X.
Dieu ne demande proprement des hommes que leur amour ; mais aussi il le demande tout
entier. Il n'y veut point de partage. Et comme il est leur souverain bien, il ne veut
pas qu'ils s'attachent
ailleurs, ni qu'ils trouvent leur repos dans aucune
autre créature, parce que nulle créature n'est leur fin. La plénitude de la charité que
nous devons à Dieu, dit Saint Augustin, ne permet pas que l'on en laisse couler
au-dehors aucun ruisseau, « nullum rivum duci extra patitur
». C'est
pourquoi quelque honnêteté qu'on se puisse imaginer dans l'amour d'une créature
mortelle, cet amour est toujours vicieux et illégitime, lorsqu'il ne naît pas de l'amour
de Dieu ; et il n'en peut naître lorsque c'est un amour de passion et d'attache, qui
nous fait trouver notre joie et notre plaisir dans cette créature. Un Chrétien qui sait
ce qu'il doit à Dieu ne doit point souffrir▶ dans son cœur aucun mouvement, ni aucune
attache de cette sorte sans la condamner, sans en gémir, et sans demander à Dieu d'en
être délivré : et il doit avoir une extrême horreur d'être lui-même l'objet de l'attache
et de la passion de quelque autre personne, et d'être ainsi en quelque façon son idole,
puisque l'amour est un culte qui n'est dû qu'à Dieu, comme il ne peut être honoré que
par l'amour. « Nec colitur nisi amando.
» C'est ce qui fait voir qu'il y
a une infinité de femmes qui se croient innocentes, parce qu'elles ont en effet quelque
horreur des vices grossiers, et qui ne laissent pas d'être très criminelles devant Dieu,
parce qu'elles sont bien aises de tenir dans le cœur des hommes une place qui
n'appartient qu'à Dieu seul, en
prenant plaisir d'être l'objet de leur
passion. Elles sont bien aises qu'on s'attache à elles, qu'on les regarde avec des
sentiments, non seulement d'estime, mais de tendresse ; et elles ◀souffrent sans peine
qu'on le leur témoigne par ce langage profane que l'on appelle cajolerie, qui est
l'interprète des passions, et qui dans la vérité est une sacrilège idolâtrie. C'est
pourquoi quelque soin que l'on prenne de séparer de la Comédie et des Romans ces images
de dérèglements honteux, l'on n'en ôtera jamais le danger, puisque l'on y voit toujours
une vive représentation de cette attache passionnée des hommes envers les femmes, qui ne
peut être innocente; et que l'on n'empêchera jamais que les femmes ne se remplissent de
l'objet du plaisir qu'il y a d'être aimées et d'être adorées d'un homme ; ce qui n'est
pas moins dangereux ni moins contagieux pour elles que les images des désordres visibles
et criminels.