(1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 4 « CHAPITRE V. Des Jésuites. » pp. 108-127
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(1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 4 « CHAPITRE V. Des Jésuites. » pp. 108-127

CHAPITRE V.
Des Jésuites.

Le goût extrême et les travaux infinis des Jésuites pour le théâtre sont un phénomène incroyable. Qu'un particulier se livre à son penchant, et qu'aux dépens de la décence, de ses devoirs, de son intérêt, il s'amuse de ce qui le flatte, c'est la nature, c'est la passion. Qu'un homme du monde suive la mode, et que sans s'embarrasser des lois sévères de l'Evangile, il s'abandonne aux plaisirs qu'il voit régner dans les sociétés où il vit, c'est le torrent de l'exemple, c'est l'empire du respect humain. Mais qu'un Prêtre et un Religieux, à qui tout l'interdit, qu'un Corps de Religieux et de Prêtres, que tout en éloigne, se fasse une affaire sérieuse, un devoir, une gloire, de composer des traités de l'art dramatique, et des pièces de théâtre, et d'en faire représenter de tous côtés avec le plus grand éclat, c'est ce que le Collège apostolique n'a jamais cru être sa vocation ; et à prendre l'Evangile pour guide, personne ne s'aviserait de chercher des Comédiens dans la Compagnie de Jésus. Cela paraît même impossible. Les Compagnons de Jésus se sont toujours dits et ont toujours paru les gens du monde les plus occupés, et occupés des objets les plus opposés au théâtre : chaire, confessions, missions, retraites, congrégation, étude, enseignement des hautes sciences, compositions innombrables de livres sérieux, sans compter une infinité de visites et de lettres pour faire la Cour à tous les Grands et entretenir des liaisons avec toute la terre ; un Jésuite n'a pas un moment de loisir. Où a-t-on pu trouver le temps de composer plus de mille pièces de théâtre, et en faire jouer plus de dix mille, préparer, exercer, habiller les écoliers, faire dresser des théâtres, etc. ? Ce n'est point une exagération, sur cent collèges de Jésuites en France, on peut l'un dans l'autre compter une pièce par an dans chacun. Depuis plus de cent cinquante ans qu'ils sont rétablis, il a paru quinze mille pièces chez les Jésuites. Veut-on en rabattre la moitié ? je suis accommodant, en voilà donc sept à huit mille. La comédie Française n'en a pas tant donné depuis son établissement. C'est un prodige sans doute, et tout Jésuite est un prodige ; ils ont tous les talents infus, jusqu'à ceux du théâtre, les ouvrages naissent sous leurs pas. Leurs jeunes Régents, à peine sortis du noviciat, ensevelis tout le jour dans la poussière d'une classe, se mesurent pour la composition avec Corneille et Racine, le disputent pour la déclamation à Baron et à la Gaussin et feraient des leçons de décoration au Chevalier Servandoni.

Après avoir fourni tant de modèles dans leurs pièces, donné tant de leçons et d'exercices à leurs Ecoliers, il fallait, pour rendre l'ouvrage parfait, composer des Traités de l'art dramatique. La Société est universelle, elle doit tout savoir, tout enseigner, tout faire, de omni scibili, de omni agibili. Qu'on ouvre leurs Bibliographes, Ribadeneira, Alegambe, Sotuel, ce que le P. Oudin a laisséq, qu'on parcoure le catalogue de leurs Poètes, on trouvera sur le théâtre des ouvrages sans nombre. Sans sortir de notre France, les Souciet, Brumoy, Rapin, Ducerceau, Courbeville, le Jay, Mourgues, Buffier, etc. remplissent les bibliothèques. Le Journal de Trévoux a plus de trois cents articles d'extraits, de critiques, de dissertations théâtrales. Il est vrai qu'on y voit ordinairement un petit assaisonnement de condamnation des spectacles ; mais à couvert de ce sauf-conduit, le Journaliste vogue aussitôt du meilleur cœur, sur cette mer dont il a d'abord redouté les écueils, et se livre avec autant de plaisir que de goût et d'érudition à toutes ces discussions intéressantes ; il éclaircit, approfondit, apprécie, approuve, juge communément bien et trop bien ces matières profanes. Un recueil de tous les morceaux composés par des Jésuites ferait un grand nombre de volumes, et un traité complet du théâtre. Leurs pièces ne sont pas ordinairement si bonnes, il en est peu qui soient connues hors des Collèges, mais si la pratique est médiocre, la théorie est excellente. Aucun ordre Religieux n'approche de cet abondance, ou plutôt aucun que je sache n'a tenté de les imiter, et n'a rien laissé paraître sur la scène. Les Jésuites seuls y ont brillé. Je ne parle pas même d'une multitude d'ex-Jésuites que la Société ne réclame pas, des Fontaines, Fréron, la Porte, Villiers, Gresset, Rainal, etc. qui tous, enrichis des trésors dramatiques qu'ils avaient ramassés tandis qu'ils en portaient la robe, les ont ensuite répandus à pleines mains. Avouons de bonne foi que sans rien perdre de sa gloire ni de celle de son chef, la Compagnie de Jésus aurait pu ignorer et paraître ignorer un art si étranger à son état.

