(1782) Le Pour et Contre des Spectacles « Seconde lettre contre les spectacles. » pp. 60-145
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(1782) Le Pour et Contre des Spectacles « Seconde lettre contre les spectacles. » pp. 60-145

Seconde lettre contre les spectacles.

On en démontre le poison, par l’aveu même de leurs plus fameux & plus zélés partisans.

Madame,

VOus me faites plaisir, en m’apprenant vous-même quel a été le sort de ma Lettre. Depuis, dites-vous, que vous l’avez lue, vous vous sentez non seulement assez éclairée, pour éviter les piéges de l’ennemi ; mais encore assez de courage, pour l’accabler sous le poids de vos armes.

Cette pensée me rappelle celle d’un vénérable Prélat, aussi distingué par la douceur de ses mœurs, que par la sainteté de sa vie ; Mr. de la Motte Evêque d’Amiens, mort en 1774.

Ce François de Sales de notre siécle, écrivant le 8 de Juin, à Mr. de Boissy, Auteur d’un excellent ouvrage contre les spectacles, dit, que…

« La Réligion nous a toujours fourni des armes contre les spectacles. Si le monde soit disant Chrétien, ajoute ce St. Evêque, continue à les aimer & à vouloir les justifier, nous avons de quoi le convaincre de faux raisonnement & de folie. »

N’est-ce pas en effet une folie, & le comble du déraisonnement, de vouloir lutter contre l’Eglise, tandis qu’on la reconnoit encore pour Mere ? Dès qu’elle a parlé, les ténébres ne font-elles pas dissipées, les mensonges dévoilés, les imposteurs confondus, & les rébelles terrassés ? On sent le poids de l’autorité &c ; mais on veut des spectacles, & l’on n’oublie rien, pour se faire illusion sur leurs suites. Dupe d’autrui, & de soi-même, on s’étudie à étouffer la voix des remords, & au défaut de solides raisons, on appelle à son secours tous les grands & frêles raisonnemens des apologistes du Théatre.

Ce sont les termes de la Lettre, que Mr. Gresset publia le 14 de Mai 1759, pour réparer le scandale, qu’il avoit pu donner aux ames honnêtes & pieuses, en travaillant pour les spectacles. « Depuis plusieurs années, dit-il, j’avois beaucoup à souffrir intérieurement, d’avoir travaillé pour le Théatre… Il s’élevoit souvent des nuages dans mon ame, sur un art si peu conforme à l’esprit du Christianisme… Je souffrois, & je ne travaillois pas moins dans le même genre. Je cherchois à étouffer cette voix des remords…Ou je croyois y répondre par de mauvaises autorités, que je croyois bonnes. Au défaut de solides raisons, j’appellois à mon sécours tous les Grands. &c. Les noms sacrés, dont on abuse, pour justifier la composition des ouvrages Dramatiques, & les dangers des spectacles, les textes prétentendus favorables, les anecdotes fabriquées, les sophismes des autres & les miens ; tout cela n’étoit que du bruit… Guidé par la Foi, ce flambeau lumineux, devant qui toutes les lueurs du tems disparoissent, devant qui s’évanouissent toutes les rêveries sublimes & profondes de nos foibles esprits forts… Je vois sans nuages &c., que les Loix sacrées de l’Evangile, & la morale profane, le Sanctuaire & le Théatre, font des objets inalliables. &c. &c. &c. »

Quelles sont donc, ajoutez-vous, ces rêveries sublimes, que les partisans des spectacles appellent à leur secours, pour entreprendre la justification d’un art si opposé à l’esprit du Christianisme, & quels sont ces frêles raisonnemens, dont parle Mr. Greffet ?

Il n’en est point, qui ne m’ait été répété plusieurs fois. Je vais vous les mettre sous les yeux, avec les réponses qu’on y a faites. Je vous en abandonne le jugement.

Premiere objection.

LEs Théatres des siécles passés n’offrant à leurs spectateurs qu’Idolatrie & impudicités manifestes, on a dû les interdire aux fidéles, mais aujourd’hui, que la Comédie est tellement épurée, qu’il n’y a rien, que l’oreille la plus chaste ne puisse entendre, pourquoi ne seroit-il pas permis d’y aller ? C’est ce que me disoit une Dame, avec qui j’étois à table, il n’y a pas trois mois. Voici la monnoie, dont je l’ai payée.

1° Avez-vous jamais lu ces piéces anciennes, dont vous parlez ? lui dis-je, les avez-vous jamais eues en mains, en avez-vous jamais vu même le titre ? Si vous ne les avez jamais ni lues, ni vues, comment pouvez-vous assûrer qu’elles n’offroient aux spectateurs qu’Idolatrie ?

2°. Direz-vous que les Peres de l’Eglise certifient ce fait ? Mais êtes-vous en état de les lire, & de les entendre mieux, que le grand Bossuet ? C’est précisément pour répondre à cette objection, que ce savant Prélat renvoie aux Sts. Peres & aux Docteurs de l’Eglise. « C’est lire trop négligemment les Peres , dit-il, pag. 48 &c, de ses maximes, que d’assûrer, qu’ils ne blament dans les spectacles de leur tems, que l’Idolatrie & les impudicités. C’est etre trop sourd à la vérité, que de ne pas sentir, que leurs raisons portent plus loin. Ils blament dans les Théatres, l’inutilité, les passions excitées, la parure, le désir de voir & d’etre vu, la malheureuse rencontre des yeux, qui se cherchent &c &c. » Dites, ajoute-t-il, que les Peres ne blament pas toutes ces choses, & tout cet amas de périls, que les Théatres réunissent : dites, qu’ils n’y blament pas même les choses honnêtes, qui enveloppent le mal, & lui servent d’introducteur.

3°. Répondrez-vous, qu’on a lu les Peres pour vous ? mais en a-t-on trouvé un seul, qui ne dise le contraire de ce que vous avez si hardiment avancé ?… & après l’avoir renvoyée aux Conférences d’Angers, citées pag. 11 & 12, j’ajoutai ce qui suit : Tous les jeux du Théatre ne se faisoient pas en faveur des Idoles. Cette observation est clairement marquée dans Tacite Ann. L. 14. Et alors, dit Tacite, les Bouffons ne paroissoient pas sur le Théatre, pas même du tems de Néron.

Mais si ces jeux n’étoient pas en faveur des Idoles, comment n’offroient-ils qu’Idolatrie ? D’ailleurs l’Idolatrie ne regnoit plus en Occident, avant la fin du cinquieme siécle, & elle étoit entiérement abolie en Orient, avant la fin du sixieme. Il n’y étoit donc plus question d’Idolatrie dans les spectacles. Mais les Conciles, les Peres &c. En un mot, les Loix Ecclésiastiques & Civiles leur ont-elles été plus favorables, dans les siécles suivans ? Les Peres, disent les Conférences d’Angers, pag. 547 déjà citée… « n’ont pas seulement blâmé la Comédie, telle qu’elle étoit, sous le regne de l’Idolatrie ; mais telle quelle étoit devenue, sous les Empereurs Chrétiens, séparée de tous les rits du Paganisme aboli. » O Serviteur de J. C. ! ne vous y trompez pas, dit St. Bernard, mort en 1158. Dieu a en horreur les partisans des spectacles.1

Le Bienheureux Laurent, prémier Patriarche de Venise, & Auteur du même siécle, dit, que les partisans des spectacles n’auront d’autre partage, que les flammes éternelles : talia autem sectantes gehennalibus flammis cruciabuntur. 2 Après avoir rapporté les sixieme, septieme & douzieme Conciles généraux, & les autres monumens cités depuis la page 4 & suivantes, je priai la Dame de me dire, comment il pouvoit y être question d’Idolatrie ? La Dame ne répondant pas à ma question, je lui en fis une autre. Celui dont vous êtes l’écho, lui dis-je, avoit-il lu lui-même ces piéces anciennes, & en savoit-il sur cet objet, plus que le Pere Lebrun, le Marquis de Pompignan, M. Garnier &c ? Qu’en pensent-ils ? « Voulez-vous une preuve parlante, que les piéces du Théatre, pendant le regne du Paganisme, étoient souvent plus chastes, que celles d’à présent ? dit le savant Pere Lebrun. Jugeons-en par les Tragédies, qui nous restent des prémiers siécles… Elles furent composées & représentées sous un Empereur, aussi impie, & aussi débauché, que l’étoit Néron. Cependant, ne faut-il pas avouer, qu’elles sont plus chastes, que celles qu’on représente aujourd’hui ? » voyez ses discours, pag. 76, 77, 78, 85 & 86 &c.

M. le Marquis de Pompignan, qui a fait une étude particuliére de ces piéces anciennes, nous en donnera-t-il une idée différente ? Ecoutons-le dans sa traduction des Tragédies d’Eschyle, en 1770. « Je ne pense point sans étonnement, dit-il, au prodigieux avantage, que les païens ont sur les Chrétiens à l’égard de la morale du Théatre. Il n’y a point en cela, de distinction à faire de nation, ni d’Auteur ; François, Italiens, Anglois, Espagnols… Corneille, Racine, tous se réunissent à consacrer à l’amour, la Muse de la Tragédie. »

Qu’on ne s’excuse point, dit encore le Pere Lebrun, sur ce qu’on n’entend pas de mauvais mots dans les Tragédies. On n’entendoit rien dans les anciennes, qui fît des impressions si facheuses, on étoit très-réservé à la Comédie.

« Si l’on avoit aimé & souffert des impuretés sur le Théatre, on en auroit eu une belle occasion, au tems de Néron, de Commode ; & d’Héliogabale. Cependant on ne fauroit rien trouver, qui prouve que le Théatre des anciens ait été souillé par les indécences, qu’on se représente. Et si l’on n’en trouve ni sous Néron, ni sous Commode, ni sous Héliogabale, quand voudroit-t-on en trouver ? »

Mr. Garnier, autre savant Académicien, & Professeur au Collége Royal, comparant nos spectacles actuels, avec ceux des anciens, dit, dans son Education Civile, Paris 1765.

« Comment avez-vous remplacé les chœurs des anciens ? Par des confidens & des confidentes, que je n’oserois nommer par leur nom, & qui semblent n’avoir d’autres fonctions, que de corrompre ceux qu’ils conseillent. Quels modéles osez-vous offrir aux femmes ? Des Phédres, des Cléopatres, des Hermiones, des Roxannes, des Eriphiles, &c. Voudriez-vous avoir de pareilles Héroïnes pour filles, ou pour femmes ? »

Ces savans, comme vous voyez, Madame, ont lu les piéces des siécles passés, & celles des siécles moins réculés ; ils vous en rendent compte, qu’avez-vous, ou qu’à-t-on à opposer à leurs raisons ?

Direz-vous après cela, Madame, que les Théatres anciens n’offroient à leurs spectateurs qu’Idolatrie & impudicités ? Direz-vous encore, que la Comédie actuelle est tellement épurée, qu’il n’y a rien, que l’oreille la plus chaste ne puisse entendre ?

4°. Depuis quand, je vous prie, peut-on se glorifier d’un si heureux changement ? Depuis quand nos spectacles sont-ils si utiles ? C’est ici, où s’embarassent encore nos partisans & défenseurs du Théatre.

Mr. de Campigneulles assure, que la Comédie de bonnes mœurs, avoit lieu au quinzieme siécle, il est démenti par tous les autres, & en particulier, par Mrs. les Encyclopédistes. Selon eux, la Comédie demeura dans une licence grossiere, jusqu’au commencement du Regne de Louis XIV. c’est-à-dire, au commencement du dix-septieme siécle. Ce Prince né le 5 Septembre 1638, à Saint Germain en Laye, parvint à la Couronne le 14 Mai 1643. Voyez l’Encyclopédie tom. 3. pag. 671.

Mrs. les Encyclopédistes sont contredits par Mr. le Président Henault, & par Samuel Chapuzeau, ancien Apologiste du Théatre, ainsi que par Mr. Fagan, un des plus zélés défenseurs des spectacles : celui-ci écrit, en 1752, que c’est au tems de Moliere, que les piéces sont devenues suffisamment bonnes pour les mœurs… Que la Comédie, telle qu’elle a été traitée par Moliere, est suffisamment bonne. Moliere n’a représenté ses piéces, qu’après le milieu du siécle dernier. Il est mort en 1673, 17 Février.

Mais laissons ces Mrs. aux prises les uns avec les autres : ce qui revient à notre sujet, c’est qu’ils conviennent, que la Comédie &c, a été bonne au tems, & depuis le tems de Moliere ; & voici, en peu de mots, dequoi vous faire voir combien ils en imposent à ceux qui veulent bien se laisser tromper. L’Eglise refuse encore aujourd’hui la sépulture aux Comédiens, qui meurent, sans avoir renoncé à leur profession, elle les tient encore dans les liens de l’excommunication, elle n’a jamais varié sur cet objet.

« Tous les suffrages de l’opinion, de la bienséance &c, fussent ils réunis en faveur de l’art Dramatique, il n’a jamais obtenu l’approbation de l’Eglise, dit Mr. Gresset. Il faut donc de deux choses l’une » … ou dire, que l’Eglise est coupable d’injustice & de scandales, ou, que nos spectacles ne sont pas aussi épurés, qu’on voudroit nous le faire croire : ce raisonnement dispense de tout autre discussion. Mr. Gresset l’appelle motif sans réponse. En donnerez-vous une ? Mais oublions pour un moment, ces armes invincibles, que la Réligion nous a toujours fournies contre les spectacles : les Auteurs les plus célébres du dernier siécle & de celui-ci, les maitres de l’art, & les plus zélés Apologistes du Théatre, vont eux-mêmes nous apprendre ce que nous devons penser, des prétendues pureté & utilité des piéces, depuis le tems de Moliere jusqu’à présent.

Quel jugement en a porté Nicole, en particulier, ce célébre écrivain & comtemporain de Moliere ? Qu’en dit-il dans ses essais de morale tom. 3 en 1658 ? la Comédie, écrit-il, est une école & un exercice de vices. Le métier de Comédien, est un emploi indigne d’un Chrétien, ceux qui l’exercent, sont obligés de le quitter… cette profession est contraire au Christianisme.

En 1660. Mr. Bourdelot, Avocat au Parlement de Paris, fit imprimer une lettre contre les désordres de la Comédie.

En 1666. M. Armand de Bourbon, Prince de Conti, âgé de 37 ans, après avoir observé, tant à la Cour qu’à la Ville, les effets du Théatre, dit, que l’Instruction n’est point la fin d’une piéce de Théatre ; cette fin, ajoute ce Prince, n’est véritable, ni dans l’intention du Poëte, ni dans celle du Spectateur…

« Le désir de plaire est ce qui conduit le prémier ; le second est conduit par le plaisir d’y voir peintes les passions semblables aux siennes. La Comédie peignant les passions d’autrui, émeut notre ame de telle maniere, qu’elle fait naitre les nôtres, quelle les nourrit, qu’elle les échauffe, qu’elle les rallume, même lorsqu’elles sont éteintes. »

En 1672. Mr. Voisin, Conseiller du Roi, n’écrit pas avec moins de véhémence, contre les spectacles de son tems.

En 1674 Mr. Samuel Chapuzeau, ancien Apologiste des spectacles, & aussi Comtemporain de Moliere, assure, dans son Théatre François, imprimé à Lion, pag. 40 & 131, que, depuis 1642, notre Théatre s’étoit encore beaucoup licencié, que le goût l’emportoit souvent sur la raison… On veut, dit-il, de l’amour, & en quantité, & de toutes les manieres. &c. &c.

Mr. de St. Evremont, né en 1613, sept ans avant Moliere, & mort en 1703 : Ce célébre écrivain, ce Seigneur d’un jugement solide, qui ne se piquoit point d’une morale rigide, étoit cependant équitable, & avoit de l’érudition. Ce témoignage ne sera pas suspect, il est du grand Vocabulaire tom. 25 pag. 425. Qu’a-t-il dit des spectacles, dans le treizieme tome de ses œuvres ? Le voici : l’esprit de notre Réligion est directement opposé à celui du Théatre.

Mr. Boileau Despreaux, né en 1636, fut, selon Mr. de Voltaire, l’honneur de la France. Boileau, dit le Grand Vocabulaire, mourut en 1711, couvert de gloire, après avoir été l’athlète du bon goût. Ecoutons donc l’honneur de la France, & l’athlète du bon goût. « Quoi ! disoit Despreaux à ses amis, des maximes, qui feroient horreur dans le langage ordinaire, se produisent impunément, dès qu’elles sont mises en vers, elles montent sur le Théatre !… C’est peu d’y étaler les exemples, qui instruisent à pécher, & qui ont été détestés par les Païens-mêmes ; on en fait aujourd’hui des conseils, & même des préceptes. »

Et qui est-ce, qui expose ainsi les sentimens de Mr. Boileau ? c’est Mr. Valincourt, né en 1653. Ce célébre Académicien, dit le Grand Vocabulaire, tom. 9 pag. 138, cet homme illustre, qui mourut en 1738, régretté de tous les gens de Lettres. La candeur & la probité formoient son caractere, il ne savoit ni feindre, ni flatter.

