(1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 4 « CHAPITRE IX. Sentiments de Tertullien. » pp. 180-200
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(1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 4 « CHAPITRE IX. Sentiments de Tertullien. » pp. 180-200

CHAPITRE IX.
Sentiments de Tertullien.

Tertullien, Prêtre de Carthage, serait un des plus grands hommes qu'ait eu l'Eglise par la beauté de son génie, l'étendue de ses connaissances, l'énergie de son style, la force de ses raisonnements, le nombre et l'importance de ses ouvrages, s'il n'avait eu le malheur de tomber dans l'hérésie sur la fin de ses jours. Son témoignage contre les spectacles ne saurait en être affaibli, il fut écrit avant sa chute, et a toujours été cité dans l'Eglise comme d'une très grande autorité. Cet homme célèbre avait été païen et marié, et même libertin avant sa conversion. Il connaissait parfaitement et par expérience le monde et ses dangers, contre lesquels il tâche de prémunir les Chrétiens. Ses livres sont pleins de traits contre la comédie. Surtout il composa au commencement du troisième siècle un traité complet contre les spectacles qui est un des beaux monuments de l'antiquité. Ce fut à l'occasion des jeux séculaires que l'Empereur Sévère fit célébrer dans tout l'Empire la douzième année de son règne. Il était à craindre que les fidèles, mal instruits ou trop faciles, ne se laissassent entraîner dans une occasion si séduisante. Bien des gens même avaient, comme aujourd’hui, ou la malignité ou la faiblesse de faire l'apologie de ces dangereux divertissements. Tertullien adresse son ouvrage aux fidèles baptisés ou catéchumènes, pour les en détourner. Il y combat leurs faux raisonnements, à peu près les mêmes que les amateurs du théâtre font encore. Il l'envisage du côté de la religion, tout y est infecté d'idolâtrie, et du côté des mœurs on y enseigne tous les vices. Chacun de ces désordres séparément devrait les faire proscrire.

C'est une distinction qu'affectent de ne point faire quelques-uns de nos apologistes : ils rejettent sur l'idolâtrie tout ce que le zèle des Pères a prononcé contre les spectacles, comme si l'intérêt des bonnes mœurs ne devait être compté pour rien, ou était fort en sûreté sur la scène. L'idolâtrie était sans doute un grand désordre, on ne le craint plus, le culte des Idoles est aboli ; mais indépendamment de la superstition, la vertu les a toujours réprouvés, et quoique aujourd’hui peut-être les vices y soient étalés moins grossièrement, la vertu n'en redoute pas moins les attaques, les exhortations des Pères n'y trouvent pas moins leur application. Tertullien, qui combat tous les spectacles, les réduit à quatre ; le cirque, où l'on faisait des courses de chevaux et de chars ; le théatre, où l'on représentait des tragédies, des comédies, des farces, avec des chants, des danses, des décorations magnifiques ; le stade, où se faisaient les exercices du corps, la lutte, le pugilat, etc. l’amphithéatre, où se donnaient les combats des gladiateurs et des bêtes féroces. On voit encore en quelques endroits des courses de chevaux, en Espagne des combats de taureaux, partout des danseurs de corde, des sauts périlleux, etc. Ce sont des restes des anciens spectacles. Le théâtre subsiste en entier : il est à bien des égards porté à un degré de perfection bien supérieur aux anciens théâtres, et malgré un vernis de politesse et de décence qu'on y a répandu, il ne mérite pas moins les anathèmes de l'Evangile, et l'horreur des gens de bien, que celui des premiers siècles.

Il y a trois endroits remarquables dans son Apologétique (C.  6.). Vous, Païens, dit-il, avez aboli les lois les plus sages, dont vos ancêtres étaient scrupuleux observateurs, telles que les lois somptuaires, qui défendaient tous les excès du luxe et de l'intempérance ; celles qui distinguaient les états, en interdisant au peuple les habits des gens de condition, et aux honnêtes femmes les parures des courtisanes ; celles qui prescrivaient aux femmes la modestie et la sobriété, jusqu'à leur défendre de boire du vin, et de porter de l'or sur leurs habits ; en particulier les lois qui proscrivaient le théâtre, et le faisaient partout détruire, comme le corrupteur des bonnes mœurs : « Leges quæ theatra stuprandis moribus orientia destruebant. » Vous avez même par un excès de luxe couvert tout le terrain du théâtre, et introduit l'usage de certains manteaux qui mettent à couvert de la pluie, de peur que le froid de l'hiver ne diminuât le feu de la volupté : « Ne hieme voluptas impudica frigeret. » Qu'eût-il dit de la commodité, de la magnificence des loges ?

