(1738) Sentimens de Monseigneur Jean Joseph Languet Evéque de Soissons, et de quelques autres Savans et Pieux Ecrivains de la Compagnie de Jesus, sur le faux bonheur et la vanité des plaisirs mondains. Premiere partie « Sentimens de quelques ecrivains De la Compagnie de Jesus, Touchant les Bals & Comedies. Premiere Partie. — Entretien second. De la vanité des Bals & Comedies en general tiré des Sermons du R. Pere Claude la Colombiere de la Compagnie de Jesus. » pp. 17-25
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(1738) Sentimens de Monseigneur Jean Joseph Languet Evéque de Soissons, et de quelques autres Savans et Pieux Ecrivains de la Compagnie de Jesus, sur le faux bonheur et la vanité des plaisirs mondains. Premiere partie « Sentimens de quelques ecrivains De la Compagnie de Jesus, Touchant les Bals & Comedies. Premiere Partie. — Entretien second. De la vanité des Bals & Comedies en general tiré des Sermons du R. Pere Claude la Colombiere de la Compagnie de Jesus. » pp. 17-25

Entretien second

De la vanité des Bals & Comedies en general tiré des Sermons du R. Pere Claude la Colombiere de la Compagnie de Jesus.

IL est permis à tout le monde de se divertir, mais toutes sortes de divertissemens ne sient pas bien à toutes sortes de personnes. Un vieillard déja venerable par son âge, ne peut avec bienseance reprendre les jeux, qui ont servi d’amusement à ses premieres années, ni méme se permettre certaines libertez, qu’on pardonnoit autrefois à sa jeunesse. Un grand Magistrat, lors méme qu’il se relâche, est obligé de garder son Caractere, & de choisir des divertissemens, qui soient conformes au rang, qu’il tient parmi les hommes ; ainsi Chrêtiens, lors même que vous vous divertissez, vous devez le faire en Chrêtien.

Que diroit-on d’un Prince, ou d’un grand Seigneur, qui n’auroit de commerce qu’avec la lie du Peuple, qu’on verroit aller de bouchon en bouchon, & chanter au milieu des ruës avec des porteurs de chaizes & de laquais ? Mais ne faut-il pas que cét homme là se divertisse ? Qu’il se divertisse à la bonne-heure, mais qu’il se divertisse en homme de qualité, qu’il se divertisse en Prince. Que diriez-vous, mais que ne dittes vous point tous les jours de ces Ecclesiastiques, qu’on a tant de peine à distinguer des personnes les plus prophanes, qui affectent une propreté si mondaine, des habits si vains, des ajustemens si ridicules, des maniéres si peu seantes à leur êtat ? mais quoi ? trouvez-vous mauvais qu’ils s’habillent, & qu’ils soient propres, qu’ils soient honnêtes, & qu’ils sachent vivre ? Nullement, vous ne seriez pas raisonnable de condanner en eux ce, qui est un effet de la necessité ? ou ce qui peut-être même une vertu. Qu’ils s’habillent doncques dittes-vous, qu’ils s’habillent même proprement, qu’ils voïent les honnêtes gens, & qu’ils vivent honnêtement avec eux : Mais qu’ils s’habillent en gens d’Eglise, que leur propreté soit conforme à leur profession, & que leur vie fasse respecter leur caractere de tous ceux, qui seront témoins de leurs actions. Quel scandale, & quel est l’homme quelque libertin qu’il pût être, qui n’en auroit pas horreur ? Si quelcun de ces solitaires, qui se sont volontairement condannez à passer leur vie en jeûnes & en priéres, venoit aujourd’hui se montrer dans vos assemblées, s’inviter lui même à vos plus-celebres repas, vouloir être de toutes vos parties, & ce qu’on ne peût même penser sans fremir, marcher en masque par les ruës de vôtre Ville ? Quel desordre, s’ecrieroit-on ? Quelle indignité, Quelle abomination ! Quel monstre dans une ville Chrêtienne ! Un Religieux paroître en une posture si extravagante, si scandaleuse ! Mais si je vous disois que ce Religieux est homme aussi bien que vous, & qu’aprés une année entiere de Retraite & de Penitence, il est bien juste qu’il se divertisse durant quelques jours, pour se disposer à rentrer dans ses premiers exercices. Pourriez-vous seulement souffrir ce discours ? Ne me traitteriez-vous pas moi-même d’extravagant & d’insensé ? Sont-ce là des divertissemens de Religieux ? Ne sçauroit-il se divertir sans scandaliser toute la terre ? s’il veut prendre part à nos plaisirs & à nos débauches, qu’il renonce à ses vœux, & à sa profession ? Voilà Messieurs, quels sont vos sentimens sur la conduite des autres ; mais d’ou vient que vous ne vous appliquez point des regles si justes & si raisonnables.

