(1670) Du delay, ou refus de l’absolution [Les Instructions du Rituel du diocèse d’Alet] « Du delay, ou refus de l’absolution. » pp. 128-148
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(1670) Du delay, ou refus de l’absolution [Les Instructions du Rituel du diocèse d’Alet] « Du delay, ou refus de l’absolution. » pp. 128-148

Du delay, ou refus de l’absolution.

Qvels sont les cas les plus ordinaires ausquels le Confesseur est obligé de differer, ou de refuser l’absolution ?

Il y en a cinq. Le premier est, lorsque les penitens ignorent les principaux mysteres de nostre foy, le Pater, l’Ave, le Credo ; les Commandemens de Dieu & de l’Eglise ; & que l’on reconnoist que cette ignorance est une marque de leur peu d’affection pour ce qui regarde leur salut ; ou que ce sont des personnes si grossieres, que l’on ne peut pas les instruire sur le champ.

Le second est, lorsque le penitent a causé quelque tort à son prochain en son bien, ou en son honneur, & ne le veut pas reparer presentement selon son pouvoir en tout, on en partie.

Le troisiême, quand il a quelque inimitié, & qu’il ne veut pas se reconcilier avec ses ennemis.

Le quatriême, quand il est dans l’occasion prochaine de quelque peché mortel, par exemple d’impureté, ayant chez soy, ou en sa disposition la personne avec laquelle il a eu un commerce criminel, & ne la veut pas congedier ; ou bien quand il se trouve dans une condition dangereuse pour luy, par exemple de juge d’avocat, de soldat, ou autre semblable, dans laquelle eu egard à ses dispositions, & à l’experience que l’on a de sa vie passée, il luy est moralement impossible de s’empescher d’offenser Dieu mortellement, & qu’il ne la veut point quitter.

Le cinquiême, quand il est dans quelque habitude de peché mortel, & qu’il ne s’en corrige pas.

Ne suffit-il pas que le penitent promette au Confesseur de remedier à ces empeschemens, pour estre en estat de recevoir l’absolution ?

Les Saints Peres nous apprennent qu’en plusieurs occasions, comme celles dont nous venons de parler, il ne se faut pas contenter des paroles & des promesses des penitens, qu’ils ne se mettent plus en peine d’executer, comme l’experience ne le fait que trop connoistre, quand ils ont une fois receu l’absolution, mais qu’il est necessaire de les éprouver pendant un temps pour juger de leur contrition, & de leur conversion par leurs œuvres.

Qu’est-ce qu’occasion prochaine ?

On appelle occasion prochaine de peché mortel, toutes les choses qui le causent ordinairement, ou parcequ’elles portent d’elles mesmes au peché, ou parceque le penitent s’y trouvant, est tellement accoutumé de pecher, que le Confesseur doit raisonnablement juger, qu’à raison de sa foiblesse & de sa mauvaise habitude, il ne s’abstiendra point de pecher tandis qu’il perseverera dans ces occasions.

Quelles sont les occasions les plus ordinaires de la premiere sorte ?

C’est d’avoir en sa maison des tableaux, ou des sculptures de nuditez lascives : de lire des livres pleins d’impuretez, de se trouver souvent en la compagnie de personnes dissoluës & libertines : d’avoir dans sa maison, ou en sa disposition quelque personne qui serve d’attrait au peché d’impureté : de faire profession de joüer continuellement aux cartes & aux dez : de tenir pour les autres un lieu preparé à cet effet : d’aller aux cabarets sans necessité, & seulement par un esprit de debauche : de frequenter les heretiques qui sollicitent ceux qui les frequentent de quitter l’Eglise, surtout s’ils sont intelligens & zelez pour leur fausse religion ; ou de lire les livres où ils traittent à fond de leurs erreurs.

Quelles sont les occasions plus ordinaires de la seconde sorte ?

