(1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre IV. De la Pastorale Dramatique. » pp. 59-77
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(1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre IV. De la Pastorale Dramatique. » pp. 59-77

Chapitre IV.

De la Pastorale Dramatique.

M on dèssein n’est de traiter dans ce Chapitre que de la Pastorale Dramatique, c’est-à-dire des Pièces dans lesquelles agissent des Bergers. Les Poèsies champêtres qui portent le nom d’Ydiles ou d’Eglogues, quoiqu’assez semblables à la Pastorale, demandent pourtant des règles différentes. Elles sont, par éxemple, plus susceptibles d’esprit & d’ornemens. Dans les unes on s’apperçoit que le Poète par le ou fait agir, au lieu que l’autre est la représentation véritable des mœurs des habitans de la campagne. Comme l’illusion du Théâtre porte à croire que ce qu’on voit se passer sur la Scène arrive réellement, on doit aider la Pastorale à faire son éffet par la simplicité du discours & par les passions qu’on éxcite. Il s’en suit delà qu’il est plus difficile d’y éxceller que dans les autres genres de Poèsies naïves : aussi avons-nous beaucoup d’Ydiles & d’Eglogues éxcellentes, & à peine deux Pastorales passables.

Ancienneté de la Pastorale.

Le Drame des Bergers, s’il m’est permis de m’èxprimer de la sorte, est certainement plus ancien que la Comédie & la Tragédie. Les prémiers Pasteurs inventèrent dans leur heureuse oisiveté l’astronomie & l’art d’arranger des mots, de manière qu’il en résultat une cadence harmonieuse ; c’est ce que nous appellons Poèsie ou Vers. Les campagnes rétentirent donc dès les prémiers âges du monde, du bruit des chansons rustiques. Ces chansons simples & naïves célèbraient le Dieu qu’on adorait, ou les charmes de la vie champêtre, ou les douceurs de l’amour & les attraits de quelques Bergères. Delà l’idée d’une Poèsie plus correcte & plus sublime. Les anciens Pasteurs voyaient couler leurs jours innocens dans les plaisirs & dans la paix. Ils observaient les astres, ils en marquaient peut-être le cours dans leurs chansons, & èxprimaient leur joye sur certains instrumens grossiers faits particulièrement pour assembler leurs troupeaux. Ainsi les tranquilles habitans des campagnes chantaient, tandis que ceux qui bâtissaient des Villes étaient féroces & sauvages, & s’égorgeaient les-uns-les-autres. Dans les fêtes que les prémiers Bergers se donnaient entr’eux, ils pouvaient chanter en dialogue une petite aventure arrivée sous leurs yeux ; voilà la Pastorale. Lorsque les Villes se furent formées ; quand ceux qui s’y étaient rassemblés eurent fait connaissance avec leur nouvelle façon de vivre ; ils établirent des jours de réjouissances. Les chansons qui furent d’abord en usage ne pouvaient être que celles des Pasteurs ; on est long-tems à revenir des prémières habitudes.

Origine de la Pastorale.

Quand on commença à composer des Drames, on fit plutôt des Pastorales que des Comédies. Les hommes avaient l’idée remplie des objets de la campagne ; ils n’avaient point encore eu le tems d’oublier la vie que leurs Pères y menaient. Il est naturel de penser que des peintures champêtres s’offrirent plus aisément à leur imagination, accoutumée à s’y arrêter, que le détail des mœurs des habitans de la ville, qui leur présentait des objets tout-à-fait nouveaux.

Ce qu’elle fut chez les Grecs.

Les Grecs cherchèrent à embellir ce genre naissant, selon leur coutume de tout perfectionner. La mythologie de ces peuples lui fit prendre une face particulière. Ils peuplaient la campagne de Faunes & de Satyres ; ils les firent entrer naturellement dans l’intrigue d’un genre de Pièce qui était la vive image de ce qui se passait loin des villes. Horace s’est donc trompé dans sa Poètique(10), lorsqu’il dit, « Le Spectacle satyrique est l’origine de la Pastorale ». C’est directement tout le contraire.

Les Anciens ne connurent point le vrai genre de la Pastorale ; & pourquoi.

