(1668) Les Comédies et les Tragédies corrompent les mœurs bien loin de les réformer. La représentation qu’on fait des Comédies et des Tragédies sur les Théâtres publics en augmente le danger. On ne peut assister au spectacle sans péril « Chapitre XI. La représentation qu’on fait des Comédies et des Tragédies sur les Théâtres publics, en augmente le danger. L’on ne peut assister aux spectacles sans péril. » pp. 191-200
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(1668) Les Comédies et les Tragédies corrompent les mœurs bien loin de les réformer. La représentation qu’on fait des Comédies et des Tragédies sur les Théâtres publics en augmente le danger. On ne peut assister au spectacle sans péril « Chapitre XI. La représentation qu’on fait des Comédies et des Tragédies sur les Théâtres publics, en augmente le danger. L’on ne peut assister aux spectacles sans péril. » pp. 191-200

Chapitre XI.

La représentation qu’on fait des Comédies et des Tragédies sur les Théâtres publics, en augmente le danger. L’on ne peut assister aux spectacles sans péril.

LES Poèmes Dramatiques sont plus dangereux que tous les autres Ouvrages de Poésie ; parce qu’on les représente sur les Théâtres publics. Ce que l’on voit faire touche bien d’avantage que ce que l’on ne fait qu’entendre. Un Comédien lascif émeut les passions des autres, en feignant d’en avoir lui-même. « Enervisa histrio, amorem dum fingit, infligit. » Lorsque ceux avec qui nous conversons, expriment vivement leurs affections, ils nous les communiquent ; l’image de leurs actions, que nous voyons, le son des paroles qu’ils prononcent d’un ton élevé, excitent en notre âme des idées qui sont suivies des mêmes mouvements dont ils sont agités.

Comme la nature nous a faits les uns pour les autres, elle nous a liés par cette sympathie ou communication réciproque de nos passions ; de sorte qu’une personne vicieuse qui nous parle fortement, ne manque point de nous tourner l’esprit et le cœur comme le sien, et par consequent de nous infecter de son venin, à moins que nous nous tenions attachés à la vérité pour n’être pas ébranlés par ses paroles, et que nous n’excitions en nous-mêmes des passions opposées à celles qu’elle nous inspire. C’est pourquoi, comme Sénèque l’a fort bien remarqué dans l’une de ses a Epîtres, il faut imiter ce que l’on voit faire sur le Théâtre, ou en avoir de l’aversion. Il n’y a point de milieu, « necesse est aut imiteris, aut oderis ».

Or on ne va pas à la Comédie pour la censurer, et quand on y est, il est difficile que l’on ne s’y laisse surprendre par le plaisir que l’on y trouve, sous lequel les vices se glissent dans notre cœur. « Tunc enim per voluptatem facilius vitia surrepunt. » Ce qui fait dire à ce Philosophe, qu’il n’y a rien de plus dangereux pour les bonnes mœurs, que les Spectacles. « Nihil vero est tam damnosum bonis moribus, quam in aliquo spectaculo desidere. » Et quoiqu’il n’ait pas coutume de parler à son désavantage, il avoue que les Spectacles faisaient de si grands changements dans son cœur, qu’il en retournait non seulement plus avare, plus ambitieux, plus amateur des plaisirs et du luxe : mais encore plus cruel et moins homme ; parce, dit-il, que j’ai été avec des hommes ; « Avarior redeo, ambitiosior, luxuriosior, imo vero crudelior et inhumanior, quia inter homines fui. »

Que l’on prouve si on le veut, que les Comédies qui se jouent aujourd’hui ne peuvent causer que des passions innocentes, et des sentiments raisonnables, qu’on en conclue qu’il n’y a aucun danger, que ceux qui les représentent, nous communiquent les mouvements qu’ils expriment ; cela ne s’accorde point du tout avec l’expérience ; et s’il était ainsi, les gens du siècle pour qui elles sont faites, ne s’y divertiraient nullement. Mais enfin, quand elles seraient bonnes en elles-mêmes, c’est-à-dire que sur le papier et dans la bouche des Acteurs elles n’auraient aucun venin ; on ne saurait dire que leur représentation avec toutes ses circonstances soit entièrement innocente.

Les Spectacles sont criminels par leur origine. Le vin, l’insolence, la violence, et le desir de médire les ont fait naître, ainsi que nous l’avons vu, et que l’a remarqué Tertulliena. « Facit enim hoc ad originis maculam, ne bonum existimes, quod initium a malo accepit, ab impudentia, a violentia, ab odio. » L’on sait quelle est la vie des Comédiens : on sait avec quelle sévérité les Lois civiles et Ecclésiastiques condamnent leur profession. Les unes ne les admettent point à la participation des Sacrements, et les autres les déclarent infâmes. On ne peut donc point sans pécher les entendre, et leur donner de quoi subsister, puisqu’on ne peut le faire sans les attacher à leur profession.