Les Ecrivains Jésuites en sont si remplis, que le style et le langage de la plupart de leurs ouvrages de littérature est monté sur le ton du théâtre. Bornons-nous à celui de leurs livres, qui, sans exception est le mieux écrit, et dont l'objet est le plus éloigné de ces idées profanes, l’Histoire du Peuple de Dieu. Son style, charmant d'ailleurs par son élégance, est d'une indécence si frappante, que la première édition en fut abandonnée par les Jésuites même et par son Auteur. On en donna aussitôt une seconde, où l'on fit une infinité de corrections pour la rendre plus supportable. C'est le langage le plus théâtral substitué à la majesté des divines Ecritures. On n'aurait qu'à rimer la plupart des conversations que l'Auteur fait tenir, ce serait de très belles scènes. On dit que Racine composait d'abord ses pièces en prose, et ensuite les versifiait ; je suis persuadé qu'elles n'étaient pas autrement ni peut-être si bien écrites que celles du P. Berruyer. C'est, pour ainsi dire, la véritable étoffe du genre, il n'y aurait qu'à la tailler en actes et en scènes, la pièce serait toute faite. Lamothe-Houdart, qui a donné quelques tragédies en prose, n'a pas si bien réussi. Ce qui fait percer partout d'une manière singulière l'esprit de théâtre qui dirigeait cette plume ingénieuse, c'est que rien n'y est plus fréquemment répété que ces mots, théâtre, scène, rôle, personnage, acte, nœud, dénouement, tragique, tragédie, spectacle, Acteur. En un mot on trouve partout l'empreinte du dramatique. L'Auteur le voit partout dans les choses les plus saintes, dans les plus grands événements ; la fournaise de Babylone est un théatre, la montagne du Thabor un spectacle, la reconnaissance de Joseph une scène, la mort de Coré, Dathan, Abiron, d'Holopherne, un dénouement de tragédie, David, Salomon de grands Acteurs ; la tentation de Suzanne, l'adultère de Bethsabée une intrigue, etc. Il n'y a pas jusqu'au mot de troupe, qui communément ne s'applique qu'à des Comédiens, qu'il n'emploie en parlant des Apôtres, la troupe des Apôtres : en cent endroits le reste du jargon théâtral, les fers, les chaînes, les feux de l'amour, de l'hymen, les traits de la beauté, une amante, un amant, etc. y est ordinaire. Je ne dis pas qu'on ne puisse quelquefois employer ces expressions métaphoriques, qui sont partout reçues, encore moins voudrais-je soupçonner la pureté d'intention d'un Auteur que j'ai connu rempli de piété, je dis seulement que c'est un homme qui, comme un grand nombre de Jésuites, nourri du théâtre, ayant composé et représenté des pièces, regardant les talents dramatiques comme un mérite distingué, s'en est rendu le langage familier, et le parle naturellement à tout propos, sans s'apercevoir de l'indécence de l'application qu'il en fait aux choses saintes. (Voyez Mandement de Soissons contre Berruyer, tom.  7.).

Quoique par une émulation assez déplacée de la scène Française, et par une conduite de courtisan, qu'on n'exigeait pas, qui se conforme en tout au goût du Prince, le théâtre ait fait chez les Jésuites depuis le milieu du dernier siècle les plus grands progrès, il y date de bien plus haut. Il y a commencé avec eux. A peine s'étaient-ils établis, au milieu des plus violentes contradictions, que le P. Fronton Du Duc, célèbre traducteur de S. Chrysostome, et fait pour quelque chose de mieux que des comédies, fit dès l'an 1580 la pièce de la Pucelle d'Orléans, que personne ne lui demandait, pour divertir à Plombières le Roi et la Reine qui y étaient allé prendre les eaux. Une maladie contagieuse qui survint en empêcha la représentation ; mais le jeune Régent ne voulant pas avoir perdu sa peine, la fit jouer peu de temps après devant Charles Duc de Lorraine, qui lui donna cent écus d'or en récompense (Hist. du Théat. tom.  3. ann.  1580. d'après Ribadeneira et Nicéron, éloge de Fronton Duduc). Dans les recherches immenses de M. Parfait sur les Auteurs les plus obscurs de l'ancien théâtre, on trouvera quelque Ecclésiastique en petit nombre, mais aucun autre Religieux. Les Jésuites, bannis du royaume par Henri  IV et le Parlement de Paris, furent rétablis vers 1606, et firent revivre leur théâtre. Dès qu'on avait fondé un Collège, on y jouait des pièces ; les sciences et la scène marchaient d'un pas égal. Il eût manqué quelque chose à l'éducation de la jeunesse, si on ne l'eût rendue Comédienne. Dans tous les grands Collèges, la Flêche, Toulouse, Lyon, Rouen, etc. on y bâtit des théâtres à demeure, pour y représenter régulièrement tous les ans, on y forme des magasins d'habits. Je sais qu'ils ne sont pas les inventeurs de l'art dramatique, non plus que des opinions ultramontaines ou relâchées qu'on leur impute. Longtemps avant eux on représentait des pièces dans les Collèges. M. Parfait en cite des exemples, et c'est peut-être ce qui donna aux Jésuites l'idée d'en faire représenter aussi, pour imiter les autres Régents. Mais ces cas étaient fort rares, et les Jésuites les ont rendus très fréquents, et il est certain que ces Pères ont été dans toute la France les plus grands promoteurs du théatre.