C.  15. Vous ne vous réjouissez sur vos théâtres qu'aux dépens de vos Dieux et des bonnes mœurs. Il semble qu'on s'attache par préférence à ce qu'il y a pour eux de plus déshonorant, et pour nous de plus scandaleux : « Lasciviæ ingenia voluptatibus vestris per Deorum dedecus operantur, Histrionum litteræ fœditatem eorum designant. » Que vois-je dans vos Auteurs dramatiques ? Cybèle méprisée par le Berger Attis ; Vénus pleurant la mort d'Adonis ; la Lune recherchant Endymion ; Phaéton, fils du Soleil, précipité du haut des cieux ; les trois Déesses disputant une pomme, jugées par le Berger Paris (ajoutez l'enlèvement de Proserpine, l'adultère de Jupiter avec la femme d'Amphitryon, et de Mars avec Vénus, les amours de Psyché, de Semelé, d'Hercule et d'Omphale, de Bacchus, de Vénus, de Momus, de l'Aurore, de tous les Dieux, etc. on verra une grande partie de nos opéra et du théâtre Italien). Dites-moi, continue Tertullien, si ce sont vos Dieux dont vous vous moquez, ou les Acteurs qui les représentent, et leurs infâmes aventures : « Utrum Deos an Mimos in jocis et strophis rideatis. » N'est-ce pas outrager la Divinité, et profaner les choses saintes, de faire représenter des objets de religion par des gens vicieux et infames ? « Imago Dei ignominiosissimum caput vetit, corpus impurum Minervam repræsentat. » Par exemple, un Acteur joue Jephté, Polyeucte, une Actrice joue Suzanne, Esther, etc. « Majestas violatur, Divinitas construpatur. »

C.  38. Nous renonçons à tous vos spectacles, ainsi qu'à tout ce qui leur a donné la naissance : « Spectaculis vestris renuntiamus quantum eorum originibus. » Nous ne voulons ni les voir ni les entendre : « Nihil est visu, dictu, auditu, nobis cum illis. » Quel mal vous faisons-nous en goûtant des plaisirs différents des vôtres ? peut-on forcer les goûts ? Si c'est une perte, tant pis pour nous : « Qui vos offendimus reprobantes quæ placent vobis, nec vos nostra delectent. »

Il est inutile d'aller chercher des autorités dans les ouvrages de Tertullien sur le luxe et la parure des femmes,  de habitu muliebri, de cultu fœminarum, de velandis virginibus, il faudrait transcrire ces traités en entier ; ils ne sont faits que pour montrer le danger infini pour les mœurs, qu'entraînent l'affectation des habits, l'indécence des parures, la mollesse des démarches, le feu des regards, la douceur de la voix, la liberté des discours, les flatteries, les caresses, etc. Quelque vifs que soient ces portraits, ils ne rendent que faiblement les Actrices de tous nos théâtres, et les Spectatrices, qui se font un mérite et une étude de les imiter. Nous ne parlons pas des traités que fit cet Auteur depuis sa chute contre l'impureté. Les erreurs dans lesquelles il tomba rendraient son témoignage suspect ; mais rien ne peut affaiblir ce qu'il a dit dans son traité contre les spectacles, que tous les siècles ont admiré. Nous en allons donner une traduction abrégée.

Traité de Tertullien contre les Spectacles.

« 1.° Connaissez, serviteurs de Dieu, vous Catéchumènes qui vous approchez de lui, vous baptisés qui lui êtes unis, combien la foi, la vérité, les bonnes mœurs, parmi tant d'autres erreurs du siècle, condamnent le plaisir du spectacle, afin que vous ne péchiez ni par dissimulation ni par ignorance. Le poison de la volupté est si grand, qu'il cause souvent ce double malheur. Mais quoi, disent ceux qui goûtent les sentiments des païens, Dieu s'offense-t-il des plaisirs des hommes, lorsque pris à propos ils ne blessent ni la religion ni la conscience ? Erreur dangereuse : nous allons démontrer que les spectacles sont opposés à l'un et à l'autre. On nous accuse de fuir les spectacles par lâcheté, afin que nous rendant la vie dure par la privation des voluptés qui nous y attachent, nous souffrions plus aisément la mort à laquelle nous devons nous tenir toujours prêts : ce qui serait une précaution de prudence plutôt qu'un ordre de Dieu. Mais ne fut-ce qu'un trait de sagesse, il produit de si bons effets qu'on devrait s'y conformer.

« 2.° Mais, dit-on, Dieu qui est la bonté même, n'a-t-il pas créé et donné aux hommes tout ce qui compose les spectacles, les murailles, les décorations, les bêtes féroces, les forces du corps, la douceur de la voix ? peut-on en condamner l'usage, comme contraires à la gloire de leur auteur ? Que l'ignorance humaine se croit sage, surtout lorsqu'elle défend la cause de la volupté ! Bien d'autres s'éloignent du christianisme, moins par la crainte de la mort que par celle d'être privés de leurs plaisirs. On s'attend à la mort, c'est une dette qu'il faut payer ; mais tout le monde aime le plaisir, c'est la douceur de la vie. Personne n'ignore que Dieu, créateur de toutes choses, les a faites pour l'usage de l'homme ; mais quand on ne connaît Dieu que par la lumière naturelle, on ne le connaît qu'imparfaitement et dans le lointain, on ne sait pas l'usage qu'il ordonne de faire de ses dons, ni les desseins de son ennemi, qui veut nous les faire profaner. L'abus et l'usage, l'auteur et le profanateur sont bien différents. Tous les crimes que les païens même défendent, ne se commettent qu'avec les ouvrages de Dieu. Le fer et le poison dont on se sert pour tuer, ne les a-t-il pas créés ? l'homicide en est-il plus permis ? L'or, l'argent, l'ivoire, dont on fait les idoles, sont ses créatures ; en condamne-t-il moins l'infamie ? L'homme lui-même, qui commet tous les crimes, n'est-il pas l'ouvrage et même l'image de Dieu ? a-t-il reçu les yeux pour satisfaire la concupiscence, la langue pour tenir, les oreilles pour entendre de mauvais discours, la bouche pour servir la gourmandise, les organes de la volupté pour se livrer à l'incontinence ? Dieu n'a formé aucune créature pour servir au crime qu'il défend, l'abus que nous en aurons fait nous damnera. Après avoir ravi l'innocence au premier homme, le démon, rival de la Divinité, s'est rendu comme maître des créatures par le mauvais usage qu'il en fait faire.