Il me semble que les Grecs ni les Latins n’ont point connus le vrai genre de la Pastorale, aussi-bien que plusieurs peuples modernes de l’Europe. La raison en est, je crois, qu’on lui fit prendre à Athènes une forme peu convenable. Le mêlange des Bergers & des Satyres ne pouvait guères s’allier. L’intrigue roulant toujours sur ces derniers, la simplicité de stile & d’action disparut insensiblement, & la Pastorale devint méconnaissable. Les Romains la trouvèrent dans cet état, & l’y laissèrent : selon les apparences, tout le mérite de ces peuples guerriers était de conquérir des Royaumes, & de copier les arts des Nations qu’ils subjugaient : sans Homère aurions-nous Virgile ; & Cicéron sans Démosthène ?

L’Italie moderne commença à lui donner un air convenable.

Les Italiens dans le quinzième siècle donnèrent à la Pastorale l’air simple qui lui convient. Une étude réfléchie des Idyles de Théocrite, & des Eglogues de Virgile, leur fit naître l’envie de mettre sur le Théâtre ce genre admirable, par sa naïveté. Le Tasse composa son Aminte, & remporta tous les suffrages. Mais le Pastor fido (11) apprit sur-tout à l’Europe charmée ce que c’était que la Pastorale. Cependant les Italiens sont peu propres à travailler dans ce genre : ils sont loin d’avoir les qualités qu’il éxige. Leur Langue trop manièrée, trop remplie d’antithèses, de conceti, ne sçaurait se prêter à la simplicité nécessaire au stile Pastoral. La preuve de ce que je dis, c’est qu’aucun de leurs Auteurs n’a rien fait de comparable à l’Aminte ni au Berger fidèle. Le génie d’une Nation se connaît rarement par les Ouvrages d’un ou de deux de ses Ecrivains ; il faut les comparer tous ensemble.

Les Allemands ont la gloire d’avoir perfectionné en partie la Pastorale.

C’est en Allemagne que le genre de la Pastorale approche le plus actuellement de sa perfection. Il n’est point gâté par des ornemens étrangers, toujours désagréables, parce qu’ils ternissent ce beau simple, qui en fait le seul mérite. Les Bergers parlent & agissent avec des Bergers. Leur manière de s’èxprimer est proportionnée à leur état ; elle n’est ni trop basse ni trop fleurie. En un mot, les Auteurs Allemands qui ont écrits & qui écrivent dans ce genre naïf, sont dignes d’être cités pour éxemple ; nos Poètes ne sçauraient les étudier avec assez de soin.

Les Français ne réussissent guères dans la Pastorale.

Malgré les éfforts que nous avons faits pour saisir le vrai goût de la Pastorale, nous sommes à peine parvenus à la rendre supportable sur nos Théâtres. Nos Drames champêtres sont la plus-part froids, insipides, & mal dialogués ; les Personnages en sont aussi quelquefois trop spirituels ; ils mettent trop d’esprit dans leurs naïvetés. A force de peindre nos Bergers tendres, amoureux, nous en fesons des amans glacés, qui font rétentir les échos de leurs amoureuses plaintes, & qui meurent, par métaphore, pour les beaux yeux d’une ingrate.

Des causes qui empêchent la Pastorale de réussir en France.

La principale cause du peu de réussite de nos Pastorales est aisée à trouver. Nous la plaçons sur trop de Théâtres à la fois ; nous devrions en avoir un qui lui fut entièrement consacré. Loin de vouloir en convenir, nous la forçons de paraître dans la Comédie, dans la Tragédie même, & dans l’Opéra-sérieux & bouffon. Il faut qu’elle se replie, se dénature, pour se montrer sous tant de formes différentes : son genre se corrompt, s’épuise, s’anéantit à la fin.

On ne doit la faire paraître qu’au nouveau Théâtre.

Je crois pourtant qu’elle deviendra propre au Spectacle moderne. Tandis que l’Opéra-sérieux l’environne d’un éclat peu convenable, tandis que la Comédie lui donne un air fade & triste ; notre Opéra la rendra digne de charmer tous les Spectateurs par une parure simple & champêtre, qui lui convient mieux que de pompeux ornemens.

Autre cause de son peu de succès parmi nous.