Sans eux, renfermé dans la capitale, tout au plus connu dans trois ou quatre villes du royaume, jamais il n'eût inondé les provinces, s'ils ne lui en avaient ouvert les routes et jeté les fondements. Quelle ville songerait à appeler des Comédiens et à faire les frais d'un spectacle, si on ne lui en donnait la connaissance, et ne lui en inspirait le goût ? et quelle troupe y viendrait, si ce goût et ces connaissances ne lui avaient préparé des spectateurs ? La plupart n'avaient aucune idée du brodequin ni du cothurne, et tout au plus auraient vu des Danseurs de corde et des vendeurs d'orviétan, si les représentations des Collèges n'avaient instruit des charmes séduisants de la scène régulière. Le théâtre des Jésuites a partout précédé de plusieurs années le théâtre public, et l'a fait désirer. Il a passé des Collèges dans les Monastères : aucune Communauté Religieuse avant eux n'avait imaginé ni n'aurait osé jouer des comédies. L'exemple de ces Pères a levé tous les scrupules, fourni les facilités, et fait franchir à Thalie les clôtures les plus austères. Les jeunes gens qui avaient joué au collège, ont porté leurs leçons et leur goût dans les cloîtres, et les Religieuses dont les Jésuites ont eu la direction, y ont été les plus affectionnées. Madame de Maintenon ne fit qu'imiter à S. Cyr ce qu'elle voyait dans les maisons les plus régulières. Elle trouva bien des censeurs de ses amusements, mais elle n'eut que des panégyristes chez les Jésuites. M. Habert, Curé de Versailles, refusa d'y aller ; aucun Lazariste, aucun Récollet n'y parut. Le P. la Chaise, à la tête de trente Révérends de sa Compagnie, s'y rendit avec empressement, et la combla d'éloges. Tout un Collège, c’est-à-dire plusieurs centaines de jeunes gens, sont enchantés d'une pièce de théâtre, tout y flatte les inclinations de leur âge. Répandus ensuite dans le monde, ils y apporteront leurs idées et leurs goûts, et chercheront à se satisfaire. Toutes les familles, charmées du succès de leurs enfants, et ravies du spectacle, prendront les mêmes sentiments. On apprendra les scènes, on lira les Comédies, on connaîtra les Auteurs, on s'initiera dans tous les mystères, on exercera les enfants, on leur fera répéter leurs rôles, leurs frères et sœurs les imiteront, ils seront magnifiquement habillés, on le fera sans remords, sur la garantie des pieux Régents. Ainsi, sans s'en apercevoir, toute une ville deviendra peu à peu comédienne par goût, bientôt elle appellera des troupes d'Acteurs, et bâtira des théâtres. Le spectacle public ne suffira pas, il se formera des troupes d'Acteurs, on dressera des théâtres dans des maisons particulières. Le germe de cette fureur théâtrale fut jeté au Collège ; les premiers essais y furent faits de la main d'un Régent : quels fruits en vont éclore sous ces saints auspices ? on n'oublie pas qu'un grave Religieux distribuait, faisait apprendre, exerçait des rôles comiques, donnait le ton, dirigeait le geste, animait le coup d'œil, enseignait à représenter sur la scène, à faire avec grâce une déclamation à sa maîtresse, à rendre le personnage de Soubrette, d'Arlequin. Ces leçons ne seront pas infructueuses, on ne tarde pas à les mettre en œuvre.