Mrs. de Sorbonne, dit encore l’athlête du bon goût, dans le recueil de ses Lettres pag. 110 & 115 ; en acceptant le College des quatre Nations, ont demandé, pour prémiere condition, qu’on éloignàt du Collége, le Théatre de la Comédie.

Les Comédiens ont déjà marchandé des places dans cinq ou six endroits… l’allarme est dans le quartier, tous les bourgeois, qui sont gens du Palais, s’y opposent… s’il y a quelque malheur, dont on puisse se réjouir, c’est, à mon avis, celui des Comédiens. Et ailleurs, parlant à Mr. Jean Racine, qui avoit écrit avec chaleur, une lettre en faveur des spectacles : Votre lettre , lui dit-il, est très-bien écrite ; mais vous défendez une très-mauvaise cause. L’Athlête du bon goût , étoit donc bien éloigné de goûter les spectacles, & de les regarder, comme tellement épurés, qu’on ne pût douter de leur utilité.

Mr. Fléchier, né en 1632, cet Orateur Célébre, reçû à l’Académie Françoise en 1673, selon le Vocabulaire François, tom X pag. 554, cet homme, qui, par ses Oraisons Funêbres, balança la réputation de Bossuet, dit, que le Théatre est l’art de corrompre les cœurs, que c’est-là, où le Démon forge les traits de feu, qui enflamment la convoitise &c. Je ne finirois pas, si je voulois rapporter en détail, toutes les réclamations faites contre les spectacles, pendant que vivoit Moliere, ainsi qu’après sa mort La seule année 1694 nous présente neuf écrits de la derniere force.

Le grand Bossuet en particulier, cet homme immortel, selon Mr. de Voltaire, ne nous laisse rien à désirer sur ce sujet.

Un partisan du Théatre ayant fait imprimer plusieurs piéces, fit mettre en tête, une lettre favorable aux spectacles ; elle fut attribuée au Pere Caffaro, qui en désavoua une partie, & se rétracta sur l’autre.

Mr. Bossuet lui écrivant le 9 mai 1694, lui dit : « la prémiere chose, que j’y reprens, c’est que vous ayez pu dire, que la Comédie, telle qu’elle est aujourd’hui, n’a rien de contraire aux bonnes mœurs, & qu’elle est même si épurée, à l’heure qu’il est, sur le Théatre françois, qu’il n’y a rien, que l’oreille la plus chaste ne puisse entendre. Il faudra donc que nous passions pour honnêtes, les impiétés & les infamies, dont sont pleines les Comédies de Moliere ?… d’un Auteur, qui vient à peine d’expirer, & qui remplit, encore à présent, tous les Théatres, des équivoques les plus grossieres, dont ont ait jamais infecté les oreilles des Chrétiens ? Même de nos jours, où le Théatre vous paroit si épuré, on voit encore les prostitutions & les adultéres toutes crues, dans les piéces de Moliere. »

Fenelon, né en 1651, cet homme sublime, dit le Grand Vocabulaire François, tom. 10 pag. 340, &c fut enlevé à l’Eglise, aux Lettres & à la Patrie en 1715. « Cet Académicien, qui fut plus d’une fois utile à son corps, par son goût &c, » est Auteur d’un excellent traité de l’Éducation des filles. Qu’y dit-il au chap. 13 ? Les Comédies corrompent les mœurs. Et dans sa lettre à l’Academie Françoise, il dit, en parlant des spectacles, qu’on n’y représente les passions corrompues, que pour les allumer &c.

L’Illustre Henri François d’Aguesseau, Chancelier de France, dont la mémoire sera toujours chére à la France, dit le Vocabulaire tom.7.pag.344. Ce grand Magistrat, né en 1668, est mort en 1751. Que dit-il aussi des spectacles ? Qu’ils nous ont appris à ne plus rougir des passions de l’amour &c. « Le charmes des spectacles , dit-il encore, les actions, qui y font représentées, &c. &c, étouffent peu-à-peu les remords de la conscience, en appaisant les scrupules, & effaçant insensiblement cette pudeur importune… ainsi, soit que le spectacle ne cause qu’une émotion passagére, qui faussement paroit innocente ; soit qu’il excite, ou qu’il rappelle des passions plus durables… Ce qui fait le plaisir des spectacles, c’est ce qui en fait le danger, & on peut dire prèsque toujours, que la meilleure piéce en un sens, est en un autre sens, la plus mauvaise. »

Le Grand Vocabulaire François, tom. 25 pag. 177 & 178, fait un trop bel éloge de Mr. le Duc de la Rochefoucauld, Prince de Marsillac, & fils de François I., pour qu’il ne soit pas cité dans la cause des spectacles. Il fut aussi comtemporain de Moliere. Né en 1613, il mourut en 1680. « Sa valeur & son esprit le mirent au prémier rang des Seigneurs de la Cour… Sa maison étoit le rendez-vous de tout ce que Paris & Versailles avoient d’ingénieux. Les Racines, les Boileau, les Sévigné, les la Fayette, trouvoient dans sa conversation, des agrémens, qu’ils avoient cherchés vainement ailleurs. » Cherchons aussi dans ses réfléxions & dans ses maximes, ce qu’on doit penser des piéces de Moliere. &c. &c. Entre tous les plaisirs dangéreux pour la vertu, dit ce Prince, entre tous ceux, qu’on a inventés, il n’y en a pas qui soient plus à craindre, que ceux des Théatres. &c. &c. Le grand Vocabulaire pag. 178, dit, que ce petit recueil de maximes … accoutuma à penser ; mais accoutuma-t-il quelque Contemporain de Moliere à penser, que la pureté & l’utilité des spectacles, ne pouvoient se révoquer en doute ?

Bayle lui-même, qu’on ne mettra certainement pas au nombre des dévots &c dit, dans un des volumes de sa République des lettres, au mois de Mai 1684. Qu’il ne croit nullement, que la Comédie soit propre à corriger les crimes & les vices … On peut même assurer, dit-il, que rien n’est plus propre à inspirer la coquetterie, que les piéces de Moliere &c &c.

Mr. de Fontenelle, né à Paris en 1657, & mort en 1757, ce mortel, qu’on peut regarder comme l’esprit universel, que le siécle de Louis XIV ait produit, selon Mr. de Voltaire. Cet homme supérieur à ses ouvrages, dit le Grand Vocabulaire tom XI, pag 131 « Composa des piéces, & imita beaucoup Quinault … On l’a regardé comme le prémier des hommes, dans l’art nouveau de répandre des lumiéres, il a été sans contrédit, au dessus de tous les savans, qui n’ont pas eu le talent de l’invention. » C’est toujours le Grand Vocabulaire.

Laissons donc parler Ce prémier des hommes, dans l’art de répandre des lumiéres. Quelles sont celles qu’il nous donne sur les spectacles du dix-sept & dix huitieme siécle ? « Les piéces, dit-il, du Théatre François, sont des preuves de l’ignorance des Poëtes de notre tems. » On y embellit les vices. Je n’ai jamais, dit il à ce sujet, je n’ai jamais entendu la purgation des passions, par le moyen des passions mèmes.

Le fameux Riccoboni, Auteur & Acteur du Théatre Italien, sur lequel il a paru pendant grand nombre d’années, ce Comédien, dis-je, dans la préface de son Traité de la réformation du Théatre en 1743, nous dira-t-il, que la Comédie est aujourd’hui tellement épurée &c. Écoutons-le. « Je crois, dit-il, que c’étoit précisément à un homme tel que moi, qu’il convenoit d’écrire sur cette matiere … Je l’avoue donc avec sincérité, je sens le grand bien, que produiroit la suppression entiere du Théatre… Les principes de corruption … reçoivent une nouvelle force des spectacles publics, où les Peres & les Meres ont l’imprudence … de conduire leurs enfans. Or, continue Riccoboni, qu’elles atteintes ne doivent pas donner à leur innocence, la nombre infini de maximes empestées, qui se débitent dans les Tragédies &c.. Les expressions & les images licencieuses, que présentent les Comédies ? Ils ne les effacent jamais de leur mémoire. »

Les Comédies de Moliere sont plus pernicieuses, qu’utiles au perfectionnement des mœurs, dit Mr. de Saint Pierre, en 1730. Telles sont toutes celles qu’on ne cesse de donner tous les jours ; celles de Scarron, Monfleuri, Baron, d’Ancourt, Poisson, Dufresny &c.

Mr Simonet, dans sa dissertation sur la Comédie, en 1732, dit, « que notre Théatre, tout épuré, qu’on prétende qu’il soit, est très-dangéreux à fréquenter ; parce que si les piéces présentent quelque fois des leçons de vertus, on n’en rapporte cependant que les impressions du vice. »

Selon Mr. Vart, autre Apologiste des Théatres, notre Théatre ne se reformera pas sur la passion de l’amour.

Selon le Célébre Jean de la Placette, le Nicole des protestans, on voit sur nos Théatres un esprit de coquetterie, trés-éloigné non seulement des régles du Christianisme ; mais encore de celles de la vertu païenne … Si notre Théatre est purgé des grossiéretés anciennes, il n’en est que plus dangéreux.

C’est pourquoi dans la Ville d’Utrecht, en particulier le 5 d’Avril 1771, la Comédie fut défendue. Cette défense fut renouvellée le 21 Avril 1777. « Attendu que cela, (les Comédies & Tragédies) tend à la perte des bonnes mœurs, … & entraine avec soi, beaucoup de mauvaises suites… défenses à tous, & à chacun, tels qu’ils soient, jeunes ou vieux, de jouer, ou laisser jouer dans leur maison, soit Tragédie ou Comédie, ou même d’y paroitre, sous peine de deux cens florins &c. » Faisons ici le sacrifice des journaux de Verdun, depuis 1756, jusqu’à 1775, Du journal Chrétien, depuis la même année jusqu’à 1774. Du journal des beaux arts, année 1769 & 1771. Du journal Encyclopédique, 1769. Du journal des savans depuis 1756 jusqu’à 1775. Des feuilles hebdomadaires des mêmes années, & dans lesquelles nous lisons expressément, que les spectacles sont contraires à la profession du Christianisme. Ecoutons encore les plus récens Apologistes des Théatres ; Mr. Nougaret, un des plus zélés, prétend qu’ils sont l’école des mœurs, dans son livre intitulé l’art du Theatre en 1769 ; mais il nous en donne des preuves toutes contraires : on sait, dit-il, dans le même ouvrage, « qu’on ne peut faire réussir une piéce, qu’en flattant les passions des cœurs corrompus. Peut-être même qu’en recherchant la mécanique de celles de nos piéces, qui ont fait le plus de bruit, on trouvera que c’est en elle un fond de libertinage, qui produit dans la représentation, je ne sais quelle espéce d’illusion & d’ensorcellement. » La Comédie & la Tragédie, dit encore Mr. Nougaret, « mettent toujours l’amour en jeu ; mais le spectacle moderne, c’est-à-dire le Théatre Italien, met l’indécence en action, tout dans les Drames de ce Théatre, conspire à faire rougir la pudeur. »

Et vous, Madame, vous oserez avancer, que nos piéces sont tellement épurées, qu’il ny a rien &c ?

Mr. Dorat, autre maître tout récent de l’art, & grand adorateur du Théatre, nous dit, dans ses refléxions sur l’art dramatique :

1°. Qu’on va aux spectacles, pour y retrouver ses penchans & ses vices. 2°. Que notre Théatre n’est nullement un asyle ouvert à la raison & aux bienséances.

En 1776 paroit le paysan perverti ; quoique l’Auteur y fasse assez connoître son goût pour les spectacles, il ne peut cependant s’empêcher d’avouer, que les spectacles exaltent les passions, & par là corrompent les mœurs. Cela prouve-t-il qu’ils soient bien épurés & bien utiles ? Vous êtes sans doute indignée, Madame, contre ceux qui vous en ont ainsi imposé sur ce sujet ; mais qu’elle sera votre surprise, quand vous verrez les imposteurs confondus par eux-mêmes ? Ouvrons l’Encyclopédie, non pour en étudier les erreurs ; mais pour en lire les paradoxes.

La politesse gase les vices, est-il dit pag. 669, tom. 3 ; mais c’est une espéce de draperie légére, à travers laquelle, les grands maîtres savent bien dessiner le nud. Et à la pag. 671, Mrs. les Encyclopédiftes-nous invitent à suivre l’exemple des Anglois, qu’ils nous représentent comme une nation sage & éclairée. Voyons donc de quelle nature sont les piéces de cette nation si sage. Elle-même nous l’apprendra.

Sous Charles II. qui succéda à Cromwel, vers 1660, on vit l’Écriture Sainte tournée en ridicule, la vertu méprisée, & la Réligion publiquement jouée sur les Théatres de Londres. C’est ce que nous apprennons de Guillaume Law, dans son livre intitulé … Raisons qui démontrent pleinement, que les plaisirs du Théatre sont absolument illicites. Seconde édition à Londres 1726.

Jean Dryden, l’un des plus fameux Poëtes de la nation Angloise, se livra, du tems de Moliere, à toute la licence de son Pays. Toutes ses piéces ne respirent & n’offrent qu’obscénités ; mais dès l’année 1688, ayant eu le bonheur de reconnoitre ses écarts, il se repentit des ouvrages, qu’il avoit fournis au Théatre, & déclara qu’il ne connoissoit rien de plus dangéreux, que les spectacles.

Jeremie Collier, écrivain Anglois, qui, selon le Dictionnaire Historique, par une société de gens de Lettres, édition de 1772, réunissoit l’esprit du Chrétien, avec la politesse du gentil-homme. Cet homme profond a enrichi sa nation de plusieurs ouvrages estimables, dont deux critiques du Théatre Anglois sont du nombre. L’un parut en 1698, sous ce titre, de l’impureté & de l’impiété du Théatre Anglois. Est-ce là ce que nous devons imiter ? L’autre est de 1699, Réfléxions sur la Comédie ancienne & moderne. Les mœurs , dit-il, & la Réligion n’ont point de plus grands ennemis, que les Poëtes Dramatiques ; & après avoir prouvé que le vice est substitué à la vertu, distingué, applaudi &c, il ajoute : c’est un fait que les choses se passent ainsi sur notre Théatre. Il fait ensuite l’énumération des piéces Angloises, & en montre la corruption. Je supprime le portrait de ces piéces, par respect pour l’innocence de ceux qui liront ceci. Mr. Collier continue… Quel est l’homme raisonnable, qui puisse envisager, d’un œil tranquile, tant de désordres inouïs ?

Charles Powei, autre Ecrivain Anglois de ce siécle, dans un ouvrage intutilé, les malheurs de l’Angleterre, en parlant des irrégularités des Théatres de sa nation, on y voit, dit-il, la gravité méprisée, la vertu avilie, la Réligion profanée, … Les plaisirs de la débauche mis en honneur.

Enfin, dit encore un Anglois de ce siécle, Auteur des dissertations sur Tacite, nous pouvons dire, que la postérité ne peut rien ajouter à notre dissolution : ce qu’elle peut faire de pis, est de nous imiter.

Ce qui augmente la surprise, c’est que bien loin que Mrs les Encyclopédistes infirment ce que les Anglois nous disent eux-mêmes de la corruption de leurs Théatres, ils nous en donnent eux-mêmes la garantie. Ne m’en croyez pas, lisez vous-même l’Encyclopédie tom. 3. pag. 668. En parlant du Théatre Anglois, on y dit ce qui suit : … Dans lequel la vraisemblance est rigoureusement observée, aux dépens-mêmes de la pudeur. Ce n’est pas tout : lisez encore ce qu’ils disent des nôtres : le Comique obscêne est encore souffert sur nos Théatres, par une sorte de prescription. C’est donc encore un usage & une Loi, de représenter des obscénités sur nos Théatres. Je dis une Loi, parce que, comme je le vois au même endroit, les usages sont des Loix.

Mr. Dalembert, un des plus célébres Encyclopédistes, ne doit pas etre ici oublié. Dans son éloge de Mr. Bossuet, lu dans les séances publiques de l’Académie Françoise, imprimé chez Moutard en 1779, il dit, que ce Prélat avoit été lui-même au Théatre dans sa jeunesse, uniquement pour se former à la déclamation ; mais qu’il n’avoit usé, que très rarement, de ce dangéreux moyen de s’instruire, & que depuis qu’il fut dans les Ordres, il y renonça pour toujours ; qu’il refusa même d’aller voir à la Cour, la Tragédie d’Esther. Et dans sa réponse à J. J. Rousseau, il avoue, que nos spectacles sont un poison dangéreux. Dans cette même réponse, il nous représente comme une nation, dans laquelle les Citoyens sont rares, les amis inconstans, les Peres injustes, les enfans durs, les femmes fourbes & infidéles, c’est-à-dire une nation corrompue, & c’est pour ces raisons, qu’il prétend, qu’il nous faut d’autres plaisirs, que ceux du chaste amour ; & il dit au même endroit, qu’il est persuadé, que chez une nation corrompue, le Théatre est un nouveau moyen de corruption ?