« 3.° Exigerait-on par simplicité ou par scrupule des défenses précises de l'Ecriture ? Sans doute on n'en trouvera pas qui dise en termes exprès, vous n'irez pas au spectacle, comme elle dit, vous n'adorerez point les idoles, vous ne déroberez point. Mais on en voit l'équivalent dans le premier psaume : Heureux celui qui n'entrera pas dans le conseil des impies, qui n'ira point dans les voies des pécheurs, et ne s'assiéra point dans la chaire de corruption ! Car quoique David ne parle que des assemblées que tinrent les Juifs contre Jésus-Christ, peut-on douter qu'il ne condamne toutes celles des impies ? les Païens valent-ils mieux que les Juifs ? L'Ecriture parle d'une manière générale qui renferme ces espèces particulières, elle enseigne toutes les nations dans le peuple Juif, et menace tous les peuples dans les Egyptiens. Malheur donc à qui se mêle avec les impies, qui marche dans les voies des pécheurs, qui s'assiedac dans la chaire de pestilence, quel que soit le genre d'impiété ou de crime auquel il s'associe.

« 4.° Qu'on ne m'accuse pas de subtiliser en sophiste, voici une preuve décisive, c'est votre baptême. Vous y avez renoncé au démon et à ses pompes, et à ses Anges, et où voit-on régner plus impérieusement le démon et ses pompes, que dans l'idolâtrie et la corruption des spectacles ? Tout y est idolâtrie et superstition, dans l'origine, le titre, l'appareil, la dédicace, les circonstances, la représentation du théatre.

« 5.° Les livres des Païens nous en apprennent l'origine, assez peu connue. Timée rapporte que des Lydiens sous la conduite de Tyrrhène étaient venus s'établir en Toscane, et y avaient apporté avec bien d'autres superstitions, les spectacles, comme des actes de religion, d'où ils ont passé à Rome. Chacun de ces jeux fut dédié à quelque Dieu, à Bacchus, à Jupiter, à Mars, à Neptune, par Romulus et d'autres Rois de Rome. Ils furent d'abord employés à l'enlèvement des Sabines, par le fils de Mars, meurtrier de son frère. Leur berceau fut l'injustice, l'impudence, la violence.

« 6.° Plusieurs portent les noms des Dieux Neptunaux, Floriveaux, Apollinaires, etc.et se célèbrent régulièrement tous les ans ; les autres à l'occasion, de quelque événement intéressant, victoires, naissance des Rois, etc. Les particuliers même en célèbrent à la mort de leurs parents. De là l'ancienne division de jeux sacrés et funèbres pour les Dieux ou les mânes. Tout cela est également superstitueux et l'objet de notre horreur.

« 7.° Quoique l'origine et les cérémonies de tous les spectacles, à peu près les mêmes, soient pleines d'idolâtrie, l'appareil du cirque a quelque chose de plus pompeux qui lui mérite singulièrement le nom de pompe du Démon. Quel nombre infini d'idoles, de tableaux, de chariots, de couronnes, de sacrifices, de Prêtres, d'Augures, dans cette grande ville où les Démons ont établi leur demeure ! Le cirque dans les provinces est sans doute moins brillant ; mais qu'on remonte à la source et au tronc, on verra ce qu'il faut penser du ruisseau et de la branche qui en viennent. N'y eût-il qu'une idole, fût-elle couverte de haillons, c'est toujours une idolâtrie qui offense Dieu.

« 8.° Le cirque est comparé au soleil ; on y voit son temple au milieu, et son image au sommet du temple. Circé sa fille a inventé ces jeux en l'honneur de son père, et a donné son nom au cirque, elle a ouvert un beau champ aux démons, et bien ménagé leurs intérêts. Jupiter, Neptune, Cérès, Castor et Pollux, et quantité d'autres Dieux, y ont aussi des autels, des colonnes, des pyramides. Devez-vous donc, Chrétiens, vous trouver dans des lieux où règnent tant de démons ? Si ces lieux sont si empestés, dites-vous, il n'est donc pas permis d'y aller, même hors le temps du spectacle. C'est une erreur. Le lieu par lui-même n'est point mauvais ; on va bien sans péché dans les temples, quand ce n'est pas pour rendre quelque culte aux Dieux. Les places publiques, les bains, les maisons des particuliers, sont pleines d'idoles ; mais nous n'en sommes pas moins agréables à Dieu, si nous ne participons point au crime. Ce ne sont pas les lieux, mais les actions que l'on y fait qui souillent l'ame.