Les festins frequens à ceux qui se laissent aller facilement à boire avec excés : le jeu pour ceux qui connoissent qu’ils s’y laissent emporter aux juremens & aux blasphêmes : les assemblées & les parties de divertissemens d’hommes & de femmes, pour ceux qui se sentent foibles à concevoir de mauvais desirs, & à commettre d’autres semblables pechez : l’engagement dans une condition, comme de soldat, de marchand, ou d’officier de justice, lorsqu’on sçait qu’on n’a pas assez de courage pour resister aux tentations d’avarice, de larcin, de concussion, ou de vengeance, qui y sont frequentes.

Y a-t-il toujours peché de se trouver dans l’occasion prochaine ?

Non : car si on s’y rencontre sans dessein, & sans l’avoir pu prevoir, & que s’y trouvant engagé, on s’en retire aussytost qu’on peut, il n’y a point de peché : mais si on l’a du & pu prevoir, & qu’on ait usé de negligence pour l’eviter, il y a toujours quelque peché plus ou moins grand selon que la negligence a esté plus ou moins grande.

Où trouve-t-on dans l’Ecriture sainte que l’occasion prochaine en la maniere que nous venons de marquer nous met en estat de peché ?

Dans l’Ecclesiastique chap. 3. Celuy qui aime le peril y perira. Et au 21. Fuyez de devant les pechez comme de devant un serpent : si vous en approchez, ils vous enveloperont. Et Nostre Seigneur dit dans l’Evangile : Si vostre œil droit vous est un sujet de scandale & de chute, arrachez le, & jettez le loin de vous ; car il vaut bien mieux pour vous qu’une partie de vostre corps perisse, que non pas que tout vostre corps soit jetté dans l’enfer.

Est-on toujours obligé de se priver de quelques commoditez temporelles pour eviter l’occasion du peché ?

Oüy, comme l’on peut connoistre par le passage de l’Evangile que nous venons d’alleguer ; parceque le bien de l’ame est preferable à tous les biens de la vie presente.

Quelles sont les personnes ausquelles on doit differer, ou refuser l’absolution, pour estre engagées dans les occasions prochaines du peché, jusques à ce qu’elles s’en soient éloignées ?

Premierement les serviteurs & les servantes, ou autres personnes qui demeurent dans des maisons où il y a quelque personne qui leur est occasion de tomber dans le peché d’impureté.

Secondement celles qui frequentent des maisons ou des compagnies où elles tombent ordinairement dans le peché par pensées, par desirs ; ou par œuvres.

En troisiême lieu les femmes & les filles qui portent le sein decouvert, lorsqu’elles ont esté suffisamment averties du mal qu’il y a dans cette immodeste façon de se vestir.

En quatriême lieu ceux qui estant adonnez au jeu, s’y laissent aller aux reniemens, aux blasphêmes, aux querelles, aux tromperies &c.

En cinquiême lieu ceux qui frequentent les bals & les comedies, où ils commettent ordinairement plusieurs pechez d’impureté, comme mauvais desirs, pensées sales, regards lascifs, & attouchemens deshonnestes. Et quand ils n’y auroient pas commis de si grands pechez, le peril où ils s’exposent de les commettre, doit porter les Confesseurs à leur deffendre ces divertissemens dangereux.

En sixiême lieu ceux qui lisent des livres heretiques, ou des livres qui traittent de choses lascives & qui portent à l’impureté, ayant esté auparavant avertis de ne le plus faire.

En septiéme lieu ceux qui ont des tableaux ou des representations lascives, & qui peuvent porter au peché.

En huitiême lieu ceux qui sont sujets à profaner publiquement & scandaleusement la sainteté des jours consacrez à Dieu, contre les ordonnances de l’Eglise, qui leur ont esté suffisamment notifiées.

A cela se reduisent aussy certaines personnes publiques, comme sont les curez ; les juges, les medecins, les apotiquaires, les chirurgiens, qui notoirement ne sont pas capables de leurs charges & de leurs emplois ; ce qui fait qu’ils sont exposez à un danger continuel de faire des fautes, & des injustices notables, & qu’ils sont par consequent dans l’occasion prochaine du peché.