Cela voudroit-il dire, que la Comédie est aujourd’hui tellement épurée, qu’il n’y a rien, que l’oreille la plus chaste ne puisse entendre ? Et de semblables aveux seroient-ils faits pour prouver la pureté & l’utilité de nos Théatres ?

Ecoutons encore Mrs. les Encyclopédistes. Ils se plaignent amérement du peu de considération qu’on a pour les Comédiens ; ces hommes, selon eux, nous sont non seulement utiles ; mais même nécessaires. Pourquoi ? C’est parce que ceux qui occupent nos Théatres François, disent-ils pag. 671 tom. 3, sont les organes des prémiers génies, des hommes les plus célébres de la nation, Corneille, Racine, Moliere, la Chaussée, Voltaire. &c

Nos Comédiens, dit le Grand Vocabulaire tom. 6. pag. 256, « sont les organes de ces hommes illustres, de ces génies rares, qui feront à jamais l’honneur de la France ; les Corneilles, les Racine, les Moliere, les Voltaire &c. Tels sont les hommes, qui nous sont aujourd’hui nécessaires. »

Comme ces Mrs, avoient auparavant décidé, Encyclopédie tom. 3. pag. 669, que l’utilité de la Comédie, telle qu’elle est aujourd’hui, ne peut se révoquer en doute. Ils se sont apparemment imaginés, que par respect pour cet oracle, personne n’auroit osé en examiner la prétendue vérité ; ou (ce qui est plus vrai-semblable), ils ont cru, que plusieurs aimeroient mieux les croire, que se donner la peine d’entrer en discussion. Quoiqu’il en soit, Madame, en vous défendant de douter de l’utilité de la Comédie, telle qu’elle est aujourd’hui, ils vous prouvent, que vous devez la regarder comme une école de lubricité, où l’on ne peut aller, sans se deshonnorer devant Dieu. En effet, demandons à ces génies rares, ce que nous devons penser de leurs piéces & de leurs organes, quel jugement en ont-ils porté eux-mêmes ?

Jean Racine, né en 1639, & mort en 1699, nous parle encore dans ses écrits. Ecoutons-le : c’est un Pere Chrétien, qui veut instruire son fils, & faire servir à son instruction, les écueils, dont il connoissoit le danger. Voici comme il s’exprime, dans une lettre à Louis Racine son fils…

« Vous sçavez ce que je vous ai dit des Opéra & des Comédies, on doit en jouer à Marly : le Roi & la Cour… auroient une mauvaise opinion de vous, si vous aviez si peu d’égards pour moi & pour mes sentimens. Je sçais que vous ne serez pas deshonnoré devant les hommes, en allant aux spectacles ; mais comptez-vous pour rien, de vous deshonnorer devant Dieu ?

Cet homme illustre, & devenu sans peine, mais malheureusement pour lui, le Prince des Poëtes… fit longtems retentir les Théatres, des applaudissemens, qu’on donnoit à ses piéces… Mais détestant dans l’amertume de son cœur, les applaudissemens profanes, qu’il ne s’étoit attirés, qu’en offensant Dieu, il en auroit fait une pénitence publique, s’il lui eut été permis. »

Ce sont les termes de Mr. Tronchon, dans son Epitaphe.

C’est à Pierre Corneille, né en 1606, & mort en 1684, qu’on doit, selon le Grand Vocabulaire tom. 7. pag. 50 & 51, non seulement la Tragédie & la Comédie ; mais.. l’art de penser. Nous apprendra-t-il à penser, que nos Théatres sont tellement épurés &c, & qu’on ne peut douter de leur utilité ? Point du tout. Il s’est reproché mille & mille fois, d’avoir travaillé pour le Théatre.

Corneille, du Théatre abjurant les maximes,
Eut voulu n’en avoir jamais souillé ses rimes.1

Mr. Fagan est forcé d’en convenir, dans ses observations, en 1751, ainsi que Mr. Iraïl. Corneille & Racine ont eu raison, dit le prémier, de gémir d’avoir passé leur vie dans une occupation condamnée. N’est-il pas bien cruel, dit-il encore en Apologiste du Théatre, que les Auteurs de Cinna, d’Héraclius, de Phédre ; aient été fondés à verser des larmes d’un juste repentir ? & Mr. Bossuet se sert du témoignage de Racine lui-même, pour prouver que ses piéces, & celles de Corneille, sont pernicieuses à la pudeur.

Qu’elles ont été les piéces de Quinault, né en 1635, de ce rare génie, aujourd’hui mis par la postérité, sur la même ligne, que Mr. Despreaux ? selon le Grand Vocabulaire tom. 24, publié en 1772. pag. 58 & 59. Quinault, ce pere de la Poësie lyrique, s’est aussi repenti, d’avoir travaillé pour les spectacles, & à baigné de ses pleurs, les lauriers, qu’il devoit plus au génie, qu’au travail. Mr. Despreaux, l’athlête du bon goût, traite de lubriques les piéces de Quinault ; & Mr. Bossuet atteste, à la face de l’univers, de l’avoir vu pleurer sur ses propres ouvrages. Songez, dit-il pag. 6. de ses maximes, &c si vous jugez digne du nom Chrétien, de trouver honnête la corruption réduite en maximes, dans les Opéra de Quinault… Pour moi, ajoute-t-il, je l’ai vu cent fois, déplorer ces égaremens.

Mr. Houdart de la Mothe, né vers 1672, & mort en 1731, fut Auteur d’un grand nombre de piéces, dans lesquelles, selon le Grand Vocabulaire, tom. 18 pag. 413, il y a plus de raison, plus de profondeur, & plus de finesse, que dans celles de Boileau. Qu’a donc pensé des piéces de notre Théatre, cet homme, dont le mérite a surpassé celui de l’honneur de la France ? Il abjura ses travaux couronnés, & déclara les maximes de ces sortes d’ouvrages, diamétralement opposées aux maximes du Christianisme. Dans son Ode sur la fuite du Monde, il appelle nos Théatres, une vive école des passions ; il falloit bien que les sentiments de ce grand homme fussent connus, puisque le Grand Vocabulaire est forcé d’avouer, qu’il pensoit comme les Théologiens, sur les dangers des spectacles. Voyez tom. 18. pag. 413.

Nous ne devons pas passer ici sous silence, les maximes de Mr. Gresset sur cette matiere. Ce véritable homme de Lettres, cet Auteur plein de raison, de graces & de goût, cet Académicien du bon ton, (tom 8. de l’année Littéraire 1774.) en un mot, ce Poëte célébré, dont le Théatre François se glorifie d’avoir & de représenter les piéces, comme celles de Racine, de Corneille &c., ne vous sera pas plus favorable, Madame, que ceux, dont nous venons de parler. « L’unique regret, qui me reste, dit-il, en parlant de ses piéces, c’est de ne pouvoir point assez effacer le scandale, que j’ai pu donner à la Réligion par ce genre d’ouvrage, & de n’être point à portée, de réparer le mal que j’ai pu causer. Le moyen de réparation, autant qu’elle est possible, dépend de votre agrément pour la publicité de cette Lettre ; j’espére que vous voudrez bien permettre qu’elle se répande, & que les regrets sincéres, que j’expose ici à l’amitié, aillent porter mon Apologie partout où elle est nécessaire… Tout fidéle, quelqu’il soit, quand ses égaremens ont eu quelque notorieté, doit en publier le désaveu, & laisser un monument de son repentir… »

Il est donc incontestable, que ces grands hommes ont abjuré leurs propres ouvrages, qu’ils ont regardé leurs propres piéces, comme lubriques, & qu’ils en ont fait la matiere de leur pénitence & de leurs justes regrêts, quand ils ont sérieusement songé à leur salut 1. Ce sont cependant ces piéces, que nous représentent aujourd’hui nos Comédiens ; Mrs les Encyclopédistes ne nous permettent pas d’en douter.

Eh ! depuis quand regarde-t-on, comme des Comédies épurées, des piéces lubriques, une vive école des passions, & des maximes, qui feroient honneur dans le langage ordinaire ? Ce sont en particulier, les expressions de Despreaux, l’athlête du bon goût, selon le Grand Vocabulaire, & de l’honneur de la France, selon Voltaire.

Depuis quand regarde-t-on comme utiles, & même nécessaires à la patrie, les organes de la lubricité, & du Comique obscene &c ? Depuis quand enfin mérite-t-on des louanges, & dévient-on estimable, en faisant profession de représenter des piéces, que leurs Auteurs, les hommes les plus célébres de la nation, ont detestées, comme diametralement opposées aux maximes du Christianisme, & pernicieuses à la pudeur ? Ce n’est donc pas l’utilité de la Comédie, mais son poison, ses dangers, & ses suites fâcheuses, qu’on ne peut révoquer en doute.

St. Augustin étoit assurément, un génie rare, un homme des plus célébres ; croyez-vous, Madame, que ceux, qui seroient les organes de ses désordres, dont il a fait pénitence ; de ses écarts, dont il a pleuré pendant le reste de sa vie ; de ses erreurs, qu’il a rétractées ; croyez vous, dis-je, que de tels organes fussent bien utiles, & bien dignes de considération.

Nous avons abondamment vu, depuis la pag. 68, ce qu’ont pensé des piéces de Moliere, les Nicole, les Bossuet, tous les grands hommes contemporains, comme ceux qui leur ont succédé jusqu’à nos jours, sans en excepter les Riccoboni & les Bayle. Faisons encore ici parler J. J. Rousseau, son témoignage ne peut pas etre suspect. On convient, dit-il dans sa Lettre à Mr. Dalembert, « & on le sentira chaque jour davantage, que Moliere est le plus parfait Auteur comique, dont les ouvrages nous soient connus ; mais qui peut disconvenir aussi, que le Théatre » &c. Voyez pag. 42 & 43.

Ce sont cependant ces piéces, qu’on nous donne aujourd’hui, c’est de ces piéces, que nos Comédiens sont aujourd’hui les organes. Que dirons-nous de celles de Voltaire ? Cet homme aussi connu par ses blasphêmes, que par ses écrits ? Qu’a-t-il lui-même pensé de nos piéces actuelles ? Personne n’ignore, dit Mr. l’Evêque d’Amiens, dans son Mandement publié le jour de Pâques, dans tout son Diocése, l’année 1781, « personne n’ignore, que parmi les mauvais livres, dont la France est inondée… beaucoup d’ouvrages du Sieur Voltaire tiennent le prémier rang, & ont opéré une affreuse corruption. Nous en avons eu une preuve éclatante, qu’on ne peut se rappeller sans effroi. Ces ouvrages formerent, il y a quelques années ; une société de jeunes gens, qui afficherent hautement, dans le Diocése d’Amiens, les impiétés & les débauches les plus abominables, & conduiserent l’un d’eux sur l’échafaud, & de là, au bûcher, ou il fut brûlé avec le Dictionnaire Philosophique, qu’il avoit pris pour son corps de Doctrine : ces impies se vantoient d’etre les Disciples de Voltaire, & d’avoir puisé dans ses livres, leurs sentimens & leur conduite… En effet, personne n’a plus malignement saisi, que cet abominable Auteur, l’art de séduire. Quoiqu’il soit quelque fois échappé à Voltaire de rendre des hommages à la Réligion, il n’y a rien de si sacré, qu’il n’ait blasphêmé. Il a bouleversé tous les principes des mœurs, & a rompu tous les liens, qui attachent les hommes à Dieu, à leurs Supérieurs, à leurs égaux… Dans la Poësie, il a souvent prostitué son talent à l’impiété, & aux obscénités les plus infames… Voltaire impie acharné, qui a abusé de tous ses talens, pour se rendre le corrupteur de son siécle, & dont la mort aussi détestable que la vie, l’a fait rejetter avec horreur de la sépulture Chrétienne, qu’on n’a pu lui procurer, que par subtilité, dans un pays éloigné &c &c &c. » Un tel homme, Madame, n’étoit-il pas fait pour épurer nos Théatres ? Quel honneur pour les Comédiens de nos jours, & quelle utilité pour la France, de les avoir pour organes de ce génie rare ! & qui sera désormais assez téméraire, pour oser douter de l’utilité de nos spectacles ? Ecoutons-le lui-même, il va nous en dire son sentiment.

De plus de quatre cens Tragédies, qu’on a données au Théatre, depuis qu’il est en possession de quelque gloire en France, il n’y en a pas dix, qui ne soient fondées sur une intrigue d’amour, ce sont ses expressions.

« Les connoisseurs, qui se plaisent plus à la douceur élégante de Racine, qu’à la force de Corneille, me paroissent ressembler à ceux qui preférent les nudités du Corrége, au chaste & noble pinceau de Raphaël.1 »

Le Public qui fréquente les spectacles, dit-il dans sa lettre déjà citée, « est aujourd’hui plus que jamais, dans le goût du Corrége » Ne croiroit-on pas que Voltaire aprés cela, va travailler à la reformation du Théatre ? point du tout. En fidéle partisan de l’Encyclopédie, il a cru qu’il devoit se faire un devoir de conformer ses sentimens & ses idées, aux mœurs de la société, de regarder les préjugés comme des principes, &c. En conséquence, bien loin d’imiter le généreux Romain (Quintius Capitolius), qui disoit à ses Citoyens… j’ai grande envie de vous plaire ; mais dussai-je encourir la rigueur de vos censures, j’aime mieux sauver vos mœurs. Voltaire au contraire fait l’humiliant aveu de flatter le goût du Corrége. Il a donc fallu, dit-il, me plier aux mœurs du tems, & commencer tard à parler d’amour.

Aussi a-t-il soin de nous dire, que bien en prit à Corneille, de ne s’être pas borné dans son Polieucte, à faire casser les statuts de Jupiter. Il ajoute, que tous ceux qui vont aux spectacles, l’avoient assuré, que Zaïre auroit peu intéressé, si elle n’avoit été amoureuse &c. Voyez sa préface de Zaïre. Voulez-vous un autre échantillon de sa morale ? Prenez son temple du goût. Il vous défendra d’exclure quelque plaisir que ce soit. Vous êtes des plaisirs, il n’en est point qu’on doive exclure.

Quelles horribles maximes ! Et quand il n’y est point question de coquetterie &c, de quoi y parle-t-on ?… De détruire les dogmes de la Réligion &c &c. Une coquetterie perpétuelle, un Théatre, où il n’est question que d’intrigues d’amour, & où le public ne veut que les nudités du Corrége &c &c, sont-ils bien propres à exciter à la vertu & à l’horreur du vice ? Tel est cependant notre Théatre, tels sont nos spectacles. C’est la décision du Prince des prétendus Philosophes de nos jours, du Héros de Mrs. les Encyclopédistes, & du Théatre, en un mot de Voltaire.

En est-ce assez, Madame, pour vous convaincre qu’il s’en faut de beaucoup, que la Comédie n’ait plus rien, qui puisse aujourd’hui offenser les oreilles chastes ? J’ai consenti, comme vous l’avez vu, à faire juger la cause des spectacles, par tout autre tribunal, que par ceux, auxquels il appartient d’en connoitre & de prononcer. Je pouvois, sans doute, exclure celui des Poëtes Dramatiques, & de tous ceux qui sont attachés aux Théatres par goût, par intérêt, ou par passion.

On sent en effet, avec Mr de Boissy, ancien Auteur du Mercure, que ces sortes de personnes ont besoin de lettres de créance, pour être reçues à faire l’apologie des spectacles ; cependant bien loin de les récuser, comme j’étois en droit de le faire, je les ai pour ainsi dire, établies juges dans leur propre cause, & dans la vôtre, en acceptant pour arbitres, non des êtres superstitieux, non des esprits, qui ne pensent pas &c &c. mais… des écrivains, qui ont fait la gloire du siécle dernier, & l’ornement de celui-ci, des Auteurs, dont ils font eux mêmes le plus bel éloge, des lumieres de l’Eglise de France, des Magistrats illustres, dont la mémoire sera toujours chere à la France, des Académiciens célébres & du bon ton. Les Nicole, les Prince de Conti, de Marsillac, les Fléchier, les Fénélon, les Bossuet, les D’aguesseau, les Pompignan, les Valincourt, les Despreaux, les Gresset, les Lebeau, les Fontenelle, les Racine, les St. Evrémont, les Houdard de la Motte, les Simonet, les la Placette, les J. J. Rousseau &c. &c. &c.

Les plus fameux Apologistes, & les plus zélés adorateurs du Théatre, les Yart, les Nougaret, les Chapuzeau, les Dorat, les Champigneulles, les Corneille, les Quinault &c &c, Bayle lui-même, & Riccobini. Enfin Mrs. les Encyclopédistes, les Dalembert, les Marmontel, les Voltaire & leurs clients.