« 9.° Ce qui se passe au cirque n'est pas moins idolâtrique : l'usage des chevaux est innocent ; consacré au démon, il devient criminel. On en attelle quatre pour le soleil, deux pour la lune, d'autres pour Neptune, Junon, pour Romulus, adoré sous le nom de Quirinus, etc. On les a distingués par des couleurs, comme par des livrées ; le blanc était pour l'hiver, à cause de la blancheur de la neige, le rouge à l'été, pour marquer l'ardeur du soleil. On changea dans la suite ; le rouge fut destiné à Mars, le blanc aux zéphirs, le verd à la terre ou au printemps, l'azur au ciel ou à la mer, ou à l'automne. Tout cela ne les purifie pas. Il n'est pas plus permis d'adorer les éléments et les saisons que les autres Dieux.

« 10.° Passons au théâtre. Il n'est pas moins que le cirque l'ouvrage et l'exercice de l'idolâtrie. On y va en cérémonie au sortir du temple, après les sacrifices, sous la conduite d'un Intendant et des Haruspices. Mais le théâtre est bien plus infâme que le cirque par le vice : « Nunc transimus ad scenicos ludos, à loci vitio ». Le théâtre est proprement le temple de Vénus, « proprie sacrarium Veneris », il n'a même paru que sous ce titre. Les Païens sont ici d'accord avec nous, ils le condamnent eux-mêmes. Les Censeurs, pour prévenir la corruption des mœurs, qu'ils voyaient courir les plus grands risques, détruisaient tous les théâtres : « Maxime theatra destruebant ». Pompée ayant fait bâtir le sien, qu'on peut appeler la citadelle de tous les vices, où ils sont tous dans leur fort, « arcem omnium turpitudinum », et craignant l'animadversion des Censeurs, s'avisa d'y bâtir un temple à Vénus, et le fit dédier sous ce nom, pour éluder les règlements de la police, sous prétexte de religion : « Damnatum opus templi titulo prætexuit, et disciplinam superstitione delusit ». C'est aussi le temple de Bacchus : le Dieu du vin et la Déesse de l'amour furent toujours ligués contre la vertu : « Duo dæmonia conjurata ». Le théâtre a même des fêtes bachiques du nom de leur auteur. La mollesse, la dissolution, la licence des gestes, des mouvements du corps, les vers, la musique, les instruments, dont on fait honneur à Apollon, aux Muses, à Minerve, sont le culte religieux qu'on rend aux Divinités de la débauche. Pouvez-vous, Chrétiens, n'en avoir pas horreur ? Ce ne sont pas tant ces libertins dont on a fait des Dieux, ce sont les démons qui ont inventé tous ces désordres, et se sont couverts de leurs noms ; c'est moins l'idolâtrie qui a formé le théâtre, que le théâtre qui a répandu l'idolâtrie. Ils ont connu que rien n'était plus propre à leur attacher les hommes et à les détacher de Dieu, que les représentations théâtrales ; ils en ont inspiré le dessein, et donné le goût : « Ejusmodi autium ingenia inspirasse ».

« 11.° Les jeux des athlètes sont tous consacrés à quelque Divinité, les Olympiques et les Capitolins à Jupiter, les Pythiens à Apollon, etc. les couronnes qu'on y distribue, les Prêtres qui y président, les victimes qu'on y immole, les flûtes des Muses, les bandes de Mars, etc. tout dans le stade est aussi souillé d'idolâtrie que dans le cirque.

« 12.° Les combats des Gladiateurs, qui ont Mars et Diane pour Dieux tutélaires, furent d'abord un devoir funèbre institué à l'honneur des morts ; on se consolait de leur perte, et on croyait apaiser et comme venger leurs mânes par l'effusion du sang humain. Des esclaves étaient égorgés sur les tombeaux, et pour s'en faire un jeu, on les exerçait à se battre et à se faire tuer avec art. Le fer ne suffisant point, on y joignit les bêtes féroces, on en fit le plus frappant des spectacles. Ces honneurs superstitieux et barbares pour les morts sont une vraie idolâtrie. Les Magistrats, les Pontifes s'en font honneur aujourd’hui ; mais leur dignité n'en a point corrigé le vice. Les bandelettes, les couronnes, les harangues, les festins, tout cela n'est-il pas la pompe du diable ? Lieu horrible, plus plein de démons que le Capitole, et de démons plus cruels ; il y en a autant que de spectateurs et d'acteurs.

« 13.° C'en est assez pour nous convaincre que tous les spectacles sont remplis d'idolâtrie, et par conséquent interdits aux Chrétiens. Nous ne pouvons même manger des viandes qui y sont offertes ; ce serait, contre la défense de l'Apôtre, participer à la cène du Seigneur et à celle des démons ; et s'il n'est pas permis de s'asseoir à leur table, l'est-il davantage de les voir et de les entendre ? comme s'il n'était pas aussi nécessaire de conserver la pureté des yeux et des oreilles que celle du reste du corps.