Rien ne serait plus capable de faire croire ce caractère amphibier qu'on impute bien ou mal aux Jésuites, rien du moins n'est plus propre à inspirer le pyrrhonisme dans la morale que leur conduite à l'égard du théâtre. Tous leurs Sermonnaires, tous leurs livres de piété le proscrivent sans restriction ; selon eux, on ne doit jamais y paraître. Tous leurs Casuistes ne le condamnent que conditionnellement, c’est-à-dire quand il est grossier et obscène. On peut donc y aller presque toujours, car le théâtre est aujourd’hui sur un ton de politesse qui bannit les grossièretés, et sans avoir égard ni à la proscription générale des uns, ni à l'improbation conditionnelle des autres, les Jésuites partout font représenter par leurs écoliers toutes les mêmes pièces qu'on donne au théâtre Français ; Corneille, Racine, Molière, Regnard, Crébillon, Voltaire, etc. sans compter leurs propres ouvrages, y règnent également. Ces exhortations et ces décisions n'ont donc pour objet que des chimères. Quel conflit dans le même Ordre, dans la même maison ! Bourdaloue foudroie, Sanchez capitule, la Santé exerce, Cheminais, Croiset y redoutent les plus grands dangers, Souciet, Brumoy en enseignent la composition. Le Père Confesseur défend à l'écolier d'aller à la comédie, le Père Préfet la lui fait représenter. Dans les retraites et les missions on en inspire de l'horreur, et chaque année on y invite toute la ville. On interdit la fréquentation des mauvaises compagnies, crainte de leur ressembler, et on fait venir des Acteurs danser sur le théâtre, aider à exercer, on habille les enfants, on les farde comme des Actrices. Et ce Prédicateur lui-même qui parle aujourd’hui contre la comédie, en composait il y a deux jours, et demain il ira voir, louer, admirer celle de son confrère, et féliciter les familles d'un succès qu'il vient d'anathématiser. L'Evangile a beau crier, faites ce qu'ils vous disent, et ne faites pas ce qu'ils font, on en appelle des sermons aux pièces, des missions aux décorations, de la morale à la pratique, et l'on court à la comédie comme à un plaisir indifférent qu'on peut goûter sans scrupule.

Il y a sans doute de la différence entre les pièces de Collège et celles de l'Hôtel ; les Ecoliers ont de la religion et des mœurs, et qu'est-ce qu'une troupe de Comédiens et de Comédiennes ? On ne tend pas au Collège des pièges à l'innocence, on n'y agit pas par un esprit mercenaire pour gagner de l'argent, comme à la comédie : émulation, obéissance dans les élèves ; vues louables, quoique fausses, du bien public et de l'éducation dans les Régents. La compagnie y est mieux choisie, des amis et des parents viennent écouter les jeunes gens ; ce ne sont pas les libertins, attirés par le goût du plaisir et les objets de la débauche. Les pièces sont communément plus châtiées, et les parures plus modestes ; les danses, les attitudes, les gestes, les regards, le son de la voix, sont moins efféminés et moins voluptueux, le jeu moins séduisant, par conséquent moins dangereux. Car ici la perfection fait le danger, la meilleure pièce est la plus mauvaise, la plus parfaite exécution est le plus subtil poison ; et malgré tout le soin des Régents, le jeu d'un Ecolier pût-il n'être pas grossier et maussade, à plus forte raison écarterait-on le danger, si comme l'ordonnait S. Ignace dans ses constitutions, les pièces, toutes en Latin, sur des sujets pieux, sans aucun habit, sans aucun rôle de femme, n'étaient que des exercices littéraires. On ne peut donc, comme je l'ai dit (L.  1. C.  3.) d'après M. Bossuet, traiter avec la même sévérité les uns et les autres. Il est pourtant vrai que cette différence ne consiste que du plus au moins : même pièce, même rôle, mêmes habits, même chant, même danse, mêmes décorations, même spectacle, c'est toujours l'esquisse du tableau, l'essai de la représentation, l'imitation de la réalité, le commencement de l'orage, le prélude de l'acte, le germe de la volupté, l'ébauche de la passion. Il est très certain que ce moins conduit au plus, conduit à tout, qu'il en donne l'idée, en inspire le goût, en allume le désir, est la source du torrent qui entraîne au théâtre. En s'accoutumant à jouer un petit jeu, on deviendra grand joueur, les petites fêtes multipliées feront aimer la bonne chère, l'affectation des petites parures amènera le luxe et le faste, etc. Les Jésuites, qui enseignent partout et avec tout le monde, que les petites choses conduisent aux grandes, ont-ils pu ne pas voir que leurs pièces sont un germe du spectacle public ? Ceux qui par leurs règles font profession d'enseigner qu’en matière de pureté il n'y a point de faute légère, ont-ils pu tendre tant de pièges aux yeux, aux oreilles, aux cœurs, et se dissimuler que leurs exercices dramatiques ouvraient sous les pieds de leurs disciples l'affreux abîme du théâtre ?