Il est encore une autre raison qui l’empêche peut-être de faire en France autant de progrès qu’elle en pourra faire en Allemagne. Son genre n’a parmi nous qu’un petit nombre de Partisans. L’image de la simple Nature ne sçaurait arrêter des esprits aussi vifs, aussi frivoles que les nôtres ; on est contraint de chercher à embellir cette image qui doit être si naïve, afin de la faire paraître plus agréable : mais alors nous nous écrions, que ce n’est point là le tableau des mœurs rustiques des Villageois. Ainsi, de quelque façon que la Pastorale se présente à nos yeux, elle est presque certaine d’être rebutée. Si nous lui fesions le même accueil qu’en Allemagne, il est probable que nous la verrions bientôt sortir de l’obscurité. Quel est l’Auteur qui veuille travailler sans fruit dans un genre ingrat ? peu d’applaudissemens s’il réussit, & un nombre infini de critiques s’il tombe. Qu’on ne m’objecte pas les éloges prodigués tous les jours à Annette & Lubin. Cette Pièce ne fut jamais une Pastorale. Ses Personnages pétillent d’esprit ; lorsqu’il leur arrive de dire une naïveté, elle s’accorde mal avec les pointes, les jolies choses, les madrigaux, qu’ils ont ordinairement à la bouche. Le Seigneur mêlé dans l’action, en ôte toute la simplicité. Il est clair que les Drames champêtres seront long-tems à faire de certains progrès en France. Notre goût déterminé pour le léger, le vif, le badin, & nos mœurs mêmes, nous empêcheront toujours d’estimer fortement la Pastorale : des peintures si douces, si tranquilles, nous causent bientôt un ennui mortel, ou nous font rire à force d’être naturelles, comme il arriva dans la Bergère des Alpes du Théâtre Italien,(12) lorsque l’on vit deux Bergers boire du laid, ou manger de la bouillie. Il nous manque le sens froid, & peut-être la raison des Allemands.

Quelles sont nos meilleures Pastorales.

Les meilleures Pastorales que nous ayons dans notre Langue sont, selon moi, Annette & Lubin de M. Marmontel, & le Devin du Village, dont l’Auteur est si connu & si digne de l’être. Vous remarquerez que l’héroïne de la prémière Pièce est grosse à pleine ceinture, ce qui ne fait peut-être pas un bel éffet sur la Scène ; mais ce qui est la sensible image de la Nature. Eh pourquoi nos Paysanes seraient-elles plus réservées que tant de nos jeunes Demoiselles, qui se trouvent dans le même cas, malgré l’èxcellence de leur éducation ? ce que dit un célèbre Poète Anglais dans la Préface d’une de ses Pièces, peut servir d’èxcuse à l’Auteur Français : « J’ai copié la Nature en rendant les jeunes garçons amoureux avant le mariage, & les jeunes filles fécondes & complaisantes. Je m’en rapporte là-dessus aux connaisseurs en ce genre qui vivent dans nos campagnes ». Pour revenir à nos deux meilleures Pastorales Françaises, tout y est d’une simplicité charmante, l’action, les discours & la musique. Celle d’Annette & Lubin de M. Marmontel, est sur-tout assez analogue au genre champêtre.

La Comédie Poissarde ou burlesque est une sorte de Pastorale.

Nous avons une autre espèce de Drame naturel ou de Pastorale, à laquelle on donne le nom de Comédie-Poissarde, qui ne laisse pas d’avoir ses agrémens. Elle s’applique à peindre les Harangères & les autres gens de la lie du Peuple, tels que les porteurs d’eau, &c. Le succès de ce genre de Pièce surpasserait de beaucoup celui de Pastorale, parce que son intrigue est très-vive & très-divertissante ; mais nos Auteurs, je ne sçais pourquoi, paraissent le dédaigner. Vadé, qui en fut l’inventeur, le perfectionna tout d’un coup ; il mourut à la fleur de son âge en 1757, & son génie la peut-être suivi dans le tombeau. On craint sans doute de travailler après lui. Jérôme & Fanchonnette, dont il est l’Auteur, fera mieux connaître ce genre singulier que tout ce que j’en pourrai dire. Je conseille aussi de voir une petite Pièce intitulée, l’Amour matois, ou l’Espiéglerie amoureuse ; celui qui la composée pourrait suivre de près les traces de l’illustre Vadé ; mais possède des talens encore plus estimables(13).

L’Opéra-Bouffon serait dans le genre de la Pastorale, s’il n’était trop bas.

