentoit son Suédois & l’indécence de ses manières.

On croyoit qu’elle s’habilloit en homme, & en prenoit les allures pour cacher ses défauts ; elle étoit petite & contrefaite, n’avoit rien de fin dans ses traits, rien de délicat dans son tein, chantoit & dansoit mal, n’avoit aucune des grâces de son sexe, son air plein de hauteur & de fierté, de mauvaise humeur & de brusquerie, y ajoutoit encore de la rudesse & de la grossiéreté. Ces défauts étoient moins sensibles sous la figure d’un homme ; le juste-au-corps, le chapeau, le plumet étoient son rouge & ses mouches ; elle n’aimoit pas la toilette, se regardoit peu dans un miroir, elle avoit raison, elle n’y voyoit rien qui pût la flatter, elle avoit la parure à sa manière dont elle n’étoit pas moins jalouse qu’une coquette ordinaire l’est de ses pompons, elle ne vouloit pas moins plaire, mais par des traits vifs, étant dépourvue des autres, c’est toujours la même foiblesse, elle ne fait que changer d’objet, cependant on s’y accoutumoit, & après la surprise que causoit une bisarrerie si révoltante ; elle devenoit assez agréable, on pouvoit dire d’elle comme de Madame de Bavière, Dauphine, sauvez le premier coup d’œil. Voltaire trouve mauvais qu’on s’arrête à l’extérieur, il le répéte dans les mêmes termes sur Jacques II, Roi d’Angleterre qui ne prévenoit pas en sa faveur, mais il est difficile de n’en être pasfrappé, sur-tout dans Christine qui portoit les choses à l’excès.

Elle faisoit tous les exercices d’un homme avec force & adresse, montoit un cheval, couroit le cerf, faisoit à pied les plus longues traites, couchoit sur la dure au serein, étoit infatigable, toujours en action ; son éducation comme celle de Henri IV l’y avoit de bonne heure accoutumée, souffrant la faim, la soif, le froid, le chaud, n’usant que d’alimens grossiers, dormant peu, ce qui dans un climat aussi rude que la Suède n’est pas une petite mortification. L’exemple de son père qui avoit rempli l’Allemagne de ses exploits & de ses victoires, & qui menoit la vie la plus dure lui en faisoit un mérite. Cette vie avoit plu aux Suédois, peuple belliqueux, tres-éloigné du luxe & de la molesse ; le théatre qui l’introduisit dans la Cour, & à qui ses vices donnèrent une libre entrée, défigurèrent toutes ses bonnes qualités qu’elle tourna en comédie ; il ne lui resta que la force du tempérament & le goût des voyages, la dureté, la hauteur, l’emportement ; elle n’en fut que plus hardie à mépriser toutes les bienséancss de son rang & de son sexe, elle ne portoit qu’avec peine le joug du peu qu’elle observoit. J’aurois mieux fait , disoit-elle, de m’en émanciper tout-à-fait, n’étant pas née pour être assujettie.

Ce regret fait peu d’honneur à sa vertu, & même à son esprit ; les loix de l’honnéteté & de la décence étoient respectées des Payens même, elle dût aisément s’en consoler : le reste du joug qu’elle conserva étoit peu gênant ; dès qu’elle fut arrivée à un petit ruisseau qui sépare la Suède du Dannemarck ; elle quitta ses habits de femme, & en prit d’homme, sous lesquels elle courut le monde ; elle renvoya toutes ses femmes qui en furent très-choquées, & revenant à Stocholm ne publioient rien moins que les éloges de sa vertu ; elle ne garda à son service que quelques hommes avec lesquels comme Don Quichote, avec Sancho-Pansa, elle alla chercher des avenures. Ce ruisseau étoit comme une coulisse d’où une Actrice sort habillée en homme pour jouer quelque Prince ou plutôt quelque Arlequin. Une Reine qu se fait coucher, lever, habiller, déshabiller, rendre toute sorte de services par des hommes est un phénomène fort singulier ; mais des savans, mais des flatteurs qui en font une Héroïne, une Sainte à qui les termes manquent pour la louer dignement, sont-ils moins singuliers ? L’un dégrade la royauté, les autres dégradent les lettres.

Elle ne vouloit pas les caresses des femmes, les Dames de la Cour, à son entrée à Paris, alloient la baiser & l’embrasser selon la coutume des femmes ; elle en fut choquée. Quelle fureur ont ces femmes de me baiser ? Est-ce parce que je ressemble à un homme ? Ce trait est plus caustique & libertin qu’il n’est ingénieux, elle ne goûtoit point les propos galans & flatteurs dont les femmes sont si avides. C’est un esprit rebours , disoit-on, qui repousse brutalement les cajoleries. Les femmes voyoient avec peine mépriser ce qui les enchante, & forme pour elles un triomphe ; les hommes étoient déconcertés & réduits au silence ; c’est là tout ce que la plupart savent dire & répéter à toutes les femmes. Christine avoit raison de dédaigner ce frivole encens, c’étoit pour elle une ironie, elle n’avoit ni dans le corps ni dans l’esprit ces grâces qui attirent les hommes, elle avoit pris sagement le parti de ne pas accepter des hommages qu’elle sentoit ne pas meriter.

Elle joua la savante & même la Mecène, d’abord utilement par les bienfaits, tandis qu’elle fut Reine ; enfuite par les éloges quand elle n’eut rien à donner, elle avoit la vanité de vouloir imiter François Ier qui fut en France le protecteur des lettres, & n’en fut pas moins libertin ; il est vrai qu’elle apprivoisa un peu les frimats de la Suède avec les sciences, mais leurs progrès furent bien médiocres & de peu de durée. Ses deux successeurs Charles X & Charles XII plus guerriers que savans s’embarrassèrent peu d’Apollon & des Muses ; ce climat est peu fait pour elles, les eaux de l’hypocrene y seroient glacées neuf ou dix mois de l’année, il n’y est resté qu’à Stocholm, encore même Thalie y est-elle fort mal servie, il est vrai qu’elle favorise les passions, & que les passions sont de tous les climats : un édifice même gothique bâti sur le fondement du vice peut prétendre à l’immortalité.