« 14.° Mais indépendamment de toute idolâtrie, la corruption du siècle, qui règne dans tous les spectacles, doit les faire détester. Il est une concupiscence de plaisir, comme d'argent, de gloire, de gourmandise, et si cette concupiscence règne quelque part, c'est assurément au spectacle, où toutes les espèces sont distribuées. (On tâche d'éluder l'autorité des Pères, en particulier de Tertullien, en disant qu'ils s'élevaient contre l'idolâtrie qui régnait alors sur le théâtre ; on verra dans tout le reste de cet ouvrage qu'il le condamne par d'autres raisons qui ne regardent pas moins la scène moderne que l'ancienne.)

« 15.° L'esprit de Dieu, par la bonté de sa nature, est d'une délicatesse infinie. Dieu veut qu'on le conserve dans la patience, la douceur et la paix, et qu'on ne le trouble pas par le chagrin, l'emportement et la colère, Comment donc le concilier avec le spectacle, où tout est dans l'émotion ? Partout où il y a du plaisir se glisse la passion qui le goûte, et la vivacité de l'affection qui la rend piquante. La vivacité entraîne la fureur et la tristesse. Toutes ces passions sont-elles compatibles avec les mœurs chrétiennes ? Ceux même à qui l'âge, la dignité, le tempérament, donnent de la gravité et de la modestie, ressentent, comme les autres l'émotion secrette du plaisir. On ne va point au spectacle sans l'aimer, on ne s'y affectionne point sans tomber dans de grandes fautes, et ces fautes augmentent la passion. Sans la passion ces jeux seraient insipides ; alors même leur inutilité serait une faute dont un Chrétien est bien éloigné. S'associer à des gens qu'on déteste, et à qui on ne veut pas ressembler, c'est se condamner soi-même. Ce n'est pas assez de ne pas les imiter, ne vous liez pas avec eux ; plût à Dieu pussions-nous en être entièrement séparés ! Soyons-en du moins dans le vice.

« 16.° Puisque la fureur est défendue, fuyons les spectacles où elle règne. Voyez ce peuple qui court avec transport et en tumulte au cirque, déjà furieux par les factions et les paris. Le Préteur à son gré ne vient jamais assez tôt ; ses yeux fixés sur l'arène y roulent avec les billets ; en suspens, en attendant le signal, ce n'est plus qu'une voix pour se dire les uns aux autres ce qu'ils ont tous vu ; ou plutôt ils ne voient point, ils prennent le signal pour une serviette, mappo, et c'est l'image du démon. De là les fureurs et les querelles, les injures et les malédictions, les acclamations et les suffrages donnés sans discernement. Quel fruit peuvent en tirer des gens qui ne sont pas à eux-mêmes, que le plaisir de ne se posséder pas ? Ce qu'ils aiment ou haïssent leur est étranger : amour frivole, aversion injuste, fût-il même permis d'aimer, il serait défendu de haïr sans raison, puisqu'il l'est de haïr même avec raison. Dieu ordonne d'aimer ses ennemis, de bénir ceux qui nous maudissent : ferait-on innocemment dans le cirque ce qui partout ailleurs est un péché ?

« 17.° L'impureté n'étant pas moins défendue que la fureur, on doit fermer le théâtre, qui en est le consistoire, « consistorium impudicitiæ » : le vice en fait l'agrément, « summa gratia ejus spurcitia ». Les Acteurs, les Pantomimes qui s'y sont exercés dès l'enfance, sont peut-être par leurs gestes, leurs attitudes, leur changement de sexe, plus licencieux sur le théâtre que chez eux. Les nudités des Actrices sont ici d'autant plus criminelles, que sans distinction d'âge, d'état et de sexe, elles se montrent à tout le public. Un crieur (les programmes, le Mercure) les annonce, on n'a qu'à passer aux foyers et aux coulisses. Qu'on me dispense d'en détailler les scènes, « taceo de reliquis ». Et le Sénat et tous les Ordres de l'Etat n'en rougiraient point ! « Erubescat Senatus, erubescant Ordines omnes. » Si l'on doit avoir en horreur tout genre d'impureté, sera-t-il permis d'entendre de mauvais discours qu'il n'est pas permis de tenir, et de voir des actions qu'il n'est pas permis de faire ? « Cur liceat audire quæ loqui non licet, et videre quæ facere flagitium est ? » Les paroles même inutiles sont la matière du jugement de Dieu. Ce qui souille par la bouche, souille par les yeux et par les oreilles, ce sont les avenues du cœur ; serait-il bien pur, si ce qui y conduit est corrompu ? La défense de l'impureté emporte celle du théâtre. Au reste, nous méprisons cette politesse, cette science du monde, dont on veut que le théâtre soit l'école : c'est une folie devant Dieu. De deux objets qui le partagent, la tragédie, impie et cruelle, ne présente que des forfaits ; la comédie, lascive et prodigue, n'offre que des impuretés. L'image ne vaut guère mieux que la réalité. Ne parlons pas même de ce que nous devons nous interdire : « Quod in facto rejicitur, etiam in dicto non est recipiendum. »