Hé quoi, Messieurs, le Christianisme n’est-il donc qu’un fantôme & une chimere ? Le nom de Jesus-Christ, que nous portons, & qui lui à coûté tant de sang, est-ce un nom si vil & si méprisable, qu’il ne puisse être deshonoré par aucune action quelque folle & quelque indecente qu’elle puisse être ? Est-il possible qu’il n’y ait nulle bien-seance à garder dans un êtat, qui nous éleve jusqu’à la divinité, qui nous fait enfans de Dieu par adoption ? Un Prince n’oseroit faire le Comedien, un simple Bourgeois croit qu’il y a des divertissemens indignes de sa condition, un Religieux se rendroit infame en se divertissant comme la plus grande partie des Chrêtiens ; & un Chrêtien se persuade qu’il n’y a rien de meseant à un si grand Nom, il n’a point de honte de se divertir en Païen.

Quoi, mes Dames, mettre cinq ou six heures de tems a se parer & à se peindre le visage, pour aller ensuite dans une assemblée tendre des pieges à la chasteté des hommes, & servir de flambeau au demon, pour allumer par tout le feu de l’impudicité, demeurer les nuits entieres exposées au yeux & à la cajollerie des jeunes fous, & de tout ce qu’il y a de libertins dans une ville, emploïer tout ce que l’art & la nature ont de plus dangereux pour attirer leurs regars, & pour leur renverser l’esprit, deguiser vos personnes & vôtre sexe, pour n’avoir plus honte de rien, & pour ôter à la grace ce petit secours, qu’elle trouve dans la pudeur, qui vous est si naturelle. Rouler de quartier en quartier sous un habit de teatre, & avec une impudence de Comediennes, pour être vûës de tous les yeux, & pour voir dans un jour tous les visages d’une ville. Joindre aux excez de luxe & de galanterie des excez de bouche & d’intemperance, ne se pas contenter des discours, qui nourcissent le prochain, se relâcher jusqu’à dire des paroles, qui le scandalisent ; En un mot ajoûter aux vices des femmes tous les vices & tous les desordres des hommes, en verité sont-ce là des divertissemens de Chrêtiennes ?

Depuis quand est-ce, que ces festins licentieux, que ces bals, que ces danses molles & lascives, que les premiers Chrêtiens reprochoient aux Idolâtres comme des marques toutes visibles de la corruption de leurs mœurs, de la fausseté même de leur religion ? Depuis quand, dis-je, sont elles devenuës des divertissemens honnêtes, des divertissemens de Chrêtien ?

Je fai bien que vous me direz que c’est être trop rigoureux que de vouloir vous retrancher ces sortes de divertissemens, je l’ai crû longtems aussi-bien que vous, je me suis reproché plus d’une fois à moi-même d’avoir sur ce point des sentimens trop severes, & je vous avouë que j’ai cherché des temperamens pour sauver le Christianisme sans troubler vos delices & vos plaisirs, mais enfin il m’a été impossible d’accorder ces vanitez & ces dissolutions, avec la qualité sainte & venerable de membre de Jesus-Christ. Des Chrêtiens, qui doivent être le sel & la lumiére du monde, qui doivent être revêtus de Jesus-Christ, & exprimer dans toute leur vie la vie de ce Chef humilié & chargé d’épines.