Doit-on donner l’absolution à un penitent aussytost qu’il a quitté l’occasion de son peché ?

Non pas toujours, quoiqu’il l’ait veritablement quittée : mais il faut que le Confesseur juge s’il n’y a pas sujet de craindre qu’il ne s’y engage de nouveau quand il aura receu l’absolution ; & s’il trouve qu’il y ait fondement d’apprehender, il doit prendre un temps raisonnable pour l’éprouver.

Si le penitent assure qu’il aura assez de force & de courage, & se promet que Dieu luy fera la grace de ne plus retourner dans le peché quoi-qu’il demeure dans l’occasion, ne peut-on pas luy donner l’absolution ?

Non, & il faut faire entendre à ce penitent que son esperance est une vaine confiance, & une presomption orgueilleuse ; & que c’est tenter Dieu que de penser eviter le peché, lorsqu’on demeure volontairement dans l’occasion, le Saint Esprit ayant dit que celuy qui aime le peril y perira, & Dieu ne donnant sa grace qu’aux humbles, & à ceux qui se deffient d’eux-mesmes.

Comment se faut-il conduire à l’egard des personnes qui ne sont pas de condition libre à se separer, comme seroient le frere & la sœur, ou autres proches parens, qui demeurant dans une mesme maison, commettroient ordinairement le peché d’impureté ?

Premierement le Confesseur doit trouver s’il est possible quelque expedient, & le faire prendre à son penitent, pour se separer, & pour quitter la maison de son pere ; comme de conseiller à une personne de basse naissance de se mettre en service, ou d’apprendre un mestier ; & à celuy qui seroit de condition, d’aller aux études, de faire quelque voyage, de prendre quelque employ. En second lieu si cela ne se pouvoit faire, il faudroit leur deffendre toute sorte de privauté, leur ordonner de ne se point trouver seuls ensemble, leur imposer quelques prieres & quelque penitence convenable, & les éprouver pendant un temps notable, pour reconnoistre avant que de leur donner l’absolution s’ils se rendent fidelles à ce qui leur aura esté prescrit.

Que doit faire le Confesseur à l’egard des personnes qui alleguent pour excuse : Ie ne puis quitter cette occasion, ny sortir de cette maison, parceque je perdrois ma fortune, & tomberois dans la necessité ?

Il doit leur representer les paroles que Nostre Seigneur dit en S. Matth. à tous les chrestiens : Cherchez devant toutes choses le royaume de Dieu , c’est a dire ma gloire, & vostre salut, & soyez assurez que le reste vous sera accordé  ; leur faisant entendre neanmoins que quand Dieu permettroit pour exercer leur patience, & pour accroître leur merite, qu’ils se vissent reduits dans la derniere pauvreté pour un temps, & mesme pour toute leur vie, il vaudroit mieux estre pauvre, & faire son salut, que d’estre à son aise en ce monde, & se trouver à la fin de ses jours engagé dans une eternité malheureuse. Et il doit demeurer ferme à leur refuser l’absolution, jusques à ce qu’ils ayent entierement quitté l’occasion prochaine de leur peché.

Que doit faire le Confesseur à l’egard d’un maistre qui dit : Ie ne puis congedier cette servante, parcequ’elle est necessaire à mon menage ?

Il luy doit representer ces autres paroles de Nostre Seigneur en S. Matth. Si ton pied, ta main, ou ton œil te scandalisent, couppe les, arrache les, & jette les loin de toy  : pour nous apprendre qu’il nous faut separer des personnes qui nous sont occasion de peché, quoyqu’elles nous fussent aussy necessaires que l’œil, la main, ou le pied le sont au service de l’homme.

Que doit-il faire à l’egard de quelques autres qui disent : Ie quitterois volontiers cette occasion, je m’abstiendrois de bon cœur de cette frequentation ; mais si je le fais on en croira du mal, j’en seray deshonoré, ou je seray cause que cette personne le sera ?