Peut on, Madame, désirer une composition plus honnête, & plus favorable à votre cause, & à celle des partisans du spectacle ? Permettez que je vous fasse ici une question… Ces arbitres, ces hommes immortels &c &c, sont-ils en état de prononcer sur la cause des spectacles, ou ne le sont-ils pas ? si vous me dites, que ces génies rares n’ont point assez de lumieres & de goût, pour juger cette affaire, il sera donc faux de dire, que l’utilité de notre Comédie moderne, ne peut se révoquer en doute ; & que c’est sans raison, que vous assurez, qu’elle est tellement épurée, qu’il n’y a rien, que l’oreille la plus chaste ne puisse entendre. Et si ces lumieres de la France, ces athlètes du bon goût &c, ne sont pas assez éclairés, pour porter un jugement sur la nature de nos Théatres, à qui faudra-t-il donc s’addresser, pour s’en instruire ? Sera-ce aux Pasteurs de l’Eglise, aux Conciles, aux Souverains Pontises, au S. Pere, au prémier Parlement de France ? Cette cause y est décidée sans appel. Mais si ces hommes sublimes &c ne peuvent être récusés, il est donc constant, que la Comédie, telle qu’elle est aujourd’hui, & telle qu’elle a été depuis Moliere, est une école, où on apprend à pécher, & à ne plus rougir du vice &c &c. &c. Il n’est donc pas vrai, que nos Théatres soient suffisamment épurés &c.

5°. Il est vrai, que dans quelques nouvelles piéces, on se sert d’expressions moins grossieres ; mais en revanche, l’esprit de corruption n’y est-il pas répandu d’une maniere plus piquante ? Laissons encore ici parler les Bossuet, les Bourbon, les Simonet, les la Placette &c. « Le grossier, que vous en ôtez, dit le grand Bossuet, feroit horreur, si on le montroit ; & l’adresse de le cacher, ne fait qu’y attirer la volonté d’une maniere plus délicate, & qui n’en est que plus périlleuse, lorsqu’elle paroit plus épurée. » Réfléxions sur la Comédie, pag. 21.

Quoiqu’on veuille dire, que le Théatre ne souffre plus rien que de chaste, & que les passions y soient traitées d’une maniere plus honnête, dit Mr. le Prince de Conti, en parlant du Théatre François… Je soutiens, qu’il n’en est pas moins contraire à la vertu, & j’ose même dire, que le retranchement de ces choses immodestes, le rend beaucoup plus à craindre.

Des discours trop grossiers le Théatre épuré,
Cependant à l’amour est par nous consacrè…
Le poison de l’amour a bientôt pénétre,
D’autant plus dangéreux, qu’il est mieux préparé.

Ce sont les réfléxions de Mr. Louis Racine à Mr. de Valincourt.

Notre Théatre, tout épuré qu’on prétende qu’il soit, est très-dangéreux à fréquenter ; dit Mr. de Simonet, dans sa dissertation sur la Comédie.

Si notre Théatre est purgé des anciennes grossiéretés, il n’en est que plus dangèreux. Dit le célébre de la Placette.

Nos spectacles, dans leur état actuel, ne sont pas, à beaucoup près, des lieux surs pour la vertu, dit M. de Pompignan, dans sa lettre à Mr. Racine fils. « Parmi les piéces de la Chaussée, qui passent unanimement pour être les moins impures, en est-il une seule, dont l’amour ne soit le mobile, & où il ne soit point caractérisé avec des traits, & des détails d’autant plus dangéreux, qu’ils sont mieux ménagés ? Tout y est si tendre, & si touchant, que le cœur est affecté dès les prémieres scénes. » Qui parle ainsi ? C’est l’Auteur même de l’essai sur la Comédie moderne. Cette politesse, dit Dom Ramire, dans son triomphe, en 1751, « ces grandes leçons, sont des fleurs agréables, sous lesquelles le serpentest caché. L’Elégance & la politesse, qui regnent aujourd’hui sur nos Théatres, ne font que rendre plus aigres, & plus pénétrants, les traits qu’on y enfonce dans l’ame des spéctateurs. » A quoi s’est enfin terminé la réforme du Théatre ? Dit le Rituel de Macon &c. C’est qu’on y présente aux infirmes, des appas plus cachés & plus dangéreux.

Si le venin des passions est aujourd’hui plus enveloppé, & préparé avec plus d’art, il n’en est que plus dangéreux. Le poison le plus fin n’est-il pas le plus mortel ? Voyez le Poëte de mœurs en 1779.

Voilà, Madame, lui dis-je en finissant, voilà une partie de mes garans, pouvez-vous les récuser ? Qu’avez-vous à répliquer ?

Seconde objection.

N’Est-ce pas un bien d’occuper les fainéans, d’amuser les joueurs, & de distraire les libertins ? Sans les spectacles, à quoi ne seroient pas exposés les peres de famille, soit pour l’honneur de leurs femmes, soit pour la fûreté de leurs filles, soit &c. &c. &c ?

N’est-ce pas un bien, que d’empêcher un grand mal ? c’est ce que me demandoit un Philosophe il y a peu de tems. Voici quelle fut ma réponse… Oui, Monsieur, c’est un bien d’empêcher un grand mal, quand on le peut, sans faire un autre mal ; mais il n’est pas permis de faire même un petit mal, pour en empêcher un beaucoup plus considérable ; par exemple, j’apprends qu’une personne veut exécuter un noir projet, dont les suites seroient très-fâcheuses pour elle, & pour sa famille ; je vais aussi-tôt la trouver, je l’amuse, le coup est manqué, j’ai fait évanouir ce projet, c’est sans doute un grand bien : mais si je ne pouvois innocemment l’arrêter, ferois je un bien en lui ôtant la vie ? Ce seroit cependant un grand bien, d’avoir empêché ce scélérat de deshonorer sa famille &c &c ; mais, non sunt facienda mala, ut eveniant bona. Il n’est jamais permis de faire du mal, pour qu’il en résulte un bien, quel qu’il puisse être dans l’ordre moral.

Je dis en second lieu, que c’est un bien d’occuper les fainéans &c. &c, à des choses utiles, ou au moins indifférentes ; mais que c’est un mal, de les amuser par des jeux illicites & criminels. D’ailleurs on suppose ici, qu’on ne pourroit supprimer les spectacles, sans qu’il en résultât nécessairement un plus grand mal : en un mot, que de deux maux nécessaire, il faut choisir le moindre ; mais où sont donc ces mortels, à qui il ne reste d’autre ressource, que de courir aux spectacles, ou de se livrer aux plus grands désordres ? Car enfin, les fainéans sont-ils nécessités à la fainéantise ? Les joueurs ne peuvent ils pas se corriger ? Et les libertins ne peuvent-ils pas renoncer à leurs désordres ? Je supposé même pour un moment, qu’un Souverain ordonne des spectacles, pour empêcher de plus grands désordres, seriez-vous obligé d’y aller, ou autorisé à y paroître ? Vous n’êtes sans doute ni fainéant, ni joueur, ni libertin. Si l’on n’inventoit des Comédies que pour amuser des imbéciles, voudriez-vous vous y trouver ?

Sans les spectacles, ajoutez-vous, à quoi les peres de famille ne seroient-ils pas exposés ? Mais 1°. si les spectacles sont si nécessaires pour le bon ordre & la fûreté publique, il faut donc que les peres de famille jouissent paisiblement de la tranquilité qu’on leur ménage, quand on rassemble ces oisifs &c, .& qu’ils n’aillent pas les trouver, où on ne les a attirés, que pour les empêcher de mal faire. Les meres ne doivent donc pas y aller réveiller & enflammer par leur présence, & enflammer par leur présence, & par celle de leurs filles, leurs inclinations vicieuses.

2°. Sans les spectacles, à quoi &c ! Pour moi, dit Voltaire, dans sa lettre à Racine, je ne les regarde pas comme une occupation qui retire de la débauche. N’y a-t-il pas assez de tems, avant & après les spectacles, pour se livrer aux mouvemens des passions les plus effrénées ?

3°. Paris fut-il mieux policé, quand Henri III. y eut fait venir des Comédiens ? Les peres de famille y furent-ils plus tranquilles qu’auparavant ? Ce n’est certainement pas le sentiment de Mezeray, ni des autres Auteurs Contemporains.

4°. Y a-t-il moins de mœurs, moins de Réligion, moins de fidélité dans les femmes, moins de pudeur dans les filles, moins de docilité dans les enfans, dans les Villes où il n’y a pas de spectacles ?

5°. Si les spectacles sont ni nécessaires, pourquoi donc les interrompt-on pendant certains tems de l’année ? Par exemple : l’Impératrice Marie-Therese, Reine de Hongrie, a fait un réglement en 1754 pour ses Etats, dans lesquels les Comédies, les Opéra & autres spectacles publics sont défendus, 1°. Tous les Vendredis de l’année, 2°. Dans l’Avent, à commencer au 14 Décembre. Les jours de Noël, des Rois, tout le Carême &c. &c. &c. Et en France, ne sont-ils pas aussi interrompus pendant certains jours ? Sur-tout pendant des deuils & des calamités publiques ? Dira-t-on que les Souverains pendant ce tems, veulent laisser une libre carriere au désordre, sous prétexte de dévotion ? Prétendra-t-on, qu’ils facilitent le crime, pour détourner les vengeances du Ciel ? Et ne faudra-t-il pas les rendre responsables de la surabondance des désordres, qui se commettent ces jours-là

Troisieme objection.

IL n’y a qu’un dévot & un bigot, ajouta le Philosophe, qui puisse refuser d’aller aux spectacles. Mr., lui répondis-je, je vous avoue ingénuement mon ignorance, je ne conçois pas comment on peut être tout à la fois, un dévot &c un bigot. Comment en effet, le grand Vocabulaire définit-il un dévot ? C’est, dit-il, une personne pieuse, attachée aux devoirs du Christianisme. Deshonnore-t-on St. Bernard, l’orsqu’en le citant, on dit.… le dévot St. Bernard ? L’Eglise fait-elle injure au sexe, quand priant pour lui, elle l’appelle le sexe dévot ? Mais le bigot est le singe du dévot, le bigot est un hypocrite qui contrefait le dévot ; comment allier deux choses si opposées ? Le Philosophe soit disant, pour se tirer d’embarras, me fit la demande suivante.…

Quatrieme objection.

SI la Comédie est si contagieuse, comment a-t-elle donc pu avoir, & pourquoi a-t-elle encore tant de partisans ? Je suis surpris, lui dis-je, qu’un homme instruit me fasse semblable question : car… tout Chrétien fait, que l’Eglise toujours dirigée par l’esprit Saint, ne peut se tromper, ni tromper les fidéles, & qu’elle est aussi juste dans les Loix, qu’elle est infaillible dans ses décisions. C’est pourquoi, dit St. Augustin, vouloir mettre en question, si l’on doit se conformer aux leçons, aux loix & à la discipline générale de l’Eglise, c’est se rendre coupable de la démence la plus insolente. Si quid totum per orbem frequentat Ecclesia, quin sit faciendum disputare, insolentissima insania est. Jugez par là, Mr., de tous ceux qui, pour justifier leur conduite, s’appuient sur le grand nombre de ceux qui en sont les partisans. Leur déraisonnement se réduit à celui-ci. Il n’est pas possible qu’un parti, qui a toujours eu, & qui a encore beaucoup de partisans, soit dangéreux, contagieux, &c. Or, les spectacles ont toujours eu, & ont encore beaucoup d’apologistes & de partisans ; ainsi quoique puisse faire l’Eglise, quoique puissent en penser tous les Peres &c, les spectacles ne peuvent être contagieux & contraires à l’esprit du Christianisme. Il est donc palpable, que ce prétendu raisonnement ne peut sortir de la bouche d’un fidéle : il n’est ni impiété, ni blasphême, ni ordure, qu’on ne crût pouvoir justifier par des récriminations de cette trempe.

Si la mission de J. C., diroit l’un, étoit si visiblement Divine, si sa conduite étoit si sainte, si son cœur étoit si bienfesant, comment a-t-on pu soutenir que ses miracles étoient diaboliques ? Qu’il étoit lui-même un démoniaque, & un perturbateur du repos public ? Si vers la fin du sixieme siécle, la Comédie n’étoit qu’une pernicieuse leçon d’impudicité, comment a-t-elle pu avoir alors tant de partisans ? Si du tems même de St. Cyprien, les spectacles étoient de vrais pestes, pourquoi n’y couroit-on pas moins alors qu’aujourd’hui ? ab omnibus ad spectaculum curritur. Si du tems de St. Chrysostome, ils étoient des chaires de pestilence &c. &c, pourquoi prétendroit-on, qu’il n’y avoit aucun mal d’y assister ? Si la fourberie, l’ingratitude & la crapule sont des vices si odieux & si pernicieux pour la société, comment ont-ils pu avoir, & pourquoi ont-ils encore tant de partisans ? si le duel est si contraire aux loix Divines & Royales, comment a-t-il encore tant d’apologistes & de partisans ? &c. &c.

Si négliger l’affaire du salut, diroit un autre, si renvoyer la pénitence dans les cloitres, si aimer le monde avec ses manieres de penser & d’agir, sont des preuves du plus déplorable des aveuglemens, comment cet aveuglement a-t-il pu avoir, & pourquoi a-t-il encore tant d’apologistes & de partisans ? Faites, je vous prie, attention à cette funeste inconséquence de la plupart des Chrétiens. Tous font profession de croire, que la voie, que prend le plus grand nombre, est la voie de perdition. Multi vocati, pauci electi. Mais dès qu’on blame leur conduite, ils prétendent la justifier par celle du plus grand nombre. Ce n’est point par les exemples, mais par les loix, que nous devons nous conduire, non exemplis, sed regulis ducimur.

Un fidéle ne fait pas attention à ce qu’on fait ; mais à ce qu’on doit faire : non quid fiat, sed quid fieri debea attende. Les Gilosi, comme je l’ai remarqué pag. 29, n’enseignoient que des paillardises & des impudicités ; en étoient-ils moins suivis ? Le concours de ceux qui alloient à leurs piéces, enétoit-il moins frappant ? C’est donc en vain, que pour innocenter les Théatres, on objecte le nombre & la qualité de leurs partisans. Un crime, quelque commun qu’il soit, ne cesse pas d’être crime, & le grand nombre de ses partisans n’en fera jamais une vertu. Au reste, l’époque des Apologistes du Théatre n’est pas si ancienne, qu’on voudroit l’insinuer. George Scudery Auteur de sept piéces de Théatre, dont il s’étoit fait une ressource contre la faim ; Scudery, dont les écrits sans art & languissans semblent être formés en dépit du bon sens. dit Despreaux, osa le premier entreprendre par écrit, en 1639, la défense des spectacles.

Finissons enfin cette réponse par celle de St. Augustin : déjà de son tems on s’autorisoit du grand nombre de ceux qui alloient au spectacle. Que répond ce St. Docteur ? « Ah ! disoit-il, si vous avez la crainte de Dieu, ne vous faites pas illusion sur le grand nombre de vos partisans, pesez ! avec équité, l’autorité qui vous parle, détournez les yeux de la folie du Théatre, & ne vous laissez pas entrainer par le grand nombre de ceux qui y courent. » Si justus es, non numera, sed appende, non respicias ad Théatrum insaniæ ; mendax est. Noli imitari turbas concurrentes. Le prétendu Philosophe n’ayant rien à répliquer à des vérités aussi palpables, crut se tirer d’embaras en me faisant une autre question. La voici…

Cinquieme objection.

MAis si les spectacles sont si contagieux, pourquoi donc les souffre-t-on ?

Mais, Mr., lui répliquai-je… 1°. Si les piéces des Gilosi n’étoient que des leçons d’impudicités, &c &c. D’ou vient donc, qu’ils furent autorisés à les représenter, malgré les arrêts du Parlement de Paris ? 2°. Si c’étoit péché de courir aux tournois, & si l’Eglise ne cessa d’excommunier, pendant plus de 500 ans, ceux qui s’exerçoient à ces jeux meurtriers, d’où vient donc, qu’on les souffrit, & qu’ils ne cesserent que lorsqu’en 1568, Henri II. y fut blessé à mort ? 3°. Si les lieux de débauches, & consacrés aux plus honteux libertinages, sont si pernicieux aux mœurs, & si opposés à l’esprit du Christianisme, pourquoi donc souffre-t-on ces écoles de saran, & ces réceptacles d’ordures, dans les Capitales mêmes des Royaumes Catholiques ? 4°. Si l’usage des bains communs aux deux sexes, étoit si opposé à la pudeur, pourquoi donc a-t-il été souffert pendant tant de siécles, malgré toutes les réclamations & toutes les loix de l’Eglise ? 5°. Si quelque fois il arrive qu’on sévisse contre les petits, tandis que les plus grands commettent impunément les mêmes fautes, s’ensuit-il que les crimes de ceux-ci ne soient plus crimes, parce qu’on les tolére ? 6°. Enfin, parceque je ne pourrois vous dire pourquoi un Dieu infiniment Saint, n’écrase pas les coupables sous le poids de sa justice, & pourquoi il souffre, & semble dissimuler les désordres de ses créatures, pourriez-vous en conclure que ces désordres cesseroient d’être des abominations à ses yeux ? Non sans doute, & pourquoi ? C’est qu’il est également certain, que Dieu est infiniment Saint ; & que cependant il souffre nos ingratitudes. Pour croire ce fait, je n’ai pas besoin d’en savoir les motifs : comme je croirois, sans hésiter, que les lieux de débauches sont opposés à la sainteté du Christianisme, quand même j’ignorerois pourquoi on les souffre. 7°. Théodoric, Roi d’Italie, avouoit, que ce n’étoit point aux spectacles, qu’on devoit attendre de la modestie & de la retenue : mores autem in spectaculis quis requirat ? Il les regardoit comme la ruine des mœurs & de la pudeur : spectaculum expellens gravissimos mores… evacuatio honestatis. Pourquoi donc les souffroit-il ? Il va vous le dire : il est quelque fois nécessaire de tolérer quelques folies du peuple, pour l’empêcher d’en faire de plus grandes. Hac nos fovemus necessitate populorum. Apud Cass. L. 1. Epist. 27 L. 3. Epist. 51. En faut-il davantage, pour vous faire toucher au doigt, que tout ce qui est toléré, n’est pas pour cela innocent & licite ? C’est une vérité, dont l’Evangile même, la raison & l’expérience ne nous permettent pas de douter.