Les enfans de ces premiers enfans de l’Eglise, auxquels les Païens n’avoient point d’autres reproches à faire, si ce n’est qu’ils ne paroissoient point dans le Cirque, qu’ils fuïoient le teatre & les spectacles publics, qu’on ne les voïoit ni couronnez des fleurs, ni vêtus de pourpre, qu’ils aimoient la pauvreté, & qu’ils avoient horreur des charges & des honneurs ! Car enfin, c’étoient là les crimes, dont on les chargeoit & nous avons encore les eloquentes Apologies, qu’ils publioient pour répondre à ces glorieuses accusations. En verité avons-nous la même foi, osons-nous bien attendre le même Paradis que ces hommes dont Tertullien fait l’éloge dans son Apologetique, lesquels se glorifient de ne savoir ce que c’est l’Amphitéatre, de ne prendre nulle part à ces profanes divertissemens, de n’oser en faire le sujet de leur entretien, de ne pas même endurer qu’on leur en parle. Nihil est nobis dictu, visu, auditu. Voiez s’il vous plait si ces mots ne disent pas tout ce, que je viens de dire en les expliquant. Nihil est nobis dictu, visu, auditu cum insania circi, cum impudicitiâ Theatri, cum attrocitate Arenarum, Xisti vanitate.

De tous ces eloges, que ces grands Saints donnoient à ces premiers imitateurs de Jesus-Christ ; y en a-t-il un seul, qui convienne aux Chrétiens de nôtre tems, au contraire de tous les reproches, qu’ils faisoient aux infidelles, y en a-t-il quelcun qu’on ne ne nous puisse faire avec justice ? Dites-moi, Chrêtiens pouvons-nous aujourd’hui opposer nos divertissemens aux festes de Turcs & des Indiens, & aprés leur avoir reproché les excez de leurs tables & la legereté de leurs danses, oserions-nous leur proposer pour modele nos bals, nos mascarades & nos festins ? Que sert-il de le dissimuler ? Il n’y a gueres moins difference entre ces premiers Chrêtiens & ceux, qui portent aujourd’hui ce nom qu’il y en avoit alors entre ces mêmes Chrêtiens & ces Idolatres de leur tems.

Aussi ceux-là ont attiré toute la terre à Jesus-Christ par l’odeur de leur sainteté, & ont fait avoüër aux plus-opiniâtres d’entre les Gentils, qu’il n’y avoit point d’apparence, que l’erreur pût se trouver, où brilloit tant de vertu ; au-lieu que nos dereglemens servent de pretexte aux heretiques pour se separer de l’Eglise, & persuadent aux ames simples & peu êclairées, que la verité ne se peut rencontrer, où regnent tant de desordres ?

Combien pensez-vous qu’il y ait en effect d’heretiques, lesquels, pour me servir des termes du même Pere, amassent des charbons de feu sur nôtre teste, c’est-à-dire, qui se fortifient tous les jours dans leurs erreurs à la vûë de nos debauches, & qui par un aveuglement étrange, à la verité, mais que nous prenons plaisir de rendre tous les jours plus incurable, rendent peut-être graces à Dieu de les avoir fait naître hors d’un Christianisme si corrompu ?

Et ne me dites pas ce que quelques libertins opposerent autrefois à saint Ciprien, que l’Evangile, que l’Ecriture Sainte ne defend nulle part ni les bals, ni les comedies, ni les mascarades, l’Ecriture (répond ce grand Saint) a plus dit en se taisant, que si elle s’êtoit expliquée par des defenses expresses ; elle a eu honte de faire un precepte pour des choses, qui êtoient si visiblement indignes du Chrêtien, qu’elle formoit. Quel sentiment auroit-elle eû des fidelles, si elle avoit jugé necessaire de leur interdire positivement ces vanitez ? Verecundiam passa plus interdixit, quia tacuit ; veritas si ad hæc usque descenderet, pessimè de fidelibus suis sensisset. La raison nous parle au defaut de l’Ecriture, nous n’avons qu’à nous consulter nous-mêmes, & à faire un peu de reflexion sur nôtre état, pour nous éloigner de ces jeux, qui le deshonorent. Ratio loquitur, quæ scriptura conticuit : secum tantum unusquisque deliberet, & cum persona professionis suæ loquatur ; nihil nuquam indecorum geret. Elle a condamné les dances & les spectacles en détruisant l’Idolatrie, qui les avoit enfanté, & qui a mis au jour tous ces monstres de vanité & de dissolution. Omnia ista spectaculorum genera damnavit, quando Idololatriam sustulit, ludorum omnium Matrem : unde hæc vanitatis & levitatis monstra venerunt.