Le Confesseur leur pourroit dire : Ou l’on croit qu’il y a déja du mal, ou l’on ne le croit pas : si on le croid, il y a moins de scandale à vous en separer promptement, & si on ne le croid pas vous ne devez pas craindre que cette separation vous fasse aucun tort : mais quand elle pourroit faire soupçonner quelque mal, il faut preferer vostre salut à la crainte de ce soupçon.

Qu’entend-on par le peché d’habitude pour lequel le Confesseur est obligé de refuser, ou de differer l’absolution ?

On entend un peché mortel que l’on s’est accoutumé de commettre par beaucoup d’actions qu’on en a faites, en sorte qu’on se trouve dans une tres-grande difficulté, & dans une impuissance morale de s’empescher de le commettre, à moins que le cœur ne soit fort changé, & qu’on ne se soit beaucoup combattu.

D’où vient cette grande difficulté, ou cette impuissance de quitter le peché auquel nous avons habitude ?

Elle vient tant de la corruption de la nature, que de l’inclination vitieuse fortifiée par les actes reïterez, comme aussy de la grande puissance qu’a le demon sur le pecheur qu’il s’est assujetti : Funiculus triplex difficilè rumpitur  :

Si le Confesseur trouve qu’une personne à qui il a differé l’absolution, & qui est dans le cours de sa penitence tombe moins souvent dans son peché d’habitude, comment se doit-il comporter à son égard ?

Il en doit user avec beaucoup de discretion, parcequ’il y a du danger de donner l’absolution à une personne qui a commencé de se corriger, mais qui retombe encore de temps en temps dans son crime. Car ces rechutes dans des pechez mortels, quoyque moins frequentes, sont voir que cette personne n’est point vraiment guerie, comme on ne dira jamais qu’un homme ne soit plus epileptique, parcequ’il ne tombe en epilepsie que tous les mois, au lieu qu’il y tomboit auparavant deux ou trois fois la semaine. Et les Peres ont toujours mis entre les fausses penitences celles des pecheurs, qui pendant le cours de leur penitence retomboient dans les crimes dont ils s’estoient accusez : Irrisor est, non pœnitens, qui adhuc agit quod pœnitet. Il les faut donc faire souvenir de cette parole du Fils de Dieu : Vade, & jam ampliùs noli peccare  ; & les encourager à travailler avec plus de soin pour arriver jusques à une veritable & solide guerison. Ce n’est pas leur faire charité que de les traitter autrement, ny suivre la prudence de l’esprit de Dieu.

Quelle est la mesure du temps qu’il faut garder pour éprouver l’amendement & la fidelité du penitent, lorsqu’on luy differe l’absolution pour estre dans quelque peché d’habitude.

Si les chutes estoient frequentes, on pourroit l’éprouver deux ou trois mois, à la fin desquels si on reconnoissoit un veritable amendement causé par la fidelité du penitent, & par la violence qu’il a faire sur soy-mesme, on pourroit luy donner l’absolution, parcequ’il auroit donné des preuves effectives de sa conversion, & de sa penitence : mais s’il ne s’estoit abstenu de tomber dans son peché, que parcequ’il auroit esté eloigné des occasions, sans avoir contribué à cet eloignement ; par exemple, s’il s’estoit trouvé en un lieu, ou avec des personnes qui ne luy en laissoient pas la liberté ; ou s’il estoit tombé dans quelque maladie ; ou s’il estoit arrivé quelque rencontre semblable qui eust eloigné ces occasions, il faudroit alors prendre un plus long delay, pendant lequel on pourroit avec plus de loisir observer si le changement de son cœur seroit veritable.

Comment se doit conduire le Confesseur dans toutes les rencontres où il juge devoir differer l’absolution à son penitent ?