L’Eglise, dit S. Augustin, souffre quelque fois des choses, qu’elle condamne : Ecclesia multa tolerat, qua non probat. Toujours semblable à un champ femé de froment, dit St. Matt. C. 13. v. 19, elle y verra toujours croitre l’ivraie ; & ne pouvant l’arracher, crainte d’arracher aussi le bon grain, elle s’applique à le faire connoître aux fidéles, de peur qu’ils ne prennent pour bonne nourriture, ce qui ne pourroit que leur nuire. Sinite utraque crescere &c.

L’Eglise, dit le Pere Lebrun, « gémissant sur l’empressement, que les Chrétiens sont paroitre pour des pratiques condamnables, n’ose en venir à des extrêmités, & se contente d’ordonner à ses Ministres, de leur en inspirer de l’horreur. » C’est ainsi qu’en usa St. Charles, dans son troisieme Concile de Milan Act. parte 4. pag. 483.

Enfin dit S. Augustin, on sait que les plus grandes licences étant passées en coûtume, on s’habitue même à en faire l’Apologie : & pour lors, quoique réprouvées, elles parviennent à forcer l’autorité publique de les tolérer. Nous n’avons en horreur, que les péchés qui ne sont pas à la mode. Voyez encore la pag. 14. Peccata quamvis magna & horrenda, cum in consuetu dinem venerunt, aut parva, aut nulla esse credunt, usque adèo, ut non solum occultanda, verùm etiam prœdicanda videantur… sic nostris temporibus, multa mala ita in apertam consuetudinem venerunt, ut pro his, non solum excommunicare aliquem non audeamus, sed nec clericum degradare… inusitata peccata sola exhorrescimus. Rien de si frappant, que les exemples que nous cite ce St. Docteur sur ce sujet, dans son épitre 43. Ad Glorium & Eluesium. Nov. edit.

Les loix humaines, ajoute St. Thomas, ne sont pas tenues à réprimer tous les maux. 1. 2 Quæst. XCVI. Art. II. & rien, dit Tertullien, ne peut prescrire contre la vérité de la Doctrine Evangélique, quoique souvent la coûtume prévaille même sur les préceptes de J.C.

En voilà, je crois, Monsieur, plus que vous n’en demandiez. Le Philosophe avoua sa défaite ; mais il s’en fallut de beaucoup que plusieurs Dames se regardassent comme battues. Toutes vouloient parler en même tems ; mais moi, qui n’ai pas le talent de satisfaire, par une seule réponse, à des difficultés disparates, je pris le parti de leur demander grace, jusqu’à ce qu’elles fussent convenues de parler chacune à leur tour : la plus respectable eut enfin la préférence : voici son achyle.

Sixieme objection.

QUoi, Mr. me dit-elle, je verrai des Ecclésiastiques aux spectacles, & je croirai faire mal en y assistant comme eux ?

Quoi, Madame, repliquai-je, je verrai un Apôtre trahir Jesus-Christ, & je croirai faire mal en le trahissant comme lui ? En voulez-vous davantage, Madame, pour bien sentir l’inconséquence de votre réfléxion ? Daignez peser les questions suivantes… 1°. Parceque même parmi les personnes de condition, il s’en trouveroit qui seroient infidéles &c, prétendriez-vous qu’il vous fût permis de les imiter ? 2°. Parce que des juges corrompus par présens ou autrement, auroient condamné des innocens, l’injustice ne seroit-elle plus un mal ? 3°. Parce que des militaires auroient lâché le pied dans une bataille, & que les plus grands d’un Royaume se seroient révoltés contre leur Souverain, pourroit-on sans faire mal, imiter leur conduite ? 4° Parceque des hommes non appellés, ou qui n’ont pas répondu à la sainteté de leur vocation, se livreroient aux péchés les plus honteux, penseriez-vous que ce ne fût pas un mal de faire comme eux ? 5°. Enfin, si ces Ecclésiastiques de nom, alloient se jetter à l’eau, croiriez-vous que vous ne fissiez pas mal d’aller vous précipiter avec eux ?

Mr. de Montchal dit aussi dans ses mémoires, que le Cardinal de Richelieu autorisoit la Comédie, en y assistant ; mais il ajoute, qu’en cela, ce Prélat se conduisoit comme bien d’autres, « par un esprit bien contraire à celui de tous les Peres de l’Eglise, qui l’ont condamnée comme la corruption des mœurs, & une école publique de libertinage. » Quoi ! Parce que des mortels honorés du Sacerdoce, de la Pourpre même, méneroient une vie scandaleuse, vous croiriez ne point faire mal, en faisant comme eux ? Depuis quand donc peut-on se croire innocent, en augmentant le nombre des coupables ? & où trouve-t-on, qu’on puisse, sans faire mal, suivre l’exemple de ces Ecclésiastiques, dont la vie est si peu réguliere, & si équivoque, que Voltaire lui-même les appelle des êtres indéfinissables ? Ecoutez J.C., votre Docteur & le mien, c’est lui-même, qui va vous instruire & vous répondre.

Quelque irréguliere que tuisse être la conduite de quelques-uns de mes Ministres, nous dit ce Divin Maître ; la Doctrine qu’ils vous enseignent, ne doit rien perdre par leur vie scandaleuse. La vérité & l’autorité viennent de moi. Je les ai communiquées aux Apôtres, & au corps visible des Pasteurs, que j’ai établis pour vous instruire ; écoutez donc, & faites ce qu’ils vous disent. Quœcumque dixerint vobis, facite ; mais ce qui vient de leur volonté corrompue, est à eux, & vous devez vous garantir de leurs mauvais exemples : secundum opera corum nolite facere

Et vous, Madame, vous prétendrez au contraite, pouvoir suivre l’exemple de ces êtres indéfinissables, quoique l’Eglise les condamne, & vous défende de les imiter ? Vous vous croirez innocente, en transgressant comme eux, les loix de votre Mere ? Voudriez-vous bien, Madame, me répondre à tout cela ? Dites donc tant qu’il vous plaira, que les Ecclésiastiques vont à la Comédie, exagérez à votre aise, le nombre des coupables : voici ce que j’en concluerai…. Ces Ecclésiastique, quels qu’ils soient, savent, ou doivent savoir, que les spectacles leur sont défendus. Ils en sont donc plus coupables, & les spectacles n’en sont pas plus innocens. Ces êtres indéfinissables en seront plus sévérement punis, & ceux qui les auront imités, ne seront pas trouvés sans tâche. Ces aveugles volontaires tomberont dans le précipice ; & ceux, qui auront marché sur leurs traces, y seront entrainés avec eux. Madame **** étant réduite au silence, Madame la Marquise prit la parole.

Septieme objection.

MAis, Mr, dit-elle, n’avez-vous pas cent fois entendu répéter, que rien ne forme mieux une jeunesse, que la Comédie ?

Mais, Madame, lui dis-je, n’avez-vous pas entendu répéter mille fois des faits controuvés, des comptes à faire dormir debout, des mensonges grossiers, & des inepties les plus risibles ? Permettez-moi d’ajouter, Madame, que j’ai lu l’excellent livre de Mr. de Fénélon, sur l’éducation des filles, celui de Mr. l’Abbé Clement, Prédicateur du Roi, & jadis Aumonier & Confesseur des Dames de France. Maximes pour se conduire chrétiennement dans le monde. Les maximes & les réfléxions du Grand Bossuet sur la Comédie. Les réglemens des Demoiselles de St. Cyr &c &c & un très grand nombre de livres écrits pour l’instruction de la jeunesse, ainsi que beaucoup d’autres de piété ; & je défie hardiment, qu’on m’en montre un, où il soit dit, que, pour former la jeunesse, il faille l’envoyer aux spectacles.

L’université de Paris est bien éloignée de le croire, comme on peut le voir dans ses statuts. Le prémier Parlement de France ne pensoit pas autrement, quand le 20 janvier 1765, il défendit les Tragédies & Comédies dans les colléges.

Enfin, aprés lui avoir mis sous les yeux tout ce qui a été dit depuis la page 62 jusqu’à 94. Je pris la liberté de finir, par la question suivante… Depuis quand a-t-on le talent de former la jeunesse à l’école de l’impureté, & où tout conspire à faire rougir la pudeur ? La demande étoit embarassante, & la Marquise, qui a de l’esprit, ne cherchant pas à y répondre, mais à en éluder la force, répliqua qu’elle trouvoit plus à profiter à la Comédie, qu’à un sermon, & à un panégyrique des Saints…

Choqué d’un tel propos, je pris le parti de la dissimulation ; mais faisant attention, que Madame la Marquise alloit à peine à la derniere basse messe, les jours de Dimanches & Fêtes, & qu’elle n’avoit pas assisté à un sermon depuis plus de six ans, je fus, je l’avoue, violemment tenté d’en tirer avantage : le triomphe auroit été trop odieux. Je m’avisai donc de lui demander, si elle permettroit que le plus auguste de nos tribunaux de France, & le corps de Mrs. les Avocats au Parlement de Paris, lui fissent connoitre leur sentiment sur la comparaison énoncée. Volontiers, me dit-elle, ces Mrs. sont éclairés, & ne sont certainement pas si austéres que vous.

J’espere lui dis-je, Madame, que vous voudrez bien prendre lecture de l’arrêt du Parlement, du 22 Avril 1761. Le plaidoyer, qui en est le motif, qui a été fait par le corps des Avocats, & approuvé d’une voix unanime, y est applaudi par la Cour, & la comparaison de la Comédie avec le Panégyrique des Sts. dans la chaire, y est qualifiée de blasphêmatoire. Avez vous, Madame, quelque chose de plus décisif ? Et en effet, continuai-je, s’il est vrai, qu’il soit plus avantageux d’aller à la Comédie qu’au sermon, n’allez donc plus, ô ames fidéles ! n’allez plus aux Temples consacrés à Dieu, pour y apprendre la science des Saints. Le Théatre à pris leurs places. C’est là, où J.C. vous attend ; c’est là, où il préside ; c’est là enfin, où il veut vous éclairer, vous instruire & vous toucher.

L’Eglise, il est vrai, vous interdit les spectacles, & en excommunie les Acteurs ; mais rassûrez-vous, ô ames chrétiennes ! méprisez ses ordres, & mettez-vous peu en peine de ses loix. J.C. vous a donné droit aux moyens de sanctification, qu’il vous à merités par l’effusion de tout son sang. La Comédie vous en présente un plus efficace que la Prédication Evangélique. Volez donc aux spectacles, pour y entendre la voix de J.C. dont ces malheureux & malheureuses, que l’Eglise rejette de son sein, sont les organes, c’est par leur bouche, qu’il veut y parler à votre cœur. Négliger d’y aller, ne seroit-ce pas un crime ? N’est-ce pas là, Madame, la substance de votre proposition ? & si elle n’est pas blasphêmatoire, où trouverons-nous donc des blasphêmes ?…

La Marquise plus touchée de l’arrêt du Parlement, que de toutes les décisions de l’Eglise, avoua qu’elle ne croyoit pas la chose aussi sérieuse, & promit de ne jamais plus paroitre aux spectacles. Cette réponse ne fut pas du goût d’une Dame fort partisante des spectacles, & Mademoiselle sa fille fut fort aise de la voir en prendre la défense.

Huitieme objection.

VOus citerez, dit-elle, tant que vous voudrez, le Parlement de Paris, & tout ce qu’il vous plaira ; pour moi, je ne vois pas pourquoi on ne pourroit pas aller à la Comédie, ni comment on peut la condamner. Quel mal, aprés tout, y a-t-il d’assister aux spectacles ?

Mais, Madame, lui répondis-je, parce que vous ne voyez pas pourquoi une chose est défendue, s’ensuit-il qu’elle vous soit permise ? & parce que vous ignorez les raisons, pour lesquelles on l’interdit aux fidéles, pouvez-vous en conclure qu’elle n’est ni condamnée ni condamnable ? Cette objection a quelque chose de commun avec la cinquieme. Ne devons nous obéir à Dieu, à l’Eglise & au Roi, que lorsqu’ils nous auront fait part de leurs motifs, & exposé les raisons de leur conduite ?

Quel mal enfin, dites vous, fait-on en allant aux spectacles ? Cette objection, Madame, n’est pas nouvelle. Les Chrétiens, partisans du Théatre, la proposerent dès les prémiers siécles de l’Eglise Ceux de Constantinople demandoient à St. Chrysostome, en 399, quel mal faisons nous &c ? Or, permettez-moi de vous le demander : parce qu’ils ne voyoient pas de mal d’aller alors aux spectacles, ou parce qu’ils prétendoient qu’il n’y en avoit pas, les spectacles en étoient-ils plus épurés, étoient-ils moins coupables en y assistant ?

Quel mal fait-on &c ? Mais quel bien y fait-on, même pour le corps ? Se peut-il un air plus empesté & moins salubre, que celui qu’on respire à la Comédie pendant des heures entieres ? Voudroit-on demeurer autant de tems, dans un hopital, pour y soulager les membres souffrants de J.C. ? Je dis plus… En est-il beaucoup, parmi les Apologistes de ces plaisirs funestes, qui voulussent demeurer à l’Eglise aussi long-tems qu’au Théatre ? Vous soutenez toujours qu’il n’y a point de mal d’aller aux spectacles, dit un Prélat de ce siécle ; mais qui de vous, ou des successeurs des Apôtres, que vous devez écouter comme J.C.… jugera cette question ? Voyez toute la premiere lettre. Cela ne mérite-t-il pas une réponse ?

Quel mal fait-on &c ? Daignez, Madame, interroger les écrivains, qui ont fait la gloire du siécle dernier & de celui-ci, les hommes universels, les Encyclopédistes eux-mêmes, ils vous l’apprendront. Voyez la seconde Lettre.

Quel mal fait-on &c ? 1°. N’est-ce pas un mal de désobéir à l’Eglise ? Vous avez défendu à Mademoiselle votre fille, tout commerce avec certaines personnes. Vous avez eu vos raisons-peu m’importe ; mais ce qui revient à mon sujet, c’est qu’elle continue de les voir en cachette… Ma chere mere, dit-elle, en pensera ce qu’elle voudra. Pour moi, je ne vois pas pourquoi je ne pourrois pas fréquenter ces personnes, ni comment on peut m’interdire leur aimable & amusante compagnie. Quel mal après tout, y a-t-il de leur parler, & d’aller chez elles ? La Demoiselle fort déconcertée ne niant point le fait, la Dame se mettoit en colere contre elle, en lui disant… Sçavez-vous bien, Mademoiselle, que je suis votre mere, & que quand je vous dis quelque chose, c’est à vous à m’obéir & à respecter mes ordres ? Comment vous oserez !…

Madame, Madame, repris-je, daignez modérer votre transport, & me donner encore un petit moment d’audience… Quoi, ajoutai-je, vous vous emportez contre Mademoiselle, parce qu’elle a méprisé une défense, que vous lui avez faite, sans lui en faire connoitre le motif ! Je prétens, dites vous, qu’elle m’obéira. Je n’ai point de compte à lui rendre de ma conduite. Une mere n’en doit point à sa fille, j’ai le droit de lui commander, c’est a elle à m’obéir, c’est mon enfant, c’est tout dire. Je l’avoue, Madame, elle est votre enfant ; mais ne l’êtes vous pas de l’Eglise ? Avez-vous plus de droit sur Mademoiselle votre fille, que l’Eglise n’en a sur vous ? Vous vous plaignez avec chaleur, de ce qu’une fille ne tient point compte d’une défense non motivée, & vous prétendrez être innocente, en méprisant celle de l’Eglise, qui vous interdit les spectacles, en vous en disant même les raisons ? Permettez encore, que j’aie l’honneur de vous faire ici une petite question. Quel mal fait-on en donnant un repas d’amitié, ou en y participant ? Ceux de charité, qui précédoient la Communion Eucharistique, pendant les prémiers siécles de l’Eglise, présentoient-ils même l’ombre du mal ? l’Eglise cependant les a défendus, après plus de trois siécles, & a interdit toute nourriture avant la Communion. Savez vous pourquoi, Madame ? Non, Mr., répondit-elle. Vous lui obéissez cependant, comme tous les autres fidéles, qui souvent n’en savent pas plus que vous là-dessus, & vous croiriez insulter à l’Eglise, en vous presentant à la Ste. Table avec des amis, après avoir sobrement bu & mangé avec eux. Pourquoi donc n’obéissez-vous pas à cette même Eglise, qui vous interdit les spectacles, fussent-ils même indifférens en eux mêmes ? 2°. N’est-ce pas un mal de se mettre dans une occasion prochaine de péché ? &c. 3°. Peut-on, sans péché, s’amuser à des œuvres de Satan &c &c ? Et après lui avoir détaillé tout ce qui a été dit depuis la pag. 45, jusqu’à 59 inclusivement.… Ah, Mr., me dit-elle, je vois que je n’avois cherché jusqu’à présent, qu’à me faire illusion. La désobéissance de ma fille, me fait sentir la mienne, son inconduite est l’effet des spectacles ; elle y a appris l’art de me mépriser, & de me tromper. Que n’ai je pas à me reprocher de l’y avoir conduite ! Mr. Lebrun avoit bien raison de dire, ajouta-t-elle…

Qu’à jamais le Théatre se ferme,
Les dogmes qu’il contient, les leçons qu’il renfermes,
Loin de nous corriger, de nous rendre meileurs,
Séduisent l’innocence, & corrompent les mœurs.