Mal-heureuses Méres, Méres cruelles & parricides, qui parez vos filles comme on faisoit autrefois les victimes, qu’on destinoit à la mort ; qui les parez, dis-je, avec tant de soin, pour les aller sacrifier de vôtre propre main à l’idole du monde & de l’impudicité. Je ne parle point du crime, que vous commettez en preparant ainsi le poison, que vous présentez ensuite a toute la terre, je ne parle point des pechez des autres, dont on doit neanmoins vous redemander un compte si rigoureux. Mais qu’el est vôtre desespoir de porter ainsi le poignard dans le sein de vos enfans ? N’avez-vous soûhaitté d’en avoir que pour les corrompre ? Ne les avez-vous mis au monde que pour les danner ? Je sai bien ce que vous avez à me répondre, pour colorer un si étrange dereglement. Qui penseroit à elles, dites-vous, si elles n’êtoient vûës de personne, si elles ne tâchoient de paroître belles & agréables ? Qui y penseroit, Chrétiens, Dieu en tout cas y penseroit au defaut des hommes ? Mais est-il possible que les desseins, que le ciel a sur vôtre famile, ne se puissent executer que par des voïes si abominables ? Quoi si cette fille n’est vaine & ne voit ce monde, elle ne sauroit rencontrer ce, que Dieu lui a destiné avant tous les siecles, & les decrets éternels de sa Providence ne seront jamais accomplis en elle, si elle ne paroit à tout les bals & à toutes les fétes d’une Ville : Prenez garde au contraire que le dessein, qu’il avoit de vous sauver avec elle, ne soit traversé par une conduite si peu Chrétienne. Je ne vous blâme pas du desir que vous avez de la rendre heureuse dés cette vie : mais vous êtes bien miserable, si vous pensez qu’il faille hazarder & son salut & le vôtre, & son éternité & la vôtre, pour une felicité si vaine si chimerique, pour une felicité qui ne doit durer qu’un moment.

On peut ajoûter à ce danger d’étre seduits par le demon, le peril où nous vivons continuellement d’étre surpris par la mort. Le Sauveur nous a averti plus d’une fois que la mort doit venir dans le tems, que nous y penserons le moins. Quâ horâ non putatis. Or, il est tout visible, qu’il n’est point de tems, où vous pensiez moins à mourir que lors-que vous oubliez méme de vivre en Chrétiens, & par consequent si Jesus-Christ ne nous a point donné un faux avis, s’il ne nous a point trompé lui-méme, il n’est point de tems, où vous aïez plus de sujet de craindre la mort ; Quâ horâ non putatis, filius hominis veniet. Seriez-vous le premier qu’on auroit trouvé mort sous un masque ? Qui auroit expiré subitement le premier jour de Caresme, aprés avoir dançe toute la nuit precedente, qu’on auroit emporté le Mardi Gras du festin dans le cercueïl ? O Dieu ! quelle mort pour un Chrétien ! finir ses jours par un excé d’intemperance ? aller, s’il m’est permis de parler de la sorte, aller en dançant au Tribunal de Jesus-Christ, & paroître en masque devant un Juge si redoutable.

Approbation.

JE soussigné Prêtre Docteur en Theologie, Curé du Bourg de Guilloriere les Lion, & Promoteur General de l’Archevêché dudit Lion, ai lû avec plaisir de l’ordre de Monseigneur le Chancelier, Les Sermons composéz & prechéz par le R. P. Claude de Colombiere de la Compagnie de Jesus : non seulement parce que je n’y ai rien trouvé qui ne soit trés conforme aux veritéz Evangeliques, mais encor parce que tous les Sujets y sont traitéz d’une maniere solide & édifiante, & que l’on y remarque le caractere de la Pieté & du zele de leur Auteur, qui ne s’est pas moins rendu recommandable par la regularité de sa vie, que par les Travaux Apostoliques, dans lesquelles il n’a pas manqué au Martire si le Martire lui a manqué. En foy de quoi j’ai signé à Lyon ce 22. December 1681.

Permission du R. P. Provincial.

JE soussigué Provincial de la Compagnie de Jesus, en la Province de Lion, suivant le Privilege, qui nous a été Octroyé par les Rois très-chrétiens, permets de faire imprimer & debiter les Sermons composez & prêchez par le R. P. Claude la Colombiere Religieux de la même Compagnie. Le tout ayant été vû & approuvé par quatre Theologiens de nôtre Compagnie. Fait à Lion ce 15. May 1683.