« 18.° En vain voudriez-vous justifier les jeux du stade, parce que l'Ecriture en parle, ces coups de pied, ces coups de poing, ces soufflets qui défigurent le visage, l'image de Dieu, ces extravagances indignes de vos regards, ainsi que ces courses insensées, ces sauts périlleux, ces disques, ces forces du corps qu'on n'emploie qu'à nuire. Vous méprisez ces corps artificiels, ces gens qu'on engraisse comme des animaux, à la façon des Grecs dans la lutte. Cette souplesse du corps, qui glisse pour échapper, se plie pour entortiller, se raidit pour accrocher,en imitant les plis tortueux du serpent, rappelle le combat malheureux où le serpent infernal renversa le premier homme. Pour les couronnes qu'on y distribue, qu'en avez-vous à faire, vous à qui votre religion en interdit l'usage ?

« 19.° Pour les cruautés de l'amphithéâtre, il n'y a qu'une âme barbare qui puisse les voir avec plaisir et se repaître de sang humain. Il faut punir les criminels sans doute, les coupables ont seuls intérêt de le nier ; mais l'innocent même doit s'affliger que son semblable soit devenu criminel, plutôt que de se réjouir de son supplice. Eh qui peut garantir qu'on ne livre aux bêtes que des coupables ? Souvent les innocents en sont la proie. Il vaudrait mieux ignorer la punition des méchants que de voir périr des gens de bien, s'il en est quelqu’un parmi les gladiateurs, ce qui n'est pas impossible, du moins pour des fautes qui ne méritent pas la mort. Je ne fais ce détail que pour les Païens, les Chrétiens n'en ont pas besoin ; j'aime mieux le laisser imparfait, que d'en rappeler le souvenir.

« 20.° On fait un autre mauvais raisonnement en faveur du théâtre. Le soleil et Dieu même le voient sans en être souillés, ses rayons tombent sur une cloaque et ne sont pas moins purs. Plût à Dieu ne vît-il pas nos forfaits, nous n'aurions pas à craindre son jugement ; mais il ne les voit que trop, aussib ien que nos spectacles. Fuyons-les donc pour n'être pas aperçus de celui à qui rien n'est caché. Sera-t-il donc permis de s'abandonner à la fureur hors du cirque, à l'impureté hors du théâtre,parce que Dieu en est témoin ? Ce qu'il défend est toujours mauvais. Telle est la vérité, la pureté de la morale Chrétienne, l'exactitude de la crainte, la fidélité de l'obéissance ; elle ne change point : la nature du bien et du mal, du vice et de la vertu sont inviolables, comme la vérité qui les détermine.

« 21.° Les Païens, qui n'ont pas la plénitude de la vérité, parce qu'ils n'en ont point le maître, jugent du bien et du mal selon leur caprice, appelant ici bien ce qu'ailleurs ils traitent de mal. Par une étrange inconséquence, ils n'osent en public satisfaire leurs besoins naturels, et ils violent au cirque toutes les lois de la pudeur. Ils ne souffriraient pas qu'une parole libre souillât les oreilles de leurs filles, et ils les mènent au théâtre, où les gestes et les discours sont licencieux ; ils tâchent d'apaiser les querelles dans les rues, et dans le stade ils applaudissent aux coups les plus violents ; ils ne voient qu'avec horreur le cadavre d'un homme mort d'une mort naturelle, et ils voient dans l'amphithéâtre des membres rongés, déchirés, nageant dans le sang. Ce Magistrat punit l'homicide, et il oblige à coups de fouet un Gladiateur son esclave à s'aller faire tuer ou à tuer les autres, et l'en récompense, et se fait une fête de la mort de celui qu'il n'aurait pas voulu perdre.

« 22.° Nouvelle preuve de la bizarrerie et de l'inconséquence des hommes. Ces mêmes Magistrats qui donnent des spectacles au peuple, dégradent un métier dont ils font tant de cas, déclarent infâme, chassent du Sénat, du barreau, de la tribune, de l'ordre équestre, privent de tous les honneurs, les Comédiens, Gladiateurs, Athlètes, qu'ils aiment éperduement, auxquels ils se livrent par des crimes qu'eux-mêmes punissent. Quel aveu forcé du crime ! il faut que le métier soit bien mauvais, les hommes les plus agréables ne sont pas épargnés.

« 23.° Si les Juges même qu'ils amusent, traitent si rigoureusement ces ouvriers d'iniquité, combien doit être plus sévère la justice divine ? Peut-il se flatter de plaire à Dieu, ce cocher du cirque qui cause tant de troubles, excite tant de fureurs, qui couronné comme un Prêtre d'idoles, bigarré comme un Marchand d'esclaves, semble emporté dans son char par le démon ? Sera-t-il agréable à Dieu, cet Acteur efféminé, sans cesse occupé à se raser et à se farder, pour se donner des grâces, comme Iris et Bacchus, cet athlète qui se laisse souffleter, comme si pour se jouer du précepte du Seigneur, le démon ordonnait de tendre la joue à celui qui nous frappe ? Les masques seront-ils plus agréables à Dieu ? lui qui défendait dans l'ancienne loi de peindre les créatures, permettrait-il de défigurer l'homme qui est son image ? L'auteur de la vérité n'aime pas le mensonge ; toute fiction est auprès de lui une sorte d'adultère. Celui qui condamne toute hypocrisie approuve-t-il qu'on contrefasse la voix, l'âge, le sexe, les passions, les vices, les vertus ? Il donne sa malédiction à celui qui prend des habits de femmes ; que pensera-t-il d'un Acteur efféminé qui en affecte même les parures, la démarche, la mollesse, et de ceux qui se font crever les yeux, meurtrir le visage à coups de ceste ?