C’étoit un phénomène fort singulier, & comme une aurore boréale dans un climat & dans un siècle fort peu éclairé, qu’une jeune Reine des Goths fit cas de la science, se piquât d’être savante, & sut en effet quelque chose au milieu des neiges du pole ; les annales de la Suède n’offroient rien de pareil depuis le déluge, il en coûta cher à Descartes que cette Princesse voulut apprendre la philosophie des tourbillons, elle voulut très-gothiquement recevoir ses leçons à cinq heures du matin ; où le froid se fait vivement sentir. Les jolies savantes de Paris n’ont pas suivi cet exemple rare ; leur amour pour la philosophie, même pour les romans ne les rend pas si matineuses. Descartes accoutumé à des climats plus doux, & à des leçons plus chaudes, mourut de froid, six mois après. Son écolière voulut lui élever un superbe mausolée, le faire ensévelir dans le tombeau des Rois ; mais le tourbillon de ses plaisirs emporta ces grands projets comme une planette autour de son trône. Descartes fut enterré comme un autre, & son corps par les soins de l’Ambassadeur de France a été transporté à Paris, & déposé dans l’Église de Sainte Geneviéve.

Les Suédois étoient peu enthousiasmés de tant de sciences, & quoiqu’il y eut des Érudits de toute espèce, langues, histoire, mathématiques, philosophie, médailles, antiquités, astronomie. Les Saumaises, Naudé, Meibonius à qui elle faisoit de grosses pensions, & chaque jour donnoit des heures d’audiences à l’étiquette ; même pour les arts, peinture, architecture, sculpture, poésie, &c. Ces Visigots avoient la barbarie de confondre tout sous le nom de grammaire, & disoit grossièrement que la Reine alloit au Collège, que la Suède étoit gouvernée par des Grammairiens, qu’on ne pouvoit l’aborder qu’à travers une armée de pédans, ni obtenir d’elle un moment d’audience ; on prétend même que Moliere la joua dans les Femmes savantes, & il est vrai qu’il y joua l’Abbé Menage, l’un des protégés & des plus zélés panégyristes de Christine, mais pourtant d’une manière couverte ; elle eut pu se plaindre à la Cour & lui faire des affaires ; ce qui choquoit le plus les Suédois, c’est que les finances qui sont médiocres en Suède, se dissipoient en pensions & en présens pour des étrangers auxquels les Sujets n’avoient point de part, & il est vrai que le trésor se trouvoit épuisé lorsqu’elle quitta le Royaume pour courir après les Savans ; il n’y avoit point de quoi payer la pension qu’elle se réserva, & qu’on croyoit fort mal employée pour eux.

Son mérite littéraire étoit très-médiocre, comme elle avoit entendu parler de tout, elle avoit retenu des mots & des idées superficielles de chaque science, elle disoit un mot à chaque Savant qui la visitoit sur l’objet de son talent, delà se mettoit en train d’en discourir & faisoit son éloge ; le savant Charmé la prenoit comme un oracle, & lui supposoit une capacité universelle, elle parloit de tout avec la hardiesse la plus tranchante, la hardiesse d’un protecteur, d’un demis-avant & d’un demi savant-couronné chez un peuple qui ne savoit rien, c’est-à-dire, quelle traitoit les sciences avec le même despotisme que le gouvernement, cet air d’oracle, ce despotisme littéraire lui réussit d’abord. Sa dignité, ses bienfaits, son ton décisif, la singularité, la flatterie firent emboucher la trompete de la renommêe. On lui fit des harangues, des dédicaces en vers, en prose, en toutes les langues. Aujourd’hui tous les journeaux, les gazettes, les feuilles périodiques seroient pleines du nom de Christine. Malheureusement il n’y en avoit point encore. Voici quelques singularités de ce déluge de louanges où elle étoit comme engloutie.

Un Docteur lui fit cette harangue : Succia te fecit Christinam, Italia christianam, utinam Gallia christinissimam & paradisus arehichistianissimam. Il trouvoit beaucoup d’esprit dans un jeu de mots, dans ces trois dégrés de comparaison Christina, Christiana, Christianissima. Quoiqu’elle n’eut pas été tâchée d’épouser le Roi de France qui n’étoit pas marié, elle s’en mocqua ouvertement comme tout le monde. Peut-on imaginer qu’un jeune Roi ait voulu se marier avec une vieille Reine laide & malfaite, qui avoit quitté ses États, s’étoit vouée au célibat, couroit le monde en aventurière, & avoit tous les défauts de son sexe, sans en avoir les agrémens.

Tous les savans ou soi-disans vinrent à Paris lui rendre visite, elle les accueillit avec bonté & se faisoit honneur de son amour pour les lettres comme elle n’en connoissoit aucun. L’Abbé Menage dont elle avoit entendu parler, qui lui avoit adressé des vers, & qui connoissoit toute la république des lettres, fut chargé d’être son nomenclator ; il ne manquoit pas lorsque quelqu’un se montroit de dire à Sa Majesté son nom, ses qualités, ses talens, ses ouvrages avec de grands éloges ; elle en fut fatiguée, & ne pouvoit croire un si grand nombre de gens savans, elle dit en se moquant de lui : ce Monsieur Menage connoît bien des gens de mérite. Cependant cet homme si connu des gens de mérite, & lui-même si bon littérateur n’étoit point de l’Académie Françoise, quoiqu’il n’y en eut point qui le méritassent mieux que lui. Quand la Reine vint à l’Académie, elle fut fort, étonnée de ne pas l’y voir, & en demanda la raison ; on lui apprit que la requête des Dictionnaires, ouvrage ingénieux, mais très-mordant, lui avoit fait des ennemis dans ce Corps où la faveur forme le scrutin plus que le mérite.