Mais en devenant les Apôtres de la scène, ont-ils bien suivi les lois de cette profonde politique dont les uns leur font un crime, et les autres un mérite ? Non : c'est pour eux et pour leurs Collèges, dans le principe et dans l'effet, la politique la plus fausse. Quel peut en être le motif ? le hasard produit-il si souvent et si constamment le même effet ? pourrait-on chez les Jésuites attribuer quelque chose à l'ignorance ? Le profit qui revient de la taxe imposée aux Ecoliers pour les frais de la pièce, peut bien avoir occupé l'esprit mercenaire de quelque Régent, mais ne saurait faire agir ce grand Corps. Aurait-il eu le même dessein qu'on attribuait à Richelieu, d'amuser la nation pour l'asservir, et de l'amuser par des frivolités pour lui faire oublier le joug du despotisme ? Richelieu n'en a jamais fait confidence aux Jésuites, pour les mettre du complot ; ils n'y ont pas intérêt, et il est incroyable qu'ils aient porté l'envie de faire leur cour, jusqu'à favoriser cet odieux projet. L'esprit du monde se serait-il assez glissé dans une Compagnie où régnèrent toujours les bonnes mœurs, pour vouloir goûter des plaisirs auxquels on a renoncé, et faire venir chez soi ce qu'on ne peut décemment aller chercher au parterre ? Est-ce vanité littéraire qui veut cueillir les palmes dramatiques, comme les théologiques, briller et dominer en tout genre de littérature, et régenter le Parnasse comme le Collège ? Serait-ce un esprit complaisant et flexible, qui se faisant tout à tous pour les gagner tous à Dieu, comme S. Paul, ou s'accommodant à tous les goûts pour régner sur tout, comme le prétend Pascal, mène de front le relâchement et la sévérité, prêche l'Evangile et enseigne l'art de Molière, condamne la comédie et la joue, d'une main offre Bourdaloue et de l'autre Busembaums ? Et souvent dans un même Auteur les derniers tomes renferment ses comédies, et les premiers ses sermons qui les proscrivent. C'est un problème que je laisse à résoudre aux plus habiles ; mais les mauvais effets de cette conduite ne peuvent échapper aux plus ignorants.

Finissons par une réflexion importante. Je suis infiniment éloigné de soupçonner dans aucun Jésuite les sentiments et la doctrine du tyrannicide, mais on ne peut disconvenir qu'elle n'ait été mille fois débitée sur leur théâtre, comme sur tous les autres. Cinna, Pompée, Athalie, Brutus, César, etc. y ont été cent et cent fois représentés. Les innombrables Poètes de la Société, au-deçà comme au-delà des monts, depuis les plus célèbres jusqu'aux plus obscurs, Porée, Brumoy, la Rue, Catrou, etc. d'après Corneille, Racine, Crébillon, Voltaire, ont sans scrupule dans leurs poèmes tenu le même langage. C'est un style reçu, ce sont des beautés de genre, c'est le rôle des Acteurs, c'est tout ce que l'on voudra. Ce fait est de la plus grande notoriété. Comment le rédacteur des assertions sur leur morale relâchée a-t-il pu négliger d'embellir sa collection d'une foule de vers tragiques et comiques sur tous les points de la morale, et notamment sur l'homicide et le tyrannicide ? Il a affronté la poussière des bibliothèques, pour déterrer de vieux bouquins, Allemands, Polonais, Espagnols, dont personne ne soupçonnait l'existence, et il oublie les Auteurs les plus agréables, qui sont entre les mains de tout le monde, qu'on sait par cœur, dont on débite sur cent théâtres les pernicieux principes, parés de toutes les grâces de la poésie, de la déclamation, de la décoration, de la danse, de la musique. De cinq cent mille personnes dans le royaume, qui depuis quarante ans ont assisté aux spectacles des Jésuites, il n'y en a pas deux qui aient seulement vu le dos du livre de Santarellit, et plus de quatre cent mille ont lu et vu jouer ces pièces meurtrières. A-t-on craint de distinguer ces Peres des autres Poètes ou Acteurs ? Non : on n'a pas craint de séparer leurs Casuistes de la foule des autres Ecrivains de tous les Ordres qui ont enseigné la même doctrine. Méconnaît-on le danger de ces productions ? Non : on a trouvé du venin dans un thème que donnait à ses Ecoliers le Régent de troisième de Rouen, on en a trouvé dans le commentaire Latin de Del Rio sur Séneque, et on boit à longs traits le poison de cent pièces de théâtre. Eh qui s'embarrasse dans le monde du thème d'un Ecolier et de cinq ou six vers de Sénèque ? Cependant le zèle et les bûchers s'allument. Qui ne connaît Corneille, Racine, Voltaire, et le théâtre des Jésuites ? On les protège, on les aime, on y court. Contradictions et inconséquences humaines, êtes-vous plus déplorables que ridicules ?

C'est la fureur même des spectacles qui jette un voile si épais sur les yeux les plus perçants. Est-il un seul de ces censeurs qui n'aime, qui ne fréquente la comédie ? voudrait-il se ravir à lui-même ses délices, en supprimant toutes les pièces qui renferment une morale licencieuse ? La dépravation des mœurs fait la fortune du théâtre. Qu'il cesse de parer de tous ses charmes la volupté, et d'en faire goûter la corruption, il perdra tous ses protecteurs, et deviendra un tyrannicide. Mais s'aperçoit-on, veut-on s'apercevoir des défauts de ce qu'on aime ? s'aperçoit-on de ce qui a passé en habitude ? On se familiarise avec les monstres, surtout lorsque d'intelligence avec la passion, ils en fournissent le plus doux aliment. Qu'on mette dans la bouche d'un Acteur, surtout d'une Actrice bien faite, les propres paroles des plus odieux tyrannicides, ce qui était détestable en Latin sous l'écorce hérissée de chapitres et d'articles, sera admirable en dialogue versifié. Le Jésuite n'a qu'à passer de la bibliothèque sur la scène, les anathèmes se changent en acclamations. Malheureusement pour lui le Savant a emporté l'Acteur, qui enivré de la fumée de ce pernicieux encens, n'a pas su prévoir que ces applaudissements et ce goût même allumaient sourdement la foudre qui devait les écraser tous les deux.