Il se doit conduire avec une grande douceur envers le penitent, luy faisant connoistre que le zele seul de son salut l’oblige d’en user ainsy, & luy imposant quelque exercice de penitence qui ait du rapport & de la proportion avec ses pechez, & avec sa condition : luy marquer un certain temps, durant lequel il doit prattiquer les exercices de penitence & de devotion qu’il luy ordonne ; & cependant prier, & gemir souvent devant Dieu pour luy, faire quelque mortification à son intention à l’exemple de Nostre Seigneur, qui s’est chargé de la peine deüe à nos pechez. Il seroit aussy à propos que le Confesseur le vist, & luy parlast de temps en temps pendant le cours de sa penitence, pour l’encourager à la faire de bon cœur, pour le consoler, & luy donner conseil dans les tentations, abbattemens, ou troubles d’esprit qui pourroient luy arriver.

Que doit faire le Confesseur à l’egard des personnes qui disent : Si vous ne me donnez l’absolution, on y prendra garde, & je demeureray scandalisé, ceux qui sont proche du Confessionnal voyant que vous me renvoyez sans m’absoudre ?

Il peut faire quelques prieres sur eux comme le Misereatur &c. Indulgentiam, ou autre, en la mesme posture qu’il garde lorsqu’il donne l’absolution ; & par ce moyen on ne pourra pas reconnoistre s’il ne la luy a point donnée : mais il doit faire connoistre au penitent que ce n’est pas l’absolution qu’il luy donne, & qu’il ne s’imagine pas que ses pechez luy soient remis ; & ainsy qu’il ne se presente point pour recevoir la communion, parcequ’il commettroit un tres grand sacrilege.

Que doit faire le Confesseur à l’egard d’un penitent qui se presente au dernier jour de la quinzaine de Pasque, lorsqu’il juge luy devoir refuser l’absolution ?

Il seroit à souhaiter que l’on observast par tout ce qui se prattique dans quelques dioceses, qui est que chacun se confessast au commencement du Caresme, afin que durant la quinzaine de Pasque on n’eust à s’appliquer qu’aux reconciliations, & qu’on renvoyast tous ceux qui se presentent, les remettant aprés la quinzaine : mais dans les lieux où cet ordre ne s’observe pas, il faut que le Confesseur se serve du pouvoir que luy donne le canon du Concile general de Latran, Omnis utriusque sexus, inseré dans le Rituel, lequel obligeant tous les fidelles de communier à Pasque, donne pouvoir au Confesseur de differer la communion jusques au temps qu’il jugera à propos pour le salut du penitent.

Que fera le Confesseur si le penitent dit : Ie seray scandalisé si l’on ne me voit pas communier au temps paschal avec les autres ?

Il luy representera que dans la foule des communians, & à raison des divers jours où l’on communie pendant la quinzaine, il seroit difficile de remarquer s’il a communié ou non : de plus que quand on remarqueroit qu’il ne communie pas, on peut croire que son Confesseur luy a differé le devoir du temps paschal pour s’y mieux disposer, ou pour s’instruire de la doctrine chrestienne : mais qu’enfin quand quelqu’un pourroit soupçonner qu’il n’auroit pas communié acause de quelque peché extraordinaire qu’il pourroit avoir commis, il vaudroit mieux souffrir par penitence cette humiliation, que de se mettre en danger de faire une communion sacrilege, qui est un des plus grands malheurs qui luy puisse arriver.

Mais si le penitent n’estant pas persuadé de ces raisons presse le Confesseur de luy donner l’absolution ?

Le Confesseur doit témoigner sa fidelité à Dieu, & à son ministere dans cette occasion, demeurant ferme à refuser, ou differer l’absolution, & faisant entendre avec une sainte liberté au penitent, que s’il veut se perdre & se damner, il ne veut pas contribuer à sa perte, ny se damner avec luy : mais il le doit faire en témoignant beaucoup de douceur, de compassion, & de charité paternelle pour son penitent.

Si le superieur ecclesiastique veut obliger le Confesseur sous peine de suspense, ou d’excommunication, de donner l’absolution à celuy qui se trouve dans quelqu’un des empeschemens qui sont exprimez cydessus, doit-il obeïr ?