Elle avoit envoyé son portrait enrichi de diamans à l’Académie Françoise alors naissante. L’Académie fut la visiter en Corps, elle demanda d’assister à quelques-unes des assemblées, ce que l’Académie reçut comme un grand honneur, il se tenoit encore à Paris des assemblées littéraires en divers endroits, comme à l’Hôtel de Rambouillet, à l’Hôtel de Guise ; elle donna la préférence à celle-ci qui avoit été au-devant d’elle à son entrée, en fut très-flattée. Gilbert résident de Suède ne manqua pas de s’y trouver ; il faisoit des vers, & pour faire sa Cour à son ancienne maîtresse, il y lut une comédie de sa composition qu’il savoit être de son goût, parce que la pièce étoit fort licencieuse. Chapelain qui travailloit au poëme de la Pucelle, & qui étoit alors en considération consulté sur cette comédie, en blâma la licence ; la Reine se tourna vers Menage qui étoit prèsent, & lui demanda son sentiment. L’Abbé Menage moins scrupuleux loua la pièce ; sans restriction : Je suis bien aise , dit Christine, que ce soit de votre goût, on peut s’en rapporter à vous, pour votre Monsieur Chapellain que c’est un pauvre homme, il voudroit que tout fut pucelle. Ce mot qui est une satyre de Chapellain est aussi une grossiéreté qu’une femme modeste ne se fût pas permise ; une femme modeste n’auroit pas souffert cette lecture, & on n’auroit pas espéré de lui plaire en la lui faisant.

Scuderi ayant composé son poëme d’Alaric, un des ancêtres prétendus des Rois de Suède, Christine lui fit offrir une chaîne d’or de dix mille livres pour se le faire dédier, ce qui fut accepté ; elle y étoit louée outre mesure, & avec elle le Comte de la Gardie son Chancelier, son Général d’armée, son favori, à qui Scuderi avoit quelque obligation ; un caprice ayant fait disgracier la Gardie, la Reine voulut par vengeance que son éloge fut supprimé. Scuderi étoit pauvre, mais généreux : quand la chaîne qu’on me promet seroit aussi pesante que celle des incas du Pérou , répondit-il, je ne détruirai point l’autel où j’ai sacrifié . La Reine ne lui donna rien. Ce trait n’est pas héroïque, le refus du Poëte vaut mieux que le ressentiment de la Princesse. Voltaire a bien fait de supprimer cette anecdote, elle fait peu d’honneur à la philosophie, Christine fut plus équitable en nommant Salvius son Chancelier, homme obscur mais habile : quand il est question , dit-elle, de bons avis & de sages conseils, on ne demande point : les seize quartiers, mais la probité, & les lumières .

Quand Christine vint à l’Académie, on demanda si les Académiciens seroient devant elle assis ou debout. Quelqu’un dit que quand Charles IX venoit chez Ronsard aux assemblées des gens de lettres, tout le monde étoit assis ; la question fut décidée, & sans demander permission on s’assit, dès que la Reine fut assise on lui fit des complimens sans nombre, on lui récita des vers, on lut quelque pièce. C’est le régal académique, elle voulut voir quelque article du Dictionnaire auquel on travailloit alors ; on ouvrit au hasard, & on trouva un proverbe qui pouvoit bien avoir été malignement choisi, & se trouver à l’ouverture préparée comme dans l’examen des Conseillers au Parlement lors de leur réception, on ouvre en plusieurs endroits le Digeste & le Code sur lesquels on l’interroge, ce qui doit être fait au hasard ; car il est censé prêt à tout, mais qui est très-préparé, car on joue par-tout la comédie. Ce proverbe étoit : Jeux des Princes ne plaisent qu’à ceux qui les font. Les autres Académies des Sciences, des Inscriptions & Belles-Lettres, de Peinture n’étoient pas encore établies, elles n’eussent pas manqué d’y aller donner & recevoir de l’encens ; les Savans n’en sont point avares, ils sont les seuls qui ont paru l’admirer, personne ne l’estimoit, la Cour, le Clergé, le Militaire, la Magistrature, le Peuple étoient surpris du spectacle unique d’une Reine qui abdique sa couronne & son sexe, courant le monde habillée en homme, vit, parle, pense en homme, on va la voir par curiosité, & on en rit.

Elle fut reçue en France avec les plus grandes démonstrations, elle étoit femme & Reine, c’est le goût, l’usage, le style françois ; on s’épuise en apparences, plus pour soi-même que pour celui qu’on paroît honorer ; on veut étaler son esprit dans les éloges, son bon goût dans les repas, sa magnificence dans les Fêtes, sa fécondité dans les décorations : Princes & Princesses de toutes les nations y ont fait faire des profusions excessives, on a trouvé dans ces derniers siècles l’expédient de l’incognito sous un nom supposé, ce qui débarrasse de la géne du céremonial & des excès de la dépense. Christine ne voulut rien perdre de ce faste, & la France saisit avidemment l’occasion de le déployer. Cazimire, Roi de Pologne, Pierre Czar de Moscovie, le Roi de Dannemarck, le Roi de Suède actuellement régnans, ont gardé l’incognito ; Christine étoit trop Comédienne pour se passer de décoration après avoir abdiqué une couronne, elle devoit avoir renoncé à ce vain éclat, c’est la dernière chose que sacrifie une femme. Les François ne se firent pas prier, ils sont trop galans pour rien refuser aux Actrices, les Savans sur-tout se firent honneur de prôner une Reine savante ; c’est le plus beau fleuron de la couronne littéraire. Christine leur avoit fait du bien, il falloit la payer de la monnoye du pays ; on se faisoit mutuellement la Cour, on se rendoit réciproquement hommage, il est glorieux de régner sur des Savans ; est-il moins glorieux aux Savans de régner sur des Reines ? Comédie de part & d’autre : les loges la donnent aux Actrices, les Actrices la donnent aux loges.