Pourquoi donc ne voulons-nous jamais devenir sages, qu’à nos propres dépens ? Une troisieme Dame, qui attendoit son tour avec beaucoup d’impatience, prit aussi-tôt la place de celle-ci.

Neuvieme objection.

MR., me dit-elle, voudriez-vous bien avoir la bonté de me dire, pourquoi l’Eglise a défendu les repas des prémiers Chrétiens avant la sainte Communion ?…

Madame, lui dis-je, c’est parcequ’ils étoient pour quelques-uns, un sujet de dissipation, & pour quelques autres, un sujet de gourmandise & d’ivrognerie. Satisfaite sur cette question, elle me fit aussi-tôt la suivante… Mon Confesseur, me dit-elle, m’est un garant, que chacun a sa maniere de voir, c’est un homme assurément très éclairé, & très-expérimenté. M’étant un jour confessée d’avoir été aux spectacles, il me demanda, si j’y avois fait du mal. Je lui répondis que non ; en conséquence, il me donna l’absolution ; je ne m’en confesse plus, & il ne m’en parle plus. Soutiendrez-vous encore après cela, ajouta-t-elle, que c’est un mal d’aller à la Comédie ?

Je pris d’abord la liberté de dire, que je voulois bien ne pas douter du fait, & sans ajouter que je trouvois la demande du Confesseur aussi pitoyable, que celle de la pénitente, je lui fis toucher au doigt, par les raisons rapportées pag. 52, 53 & 54. qu’un Confesseur exact, doit refuser l’absolution à tous ceux, qui, après avoir été suffisamment avertis, ne sont pas entiérement disposés à fuir les spectacles. Je veux, ajoutai-je, que Mr. votre Confesseur soit éclairé &c, mais toutes ses lumieres empêchent-elles que les preuves, que je viens de vous donner, ne soient décisives ? Tous les Curés de Paris, tous les Théologiens du monde Chrétien, tous les écrivains les plus célébres, tous les génies rares, tous les athlêtes du bon goût. Tous les Saints Peres, les Souverains Pontifes, & tous les Pasteurs de l’Eglise, sont-ils moins éclairés, que Mr. votre Confesseur ? Dieu a-t-il défendu à tous les autres d’être savans, pour communiquer toutes ses lumieres au vôtre ? j’ai aussi, moi, Madame, un Confesseur très-éclairé, & dont l’expérience est bien connue ; je suis bien assuré, qu’il vous refuseroit l’absolution, s’il ne vous trouvoit pas disposée à fuir entiérement les spectacles, & qu’il vous donneroit sa décision par écrit : ce que n’oseroit faire le vôtre &c comme pag. 55. Que vous en semble, abstraction faite de vos plaisirs, lequel des deux devroit mériter la préférence, indépendamment des autres raisons, qui condamnent la conduite du vôtre ?

Imaginez vous, Madame, que Mademoiselle, dont nous parlions, il n’y a qu’un moment, avoit été trouver son Confesseur, & s’étoit accusée d’avoir été plusieurs fois chez des personnes, dont Madame sa mere lui avoit interdit la compagnie. Interrogée si elle y avoit fait du mal, elle répondit que non ; en conséquence, elle eut l’absolution. Elle ne s’en confesse plus, quoiqu’elle aille toujours voir ces personnes, malgré la défense réitérée ; le Confesseur ne lui en parle plus. Soutiendrez-vous encore après cela, que ce soit un mal à cette Demoiselle, d’avoir commerce &c, malgré la défense de Madame sa mere ?

Un jeune homme s’est confessé d’avoir été dans un lieu de débauche, ce Confesseur complaisant lui demande, s’il y a fait du mal ? il lui dit que non, & il reçoit l’absolution. Il continue d’y aller, pour y rire & se délasser. Il ne s’en confesse plus, & le Confesseur ne lui en parle plus. Direz-vous après cela que ce soit un mal d’aller dans des lieux de débauche ?

Enfin, un autre se présente à lui, & s’accuse d’avoir trop bu au cabaret : interrogé s’il n’y a point fait de mal, & s’il n’a pas tapagé, il répond, qu’il n’y a jamais eu de dispute, & que c’est dans ce tems qu’il est plus gai… Il reçoit en conséquence l’absolution ; cet ivrogne ne se confesse plus de son ivrognerie. Le Confesseur ne lui en parle plus. Direz-vous après cela que ce soit un mal de trop boire, quand on a le vin bon ?

Que penseriez-vous, Madame, de Mademoiselle &c ? & des lumieres, ainsi que de l’expérience du Confesseur ? Quoi ! diriez-vous, parce que Mademoiselle a échappé au danger, que Madame sa mere appréhendoit pour elle, en est-elle moins coupable d’avoir désobéi ? & puisqu’elle continuoit de le faire, en étoit-elle moins dans une habitude de désobéissance ? en étoit-elle moins en conséquence, incapable d’absolution ? je veux, ajouteriez vous, que ce jeune homme n’ait pas été la victime de son étourderie ; mais en a-t-il moins péché, en se mettant dans l’occasion prochaine de le commettre, & a-t-il moins été un sujet de scandale à ceux qui ont été témoins de sa conduite ?

Soit enfin, que celui qui a le vin bon, péche moins en s’énivrant, que celui qui l’auroit mauvais ; mais cela empêche-t-il qu’il n’offense Dieu, en passant les bornes de la sobriété, & de la tempérance ? & le Confesseur, qui absoudroit cet ivrogne d’habitude, en feroit-il moins un sacrilège ? Faisons, Madame, l’application de ceci à votre raisonnement…

S’accuser d’avoir été de plein gré à la Comédie, c’est se confesser 1°. d’avoir désobéi à l’Eglise, 2°. de s’être mis dans une occasion prochaine de péché, 3°. de s’être amusé à des œuvres de satan ? &c &c voyez pag. 45 & suivantes, le Grand Bossuet pag. 29 & 30 de ses maximes ; & réflexions sur la Comédie. S’il n’y a là rien, dit-il, qu’il faille porter à la confession, hélas ! quel aveuglement faut-il qu’il y ait parmi les Chrétiens !… N’est-ce rien, que d’immoler des Chrétiennes à l’incontinence publique, d’une maniere plus dangéreuse, qu’on ne feroit dans les lieux qu’on n’ose nommer ? N’est-ce rien aux spectateurs de payer le luxe des Comédiennes, ces malheureuses Chrétiennes, d’entretenir leur corruption… D’aller apprendre d’elles, tout ce qu’il ne faudroit pas savoir ?

Un partisan des spectacles s’étant servi du nom d’un Religieux, pour dire, que ce n’est pas un mal d’aller aux spectacles, ajoute… Faloit-il donc prendre le nom d’un Prêtre, pour achever d’oter aux fidéles, le peu de componction qui reste encore dans le monde, pour tant de désordres ? Voyez pag. 57, 58 & 59. Cela n’est-il pas décisif ?…

Un vieux Chevalier fort instruit, voyant Madame interdite, soyons de bonne foi, lui dit-il… Ou vous n’avez pas compris ce que vous a dit votre Confesseur, ou quelqu’éclairé qu’il puisse être sur-tout autre sujet, c’est en celui-ci un aveugle, qui en dirige un autre. C’est un de ces guides, qui mettent, dit l’esprit St, des coussinets sous les coudes des pécheurs, & les conduisent à la perdition… Comme bien d’autres, vous avez cherché un Prophête complaisant, vous l’avez malheureusement trouvé ; qui vult decipi, decipiatur.

Ne cherchons donc plus, continua t-il avec Mr. l’Evêque d’Arras, ne cherchons plus, ni à nous tromper, ni des directeurs rélâchés, qui flattent sur cela la cupidité. Consultons notre conscience, & nous n’irons plus au Théatre. Je sais très-bien, ajouta-t-il, que chacun a sa maniere de voir ; par exemple, un avare ne voit pas les choses comme un prodigue, & celui qui n’est ni l’un ni l’autre, ne pense & ne voit ni comme l’avare, ni comme le prodigue ; mais cela veut-il dire, qu’il soit libre à chacun de voir & de penser, comme il juge à propos, sur les choses qui ne sont pas indifférentes ?.… Un jeune homme, qui a des principes & des mœurs, a une maniere de voir bien différente, de celui qui n’a ni réligion, ni mœurs… S’ensuit-il, qu’on puisse imiter celui-ci, & adopter sa maniere de voir ?… La Demoiselle, dont on a parlé, avoit une maniere de voir bien différente de celle de Madame sa mere, à l’égard de la compagnie, qui lui avoit été interdite. Direz-vous que cette Demoiselle soit innocente en désobéissant, en conséquence de sa maniere de voir ? Enfin un Confesseur ne peut, sans se rendre coupable de sacrilége, absoudre un pécheur d’habitude, sans l’avoir suffisamment éprouvé. Un pécheur, qui reçoit l’absolution dans cet état, généralement parlant, devient coupable d’un sacrilége, & il en fait un second, s’il approche de la Ste. Table, sans amendement, & conséquemment, sans une véritable contrition. Ubi emendatio nulla, ibi pœnitentia necessariò vana. Ces principes sont incontestables.

Cependant ces pécheurs, que l’Eglise & le bon sens font voir être incapables d’absolution, trouvent souvent des Confesseurs, qui la leur accordent. Il y a donc des Confesseurs, qui ont une maniere de voir différente ; mais sont-ils tous des fidéles dispensateurs des Sacremens, que J.C. leur a confiés ?… Ces Ambassadeurs infidéles passent les bornes du pouvoir, que J.C. leur a donné, pour la réconciliation des pécheurs. Ils vous disent, au nom de Dieu, je vous donne la vie. Ego te absolvo. Et dans le même moment, Dieu prononce une sentence de mort contre son indigne Ministre, & le prétendu innocent. Voilà, Madame, dit le brave Chevalier, ce qu’on a eu soin de me faire comprendre, en m’instruisant sur le Sacrement de Pénitence. Sans ces lumieres, j’aurois été souvent très-désireux de trouver ces Confesseurs commodes, qui mettent leurs pénitens fort à l’aise, en lès dispensant de se sauver. Au reste, ajouta-t-il, je connois des partisans du Théatre, qui ne mettent pas leurs Confesseurs en jeu. Quoi ! disent-ils, vous n’osez aller à la Comédie ? Que vous êtes simple ! Pour moi, j’y assiste fréquemment, & je ne m’en confesse point. Que pensez-vous de cette preuve, Madame ? Je ne m’accuse pas d’avoir été à la Comédie ; donc ce n’est pas un mal d’y aller. Je ne m’accuse point d’une haine invétérée ; donc la haine n’est pas un mal. Une jeune personne ne s’est point confessée d’un péché honteux ; donc il n’est point péché. Par ce prétendu raisonnement, ne feroit-on pas bientô : disparoitre tous les péchés du monde ? Malheur à ceux, qui approchent des Sacremens, avec des dispositions si contraires à celles que J.C. demande d’une ame pénitente ; croyez-vous, que quiconque se laisse prendre à de semblables piéges, donne une grande idée de son génie ?

Un jeune homme du nombre de ceux, qui ne doutant de rien, décident de tout en souverains, mit aussi son liard au jeu, & nous dit, avec autant de hardiesse que de confiance :

Dixieme objection.

EN vérité, Mrs. & Dames, je vous admire ! Vous vous escrimez sur le chapitre des spectacles, comme sur une chose sérieuse, & de la derniere conséquence. Vous ignorez donc que le Pape lui-même a ses Comédiens, & qu’il va tous les jours à la Comédie ?

Oui, Mr, lui répondis-je, je vous avoue que je l’ignorois ; mais ignorez-vous aussi, que le grand Turc a depuis dix ans, une chapelle Royale, & qu’il y entend tous les jours la messe ? Assurément, Mr, me dit-il en riant, ce fait est incroyable, & je ne comprens pas, comment une personne d’esprit comme vous, ose en faire mention.

Le vôtre répliquai-je, l’est assurément beaucoup plus, & je comprens encore moins, comment vous avez osé le hazarder, vis-à-vis de personnes, que vous respectez… Le Grand Turc a-t-il écrit depuis dix ans, qu’il ne va pas à la Ste Messe ? L’auroit-il peut-être fait annoncer par quelque écrivain ? & Mr. voudroit-il bien nous faire part de ses découvertes sur cet objet ? Ce fait, dites-vous, est un fait risible, & contre toute vrai semblance ; mais le vôtre est-il mieux appuyé ?. S’il avoit eu l’ombre de vrai-semblance, auroit-il échappé aux Comédiens & aux partisans des spectacles ? Quoi ! auroient-ils dit, les Papes défendent la Comédie, ils excommunient les Acteurs & Actrices, tandis qu’ils ont nos semblables auprès d’eux, & qu’ils assistent eux-mêmes à leurs représentations ! Voudriez-vous bien, Mr, nous indiquer un Comédien, un partisan du Théatre, un écrivain intéressé, qui ait fait mention de cette découverte & de ce fait ? C’en est un, que les Souverains Pontifes ont écrit, & fait écrire contre les spectacles. C’en est un autre, qu’ils ont excommunié & qu’ils excommunient encore les Comédiens. Voyez pag. 19 & 20. Il est donc plus incroyable, que les Souvérains Pontifes ayent des Comédiens, qu’il ne l’est, que le Grand Turc aille à la Messe. J’ajouterai, qu’il n’y a au plus, qu’un mensonge joyeux, à dire que le Grand Turc va tous les jours à la Messe ; mais qu’il est aussi indécent qu’injuste, de certifier l’éxistence de la Comédie & des Comédiens du Pape. Si la Comédie étoit même une chose indifférente, pourroient-ils la condamner, & y aller eux-mêmes, sans se rendre coupables d’inconséquence, & d’une injustice criante ? Nous ne devons calomnier personne, encore moins les Puissances Souveraines. Il est permis de dire quelque chose pour rire ; mais il n’est jamais du ton honnête, de le faire au dépens de la Réligion, du respect dû aux Souverains, & de la justice qu’éxigent de nous la raison, la politesse & le Christianisme… Si les spectacles sont mauvais, dit-on sans cesse, pourquoi le Pape les souffre-t-il ? Mais je vous le demande à mon tour, si les spectacles sont innocens, pourquoi les Papes les condamnent-ils &c &c ? Qu’on me réponde à cette question, j’ai déja répondu à la prémiere, pag. 98, 99 & 100. Un Souverain peut tolérer un désordre, pour en éviter un plus grand ; mais malheur au particulier qui profite de cette tolérence !

Un Monsieur plus âgé, & beaucoup plus réservé, ne trouvant pas expédient d’objecter des faits de cette nature, m’obligea à mettre fin à ma morale.

Onzieme objection.

POur moi, dit-il, je suis plus sincere, & j’avoue, qu’on prouve qu’on n’a rien de bon à dire, quand on est obligé de recourir à des faits, qui se détruisent d’eux-mêmes. D’ailleurs, quand même le Pape iroit à la Comédie, il s’ensuivroit, qu’il ne seroit pas ce qu’il enseigne ; mais cela ne prouveroit pas, qu’on puisse sans péché, aller à la Comédie. Aussi ne suis-je pas partisan de la Comédie, continua-t-il ; si j’y vais, ce n’est, que pour y trouver compagnie, & m’y délasser un moment.