« 24.° Il est donc évident que les spectacles sont l'ouvrage du démon et déplaisent à Dieu, que c'est la pompe du démon, à laquelle nous avons renoncé au baptême, et qu'on ne peut sans devenir apostat y participer, ni par ses regards, ni par ses paroles, ni par ses actions, ni par ses pensées. Demandons aux Païens s'il est permis aux Chrétiens de se trouver aux spectacles. Cet homme n'y va plus, disent-ils ; il est donc Chrétien. En voilà la marque distinctive. C'est donc abjurer sa religion que d'y paraître. Quelle espérance reste-t-il donc à ce transfuge qui abandonne son Prince pour passer vers l'ennemi, qu'une mort certaine ?

« 25.° Peut-on penser à Dieu dans des lieux où tout en éloigne l'idée ? Sans doute on conserve la paix du cœur, en prenant parti pour un cocher ; on apprend la pureté en contemplant une Actrice : « Pudicitiam addiscet attonitus in Mimos. » Rien de plus dangereux dans les spectacles que les parures recherchées, le mélange des deux sexes, et les partis que l'on y prend pour ou contre : « Nullum majus scandalum quam ipse viverum et mulierum exercitatior cultus ipsa consessio. » Tout cela souffle mutuellement les étincelles de l'impureté, on n'y va que pour voir et pour être vu : « Scintillas libidinum conflabellant. » C'est bien au milieu des cris d'un Acteur tragique qu'on s'occupe des oracles des Prophètes, et qu'on rappelle le chant des Psaumes dans les chants efféminés (de l'Opéra) ! « Inter effœminationis modos Psalmum comminiscetur ? » Voyant le combat des Athlètes, il leur crient d'après l'Evangile, ne frappez pas. Attentif aux morsures des ours et aux éponges des rétiaires, il sera touché de pitié. Dieu nous préserve de goûter un plaisir si funeste. Quel renversement de passer de l'Eglise de Dieu à celle du démon, de tomber du ciel dans le bourbier, de fatiguer à applaudir à un Acteur des mains que vous levez vers Dieu, et la même bouche dont vous venez de répondre Amen dans la liturgie !

« 26.° Aussi le démon règne au théâtre. En voici un exemple (j'en prends Dieu à témoin). Une femme y fut possédée du démon. Lorsque dans l'exorcisme on reprochait à l'esprit immonde d'avoir osé attaquer une Chrétienne, j'en ai le droit, répondit-il, je l'ai trouvée chez moi : « Justissime feci, in meo eam inveni. » Une autre femme vit en songe un suaire, et s'entendit reprocher le nom de l'Acteur qu'elle était allé voir jouer la nuit même qui suivit la comédie. Elle n'y survécut que cinq jours. Il y a cent autres exemples de gens rejetés de Dieu après avoir été aux spectacles. On ne peut servir deux maîtres : point de société entre la lumière et les ténèbres, la vie et la mort.

« 27.° N'y eût-il que les blasphèmes qu'on y vomit contre Dieu, les projets qu'on forme, les mesures qu'on prend pour nous perdre, les espions qu'on charge de nous découvrir, les tourments qu'on nous y fait souffrir, nous devrions détester ces assemblées. Que ferez-vous dans cette fermentation de sentiments impies ? N'y espérez pas la couronne du martyre. Personne ne sait si vous êtes Chrétien, et ne vous en croira, en vous voyant au spectacle. Mais songez à ce que le ciel ordonne de vous. Tandis que vous êtes dans l'Eglise du démon, les Anges du haut des cieux voient et écrivent ceux qui prêtent contre Dieu leur langue et leurs oreilles, écoutent ou profèrent des blasphèmes. Eh ! fuyez jusqu'à l'air empesté qu'on y respire : « Ipsum aerem constupratum. » Ne m'opposez pas qu'on y dit quelquefois des choses indifférentes, agréables et même honnêtes. Qui le conteste ? personne ne couvre le poison de fiel, mais il l'assaisonne de quelque chose d'agréable pour engager à le boire. Ainsi le démon cache son venin mortel dans des viandes délicieuses ; regardez comme du poison couvert de miel, tout ce que le théâtre peut avoir de noble, de poli, de judicieux, d'honnête : n'achetez pas votre satisfaction au prix d'un si grand danger.