Il ne reste de cette Savante que quelques bons mots qu’on a retenu, & des lettres dont on a fait un recueil, il y a des traits ingénieux, des réparties vives, quelques réflexions judicieuses, quelques tours heureux. Voltaire en a extrait quelques-uns, sur lesquels il se récrie, & qui en effet ont quelque chose de fin & de délicat ; le nombre en est petit, en général mauvais style, de la hardiesse, de la hauteur, de la singularité. Ces lettres sont bien éloignées de celles de Madame Sevigné, de Madame de Maintenon en les donnant toutes au public, on lui a fait un fort petit présent, & on lui a rendu à elle-même un assez mauvais service.

Ménage l’a louée en Latin, en François & en Italien ; il fut un de ses plus grands admirateurs, s’il faut en croire les vers ; mais il est vrai que les oracles des Muses sont comme ceux de la Sibille, écrits sur des feuilles que le vent emporte, rapidis ludibria ventis . Ce qu’ils débitent à la Cour, ce qu’ils chantent aux femmes, dicté par l’amour où l’intérêt où la puérilité de la galanterie en est la partie la plus frivole. Jugeons en par ces traits, qui quoique traduits en trois langues n’en ont pas plus de poids, puisque ce n’est que la même chose. Le thème en trois façons, leur excès même les décredite ; d’autres Savans l’ont louée en Grec, en Hébreu, en Espagnol, en Allemand. On a beau habiller différemment les fadeurs, ce ne son que des échos qui répétent. Voici le François de Ménage, dans ce seul trait on en verra mille :

Quelle est donc cette Nymphe en charmes si séconde,
Et qui change à son gré l’air & la terre & l’onde ?
C’est le nouveau soleil le chef-d’œuvre des cieux,
Si vanté des mortels, & si chéri des Dieux ;
Cette jeune beauté, cette Nymphe divine,
Ce miracle étonnant l’adorable Christine.
Jamais de Thermodor le rivage écumeux
Ne vit tant de hauts faits, ni tant d’exploits fameux,
Qu’aux rivages bruyant des ondes Germaniques,
Aux rivages Danois, aux rivages Balthiques,
Par les vaillantes mains de ses braves guerriers,
Cette jeune Amazone a cueilli les lauriers.
Un jour qui n’est pas loin, ses superbes armées,
Joindront à ses lauriers les palmes idumées ;
Et l’on verra pâlir l’infidèle croissant,
A l’aspect lumineux de cet astre naissant.
Mais sache encore, Daphnis, que sa main adorable,
En adresse, et valeur a nul autre semblable ;
Au milieu de la guerre, & dans le champ de Mars
Cultive les vertus & fait fleurir les arts.
Des plus brillantes fleurs de Grece & d’Italie,
Tout le monde étonné voit son ame embellie ;
Elle a de l’Orient pillé tous les trésors,
Du Pasteur de Solime (David) elle entend les accords ;
Et son rare savoir non moins que son courage,
La fait nommer par-tout le pallas de notre âge.

Il y en a cinquante encore pleines de fadeurs, que leur excès même rend ridicule : Pictoribus at que Poetis quidlibet audendi semper suit æqua potestas.

On trouvera cette pièce & bien d’autres dans les œuvres de Ménage, en particulier dans son Histoire Latine & Italienne des femmes philosophes.

Elle a joué la Religion. Le P. d’Avrigni prétend qu’alle doit sa conversion aux Jésuites, il l’avance sur le témoignage de Baile qui dit en effet que le P. Macede, Jésuite qui étoit à la suite de l’Envoyé de Portugal en Suède, jeta dans son cœur les premières semences de la Catholicité ; que ce père fut chargé de faire tenir une lettre à son général dans laquelle elle lui demandoit deux Jésuites habiles pour achever de l’instruire, qu’ils devoient venir en Suède déguisés en Marchands, pour ne point donner d’ombrage. Pour prévenir l’objection qu’on pourroit lui faire des mœurs peu catholiques de leur prosélite, ce père ajoute ingénieusement : ce n’est pas le lieu d’examiner si Christine changea de mœurs en changeant de créance, la Religion ne décide rien pour les mœurs ; pour être bon Catholique, on n’est pas toujours meilleur Chrétien . Sans doute ces deux choses sont très-différentes, même dans les Pasteurs. Faites ce qu’ils vous disent, mais ne faites pas ce qu’ils font. Cependant un acte si héroïque, cette espèce de martyre plus difficile que la perte de la vie : l’abdication d’une couronne pour la Religion suppose un fond de vertu bien éloigné des mauvaises mœurs. Comment allier le vice à une perfection éminente.

Baillet & d’autres attribuent ces prémices de Catholicité à René Descartes qu’elle avoit appelé en Suêde, qu’elle estimoit infiniment, qu’elle consultoit souvent, & qui lui donnoit de très sages conseils, ainsi qu’à M. Chanut, ami du Philosophe, Ambassadeur de France, ce qui est confirmé par une des lettres de cette Reine ou pour s’excuser de sa facilité à croire & à embrasser une nouvelle Religion, elle avance que depuis sept à huit ans, elle avoit des remords, de vives lumières qu’elle cherchoit à éclairer, & que Descartes l’avoit dessillée en bien de choses ; l’un & l’autre est possible, quoiqu’il en soit de l’aurore de ce grand jour & des Apôtres qui en ont ouvert la barrière à ses yeux ; ce n’est pas la peine de disputer à personne la gloire d’une si médiocre conquête, qui dans la vérité n’est ni honorable à l’Église, ni utile à personne ; dans la vérité comme dit Baile, quoiqu’elle professât le Luthéranisme à Stocholm, la Religion Catholique à Rome, elle n’étoit Luthérienne ni Catholique, elle n’avoit aucune Religion ; c’étoit une Actrice qui jouoit la comédie.

