(1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre troisiéme. — Chapitre II. Que les nouveaux Drames sont susceptibles de règles, ainsi que les autres Poèmes. » pp. 121-122
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(1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre troisiéme. — Chapitre II. Que les nouveaux Drames sont susceptibles de règles, ainsi que les autres Poèmes. » pp. 121-122

Chapitre II.

Que les nouveaux Drames sont susceptibles de règles, ainsi que les autres Poèmes.

A Près avoir prouvé que les Poèmes du nouveau genre éxigent des soins de la part de ceux qui travaillent à leur composition, il est naturel de dire qu’ils sont fondés sur des règles, qu’on ne doit point ignorer. L’étude en est absolument nécessaire. Les Critiques envieux, qui cherchent à ternir la gloire de notre Théâtre, lui disputeront ce nouveau mérite avec encore plus de chaleur que celui d’être l’ouvrage du gout & de la réfléxion. Il est aisé de sentir combien la prévention les aveugle mal-à-propos. S’il est démontré que les Drames modernes sont remplis de difficultés, il est clair qu’ils éxigent des règles, un art inconnu du vulgaire qu’on ne peut se dispenser d’apprendre ; faut-il donner la torture à son esprit pour tirer cette conséquence ? La moindre Chanson a ses règles, ses loix particulières ; les Strophes doivent en être coupées avec simétrie, certains mots rejettés, le stîle clair & concis. Voudroit-on que notre Spectacle, qui tient à la Chanson par des liens qu’on ne saurait rompre, ne marchat qu’au hazard & qu’au gré de ses caprices, tandis que la principale partie de lui même est soumise à de sévères loix ?

Non seulement notre Spectacle devrait profiter des leçons des grands Hommes, & se laisser guider à leurs avis, mais il devrait être aussi délicat, aussi gêné que les Théâtres qu’il peut surpasser. Il faut posséder autant de savoir pour travailler dans son genre, que pour écrire une Tragédie. M. Quétant, si connu par le succès incroyable du Maréchal-Ferrant, s’exprime à ce sujet avec beaucoup de force ; « C’est, dit-il, une erreur d’imaginer qu’il faille moins d’art pour faire un Opéra-Comique, que pour composer une grande Pièce. » Les paroles de celui à qui nous devons presque l’éxistence de notre Opéra, ne trouveront pas, je l’espère au moins, aucun contradicteur.

Le nouveau Théâtre change souvent les règles dramatiques.

Il est bon d’avertir le Lecteur que si le nouveau Théâtre va quelques fois puisér des règles chez les Anciens, il se réserve toujours le droit de les entendre à sa fantaisie. Ses Poètes nous montrent, en agissant ainsi, un discernement juste, & une conduite remplie de sagesse. Pourquoi suivraient-ils à la lettre les doctes leçons d’Aristote ? Ce qu’elles éxigent est un peu trop difficile. Doivent-ils se piquer d’en faire d’avantage que les Auteurs des divers Théâtres, qui s’écartent, le plus qu’il leur est possible, des avis que le Philosophe Grec, qu’Horace, & d’autres Sages tels que lui, s’éfforcent de leur donner ? On verra dans le cours de mon Livre, l’art avec lequel l’Opéra-Bouffon fait mettre en usage leurs préceptes ; c’est une cire mole qui prend à son gré toutes sortes de formes. Tantôt il retranche ce qui le gênerait trop, tantôt il amplifie une endroit qui lui plait. Il ne suit jamais si bien Aristote que lorsqu’il s’en éloigne entiérement. On l’apperçoit quelques fois ne marcher qu’à l’aide de ce Philosophe, on le voit aussi quelques-fois mépriser tout à fait ses conseils & ses lumières. Qu’on dise encore après cela, qu’il ne ressemble pas à la Comédie & à la Tragédie de nos jours.