« 28.° Que les convives du démon se repaissent de pareils aliments. Le lieu, le temps, le maître qui les invite à son festin, leur conviennent. Le temps des noces n'est pas venu pour nous, les Gentils n'y peuvent être assis avec nous. Chacun aura son tour ; ils se réjouissent, nous combattrons. Le monde sera dans la joie, et vous dans la tristesse, pleurons tandis qu'il se réjouit ; il pleurera, et nous serons pleins d'allégresse. Si nous goûtons les mêmes plaisirs, nous souffrirons les mêmes douleurs. Est-ce à vous, Disciples de Jésus-Christ, a goûter la volupté sur la terre ? Ce serait une folie de regarder la volupté comme un bonheur. Quelques Philosophes ont appelé volupté le repos et la tranquillité de l'âme, ils en font leurs délices et leur gloire : vous ne soupirez qu'après les agitations des spectacles. Ne pouvons-nous vivre sans quelque plaisir, nous dont le plus grand plaisir doit être de cesser de vivre ? quels sont nos désirs, que ceux de l'Apôtre, de sortir du monde et régner avec Dieu ?

« 29.° Si vous ne pouvez vous passer de plaisir, n'êtes-vous pas ingrats de mépriser les délices pures que Dieu vous offre ? Qu'y a-t-il de plus délicieux que l'amour de Dieu, le discernement de l'erreur, la révélation de la vérité, la liberté de l'esprit, la paix de la conscience, une vie pleine de bonnes œuvres, une mort sainte et tranquille ? Le mépris même de la volupté, fouler aux pieds les Dieux des nations, chasser les démons, opérer des guérisons miraculeuses, être instruit de nos mystères, vivre uni à Dieu ; voilà les délices, les spectacles des Chrétiens, ils sont saints, perpétuels, accordés gratuitement. Vous y trouverez une image du cirque : voyez les révolutions du temps, comptez les siècles qui s'écoulent, attendez le terme de la consommation, intéressez-vous au sort de l'Eglise, éveillez-vous à la parole de Dieu, levez-vous au son de la trompette de l'Ange, cueillez les palmes du martyre. Si vous aimez les productions du théâtre, nous avons dans les livres saints une science, une poésie, une morale bien supérieures ; ce ne sont point des fables, mais des vérités. Voulez-vous du pugilat et de la lutte, que d'ennemis vous avez en tête ! Voyez les victoires de la pureté sur l'incontinence, l'incrédulité vaincue par la foi, l'impudence confondue par la modestie : vous faut-il du sang ? vous avez celui de Jésus-Christ.

« 30.° Quel plus beau spectacle que l'avènement du Seigneur triomphant, la joie des Anges, la résurrection des Saints, le règne des Justes, la nouvelle Jérusalem, ce dernier et perpétuel jour du jugement, si peu attendu, si méprisé, lorsque ce monde si ancien et tant de fois renouvelé sera consumé par le feu ! quel immense spectacle, quel étonnement, quel ravissement, quel transport ! Quoi tant de Princes que leurs apothéoses montraient dans le ciel, gémissant dans les enfers, un Jupiter lui-même et ses adorateurs, ces Magistrats, ces persécuteurs du nom de Dieu, consumés dans des flammes plus ardentes que celles qu'ils avaient allumées pour les Martyrs ; ces Sages, ces Philosophes qui enseignaient qu'il n'y a point d'âme, ou qu'elle n'est point immortelle, couverts de confusion et livrés aux mêmes feux avec leurs disciples ; les Poètes palpitant d'effroi, non au tribunal de Minos et de Rhadamanthe, mais à celui de Jésus-Christ ! Les Acteurs tragiques pousseront alors des cris plus perçants que sur le théâtre, les Comédiens seront comme dissous par la force du feu plus que par la dissolution de leurs mœurs et de leurs gestes. Ce Cocher sera tout embrasé dans une roue de feu, les Athlètes seront lancés dans les brasiers. Je fixerai surtout mes insultants regards sur ces monstres d'inhumanité qui firent mourir le Seigneur.

« Le voilà, leur dirai-je, ce fils de charpentier, ce détracteur du sabbat, ce Samaritain, cet homme possédé du démon, celui que vous vendit le traître Judas, que vous avez frappé d'une baguette, meurtri de soufflets, souillé de crachats, abreuvé de fiel, attaché à une croix, et prétendu furtivement enlevé par ses Disciples pour faire croire qu'il était ressuscité. Pour voir ce grand spectacle, vous n'avez pas besoin de Consul, de Préteur, de Pontife. Quelle doit être cette gloire que l'œil n'a jamais vu, l'oreille n'a point entendu, l'esprit de l'homme ne saurait comprendre ! Le cirque, l'arène, le théâtre, l'amphithéâtre, n'en approchèrent jamais. »

TABLE
DES CHAPITRES.

ChapitreI. Du sombre Pathétique, page 5

Chap.  II. Le Théâtre purge-t-il les passions ?32

Chap.  III. Est-il à propos que les jeunes gens aillent à la Comédie ?54

Chap.  IV. Suite des effets des passions ?83

Chap.  V. Des Jésuites,107

Chap.  VI. Du sérieux et de la gravité,128

Chap.  VII. De la frivolité et de la familiarité,149

Chap.  VIII. De la folie,162

Chap.  IX. Sentiments de Tertullien,179