Le jour même qu’elle fit abjuration, on lui donna la comédie, c’étoit faire abjuration de son abjuration. Les premiers Chrétiens regardoient l’assistance au spectacle comme un retour au Paganisme ; elle n’étoit pas si scrupuleuse : Il est juste , disoit-on, qu’on lui donne le soir la comédie, elle l’a donnée le matin. Ce contraste seul en est une, mais à la honte de la Religion aussi déplorable que risible ; un Religieux la complimentant crut beaucoup la louer en lui disant qu’elle seroit mise entre les Saints à côté de Sainte Brigitte, Reine de Suède ; comme elle se moqua de cet éloge assez peu convenable en effet : J’aime mieux , lui dit-elle, être parmi les sages que parmi les Saints. Ce langage des philosophes du temps qui n’estimoit que leur prétendue sagesse, & méprisent la sainteté, est une absurdité aux yeux des Chrétiens. La vraie sagesse est la sainteté, il n’y a que les Saints vraiment sages ; les sages du temps ne sont que des insensés, peut-être faisoit-elle allusion aux révélations de Sainte Brigitte, qu’elle taxoit de folie ; car elle tenoit sur la Religion, les Ministres, les Saints, les pratiques, les cérémonies, les discours les plus libres, elle n’eut point à changer de style, elle ne pensoit pas plus mal étant Luthérienne. Langage non-seulement impie, mais très-indécent dans la bouche d’une Reine, d’une Héroïne de la Religion, d’une Savante, dans un pays, dans une Cour très-Catholique ; on n’en étoit pas moins mécontent à Rome qu’à Paris, Le Pape en fut choqué, & pensoit à la mortifier, elle fit quelque voyage en Allemagne pour laisser passer l’orage, & revint un peu plus circonspecte mourir à Rome.

Elle fut très-peu reconnoissante pour ses Apôtres, car elle a toujours paru mécontente des Jésuites, se moquant d’eux, de leurs pièces de théatre, les méprisant, en disant volontiers du mal ; il est vrai qu’elle en disoit de tout le monde, & méprisoit tout le monde, elle étoit fort caustique, elle se plaignoit de leur général qui avoit manqué à lui rendre quelque visite. Le P. Annat Jésuite, Confesseur du Roi, alla lui en faire des excuses ; elle lui dit d’un ton moqueur avec sa brusquerie ordinaire : Je serois fachée de vous avoir pour ennemis, sachant vos forces, j’aimerois mieux avoir quetelle avec un Prince Souverain qu’avec vous ; par cette raison je veux bien être satisfaite, mais je vous assure qu’en cas de confession & de comédie, je ne vous choisirai jamais. Il y a peu de jugement dans cette insulte, puisque c’est réellement s’en faire des ennemis, leur reprocher une mauvaise morale ; ce qui faisoit alors grand bruit en France, & le mauvais succès de leur théatre ; c’étoit encore se jouer de la Religion : mêlant ainsi le burlesque avec le sérieux , dit Mademoiselle de Motteville, pour se venger de leur Compagnie .

Sa conversion fut bien tardive pour une Sainte, une Martyre qui sacrifie une couronne à la foi. De son aveu, elle fut sept à huit ans à se déterminer, quoiqu’instruite, convaincue, résolue, sans faire même en secret aucun acte de Catholicité ni dire un seul mot qui laisse entrevoir sa pensée ; elle déclare aux États qu’elle veut abdiquer, & se laisse gagner, & demeure encore trois ans sur le trône & dans l’erreur ; elle quitte enfin, & quitte la Suède sans laisser rien transpirer ; elle craignoit qu’on ne lui refusât sa pension, ce ne fut qu’à Bruxelles qu’elle fit enfin les exercices Catholiques, & Ainspruk dans le Tirol, son abjuration. Bien plus dit Puffendorf hist. de Sued. pour écarter tout soupçon de changement, elle affecta plus de dévotion pour les exercices Luthériens, & communia plusieurs fois de la main des Ministres, & à leur manière, peu de jours avant son départ. Conduite bien différente de celle de St. Herminigilde qui aima mieux perdre son Royaume & la vie que de recevoir la communion d’un Évêque Arien, que son père lui avoit envoyé. Des raisons de politique peuvent autoriser à se taire, à différer l’éclat d’une abjuration, & à ne pas faire des actes extérieurs de la Religion qu’on veut embrasser ; mais aucune raison n’autorise à faire des actes positifs contraires de la Religion qu’on croit fausse. Qui pourroit croire une telle impiété dans une Reine savante qui quitte la couronne pour la foi, & qui en la quittant combat par des actes solennels qu’elle sait mauvais la Religion même pour laquelle elle la quitte.

Autre trait singulier : lorsque par jalousie elle fit assassiner Monal Deschi, elle envoya chercher un Religieux pour le confesser, & lui accorda une heure pour faire sa confession. Quel odieux assemblage de religion & de crime, de tendresse & de cruauté, assassiner son amant, parce qu’on le croit infidèle ! Que feroient de plus les Medées ou Fayel ? Mais joindre les Sacremens au poignard ! songer à la loi de la confession, tandis qu’on viole les loix de l’humanité ! Le théatre eut-il jamais de tragédie aussi bisarrement atroce, & si jamais quelque Shakespear s’avisoit de mettre Christine & Monal Deschi sur la scène, ne craindroit-il pas de se déshonorer & de révolter tout le parterre, ne fut-il composé que des cannibales, s’il faisoit venir un Mathurin donner l’absolution à cet amant infortuné par l’ordre d’une si barbare & si ridicule Héroïne.