Croira-t-on une anecdote vraie que je tiens des Jésuites même ? Leur Général leur a souvent défendu les pièces de théâtre Françaises, et ce Monarque, qu'on dit si despotique, n'a point été obéi. Quelques Recteurs plus obéissants n'ont pas souffert des représentations pendant leur règne, mais le grand nombre de ces Pères, soit pour faire briller leur stalents, ou pour ménager les suffrages des Grands et du peuple, dont ils connaissaient le goût, ou dans l'idée que c'est un exercice utile à la jeunesse, ont continué de composer et de faire jouer des pièces de toute espèce. C'est là ce bras de chair, ce roseau fragile dont parle l'Ecriture, qui se brise sous la main qui s'y appuie, et la perce elle-même. Ce moyen de s'avancer s'est tourné contre eux, l'estime et la confiance qu'ils méritaient, s'est affaiblie ; la religion et les mœurs ont perdu à vue d'œil par le théâtre, et ne se rétabliront pas tandis qu'il subsistera. Les Jésuites, qui s'étaient partout établis par les mœurs et la religion, ne devaient se maintenir que par elles. Cet appui leur manquant, pouvaient-ils ne pas succomber ? Les Démons, dit Tertullien, prévoyant que le plaisir des spectacles serait un moyen des plus efficaces pour introduire et maintenir l'idolâtrie (disons-en de même de l'irréligion et du vice), inspirèrent aux hommes l'art des représentations théâtrales ; ce qui devait tourner à leur gloire, ne pouvait venir que de leur inspiration : « Dæmones prospicientes sibi, inter cætera idolatriæ, etiam spectaculorum inquinamenta, quibus hominem a Deo avocarent ejusmodi ostium ingenia inspirasse. »  De Spect. C.  10. Je suis bien éloigné de jeter aucun nuage sur la religion et la vertu des Jésuites ; c'est sans doute contre leur intention que le Démon a mis à profit le goût pour les spectacles qu'ils ont répandu dans tout le royaume, pour produire le mauvais fruit dont ils ont eu les dents agacées, comme dit l'Ecriture : Dentes obstupescunt. Un livre nouveau (l'Education civile par M. Garnier) pense comme le Général des Jésuites. Il compte parmi les avantages de son projet l'abandon des drames et des Romans, espèce de littérature qui outre les autres vices, est très peu capable de nourrir le cœur, de former les mœurs, et de produire de vrais citoyens.  « Tragiques Français, dit-il, quittez pour un moment le cothurne, et daignez me répondre. Ne vous vantez-vous pas d'être les précepteurs de la nation ? Eh bien, dites-nous donc depuis plus d'un siècle que nous prenons de vos leçons, avons-nous fait bien des progrès dans la vertu ? les hommes sont-ils devenus plus appliqués à leurs devoirs et plus délicats sur la réputation ? les femmes se respectent-elles davantage ? les enfants sont-ils plus soumis à leurs parents ? règne-t-il plus d'union dans les familles ? les droits de l'amitié sont-ils mieux connus et plus respectés ? la patrie a-t-elle acquis un plus grand nombre d'illustres défenseurs ? Ceux qui vous fréquentent valent-ils mieux que ceux qui vous négligent, etc. ?  » Les personnes intéressées, dit le Journal de Trevoux (Juin1675. art.  54.), trouveront cette apostrophe trop vive ; mais on ne peut contester qu'il n'ait la vérité pour lui. Le théâtre ne grossira jamais le martyrologe ; mais depuis Molière et Racine il a grossi au centuple les registres de la Salpêtrière, de Bicêtre, des Enfants trouvés, etc. de la Flandre aux Pyrénées, des Alpes à la basse Bretagne.

Dans les Vies des Pères, des Martyrs, etc. traduites de l'Anglais, imprimées à Villefranche (Tom.  2. Vie de S. Polyeucte), l'Auteur de ce bon livre dit très sensément : « Corneille a fait du martyre de ce Saint le sujet d'une tragédie qui est un chef-d’œuvre dramatique ; mais les personnes pieuses ont été choquées de la liberté que le Poète s'est donné de faire monter les Saints sur le théâtre, d'altérer la vérité de l'histoire, de corrompre les vertus chrétiennes, et de mêler la tendresse de l'amour Romain à l'héroïsme de l'amour divin. Qu'on juge par là s'il est difficile de rendre la tragédie innocente, et si les maîtres de la morale évangélique ont prononcé avec raison, que le théâtre le plus épuré aux yeux du monde, sera toujours incompatible avec la vraie piété, et ne servira jamais qu'à réveiller des passions d'autant plus dangereuses, que nous en portons le germe dans la corruption du cœur. » Cette réflexion très vraie, très chrétienne, vient très à propos dans la vie de S. Polyeucte.