Non : car encore que le Prestre soit inferieur à l’Evesque qui luy a donné le pouvoir qu’il a, neanmoins l’Evesque ne luy peut commander d’absoudre les impenitens, ou ceux qui ne veulent pas garder les loix de Dieu & de l’Eglise pour se corriger & sortir de leurs pechez. L’Evesque est ministre aussy bien que le Prestre, & ils doivent tous deux exercer leur ministere suivant les ordres du maistre commun qui est Jesus-Christ, & l’Eglise universelle.

Mais ne semble-t-il pas qu’il y ait trop de dureté dans cette conduite du refus, ou du delay de l’absolution, puisque c’est exposer le salut des penitens ?

Il y a au contraire plus de dureté & plus de peril à precipiter l’absolution qu’à la differer, lorsqu’on n’a pas sujet de croire que le penitent soit assez bien disposé pour la recevoir avec fruit. Car on ne fait ordinairement que l’entretenir dans son peché ; & outre la profanation du sacrement à laquelle on l’expose, on le met en danger encore plus lourdement qu’auparavant, l’infidelité & l’ingratitude rendant les pechez plus grands, & l’esperance de l’absolution luy ostant la crainte de les commettre. Ce n’est donc pas perdre, mais gagner beaucoup que d’eviter ces perils : & ceux qui employent du temps aux exercices de penitence, & à l’humiliation pour se rendre capables de la veritable remission de leurs pechez, sont sans doute dans une voye plus seure, que ceux qui ne sont que les reciter, s’imaginant qu’une ombre de penitence & d’absolution est capable de les sauver. Les Saints Peres, qui estoient animez d’un amour & d’un zele tres ardent pour les ames, n’ont pas cru que cette consideration, qu’un penitent pourroit mourir avant que d’estre absous, fust un fondement raisonnable & suffisant pour se dispenser des regles que l’Eglise avoit établies dans un point si important, & qu’elle a toujours regardées comme le nerf & le soutien de sa discipline. Et c’est ce qui a fait que nonobstant ces apprehensions qu’ils eussent pu avoir aussybien que nous, leur prattique ordinaire a esté de ne recevoir à l’absolution ceux qui avoient perdu par leurs crimes l’innocence de leur baptesme, qu’aprés les avoir fait passer par les exercices d’une longue & serieuse penitence.

Pourquoy les Saints Peres ont-ils usé de cette exactitude, & de cette fermeté avec les penitens, nonobstant la crainte qu’ils pouvoient avoir qu’ils ne mourussent sans absolution ?

C’est parcequ’ils estoient persuadez que le meilleur moyen pour faire entrer les penitens dans la connoissance de leurs pechez, & pour attirer sur eux la misericorde de Dieu, estoit de les mettre dans l’exercice de la penitence & des bonnes œuvres avant l’absolution, pour procurer à leurs ames une guerison plus parfaite, & pour empescher les rechutes dans le peché.

Quels sentimens devroit-on avoir d’une personne qui mourroit dans le cours de sa penitence, avant que d’avoir receu l’absolution du Prestre ?

Il n’y a rien que selon Dieu, les pasteurs zelez pour le salut des ames ne doivent faire pour empecher ce malheur, qui ne peut arriver que tres difficilement, puisqu’en cas de danger de mort tout Prestre peut donner l’absolution, ainsy que nous avons dit cy-devant. Mais quand cela arriveroit, on auroit toujours sujet, & mesme obligation de bien juger du salut d’une personne, qui estant vivement touché de la douleur de ses pechez, & travaillant de tout son pouvoir à les expier par de dignes fruits de penitence, est surpris d’une mort inopinée, avant que d’avoir receu l’absolution de l’Eglise, aprés laquelle il soupiroit, en s’y disposant selon l’ordre qui luy avoit esté marqué par son Confesseur. Car alors il auroit receu le sacrement de penitence in voto comme parlent les Theologiens : ainsi que les catecumenes qui mouroient estant bien disposés à recevoir le baptesme & n’ayant pu le recevoir estoient censez l’avoir receu dans le desir qu’ils en avoient. Et c’est le jugement que l’Eglise a toujours fait de ces penitens.