Autre trait d’irréligion (Baile Republ. des Lett. juin 1684) dit que Christine encore Reine de Suède, mit tout en œuvre pour avoir le naturalisme de Jean Bodin, qui n’étoit alors qu’un manuscrit très-rare, & qu’on tenoit fort caché ; on fit par son ordre bien des recherches, enfin on le trouva, elle en fit faire des copies, & en enrichit la bibliothèque royale de Stocholm ; il est intitulé : de abditis rerum sublimium arcanis, à l’exemple du fameux Médecin Fernel qui avoit donné plusieurs années auparavant son Traité de abditis rerum causis, dont Bodin a profité, mais très-mal ; en donnant dans les deux excès opposés d’une superstition puérile & d’une impiété audacieuse ; c’est à tous égards un fort mauvais livre où l’Auteur dans des dialogues mal écrits entre sept interlocuteurs, combat toutes les Religions, surtout la Chrétienne pour établir le Judaïsme, ou plutôt la Religion naturelle, ce qui l’a fait appeler le naturalisme de Bodin, à peu près comme de nos jours le système de la nature.

Bien loin de faire chercher & d’introduire dans son Royaume un ouvrage si pernicieux qu’on n’osoit montrer, un Roi vraiment Chrétien l’auroit empêché d’entrer dans ses États, & s’il y avoit pénétré malgré lui, le Prince l’auroit proscrit & fait brûler. Christine pensoit différemment, en ayant entendu parler, elle brûle d’envie de le lire, le fait chercher par-tout, en fait faire des copies, le dépose comme un trésor dans sa Bibliothèque. Cet ouvrage a été depuis imprimé sur le manuscrit de Suède dont on a tiré des copies, & refuté par le Docteur Jean Dickman, & même par M. Huet qui a daigné combattre dans sa démonstration évangélique, ce qu’il auroit dû mépriser les incrédules modernes en ont pris plusieurs choses comme le Président de Montesquieu a mis à contribution avec beaucoup d’élégance dans son Esprit des Loix, l’érudition immense que Bodin a entassé sans goût & sans ordre dans sa république, sans faire mention de la mine d’où il avoit tiré ses matériaux ; ces livres de la république avoient fait autant de bruit dans leur temps, qu’en a fait dans le notre l’Esprit des Loix qui les a effacés.

Son goût pour les arts , dit Voltaire, la fixa à Rome au milieu d’eux, dans cette vue elle avoit quitté la Religion Luthérienne pour la Catholique, indifférente pour l’une ou pour l’autre ; elle ne se fit point scrupule de se conformer en apparence aux sentimens du peuple chez lequel elle voulut passer sa vie. Il faut être sans Religion pour lui faire un mérite de son indifférence pour toutes les Religion, il faut encore être sans probité pour lui faire un mérite de son hypocrisie, de se conformer sans scrupule en apparence aux sentimens des peuples chez lesquels on vit. Voltaire y pense-t-il de décrier ainsi une Reine dont il fait les plus grands éloges ? Il n’y pense que trop : l’irréligion est aux yeux de Voltaire le plus grand mérite, & une horreur pour les gens de bien.

Baile atteste l’irréligion de cette Reine, mais du moins il a la pudeur de ne pas lui en faire un mérite, il a conservé une de ses lettres sur la révocation de l’Édit de Nantes, mai 1686. En voici un extrait : Rien n’est plus louable que le dessein de convertir les Hérétiques, mais la manière dont on s’y prend est fort nouvelle, puisque N. S. ne s’est pas servi de cette méthode, elle ne doit pas être la meilleure ; croyez-vous que ce soit à présent le temps de convertir les Huguenots, & de les rendre bons Catholiques dans un siècle où l’on fait des attentats si visibles en France contre le respect & la soumission qui sont dûs à l’Église Romaine, qui est l’unique & l’inébranlable fondement de notre Religion ; puisque c’est à elle que N. S. a fait cette magnifique promesse, les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle ? Cependant jamais la scandaleuse liberté de l’Église Gallicane n’a été poussée plus près de la révolte, qu’elle est à présent, les dernières propositions signées & publiées par le Clergé de France, sont telles qu’elles n’ont donné qu’un trop apparent triomphe à l’hérésie, & je pense que sa surprise doit avoir été sans égale. Se voyant peu de temps après persécutée par ceux qui ont lu ce point fondamental de notre Religion des dogmes & des sentimens conformes aux siens. Voilà les puissantes raisons qui m’empêchent de me réjouir de cette prétendue extirpation de l’hérésie, je ne comprends pas ce zèle & cette politique qui me passent, & je suis ravie de ne la comprendre pas. Le Roi vouloit avoit la nomination dès Bénéfices par la Regale ; Innocent XI s’y opposa ; écrivit, menaça ; pour lui lier les mains & le punir de son opposition & de ses menaces, Louis XIV fit agîr son Clergé, & publia les 4 fameuses propositions qui réduisent presque à rien la puissance du Pape. On cria de tous côtés, la foi du Roi devint suspecte ; pour écarter ces soupçons & prouver son attachement à l’Église Catholique, le Roi attaqua les Huguenots, & signala son zèle contr’eux, l’objet de son zèle étoit très-louable, l’excès de son zèle Christine le trouve déplacé, & croit qu’il est peu efficace. C’est une femme qui le pense , dîsoit-on en France, quand Baile rapporta cette lettre dans son journal, c’est une Comédienne  : & cependant ces deux choses dans le même temps ébranlent la Religion à faire la guerre au Pape, & vouloir la maintenir en faisant la guerre aux Huguenots. La révocation de l’édit de Nantes & les quatre propositions du Clergé, cet assemblage d’indépendance & de despotisme, d’exhortations à la foi & de mépris de celui qui en est la pierre fondamentale. Christine a-t-elle si grand tort de voir cette contradiction ? de quel côté est la comédie ? Au reste cette lettre qui parle avec beaucoup de respect de la Religion Catholique fait croire que sur la fin de sa vie la conversion de cette Princesse, jusqu’alors fort équivoque, étoit enfin devenue très-sincère.

