(1675) Traité de la comédie « XIV.  » pp. 294-295
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(1675) Traité de la comédie « XIV.  » pp. 294-295

XIV.

Il est si vrai que la Comédie est presque toujours une représentation de passions vicieuses, que la plupart des vertus chrétiennes sont incapables de paraître sur le Théâtre. Le silence, la patience, la modération, la sagesse, la pauvreté, la pénitence ne sont pas des vertus dont la représentation puisse divertir des spectateurs ; et surtout on n'y entend jamais parler de l'humilité, ni de la souffrance des injures. Ce serait un étrange personnage de Comédie qu'un Religieux modeste et silencieux. Il faut quelque chose de grand et d'élevé selon les hommes, ou du moins quelque chose de vif et d'animé; ce qui ne se rencontre point dans la gravité et dans la sagesse chrétiennes. Et c'est pourquoi ceux qui ont voulu introduire des Saints et des Saintes sur le Théâtre ont été contraints de les faire paraître orgueilleux, et de leur mettre dans la bouche des discours plus propres à ces héros de l'ancienne Rome, qu'à des Saints et à des Martyrs. Il faut aussi que la dévotion de ces Saints de Théâtre soit toujours un peu galante. C'est pourquoi la disposition au Martyre n'empêche pas la Théodore de Monsieur de Corneille de parler en ces termes.

« Si mon âme à mes sens était abandonnée,
Et se laissait conduire à ces impressions,
Que forment en naissant les belles passions. »

Et l'humilité de théâtre souffre qu'elle réponde de cette sorte en un autre endroit :

« Cette haute puissance à ses vertus rendue,
L'égale presque aux rois dont je suis descendue ;
Et si Rome et le temps m'en ont ôté le rang,
Il m'en demeure encor le courage et le sang.
Dans mon sort ravalé je sais vivre en Princesse,
Je fuis l'ambition, mais je hais la faiblesse. »