On ne va à la Comédie, dit-on ordinairement, que pour y prendre un plaisir honnête. Tertullien ne peut souffrir cette recherche des plaisirs. Il prouve invinciblement par ces belles paroles de Jésus-Christ à ses Disciples, « Pendant que le monde se réjouira, vous serez dans la tristesse », que l’on ne peut être heureux ici sur la terre et ensuite dans le Ciel, que chacun est heureux et malheureux à son tour. « Vicibus disposita res est. »

Pleurons-donc, dit ce Père, pendant que les gens du monde se réjouissent, afin que lorsqu’ils commenceront à tomber dans l’état épouventable des douleurs que la Justice de Dieu leur réserve, nous puissions entrer dans la joie que notre Seigneur prépare à ses Elus. Car si nous voulons être dans la joie avec eux dans ce monde, nous serons affligés avec eux éternellement. « Lugeamus ergo, dum ethnici gaudent, ut cum lugere cœperint, gaudeamus ; ne pariter nunc gaudentes, tunc quoque pariter lugeamus. » Cette Morale est un peu forte pour les Chrétiens de ce siècle. Accordons à la coutume qu’on peut aimer les divertissements et les rechercher ; mais aussi ne saurait-on dénier que les plaisirs criminels ou dangereux, tels qu’on a prouvé qu’est celui de la Comédie, ne soient défendus. Outre les raisons que nous en avons apportées, l’on peut encore considérer que ce plaisir est contre la nature des divertissements licites, qui est de fortifier l’esprit en le relâchant, et de le rendre propre à exercer avec plus de vigueur ses fonctions ordinaires, et particulièrement celles où la Religion l’engage. Après la Comédie l’on n’est nullement disposé à la Prière, qui est la principale fonction des Chrétiens.

Il arrive la même chose à l’esprit qu’aux corps qui ont été mûs avec violence. Le branle de ce mouvement dure longtemps après l’action qui l’a causé. L’esprit se trouve encore à la Comédie après que l’on en est sorti, et comme il s’est accoutumé à des passions violentes, à voir des choses qui le remuent fortement, il devient insensible aux mouvements du S. Esprit qui sont modérés. Les douceurs que prennent les bonnes âmes dans la prière, lui semblent fades, ou plutôt il ne les goûte point. Cette raison ne paraîtra pas forte aux gens du monde ; cependant les Pères de l’Eglise qui connaissaient par la Foi la nécessité de la prière, l’ont fort pesée et s’en sont servis pour autoriser la défense qu’ils faisaient aux Chrétiens d’aller aux spectacles.

Il n’est pas possible de marquer ici tous les dangers que l’on court dans les spectacles. La cupidité y dresse partout des embûches. Non seulement les Comédiens et les Comédiennes, mais toutes les personnes qui vont à la Comédie, y paraissent avec tous leurs ornements : ce qui cause de plus dangereuses chutes, comme dit Tertullien ; « In omni spectaculo nullum magis scandalum occurrit, quam ille virorum et mulierum accuratior cultus. » La première pensée qu’on a en ces lieux, qui sont l’Eglise du Diable, comme le même Père les appelle ; Ecclesia Diaboli, c’est de voir et d’être vu. « Nemo in spectaculo incundo prius cogitat, nisi videre et videri. » Ajoutons à ces raisons la défense que l’Eglise a toujours faite de se trouver aux spectacles.

C’était autrefois la marque, à laquelle les Païens connaissaient qu’un homme s’était fait Chrétien, lorsqu’il ne se trouvait point dans ces lieux, et qu’il en avait aversion. « De repudio spectaculorum intelligunt factum Christianum. » Et l’Eglise n’admettait personne au Baptème, comme elle fait encore aujourd’hui, qu’après avoir exigé cette promesse, que l’on renoncerait aux pompes du Diable, qui était le nom qu’on donnait aux spectacles, selon Tertullien.« Hæc est pompa diaboli, adversus quam in signaculo fidei juramus. » Cette seule défense, quand elle ne serait soutenue d’aucune raison, ne devrait-elle pas suffire à des Chrétiens pour les détourner de la Comédie, puisque nous devons une obeissance aveugle à l’autorité de l’Eglise, et que nous avons renoncé à ces divertissements dans le Baptème ?

Des personnes de piété et d’érudition ont fait voir clairement en différents Traités qu’ils ont publiés sur cette matière, que la défense de l’Eglise, et ces promesses du Baptème regardent aussi bien les Comédies de ce temps, que les spectacles des anciens. Ce qui doit être évident à ceux qui auront lu avec quelque attention les Réflexions que nous avons faites jusqu’à présent, puisque les Pices de Théâtre étant composées aujourd’hui avec plus d’art, elles sont par conséquent plus dangereuses, selon les Réflexions du Chapitre troisième ci-dessus.