Elle joua le vice. Elle le joua si naturellement & si constamment, que la plus grande charité ne la croyoit pas une vestale ; je ne parle point de ses amans, toute la Suède en a parlé, quelque flatteur en a fait comme d’Elisabeth ; à la bonne heure, ne levons pas le voile dont on veut les envelopper, bornons-nous à l’extérieur dont personne ne fait un mystère : ce rôle se joue autrement que les autres, les autres sont de commende, on joue la savante, la dévote, la glorieuse sans l’être, & on ne joue pas la libertine sans l’être ou la devenir ; l’objet est trop proche, l’attrait trop puissant, le penchant trop rapide pour n’en avoir que l’apparence ; d’ailleurs une vertu réelle ne se permet pas même l’apparence du vice, c’est être vicieux que d’en faire le semblant, il n’est permis ni d’en donner le scandale, ni d’en présenter le danger, ni d’en tenir le langage, ni d’en prendre le masque ; Christine en a par-tout arboré la livrée, & montré les effets.

C’étoit une conversation de harangère par les grossiéretés, les juremens, les bassesses dont elle étoit assaisonnée ; sa conversation rouloit par préférence sur des choses mauvaises, toujours libertine dans ses paroles contre la Religion & la bienséance, elle chantoit en compagnie sans aucun propos, rêvoit, s’ssoupissoit, se levoit, ne pouvoit demeurer en place, couroit dans la chambre, s’entretenoit avec tout le monde, sur-tout avec les hommes ; car elle faisoit profession de mépriser les femmes. Toutes ses actions avoient quelque chose d’extravagant & digne de risée, elle ne ressembloit point à une femme, & n’en avoit pas la modestie ; on rapporte d’elle une vingtaine de bons mots qui ne sont la plûpart que des méchancetés : il n’y a pas de femme du commun qui n’en dise d’aussi bons, & en aussi grand nombre.

C’étoit une parure de courtisanne ; Madame de Motteville la trouvoit si indécente qu’elle dit : Cette Reine me parut une Égyptienne dévergondée, qui par hasard ne seroit pas trop brune. Quel spectacle qu’une femme à demi nue sous les habits d’un homme, une gorge découverte & un chapeau avec un plumet, & une perruque à la Cavalière, un mouchoir noué autour du cou, un juste au corps & une épée ! on diroit que c’est une hermaphrodite, elle portoit une jupe très-courte, tel que le Comédien Riccoboni dans sa réforme du théatre ne la permet pas même aux Actrices & aux Danseuses ; & cependant quand elle étoit assise elle jetoit ses jambes d’un côté & d’autre, les levoit sur les bras de son fauteuil ou sur des siéges aussi élevés que le sien, & tout cela en présence du Roi, de la Reine, de toute la Cour, à la comédie devant le parterre : C’étoit , dit Mademoiselle de Montpensier, des postures que je n’ai jamais vu faire qu’à Trivelin & à Jodelet, deux bouffons, l’un Italien & l’autre François. Les femmes du théatre ne les font pas.

C’étoit une société de débauchés, sa maison étoit une espèce de serrail d’hommes ; elle avoit à Stocholm des femmes auprès d’elle, c’étoient des Officières en charge, en quittant la Suède elle les congédia toutes, & ne voulut plus avoir que des hommes ; il est très-indécent que des femmes ayent des hommes pour les servir, comme il le seroit aux hommes de se faire servir par des femmes, des Baigneurs, des Tailleurs, des Valets de chambre, des hommes à leurs toilettes, & c’est un des plus grands désordres de Suède ; mais il l’est infiniment davantage de n’avoir que des hommes, les femmes le plus libertines, les Actrices ont des femmes de chambre pour le service ordinaire, mais où a-t-on vu qu’une Princesse n’en eut aucune & se fasse lever, coucher, habiller, déshabiller par des hommes ?

Sa morale, selon Madame de Montpensier, ne valoit pas mieux que sa conduite ; elle proposa à Madame de Thianges de la suivre à Rome, & de quitter sa famille ; que c’étoit une sottise de s’amuser à son mari, que le meilleur n’en valoit rien . Elle parla fort & d’une manière fort libertine contre le mariage & les dévotions de Rome, elle avoit entendu parler des amours du Roi pour la Mancini, nièce de Mazarin ; elle alloit toujours se mettre entre le Roi & elle pour leur parler de leurs amours, leur disant qu’il falloit les marier ensemble, qu’elle vouloit être leur confidente : A votre place , disoit-elle au Roi, j’épouserois une personne que j’aimerois. Imprudence qui déplut à toute la Cour où on ne vouloit pas un mariage si mal assorti ; ensuite elle alloit dire à Madame de Montpensier : Il faut vous marier avec le Roi, je veux en parler & ménager cette affaire. Ces imprudences sont incroyables dans une Reine, le vice fait tourner la tête.

La société des libertins lui étoit si agréable, que de toutes les femmes les plus distinguées, elle ne voulut aller voir que Ninon Lenclos, cette fameuse courtisanne, cette célèbre épicurienne dont l’esprit, les grâces, la réputation pourroient mériter des éloges, si le vice en laissoit mériter, ce fut la seule femme qu’elle parut estimer, quoique peut-être la moins estimable, & celle qui avoit fait le plus de mal dans le monde ; elle se ressembloient en bien de choses ; toutes d’eux s’habilloient en homme, toutes deux étoient sans religion, & parloient de tout avec la plus grande liberté, & vivoient dans la plus grande indépendance, la sympathie n’étoit pas surprenante ; mais Ninon avoit plus d’esprit, de décence, de politesse ; Ninon eût su être Reine. Christine n’oublia jamais la définition que Ninon lui donna des prudes & des précieuses : ce sont des Jansénistes d’amour . Je ne sais si Christine sentit toute la vérité & tout le sel de ces paroles.