J’observerai avec le Lecteur judicieux que les Drames proprement appellés Opéras-Bouffon, dans lesquels agissent des Paysans, sont des espèces de Pastorales, mais trop grossières. Elles descendent trop dans le bas ; elles ressemblent à ces rustiques Pastorales de nos anciens Poètes Français, tels que Ronsart & Théophile, où l’on ne voit agir, où l’on n’entend parler que Pierrot & Catin. J’ai dit ailleurs que le genre du nouveau Spectacle l’emportait sur la Pastorale ; on conçoit bien en quoi je pense qu’il lui est supérieur ; c’est parce qu’il peut tout à la fois nous montrer des Bergers & des Artisans ; aulieu que la Pastorale ne doit faire agir que des gens de la campagne. Mais le nouveau Théâtre, lorsqu’il nous peint des Paysans est loin d’avoir, l’honnête simplicité, la décence, la délicatesse qu’on veut trouver dans un Spectacle champêtre.

Essayons de donner des règles précises de la Pastorale telle que les Nations modernes la conçoivent, & telle qu’il faut qu’elle soit pour plaire à chaque Peuple en général, & particulièrement aux Français.

Quelques règles au sujet de la Pastorale.

Il est nécessaire que l’intrigue des Pièces champêtres soit d’une simplicité que rien n’altère. Si l’action était compliquée, chargée d’événemens, on attacherait peut-être les Spectateus ; mais il est difcile que des Bergers éprouvent de grands incidens. Leur vie est ordinairement douce & tranquille. Si l’on peut, sans s’écarter de la nature, leur faire ressentir quelques infortunes, on aura un sûr moyen de répandre de l’intérêt dans le Drame. Je puis me dispenser d’avertir que tous les Personnages d’une Pastorale doivent-être des habitans de la campagne, son nom seul le dit assez. Que le Poète réfléchisse sur les mœurs, les coutumes des gens du Village, il sentira la manière dont il doit les peindre. Aucune passion criminelle ne les agite, & ne trouble l’innocence de leur vie. L’amour seul règne sur leurs cœurs. Ils ignorent ce que c’est que l’ambition, l’amour désordonné des richesses ; ils méconnaissent l’orgueil, la haine & les fureurs contre leurs semblables. Enfin, l’innocence & le repos les suivent toujours, & embellissent leurs demeures rustiques, dont jamais n’approchèrent le luxe & les noirs soucis. Appliquez-vous à peindre ce bonheur dont ils jouissent ; découvrez-nous la sérénité de leur ame. Qu’ils se livrent à une joye aimable, fruit précieux de leurs mœurs innocentes. Si vous les faites soupirer, que ce ne soit que d’amour. Ce tableau riant fera contraste avec les embarras, les chagrins, les remords, qu’éprouve le riche habitant des Villes ; & vous serez certain d’être applaudi.

Il est vrai que le Villageois n’est pas tout-à-fait tel que vous le représenterez. Son ciel, si pur en apparence, est quelquefois couvert de nuages. L’habitant du Hameau gémit dans la pauvreté. Mais on est convenu depuis long-tems qu’on le flatterait toujours en le dépeignant : si on le mettait sur le Théâtre tel qu’il est pour l’ordinaire, les Spectateurs en seraient révoltés ; ils en détourneraient bientôt les yeux. La morale se sert utilement des malheurs des Rois, des faiblesses du Citoyen ; elle s’est réservée d’aller à son but en montrant le bonheur qu’on goûte au Village : elle est contrainte de le supposer, tant les êtres de chaque état ont leur part des maux qui assiègent l’humanité !

Que la Pastorale ne doit guères avoir plus d’un Acte.