Le quatriême Concile de Carthage au can. 72. dit : Pœnitentes qui attente leges pœnitentiæ exequuntur, si in casu, in itinere, vel in mari mortui fuerint ; ubi eis subveniri non possit, memoria eorum & orationibus, & oblationibus commendetur. Si les penitens qui executent fidellement l’ordre de leur penitence, sont surpris de la mort en lieu où l’Eglise ne puisse pas leur donner secours & assistance, on ne laissera pas de faire en leur memoire des prieres & des offrandes pour les recommender à Dieu.

Et le second Concile d’Arles au can. 2. a dit la mesme chose en ces termes : De his qui in pœnitentia positi vítâ excesserunt, placuit nullum communione vacuum debere dimitti ; sed pro eo quod honoraverit pœnitentiam, oblatio illius recipiatur. Pour ce qui regarde ceux qui meurent dans le cours de la penitence qui leur a esté imposée, nous ordonnons qu’on ne les prive pas de la communion de l’Eglise, mais qu’on reçoive les offrandes qu’on fera pour eux, parcequ’ils ont honnoré la penitence.

Ainsy nous voyons que l’Eglise consideroit ceux qui mouroient en cet estat comme estant morts en la paix du Seigneur & en sa grace, les Prestres recevant les oblations qu’on faisoit en leur nom, & offrant le saint sacrifice, & les prieres de l’Eglise pour le repos de leurs ames.

Si le penitent ne s’accuse pas de quelque peché par ignorance, croyant qu’il n’y a point de mal en certaines choses que le Confesseur juge mauvaises, le peut-il absoudre sur la consideration de cette bonne foy pretenduë.

Cette ignorance, ou cette bonne foy pretenduë dans laquelle se trouve le penitent, ne l’excusant point devant Dieu, & ne l’exemptant pas de peché, le Confesseur trahiroit sa conscience s’il l’y laissoit sans l’en avertir ; & c’est en ces occasions qu’il doit prattiquer cette liberté d’esprit dont il a esté parlé cy-dessus. Ainsy si le penitent ne se met en son devoir, en faisant ce que Dieu demande de luy, ou ne promette de le faire, témoignant d’estre convaincu de cette obligation, en sorte que le Confesseur ait un sujet raisonnable de s’assurer sur sa promesse, il ne doit point l’absoudre.

Quelles sont les regles generales dont le Confesseur se peut servir, pour sçavoir quand il doit avertir le penitent qu’il reconnoist estre en mauvais estat, lorsqu’il ne s’en accuse pas ?

La premiere, c’est lorsque le penitent a quelque scrupule, & luy demande avis ; car en ce cas il luy doit dire la verité, bien qu’il prevoye qu’il n’en fera pas son profit.

La seconde, quand le penitent est dans une ignorance criminelle, & qui n’excuse point devant Dieu celuy qui agit par cette ignorance, le Confesseur alors est obligé de l’instruire, bienqu’il n’en soit pas requis par le penitent, & qu’il prevoye que cette instruction luy sera inutile ; parce qu’estant son pere spirituel, & estant chargé de son salut, il est dans l’obligation de luy faire connoistre les choses qu’il doit sçavoir.

La troisiême est, quand le penitent est dans l’ignorance de bonne foy, & qu’il y a apparence qu’il fera bon usage de la verité qu’on luy fera connoistre, le Confesseur est obligé de l’en avertir, & de ne la luy point cacher, parcequ’il y a beaucoup de bien à esperer pour le penitent, & qu’il n’y a pas d’inconvenient à craindre.

Quelle est l’ignorance qui n’excuse point de peché ?