Le célibat volontaire par un principe de Religion, est un acte héroïque, un célibat d’indépendance qui n’est pas soutenu par la pratique des vertus, n’est comme celui de Christine qu’un libertinage condemnable. Le mariage d’un Souverain est nécessaire pour conserver la succession à la couronne, soit pour prévenir les troubles & maintenir la paix, soit même pour éviter le scandale & la débauche. Comment sans ce secours se soutenir sur la trône ou les plaisirs assiégent, où les tentations attaquent en soule, où les occasions les plus délicates s’offrent à tout moment ? Les Etats vouloient que leur Reine se mariât, & lui destinoient le Comte Palatin son héritier présomptif qui lui succéda en effet, ce mariage fort convenablement au bien de l’État, fut plusieurs fois proposé à la Reine avec les plus vives instances. Mais le mariage est un joug, & Christine n’en vouloit pas ; le Palatin est un homme sérieux qui n’aime pas le libertinage du théatre, & qui la gêneroit dans ses passions, & Christine n’aime qu’un amant qui l’adore & lui laisse une entière liberté, elle ne veut pas se donner un maître, & les États ne veulent point une Actrice sur le trône, la liberté vaut mieux qu’une royauté esclave. Quittor.s-la, & faisons nous honneur de notre licence, réunissons la gloire & la liberté ; le monde sera assez dupe pour nous en croire & nous en louer.

Voltaire & ceux qui en font une Savante du premier ordre, ont oublié de remarquer que sa grande érudition étoit de savoir toutes les intrigues & les galanteries de la Cour ; les noms & les aventures des amans & des maîtresses, de les en railler à tout propos, d’apprécier, de comparer la beauté des femmes, la bonne mine des hommes ; elle ne paroissoit occupée d’autre chose, elle faisoit des minauderies continuelles auprès d’Anne d’Autriche qu’on disoit avoir la main belle pour lui faire ôter ses gans, toucher, louer, admirer ses mains, à crier au miracle. C’est , dit ingénieusement Madame de Motteville, une Héroine d’Amadis & de Roland ; c’est Marphise & Bradamante , elle étoit du moins en aussi mauvais équipage, sans domestiques, sans argent, sans vaisselle ; elle faisoit seule toute sa maison & toute sa Cour, il fallut que le Roi lui donna tout : le peu de temps qu’elle demeura à la Cour lui fut peu favorable ; ses défauts qui étoient grands furent d’abord couverts par les bonnes qualités & par le plaisir de la nouveauté, mais ces défauts percèrent bientôt, la surprise cessa, elle parut une personne très-commune, nous lui verrons bientôt perdre honteusement tous les avantages, c’est le sort des grands, ils sont plus exposés que les autres, leurs belles qualités sont au grand jour, ils sont d’abord reçus avec applaudissement ; leurs défauts aussi exposés, sont soustraits à la rigueur des loix & à l’autorité des Juges.

Ses amours gothiques comme elle tenoient de l’humeur des Attilas, des Totilas dont elle croyoit descendre ; elle porta la jalousie aux plus grands excès qui lui donnoient droit de faire remonter sa généalogie jusqu’à Médée, elle fit de sang froid poignarder son infidèle amant ; tout le monde sait l’aventure de Monal Deschi son Écuyer, qui parmi tant de comédies fait une vraie tragédie. Cet Italien qui lui plaisoit, étranger sans conséquence, la suivoit par-tout, sous le nom d’un de ses Officiers ; il n’avoit rien quand il entra à son service, & il y acquit quelque bien : tout favorisé qu’il étoit de la Reine, il ne l’aimoit pas, & ne la servoit que par intérêt, avec répugnance, il ne la ménageoit guère, en parloit assez mal, & il est vrai qu’elle étoit alors vieille, laide, impérieuse, capricieuse, de mauvaise humeur, &c. il avoit des maîtresses & fut enfin découvert.

De tous les forfaits, ce sont les plus impardonnables ; Christine l’en punit cruellement à son second voyage en France, elle fit poignarder à Fontainebleau son malheureux Écuyer, tel fut le Comte d’Essex auprès d’Elisabeth d’Angleterre ne faisant sa Cour, ne servant les amours de la Reine, que par ambition & pour faire sa fortune ne l’aimant point & la tournant en ridicule, ils périrent tous deux avec cette différence que le premier, homme de naissance, guerrier, habile & heureux, revêtu des plus grandes charges de l’État, ajoutant la révolte au mépris, mérita la condamnation des Tribunaux & périt sur un échaffaud : le sécond homme obscur & sans mérite fut traité sans formalité, Christine le fit poignarder sans lui faire le procès ni écouter sa justification, sur je ne sais quel rapport ou soupçon d’infidélité. Voltaire en convient : ce n’est point un juge qui condamne un coupable, un Souverain qui proscrit un crime d’État, c’est une femme qui termine une galanterie par un meurtre . C’est une scène tragique où le théatre est ensanglanté dans le goût de Shakespear.

Quel que fut le crime de Monal Deschi, Christine ayant depuis long-temps renoncé à la royauté n’avoit aucune juridiction. Cet Étranger n’étoit ni n’avoit jamais été son sujet ; elle étoit dans un Royaume étranger, où elle n’avoit aucune autorité, elle étoit dans une maison royale, c’étoit violer la majesté du Prince qui l’avoit reçue, & manquer à la reconnoissance qu’elle devoit à ses bontés, elle n’observera aucune règle de justice ; c’étoit un assassinat, & ne fut pas même un premier mouvement de colère qui aveugle la raison, elle prit ses mesures pour qu’il ne pût échapper, lui donna du temps pour se confesser, disoit-elle, c’est un assassinat réfléchi, prémédité. Cette barbarie & la passion qui en furent le principe, ternirent sa philosophie , dit Voltaire, toutes ces belles qualités fussent-elles aussi réelles qu’elle sont fausses ou superficielles, sont dégradées par cette horreur ; elle eût été punie en Angleterre & par-tout ailleurs, la France ferma les yeux sur cet attentat contre l’autorité du Roi, le droit des nations & de l’humanité . On se contenta de lui faire dire qu’elle eut à se retirer : ainsi bien approfondi s’évanouit l’Actrice célèbre, & le mérite de théatre tant vanté. Ces revers sont ordinaires, il n’y a guère d’Acteurs & d’Actrices dont tôt ou tard les désordres ne déshonorent les talens. Le masque fane, l’homme reste & le héros s’évanouit.