S'attendrait-on que le Journal des Savants, ouvrage si judicieux, si décidé pour la religion et les mœurs, et jusqu'ici contre les dangers du théâtre, au lieu d'applaudir à cette vérité, se déclare contre elle, et se contredise en la combattant ? « Nous sommes bien éloignés, dit-il (Juin 1765. pag.  1045.), de penser que le théâtre soit aussi épuré qu'il devrait l'être pour l'intérêt des mœurs et le bien réel de la société. » Eh que faut-il de plus pour le proscrire dans la morale la plus relâchée ? Escobar et Busembaun le condamnent alors. « Mais n'est-il pas singulier qu'autrefois on ait placé impunément, quoiqu'avec la plus scandaleuse indécence, ce que la religion a de plus respectable ?  » Qui donc a jamais approuvé cette indécence ? n'a-t-on pas aboli ces pièces ? ne les a-t-on pas souvent punies ? Et parce que les Comédiens furent toujours des gens sans mœurs, faut-il faire l'apologie de la scène ? et parce qu'autrefois ils ont été plus grossièrement libertins, ceux de nos jours sont-ils des Saints ? parce que les courtisanes Romaines ont été plus effrontées, faut-il fréquenter les Actrices de Paris ? « et qu'aujourd'hui le zèle s'irrite si l'on essaie d'introduire avec dignité sur la scène de saints personnages, quelques efforts que l'on fasse pour que leurs sentiments donnent la plus haute idée des objets de la foi, et que leurs actions présentent des exemples de la plus héroïque vertu ?  » Ce pompeux panégyrique du théâtre est bon à faire à quelqu’un qui ne l'a jamais vu ; il fait rire ceux qui le connaissent, si l'enthousiasme ne leur met sur les yeux un verre coloré. « Lorsque Julien (on l'a appelé l’Apostat dans tout l'univers pendant quatorze siècles, il a cessé de l'être depuis que toutes les religions sont indifférentes) défendit aux premiers Chrétiens d'enseigner les lettres humaines, et à la jeunesse de les étudier ailleurs que dans les écoles payennes, (les jeunes gens eurent toujours la liberté d'apprendre ce qu'ils voulurent, il n'y eut que les Régents Chrétiens interdits. Jul. Epist.  42.), les plus sav ants d'entre eux composèrent des tragédies dont le sujet était tiré des livres saints(et même des comédies) et on ne le trouva pas mauvais. » Eh qui ? Julien l'Apostat sans doute, car c'était un bon moyen pour affaiblir le christianisme ; et tout ce que les saints Pères et alors et dans tous les temps ont écrit contre le théâtre, ne permet pas de douter que l'Eglise n'eût condamné l'entreprise de ces savants Chrétiens. Mais ce théâtre et cette approbation n'existent que sous la plume du Journaliste, tout se réduit à ce que les deux Apollinaires, dont l'un a été un hérésiarque, chef des Apollinaristes, mirent en vers quelques histoires de l'Ecriture, en forme de dialogue, comme plusieurs déclamations que les Régents font réciter dans les Collèges. Il en reste une qu'on croit d'Apollinaire le jeune, qui se trouve dans les poésies de S. Grégoire de Nazianze, sous le titre de Jésus-Christ souffrant. Rien de tout cela n'a été représenté ni ne fut fait pour l'être, ni ne l'aurait pu. Les Chrétiens sous cet Empereur n'étaient pas les maîtres des théâtres, et ne s'étaient pas encore avisés d'en construire de particuliers dans les Collèges, et ce Prince ne l'aurait pas souffert. L'Athalie et l'Esther de Racine justifieront toujours les essais de ce genre aux yeux des personnes sages et modérées. Quoique ces deux pièces soient les plus épurées pour les mœurs, et les plus remplies de sentiments de religion qui aient paru, elles ne feront jamais l'apologie des pièces tirées des livres saints, dont elles sont une profanation. Nous avons même fait voir en divers endroits qu'Esther par ses traits satiriques et ses flatteries outrées, et Athalie par sa doctrine meurtrière des Rois, étaient des pièces répréhensibles, malgré toute leur piété ; qu'elles produisirent de mauvais effets à S. Cyr, ce qui en fit supprimer la représentation pendant plus de quarante ans ; que Racine, alors converti, eut beaucoup de peine à se charger de les composer, et s'en repentit ; qu'Esther n'est plus jouée, qu'Athalie tomba d'abord, et fut plus de vingt ans à se relever. Pour les autres drames prétendus pieux, parce qu'on y a enchâssé le nom de quelque saint personnage, la Théodore de Corneille, la Jephté de Pellegrin, la galante Judith de Boyer, etc. ces Saints seraient fort étonnés, s'ils revenaient au monde, de se voir travestis en Comédiens, et ne feraient pas l'apologie de leur métamorphose. Les Jésuites même, qui d'abord commencèrent par ces pièces déguisées, avaient trop d'esprit, pour ne pas en sentir l'indécence : ils abandonnèrent cet air puérile de dévotion porté sur le théâtre, où tout le dément, et jouèrent toute sorte de pièces, qui en effet malgré l'apparente sainteté sont toutes dans le même goût. Mais en établissant le règne du théâtre, ils ont fourni une partie des armes dont ils ont été mortellement blessés.