Monsieur, lui dis-je, vous êtes sincere ; examinez les raisons, qui condamnent ceux qui vont aux spectacles ; elles sont également pour tous, & il est palpable, qu’elles ont la même force contre tous les spectateurs. Les Conciles, les Sts Peres &c &c n’ont connu aucune de ces distinctions, qu’on n’a inventées, que pour éluder l’autorité, & se faire une conscience à sa mode. De plus, Mr., si vous n’allez aux spectacles, que pour y trouver des personnes, avec qui vous puissiez lier conversation, d’où vient donc, que quand vous en sortez, vous êtes si bien instruit, de la façon dont tel Comédien a fait son rôle ? De la figure, & des dangéreux charmes de telle & telle Comédienne ? &c &c ? Pourquoi en avez-vous si bien retenu les gestes, le chant, & le ton ? &c Êtes-vous de fer &c ? Oseriez-vous vous entretenir familierement avec vos amis, tandis qu’on représente, ou tandis qu’on joue des instrumens ? Le souffriroit-on ? Le trouveriez-vous vous-même poli ? Iriez-vous, s’il n’y avoit point de spectacles, & ne préféreriez-vous point de vous délasser dans des lieux moins empestés & moins tumultueux &c &c ? Si vous aviez défendu à Mademoiselle votre fille, l’entrée de quelques maisons &c qu’elle y allât, sous prétexte d’y trouver une compagnie, pour s’y délasser &c, vous contenteriez-vous de cette monnoie ? N’auriez-vous rien à lui répliquer ? Faites vous-même, Mr., l’application à l’objet présent.

Douzieme ocjection.

MAis, Mr, reprit-il, si les Comédiens font mal, tant pire pour eux. Que j’aille à la Comédie, ou que je n’y aille pas, ne représentera-t-on pas toujours ? Ce n’est donc pas pour moi, qu’on donne la Comédie, je ne suis donc pas coupable en y allant.

Mais, Mr, lui dis-je, si l’on vous refusoit l’entrée à la Comédie, & si l’on ajoutoit que ce n’est pas pour vous, qu’on joue : ne répondriez-vous pas, qu’on joue pour vous, comme pour les autres, qu’ils n’y ont pas plus de droit que vous, & que vous l’avez acheté comme eux ? Les spectacles se donnent sans exception, pour tous ceux qui forment & augmentent l’assemblée des spectateurs … & pour tous ceux, qui payent le droit d’y assister … Faites votre devoir, n’y paroissez plus … Que le plus grand nombre en fassent de même ; le Théatre sera bientôt abandonné…

Vous sçavez, que dans telles & telles compagnies, on n’entend que des sarcasmes contre la Réligion, & contre ceux, qui se font gloire d’en avoir ; vous n’ignorez pas, qu’on y tient sans cesse, des propos de la derniere indécence, & qu’on n’y chante que des chansons équivoques &c. Vous y allez de plein gré. Direz-vous, que vous pouvez vous y présenter sans péché ? Cependant tant pire pour ces compagnies : que vous y ailiez, ou que vous n’y ailiez pas, ces désordres n’auront pas moins leur cours. Cela est juste, reprit une Dame.

Treizieme objection.

MAis, me dit-elle, si la Comédie est un si grand mal, pourquoi donc y voit-on habituellement, des personnes très-regulières, & qui communient souvent ?

Mais, Madame, combien de personnes, dont la conduite nous paroit fort regulière, & qui, devant Dieu, sont jugées dignes des supplices éternelles ? Est via, quœ videtur homini recta, abominatio est ante Deum.

Mais si la médisance est un si grand mal, pourquoi donc bien des personnes réguliéres, & qui communient souvent, médisent-elles encore plus fréquemment ?

Rien n’étoit, en apparence, plus régulier, que la conduite de Dérues, on croyoit voir en lui la probité personnifiée ; Dérues, ce malheureux Dérues, communioit tous les jours, tandis qu’il formoit, & qu’il exécutoit le noir projet d’empoisonner la mere & l’enfant. En conclurez-vous, que l’empoisement n’est pas un si grand mal ? Non, non, Madame, les communions fréquentes ne sont pas toujours la preuve d’une piété solide, elles supposent les dispositions réquises ; celui qui les a, reçoit, en communiant, le gage précieux de la glorieuse immortalité : vivet in æternum : mais celui qui, se faisant une morale à sa guise, & une piété à sa mode, ose s’approcher de la table sainte ; il n’est pas douteux, qu’il n’y avale son jugement, & qu’il ne s’y incorpore sa propre condamnation : judicium sibi manducat & bibit. Plût à Dieu que le nombre des sacriléges fût moins considérable ! dit l’Apôtre St Paul. Ce n’est donc pas seulement la fréquente communion, qui sanctifie ; mais la digne & fréquente communion. Ce n’est point avoir la Foi, que de croire toutes les vérités révélées, à l’exception d’une seule. Ce n’est point être juste, que d’observer toutes les loix, à l’exception d’une. Et ce n’est pas être innocent, que de fuir tous les vices, à la réserve d’un seul : qui peccat in uno, factus est omnium reus.

Une ame vraiment chrétienne, ne passe pas une bonne partie de sa vie, dans la recherche de ses aises, dans le jeu, & dans les parties de plaisirs ; mais attentive aux oracles de J. C. même, elle se souvient, que, pour être sauvé, il faut travailler sans cesse, à la mortification de ses sens, porter sa croix tous les jours, & vivre de la vie de la foi… Abneget semet ipsum, tollat crucem suam quotidie &c & heureusement occupée de ces vérités, elle travaille sans relâche, à mériter par ses bonnes œuvres, la couronne qui n’est promise qu’à la persévérance : satagite &c contendite &c.

Une personne réellement pieuse, ne s’accommode point de mille frivolités, & d’une vie, dont la principale occupation est de n’en avoir aucune, & dont la plus grande inquiétude est d’imaginer, à quoi on pourra tuer le tems ; passez moi le terme ; mais touchée de ses infidélités passées, elle profite avec empressement, de tous les instans présens, pour racheter ceux qu’elle a malheureusement perdus, ou criminellement employés : redimentes tempus, quoniam dies mali sunt. Plus occupée de plaire à Dieu qu’au monde, elle n’est ni idolatre de sa figure, ni esclave d’une parure &c, dont on fait étalage, même dans le lieu Saint. Ses plus cheres délices sont, de remplir avec édification, tous les dévoirs, que l’aimable sévérité de l’Evangile lui impose, & de témoigner à son Créateur, les sentimens d’amour, de reconnoissance & de respect, qui lui sont dus. Reconnoissez-vous à ces traits beaucoup de ces personnes, dont on voudroit ici réaliser la vertu, & canoniser la conduite ?

Cette objection a été proposée en 1694. Voici ce qu’y répond le grand Bossuet, dans ses Maximes & Réfléxions &c. pag. 40., 41., 42 & 43. En parlant de ces gens de probité, qui communient souvent, & qui cependant vont aux spectacles … « Que je crains, dit-il, que leur probité ne soit celle des sages du monde, qui ne savent s’ils sont Chrétiens ou non, & qui s’imaginent avoir rempli tous les devoirs de la vertu, lorsqu’ils vivent en gens d’honneur, sans tromper personne, pendant qu’ils se trompent eux-mêmes, en donnant tout à leurs plaisirs ! »

« Ce sont de tels sages, à qui J. C. déclara, que les secrets de son Royaume sont cachés : ce sont des gens invulnérables, qui peuvent passer des jours entiers, à entendre des chants & des vers passionnés & tendres, sans en être émus : & des gens d’une si éminente vertu, ajoute-t il, n’écoutent pas ce que dit St. Paul : que celui qui croit être ferme, craigne de tomber : ils ignorent que, quand ils seroient tellement à tout épreuve, qu’ils n’auroient rien à craindre pour eux-mêmes, ils auroient encore à craindre le scandale, qu’ils donnent aux autres, selon ce que dit ce même Apôtre : pourquoi scandalisez vous votre frere infirme ? Ne perdez point, par votre exemple, celui, pour qui J. C. est mort. »

« Ils ne savent pas même, ce que prononce le même St. Paul. Que ceux qui consentent à un mal, y participent. Que je crains encore une fois, qu’ils ne soient de ces scrupuleux, qui coulent le Moucheron, & qui avalent le Chameau ; ou que l’Auteur ne nous fasse des vertueux à sa mode, qui croient pouvoir être ensemble au monde & à Jesus-Christ. »

Je fis ensuite un petit résumé de ce qui avoit été dit à la premiere objection, pag. 62 &c. à la quatrieme, pag. 98 &c. à la sixieme, pag. 105, à la huitieme, pag. 110 &c, en un mot il peut se faire que l’on communie souvent, sans être vertueux ; mais on ne peut goûter des plaisirs illicites, sans être coupable.

Quatorzieme objection.

C’Est en vain, Mr., me dit une autre, oui c’est en vain, qu’on prêche, & qu’on déclame contre les spectacles, on ne cessera pas pour cela d’y aller.

Oui, Madame, répondis-je, c’est en vain que la charité de J. C. nous presse, & nous sollicite au bien, on ne cessera pas d’y être insensible. C’est en vain qu’on prêche contre la médisance, contre la fornication, contre le jurement, contre la friponerie &c. &c. on ne cessera pas de pécher &c. &c. La résistance à la grace cessera-t-elle d’être un péché, parce qu’on en abusera jusqu’à la fin ? Et parce que l’on continuera de médire, de jurer &c cessera-t-on d’être coupable ? Les Ministres du Seigneur feront toujours leurs devoirs, en levant la voix contre les prévaricateurs ; & ceux qui feront la sourde oreille, éprouveront la justice d’un Dieu, dont ils auront negligé les avis, & méprisé les ordres. Il faut avoir bien peu de choses à dire, pour proposer des objections de cette espece ! Enfin la derniere, plus par envie de s’instruire, que de disputer, proposa d’abord la

Quinzieme objection.

PArmi les piéces de Théatre, dit-elle, il en est de saintes ou honnêtes, on m’avertit quand on doit les représenter, est-ce donc un mal aussi d’y assister ?

Madame, lui répondis-je, il y a plus de trois cens ans, que St. Antonin a satisfait à cette demande, il décide formellement à l’endroit cité pag. 9 … qu’on doit abandonner les Comédiens, & fuir leurs représentations, quoiqu’elles soient quelques fois honnêtes. Cùm histriones utantur indifferenter tali exercitatione ad representandum etiam turpia… Peccatum est talia aspicere &c. Deplus, je ne connois que deux ou trois piéces au plus, qu’on puisse regarder comme honnêtes, tant pour la morale, que pour le caractére ; mais… Ces piéces dit le Comte de Valmon tom. 2. pag. 80, se trouvent comme dénaturées, lorsqu’elles sont représentées par des organes, qui sont habituellement ceux de la volupté. Ce qu’il y a de plus pur , dit-il, se trouve en contraste avec le mœurs de ceux qui les représentent, s’altére en quelque sorte, par les jeux des Acteurs, & devient nuisible par les idées qu’ils font naître  : & comment des Actrices, toutes dévouées à la volupté, dit Mr. de Boissy, ne l’inspireroient-elles pas ?

Le Sanctuaire & le Théatre sont des objets absolument inalliables, dit Mr. Gresset en 1759.

Tout ce qui est régulier & sage, auroit je ne sais quoi, de froid sur le Théatre, dit Mr. de Fontenelle.

La Réligion elle-même n’y est traitée, sur tout aujourd’hui, qu’avec indécence ; tout y est sacrifié au jeu des passions, dit encore le Comte de Valmont pag. 97 & 98.

« Le Théatre, dit Mr. de St. Evrémont, paroit toujours à la plupart des spectateurs, perdre de son agrément dans la représentation des choses Saintes, & les Saintes perdent du respect qu’on leur doit, quand on les représente sur le Théatre. » Dans ses œuvres tom. 3. Aussi Athalie & Esther, ces deux chefs-d’œuvre de Racine, n’ont-ils été dabord régardés par le Public, que comme des sujets de dévotion propres à amuser des enfans. On s’étoit tellement prévenu contre ces deux piéces, que Despréaux fut presque le seul, qui en prît la défense ; & si enfin elles eurent du succès sur le Théatre, c’est au Duc d’Orleans, & aux circonstances, qu’il faut l’attribuer. Tant il est vrai, que le Saint & l’honnête ne font pas fortune au Théatre. Voyez Mr. de Boissy tom. I. pag. 338 & 339. Qu’on se rappelle encore ici, ce qui a été dit pag. 88 & 89.

D’ailleurs, au commencement de la Tragédie la plus pure, n’y a-t-il pas un Prologue, qui quelquefois ne l’est gueres ? Et la petite piéce, qu’on donne à la fin, n’est-elle pas ordinairement infame ? C’est la réflexion du Poëte de mœurs, tom. 3. pag. 212. C’est celle du Comte de Valmont tom. 2. pag. 80. C’est celle de Mr. de Pompignan, dans sa lettre à Racine. « On vient, dit-il, de jouer Polieucte, le Théatre change ; on joue l’école des Maris : en est-ce une d’amour conjugal ? Et cette satyre du mariage achevera-t-elle les beaux sentimens, que la vertu de Pauline avoit commencé d’inspirer ? »

« On vient de représenter Athalie… Les violons jouent, George Dandin paroit ; & dans le même lieu, où étoit le Temple de Jerusalem, je vois le rendez-vous nocturne d’un jeune homme avec une femme mariée. Je voudrois savoir, si les effets de ces différens contrastes peuvent jamais tourner au profit de la Réligion & des mœurs ? »

Non, dit l’Auteur du Mimographe, ou idée d’une femme honnête« Un Chrétien ne peut se dissimuler, que la représentation d’Athalie & de Polieucte, est viciée sur les Théatres actuels. » C’est un partisan du Théatre, qui s’exprime ainsi, en 1770. C’est aussi l’idée de l’Auteur de la réponse à la Préface de Judith. « D’ailleurs, dit-il, la plupart des piéces Saintes, ne le sont, que par le nom, & la liberté que se donnent toujours les auteurs d’ajouter à la vérité historique, les incidens propres à amuser les spectateurs, en fait des Drames doublement scandaleux ; comme dans la Tragédie de Judith, on a inventé l’intrigue de Mizaël. » Et quelque égayée que fût cette piéce par les intrigues de l’amour profane, après avoir été applaudie pendant un Caréme, elle fut sifflée à la rentrée d’après Pâques.

De pareils sujets, dit Madame de Sévigné, ne conviennent point à de tels Acteurs. Voyez le Compte de Valmont, tom. 2. pag. 100 & 101. Les sentimens, qui seroient les plus corrects sur le papier, dit Riccoboni, changent de nature, en passant par la bouche des Acteurs, & deviennent criminels par les idées corrompues qu’ils sont naitre dans l’esprit du spectateur, même le plus indifférent. Qu’on se souvienne, que c’est un fameux Comédien qui parle.

Enfin, Madame, une personne respectacle m’ayant dit, il y a peu de tems, qu’elle n’avoit été que deux fois à la Comédie, & qu’avant d’y paroitre, elle avoit eu soin de s’informer des piéces qu’on devoit représenter ces jours là ; qu’y avez-vous appris ? lui ai-je dit à mon tour, on vous avoit annoncé ces piéces, comme bien épurées &c, qu’en pensez-vous vous-même ? Je ne puis vous le dissimuler, m’a-t-elle répondu, j’y ai entendu bien des équivoques, qui m’ont fait peine.

Qu’on se familiarise donc moins avec ces termes enveloppés, & finement gazés, qu’on ne contracte plus l’habitude de rire de ces faillies à la mode, de ces paroles à double sens, si opposées à l’esprit du Christianisme, on s’appercevra bientôt, qu’on ne peut revenir du Théatre comme on y étoit allé ; que la meilleure piéce en un sens, est en un autre sens, la plus mauvaise, & qu’une personne, qui aime son salut, ne doit pas aller à ces sortes de piéces. Voyez le Célébre d’Aguesseau. Voyez aussi le Poëte des mœurs, tom. 3. pag. 216. Je ne puis passer ici sous silence, un fait non moins frappant, que tout ce que j’ai eu l’honneur de vous mettre sous les yeux.

Un Chirugien Major d’un Regiment Suisse, en garnison dans cette Ville, il y a 6 ans, avoit un garçon agé de 12 ou 13 ans. Je ne sais par quel motif, il lui ordonna d’aller aux spectacles. Le jeune homme n’y fut que par force ; mais rien ne lui échappa pendant la piéce. Quelques jours après, se trouvant en compagnie avec Mr. son pere, il s’oublia un peu. Mr. son pere, qui s’en apperçut, voulut lui faire sentir sa faute ; mais ce fils, auparavant si obéissant & si respectueux, reçut fort mal la reprimande de Mr. son pere. Celui-ci offensé, lui dit, Mr. savez-vous que je suis votre pere ? Mon pere ? repliqua-t-il aussi-tôt. Il n’y a plus de pere, ce sont des tryans. C’est la leçon qu’il avoit apprise à la Comédie du pere de famille. C’est cependant une piéce, dont nos Dames sont enthousiasmées. Ce pere affligé de la faute de son fils, ne le fut pas moins d’en avoir été la cause, & ne put retenir ses larmes. Permettez qu’à ce fait j’en ajoute un autre, encore plus récent, arrivé aussi dans la même Ville !…

Un jeune pere de famille touchant à son dernier moment, fait appeler son épouse ; & après lui avoir fait les derniers adieux, je n’ai qu’une grace, lui dit-il, à vous demander : ne permettez jamais que mes enfans aillent aux spectacles. Plût à Dieu que je n’y eusse jamais mis les pieds ! L’épouse est encore en vie, ainsi que les témoins de ce triste aveu. Ceci peut servir d’instruction à bien des peres & meres, qui répondront à Dieu de la perte de leurs enfans.

