(1667) Traité de la comédie « Traité de la comédie — X.  » pp. 464-465
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(1667) Traité de la comédie « Traité de la comédie — X.  » pp. 464-465

X.

Dieu ne demande proprement des hommes que leur amour ; mais aussi il le demande tout entier. Il n'y veut point de partage. Et comme il est leur souverain bien, il ne veut pas qu'ils s'attachent ailleurs, ni qu'ils trouvent leur repos dans aucune autre créature, parce que nulle créature n'est leur fin. La plénitude de la charité que nous devons à Dieu, dit Saint Augustin, ne permet pas que l'on en laisse couler au-dehors aucun ruisseau, « nullum rivum duci extra patitur ». C'est pourquoi quelque honnêteté qu'on se puisse imaginer dans l'amour d'une créature mortelle, cet amour est toujours vicieux et illégitime, lorsqu'il ne naît pas de l'amour de Dieu ; et il n'en peut naître lorsque c'est un amour de passion et d'attache, qui nous fait trouver notre joie et notre plaisir dans cette créature. Un Chrétien qui sait ce qu'il doit à Dieu ne doit point souffrir dans son cœur aucun mouvement, ni aucune attache de cette sorte sans la condamner, sans en gémir, et sans demander à Dieu d'en être délivré : et il doit avoir une extrême horreur d'être lui-même l'objet de l'attache et de la passion de quelque autre personne, et d'être ainsi en quelque façon son idole, puisque l'amour est un culte qui n'est dû qu'à Dieu, comme il ne peut être honoré que par l'amour. « Nec colitur nisi amando. » C'est ce qui fait voir qu'il y a une infinité de femmes qui se croient innocentes, parce qu'elles ont en effet quelque horreur des vices grossiers, et qui ne laissent pas d'être très criminelles devant Dieu, parce qu'elles sont bien aises de tenir dans le cœur des hommes une place qui n'appartient qu'à Dieu seul, en prenant plaisir d'être l'objet de leur passion. Elles sont bien aises qu'on s'attache à elles, qu'on les regarde avec des sentiments, non seulement d'estime, mais de tendresse ; et elles souffrent sans peine qu'on le leur témoigne par ce langage profane que l'on appelle cajolerie, qui est l'interprète des passions, et qui dans la vérité est une sacrilège idolâtrie. C'est pourquoi quelque soin que l'on prenne de séparer de la Comédie et des Romans ces images de dérèglements honteux, l'on n'en ôtera jamais le danger, puisque l'on y voit toujours une vive représentation de cette attache passionnée des hommes envers les femmes, qui ne peut être innocente; et que l'on n'empêchera jamais que les femmes ne se remplissent de l'objet du plaisir qu'il y a d'être aimées et d'être adorées d'un homme ; ce qui n'est pas moins dangereux ni moins contagieux pour elles que les images des désordres visibles et criminels.