Une Pastorale ne doit guères passer la longueur d’un Acte ; lorsque le sujet l’éxige absolument, elle peut aller jusqu’à trois tout au plus. Nous en avons pourtant un grand nombre en cinq Actes, & qui, pour comble d’ennui, sont des Comédies, ou des Scènes dialoguées ; mais elles ont paru dans un tems où les bonnes Pièces étaient rares. On les écoutait en bâillant, faute de mieux : il est certain que si l’on osait en hazarder de nos jours d’aussi éffroyablement longues, elles auraient bien de la peine à soutenir une seule représentation. N’oublions pas que le Berger fidèle, tout agréable, tout célèbre qu’il est, glace souvent ses Spectateurs, lorsqu’on le joue en Italie, parce qu’il occupe trop long-tems le Théâtre. Il est donc naturel de n’étendre les bornes de la Pastorale qu’à trois Actes, ainsi que fait très-sagement l’Opéra-sérieux. Comme ses Personnages n’inspirent point un grand intérêt, elle éxcite peu de passions dans l’ame du Spectateur ; or il se refroidit lorsqu’on le contraint de considérer trop long-tems ce qui ne saurait l’affecter. Une petite intrigue amoureuse l’occupe un instant, sur-tout lorsqu’elle est èxprimée & développée avec une simplicité qui le charme ; il est curieux de savoir si la flamme de ceux qu’il voit agir sera couronnée. Si le dénouement est lent à venir, il se dégoûte & perd patience. Un Drame qui n’est rempli que d’amour, (& c’est la Pastorale,) n’attire qu’une légère attention. Le sentiment qui naît en nous en faveur de gens amoureux s’éteint, s’évanouit dans peu ; il ressemble à l’ardeur dont nous nous sentons épris pour certaines femmes. Je conseille donc aux Poètes qui voudront se distinguer dans le Drame champêtre, de ne lui donner que l’étendue d’un Acte ; s’ils n’ont le secret d’émouvoir fortement les Spectateurs, pendant trois Actes.

Que la Musique des Pastorales doit être tout-à-fait champêtre.

Pour ce qui est de la musique, car c’est un article nécessaire actuellement, il faut qu’elle soit analogue au genre Pastoral ; que la symphonie & la mélodie ne soient ni brillantes ni recherchées. Le Musicien pousserait son art jusques au dernier point de la perfection, s’il fesait en sorte que les accords des instrumens imitassent les sons champêtres que les Bergers tirent des leurs : c’est la seule imitation que la musique-Pastorale puisse se permettre. Je vais montrer en peu de mots que je ne lui demande rien de ridicule & d’impossible.

Que le Musicien pourrait imiter davantage la Nature.

Dans une Pastorale, les Personnages, leurs discours, la décoration, tout annonce la campagne : pourquoi la musique ne la peindrait-elle pas aussi ? mais pourquoi voulez-vous, me demandera-t-on, qu’elle imite les pipeaux, les cornemuses, les flageolets des bons Villageois ? Je réponds, que c’est afin de rendre l’illusion plus frappante, ce charme du Théâtre. Les Anciens avaient plusieurs genres de musique, chacun trouvait sa place dans les différentes espèces d’ouvrages, & dans diverses circonstances. Ne pourrions-nous pas les imiter ? Il serait beau que nous apprissions à l’Italie, qui se flatte d’être au-dessus de nous par sa musique, que l’art qu’elle chérit tant, pouvait être embelli par les Français. Fesons en sorte qu’en entendant une Ariette champêtre, l’oreille soit frappée de nouveaux sons & d’accords èxtraordinaires, tels qu’on en forme dans les hameaux. De même qu’un Prince s’èxprime autrement que de simples Bergers, tâchons que la musique usitée dans les Drames sérieux du grand Opéra, n’ait aucune ressemblance avec celle qu’on employe dans la Pastorale, soit par son chant, soit par son harmonie.

J’espère que nos célèbres Musiciens ne condanneront pas tout-à-fait mon sentitiment. L’art agréable qu’ils pratiquent ferait un nouveau progrès, auquel personne ne s’attend. On est révolté lorsqu’on fait chanter à un Berger un air à prétention, rempli de roulades. On veut que son chant soit simple, & proportionné à sa manière de s’èxprimer, de même qu’il paraît naturel que les paroles soient de lui. N’oublions pas, encore une fois, que la musique, lorsqu’elle est adaptée à un Drame, fait partie de l’illusion théâtrale, ainsi que ce qu’on voit sur la Scène : or les accords mélodieux d’un violon, ou les sons délicats d’une flûte, ne sont pas trop bien placés dans une campagne, au milieu d’une troupe de Paysans ; il me semble que je devrais plutôt entendre un chalumeau ou une musette ; ou du moins les sons qui me frappent doivent avoir de l’analogie avec ceux des instrumens champêtres.