Revenons à Julien l'Apostat. J'ai parlé ailleurs des sentiments de ce Prince sur le théâtre. Sa philosophie l'en éloignait par principe de vertu ; et par zèle pour sa religion, ne pouvant l'interdire à tout le monde, il voulait du moins que les Prêtres Païens s'en abstinssent, pour donner du crédit au paganisme par cet air de piété, à l'exemple des Chrétiens, qui n'y allaient jamais, et auxquels dans son système de persécution il n'eût pas manqué de défendre d'y paraître, s'ils l'eussent fréquenté, pour se moquer d'eux, ou d'ordonner d'y aller, pour les corrompre, s'il eût espéré d'être obéi. Dans la satire qu'il fit des habitants d'Antioche, il se moque, comme du plus grand ridicule et du plus grand désordre, de leur fureur pour le théâtre, il lance les mêmes traits contre les Empereurs ses prédécesseurs qui l'avaient aimé. Le Journal des Savants m'a donné occasion de relire l'histoire et les ouvrages de ce fameux Apostat. Voici des traits qui m'avaient échappé. Mardonius, son Gouverneur, bien différent de nos Régents, regarda comme un des points les plus essentiels d'une bonne éducation, de leur inspirer du mépris et de l'éloignement pour le théâtre. Dans sa grande lettre à Arsace, Pontife de la Galatie, qui semble être prise des canons de l'Eglise, tant il y donne de sages règlements : il insiste sur le théâtre. M. de Fleury en a orné son histoire (L.  15. n.  17.). « La feinte gravité des mœurs, dit-il, a le plus accru l'athéisme des Galiléens (le Christianisme), nous devons la pratiquer véritablement. Il ne suffit pas que vous soyiez tel, obligez tous les Prêtres de votre province de l'être. Un sacrificateur ne doit ni aller au théâtre ni boire au cabaret. Etablissez des Hôpitaux dans chaque ville, etc. Ne faites point la cour aux Gouverneurs, qu'aucun Prêtre n'aille au-devant d'eux à leur entrée dans les villes, et qu'il ne sorte pas du vestibule quand ils viennent au Temple. Lorsque le Magistrat touche la porte du lieu sacré, il devient particulier : c'est vous qui commandez au-dedans par une loi divine, à laquelle on ne peut résister sans arrogance. Qu'ils ne lisent point de Romans ni de Poètes comiques, comme Aristophane, ou des Auteurs licencieux, comme Archiloque, Hypponax. Qu'ils fassent la prière le matin et le soir. Ils doivent dans le service porter des habits magnifiques, mais être chez eux vêtus fort simplement. Qu'aucun Prêtre n'approche en aucune manière des spectacles, et ne les introduise dans sa maison(approuverait-il qu'un Corps Religieux eût des théâtres dressés dans les collèges ? en eût-il épargné le reproche aux Galiléens, et les eût-il donnés pour modèle à ses Prêtres ?). Je voudrais les bannir entièrement des théâtres, et qu'ils laissent au peuple l'impureté des spectacles. Qu'aucun d'eux n'ait pour ami un Comédien ou un Danseur. Les enfants des Prêtres doivent même s'en abstenir. » M. de Fleury ajoute cette réflexion, qui vaut bien celle du Journaliste : « Après ces paroles de Julien, on ne doit pas s'étonner que les spectacles fussent défendus aux Chrétiens. » Tout cela suppose en effet que les Chrétiens n'allaient jamais aux spectacles, que l'Eglise le leur avait toujours défendu ; et n'en eût-elle pas fait encore la défense, elle aurait dû pour son honneur ne pas se montrer moins zélée pour la pureté qu'un Empereur Païen et apostat. Le théâtre était pourtant alors très épuré depuis les lois de Constantin et de ses enfants, qui avaient par là signalé leur zèle pour le christianisme, et ce Prince philosophe le croit encore opposé à la sainteté même du paganisme. Cette autorité si décisive, à laquelle les Jésuites n'ont sans doute fait aucune attention, doit être d'un grand poids chez nos Sages qui font l'éloge de Julien, et ne l'imitent que trop et dans son apostasie et dans ses sophismes et ses sarcasmes contre l'Eglise, le Vicaire et la doctrine du Galiléen, en faisant l'apologie du théâtre ils combattent un de leurs héros les plus distingués.