La Dame fut attendrie à ce récit, & Mr. son mari prenant sa place, me dit : mais enfin, Mr.

Seizieme objection.

PLusieurs personnes n’aiment pas le jeu, la promenade les ennuye, les assemblées leur sont insipides : rien ne les amuse que les spectacles ; ne leur sera-t-il pas au moins permis d’y aller de tems en tems, pour y trouver un délassement ?

Voici quelles ont été mes réponses. Le délassement dabord n’est que pour ceux qui se sont au moins un peu sérieusement occupés, le fainéant, & les faiseurs de riens n’ont aucun droit au délassement. Or, quelles sont les occupations du grand nombre de ceux qui courent habituellement aux spectacles ? Quelles sont les personnes qu’on se propose d’y amuser ? Dit J. J. Rousseau. Ce sont prémierement, des gens désœuvrés, dont l’imagination est dépravée par l’oisiveté, la fainéantise, & l’amour du plaisir. Ce sont des gens, dont les journées sont en grand partie, employées à la toilette, & le reste à parler de pompons, de falbalats, de coeffures &c &c. Ce sont en second lieu, comme tout le monde en convient, des gens corrompus, qu’il faut empêcher de mal faire. Le délassement est-il bien nécessaire ? je dis plus ; est-il même permis à de semblables Chrétiens ? Est-ce d’ailleurs un délassement, de se renfermer pendant plusieurs heures, dans une sale empestée par les bougies & par des haleines, dont beaucoup ne doivent pas être des plus saines ?

J’avoue, dit Mr. l’Archevêque de Lyon, dans son Mandement de 1770… « J’avoue, qu’il est des plaisirs innocens & permis, des délassemens, dont la Réligion regle l’usage ; mais quand est-ce, qu’ils sont avoués par cette Réligion sainte ? C’est lorsqu’ils ne sont ni dangéreux, ni excessifs. » Or, peut-on appliquer ces caractéres à des spectacles absolument Illicites, & criminels ? Law. Collier Conférences d’Angers. &c. &c.

1°. Illicites & criminels, parce que l’Eglise les a toujours regardés avec abomination, & que son intention a toujours été, d’en détourner les fidéles. Fléchier, de Rochechouart, le Cardinal le Camus, le Rituel de Toulon &c. &c.

2°. Illicites & criminels, parce que les Sts Peres les ont toujours regardés comme ennemis des bonnes mœurs, & qu’ils ont sévérement condamné l’esprit qui y méne, & les spectateurs qui y prennent plaisir, comme coupables des crimes qui y sont représentés. Rituel de Toulon &c. &c.

3°. Illicites & criminels, parce que tous les Théologiens, même les plus relâches, les condamnent. & décident unanimement avec St. Thomas, que les laïcs mêmes se rendent coupables de péché, en y assistant. Benoit XIV &c. &c.

4°. Illicites & criminels, parcequ’on y prodigue à d’impertinentes récréations, un tems toujours très-précieux. St. François de Sales.

5°. Illicites & criminels, parce qu’on ne peut offrir à Dieu tout ce qui s’y fait. Parce que ce sont des œuvres de Satan. Rituel de Toulon &c., Bossuet, Fléchier &c.

6°. Illicites & criminels, parce qu’ils nous mettent en péril de nous déranger, & qu’en y assistant, on s’expose au danger de commettre les fautes les plus graves. Parce qu’ils sont un poison, & un moyen dangéreux de s’instruire. St. François de Sales, Benoit XIV. Bossuet, Armand de Bourbon, de Clermont Tonnerre, Evêque de Noyon, Dalembert. Tout n’y est qu’un poison préparé. Didatus, dans son commentaire sur St. Thomas, page 546.

7°. Illicites & criminels, parce que les plus honnêtes attaquent secrettement la pudeur, & qu’elle y est toujours offensée, ou toujours en crainte d’être violée par les expressions les plus impudentes. Bossuet.

8°. Illicites & criminels, parce que ce ne sont que des intrigues d’amour, qu’une coquetterie perpétuelle, & que tout y prêche le plaisir de la galanterie. Fénélon, Voltaire, J. J Rousseau, Nougaret, Simonet, de la Placette &c.

9°. Illicites & criminels, parce qu’ils sont féconds en mauvais exemples ; parce qu’ils sont la cause de la corruption des mœurs parmi la jeunesse ; parce qu’on y renforce les maximes les plus pernicieuses, & que les enfans, dans un age encore tendre, y commencent à se familiariser avec le vice. Bossuet, Fléchier, d’Aguesseau, le Cardinal de Malines, l’Athlête du bon goût, Riccoboni, J. J. Rousseau, le Prince de Marsillac, Mr. l’Avocat Séguier, dans son réquisitoire du 18 Avril 1770, imprimé par ordre du Roi, le Cardinal Delci &c, les Curés de Paris, en 1779.

10°. Illicites & criminels, parcequ’ils sont la source de toute sorte de péchés, & une vive école des passions. Le Cardinal le Camus, Houdart de la Motte, Nougaret &c.

11°. Illicites & criminels, parce qu’on n’y fait la Cour qu’au plus fort, c’est-à dire, aux gens dont le cœur est gâté. J. J. Rousseau, Nougaret, d’Arnaud.

12°.Illicites & criminels, parce qu’ils réveillent en l’ame, mille sortes de mauvaises affections. St. François de Sales.

13°. Parce qu’ils nuisent aux forts, aux foibles, & à ceux qui tiennent le milieu. Le Cardinal d’Aguirre.

14°. Illicites & criminels, parce qu’ils ne sont destinés qu’à rèmuer & enflammer les passions corrompues, de l’aveu même des plus zélés partisans du Théatre. Poëte des mœurs, tom. 3. pag. 212. J. J. Rousseau, Fénélon &c, & tous les Saints Peres.

Or, dit Mr. le Batteux, dans une dissertation favante, qui occupa l’Académie en 1770, est-il utile, en bonne morale, d’enflammer ainsi des passions par amusement, & d’arroser des plantes, qu’il faudroit laisser sécher ?

15°. Illicites & criminels, parce qu’on y offense la vertu des uns, & qu’on y corrompt celle des autres. M. l’Evêque de Montpellier, & Fléchier.

16°.Illicites & criminels, parce que le sexe, qui devroit avoir le plus de pudeur, n’y est occupé qu’à détruire celle de l’autre. M. de Rochechouart.

17°. Illicites & criminels, parce que ce sont des œuvres de ténèbres, auxquelles on ne peut assister sans scandale. Bossuet, Fléchier, Gresset. Plus les mœurs d’une personne sont pures, dit le Comte de Valmont, tom. 2. pag. 84 ; plus sa piété partout ailleurs est édifiante, plus aussi elle devient un sujet de scandale… dans ces lieux dangéreux.

18°. Illicites & criminels, parce qu’ils flattent la corruption du cœur, étouffent peu à peu les remords de la conscience, effaçant insensiblement la pudeur. D’Aguesseau.

19°.Illicites & criminels, parcequ’il est palpable qu’on ne peut y aller, sans se rendre coupable, & qu’on y applaudit à des piéces, que les Comédiens ne peuvent représenter, sans un mépris énorme des Loix Ecclésiastiques. Benoit XIV., Delmonaco.

20°. Illicités & criminels, parce que ceux qui y vont de plein gré, contribuent à entretenir des freres, dans un état habituel de damnation, & qu’on ne peut contribuer, ni par argent, ni autrement, à l’entretien de ces malheureux, sans partager le mal qu’ils causent & qu’ils font. Bossuet, de Rochechouart, de Pompignan.

21°. Illicites & criminels, parce que les hommes les plus célébres de la nation, les génies les plus rares &c. &c., les ont abjurés, détestés & baignés de leurs larmes, & en ont fait la matiere de leur pénitence. Comme Racine, Corneille, Quinault, Houdart de la Motte, Gresset &c. &c.

22°. Illicites & criminels, parce que par les exemples des Cléopatres, des Phedres, &c. &c. on y apprend aux femmes & aux filles à ne plus rougir. d’Aguesseau.

23°. Illicites & criminels, parce qu’on n’y enseigne que l’ambition ; l’amour & les fureurs sont des passions dignes des grands cœurs ; comme dans Messala à Titus.

24°. Illicites & criminels, parce qu’on y remplit encore nos Théatres des équivoques les plus grossiéres. Comme dans les piéces de Moliere, dit Mr. Bossuet.

25°. Illicites & criminels, parce qu’on y apprend aux femmes à tromper leurs maris. Comme dans George Dandin.

26°. Illicites & criminels, parce qu’on y loue le crime, & qu’on y met sous les yeux des spectateurs, l’intrigue la plus licencieuse, & la passion la plus criminelle. Comme dans l’Amphitryon, dit J. J. Rousseau.

27°. Illicites &c., parce que, sous prétexte de blamer l’hypocrisie, on introduit un fourbe, dont l’intrigue, les maximes & les démarches, de l’aveu même des sectateurs de Moliere, sont dangéreuses à tous égards ; comme dans le Tartuffe. J.J. Rousseau.

28°. Illicites &c., parce qu’on y joue la vertu, de la maniere la plus indécente ; comme dans le Misantrope.

29°. Illicites &c, parce qu’on y accuse le Ciel, de punir des crimes, qu’il fait commettre aux hommes, qu’on prétend même n’être pas libres ; comme dans Phedre & dans Œdipe.

30°. Illicites &c, parce qu’on s’y étudie à ridiculiser les Dogmes de la Réligion, & à détruire les pratiques de piété les plus respectables de l’Eglise ; comme dans Mahomet.

31°. Illicites &c. ; parce qu’on y accrédite, & qu’on y loue l’exercice inhumain des duels, & qu’on s’y fait une vertu, d’une brutalité : comme dans le Cid de Corneille.

32°. Illicites &c, parce qu’on y donne comme un devoir, l’horrible & exécrable doctrine du Suicide : comme dans le personnage de Merope.

33°. Illicites &c ; parce qu’on y tourne en dérision, les droits les plus sacrés des peres & meres sur leurs enfants, des maîtres sur leurs serviteurs à voler, à mépriser leurs parens & leurs maîtres, & à s’en moquer, avec la plus indigne insolence : comme dans l’Avare, dans l’Usurier &c.

34°. Illicites &c ; parce qu’on y invite la jeunesse, à se laisser entrainer au malheureux penchant de ses passions, à imiter la brutalité des animaux, & à envier leur sort : comme dans les piéces de Quinault, où il est dit ;

Aimable jeunesse,
Suivez la tendresse.
Laissez-vous apprendre,
Quels sont ses plaisirs…
Les oiseaux vivent sans contrainte,
En amour, ils sont tous
Moins bêtes que nous.

Telles sont, Mr., les piéces de nos jours, les piéces les plus recherchées, & les plus à la mode. Tels sont les spectacles, qu’il n’a jamais été possible d’empêcher de nuire aux mœurs. 1 Tels sont enfin ces jeux, qu’on affecte de rendre criminels, bien loin de songer à les rendre utiles.2 Et les pompes du Démon, auquel nous avons renoncé par le Baptême.3 Demanderez-vous encore, s’il n’est pas permis à un fidèle, d’aller y chercher un divertissement ? Non, non, ce ne sont point des divertissemens, ce sont des sources de crimes, ce sont des meurtres, 4 des amusements coupables, de faux & malheureux plaisirs, & un infaillible moyen de rendre la séduction plus certaine & plus prompte.5

« Combien donc se rendent coupables, des peres foibles, des meres imprudentes, & des guides, indignes de l’être, qui, en y conduisant leurs enfans, leur présentent eux-mêmes la coupe empoisonnée du plaisir & de la volupté ! Hélas ! n’y boiront-ils pas assez tôt sans eux ? Leurs passions ne s’éveilleront-elles pas assez d’elles-mêmes ? Faut-il encore les faire naître d’avance, ou les irriter ? Sont-elles donc leur mere pour aider à les séduire »6

« Quel jugement terrible n’auront pas à craindre dans leurs derniers momens, les peres & meres, qui, par leur exemple, auront inspiré à leurs enfans le goût & l’amour du Théatre ! Obligés encore plus que les autres à s’interdire la fréquentation des spectacles… ne se rendent-ils pas coupables devant Dieu, de toutes les suites, qu’elle peut avoir, à l’égard de leurs enfans ? Et n’est-ce pas sur eux principalement, que tombe la malédiction lancée par J. C., contre ceux qui sont une occasion de chûte pour les petits & pour les foibles ? 1

Je conçois bien, Mr., ajoutai-je, que cette morale vous trouble, & vous contrarie à l’excès. Durus est hic sermo. Dans St. Jean Chap. 6. v. 61. Mais si cette doctrine vous paroit si désagréable, trouverez-vous plus doux l’oracle sorti de la bouche de J. C. même ? Malheur à vous, qui êtes esclaves de vos plaisirs : Væ vobis, qui ridetis. Et s’il vous est si dur d’être arraché à un plaisir fugitif, que seroit-ce donc d’entendre la sentence, qui exclura pour toujours du vrai bonheur, ceux qui lui auront préféré les fausses délices de la terre ? Discedite à me maledicti &c.

Conclusion.

VOilà donc les spectacles condamnés, & réprouvés par les Conciles d’Orient & d’Occident, par tous les Saints Peres, depuis la naissance de l’Eglise, jusqu’à nos jours ; par les Souverains Pontifes, & en particulier, par Benoit XIV. Par tous les statuts, les Rituels, & toutes les Ordonnances des différens Diocéses du monde Catholique. Par la décision unanime des Théologiens François, Italiens, Espagnols &c. Par le prémier Parlement de France. Par les écrivains les plus célébres, & dont on ne peut récuser l’autorité : par les ennemis mêmes de l’Eglise : par les Auteurs mêmes intéressés à soutenir leur cause : par les génies les plus rares, & qui feront à jamais, l’honneur de la France. Enfin, par les raisons mêmes, dont les partisans de la Comédie se servent pour l’innocenter.

En faut-il davantage, pour confondre ceux-ci, & leur fermer la bouche ? Je sens bien avec St. Augustin, (L. conf. 10 c. 23, ) que les idoles du monde, & les victimes de ses faux plaisirs, n’aiment pas les lumieres, qui leur en découvrent les dangers : oderunt redarguentem. Je sais par expérience, ce que dit S. Jerome : qu’on offense souvent ceux dont on condamne les penchans, & dont on demande des sacrifices nécessaires : offendit omne, quod nolumus. In Epist. ad gal. C. 4.

Je n’ignore pas enfin, que c’est encourir la disgrace, même du plus grand nombre de ce qu’on appelle poli & honnête, que d’exposer au grand jour, des vérités qui ne sont pas de leur goût : inimicus vobis factus sum verum dicens. Gal. 4. v 16.

C’est ce qu’à dit S. Augustin en pareil cas, sermon 383… Quibus consulendo videor onerosus, quorum requirens utilitatem, cogor offendere voluntatem. Quoi ! Ajoute ce St. Docteur, le desir que j’ai de votre salut, doit-il donc être le sujet de votre indignation ? Mihi indignaris qui se sanum fieri cupio. N’est-ce pas contre ceux qui vous séduisent, que vous devez vous armer d’une sainte colere ? ou plutôt, n’est-ce pas contre vous même ? Mira perversitas ! medicanti irascitur, qui non irascitur sagittanti. Tu inimicus est medico, ego morbo. Tu diligentiæ meæ, ego pestilentiæ tuæ.

Quoiqu’il en soit, je ne cesserai de leur dire avec le Grand Bossuet : « Qui que vous soyez, qui plaidez la cause des Théatres, vous n’éviterez pas le jugement de Dieu. Cessez, cessez de soutenir ce genre d’amusement, où la vertu & la piété sont toujours ridicules, la corruption toujours excusée &c. »

Et si je n’ai pas la consolation de diminuer le nombre des aveugles volontaires, dont parle le Célèbre Fénélon, je suis fondé à esperer celle de désabuser ceux qui sont encore plus zélés pour le salut éternelle de leur ame, que pour des plaisirs passagers & toujours dangéreux. Effrayés de leurs suites malheureusement trop fécondes, ils diront & penseront comme Racine.

Ainsi quoiqu’à mes yeux le Théatre ait des charmes,
Je suis & ne veux point me préparer des larmes.

J’ai l’honneur d’être &c.