L’ignorance qui n’excuse pas de peché celuy qui fait le mal ne croyant pas qu’il soit mal, est celle de la loy naturelle qui regle les devoirs essentiels de l’homme envers Dieu, envers soy-mesme, & envers le prochain, que l’on ne manqueroit pas de connoistre si la raison n’estoit obscurcie par le peché. Ainsy ces payens qui s’imaginoient faire un acte de Religion en sacrifiant leurs enfans à Moloch, ne laissoient pas de commettre un parricide, aussy bien que ceux qui tuoient ou exposoient leurs enfans nouveaux nez, quand ils ne les vouloient pas elever, se persuadant que cela leur estoit permis : & ceux qui s’estoient mis dans l’esprit que la simple fornication n’estoit pas un peché, ne laissoient pas de pecher en s’y abandonnant. C’est aussy une ignorance qui n’excuse point, quand on ignore les choses qu’on peut & qu’on doit sçavoir comme chrestien, & dont la connoissance est absolument necessaire pour exercer chrestiennement nostre profession.

Quelle est l’ignorance qui peut excuser de peché ?

L’ignorance qui peut excuser est, quand on ignore les choses qu’on n’a pu ny deu sçavoir, n’y estant point obligé par son estat & sa profession, telles que sont les choses de fait, & plusieurs de celles qui ne sont que de droit humain. Or quand le Confesseur voit son penitent dans cette derniere sorte d’ignorance, s’il juge qu’il y ait danger de luy découvrir la verité à raison des grands inconveniens qu’il y auroit à apprehender, il n’y est point obligé, & il peut laisser son penitent dans la bonne foy où il le trouve ; ce qui s’entend néanmoins en sorte que le public n’y soit pas interessé, & qu’il n’y ait point de scandale : car autrement il faudroit l’en avertir, par exemple si l’invalidité d’un mariage qui seroit inconnuë aux personnes mariées, estoit connuë de plusieurs autres personnes qui auroient raison d’en estre scandalisées : mais si la cause de cette invalidité estoit cachée, on pourroit ne la leur pas découvrir, s’il y avoit de grands inconveniens à craindre de cette separation ; puisque demeurant dans la bonne foy, ils ne commettent point de mal de vivre ensemble, comme S. Augustin le declare par ces paroles : Quid si, inquiunt virgo nesciens viro nupscrit alieno ? Hoc si semper nesciat, nunquam ex hoc erit adultera.

Comment se doit conduire le Confesseur lorsqu’il rencontre un penitent qui ne s’accuse que de fautes fort légeres, & qu’il a sujet de croire qu’il est coupable de beaucoup d’autres pechez plus griefs, sçachant que c’est une personne dont la vie n’est point reglée ?

Il doit l’instruire de ses obligations tant generales que particulieres, luy marquant les principaux defauts desquels il croiroit qu’il pourroit estre coupable, & l’avertir de l’importance qu’il y a de faire un soigneux & diligent examen de sa conscience, puisqu’autrement sa confession luy seroit plus prejudiciable qu’elle ne luy seroit utile ; aprés quoy il doit le renvoyer, afinqu’il se prepare plus à loisir, & luy assigner un temps auquel il vienne se representer.

Que doit faire le Confesseur à l’egard des personnes de pieté, lorsqu’il ne discerne pas bien si les manquemens dont elles s’accusent sont une matiere suffisante pour l’absolution ?

Il peut quelquefois les renvoyer sans leur donner l’absolution, principalement si ce sont des personnes dont l’innocence & la sainteté de vie luy soit connuë, leur donnant pour avis de s’adresser à Jesus-Christ comme au souverain Prestre, & de s’humilier profondement devant luy pour les pechez qui leur sont cachez. Mais pour l’ordinaire il les doit croire dans l’accusation qu’ils font de leurs fautes ; puisque d’une part il n’y a point de personnes si saintes qui ne pechent plusieurs fois tous les jours, & que de l’autre ceux qui sont plus saints voyent mieux leurs pechez que les autres.

Les Confesseurs doivent-ils porter les personnes de pieté qui communient fort souvent de se confesser toutes les fois qu’ils communient ?

Il est remarqué dans la vie de S. Charles qu’il se confessoit tous les jours, & beaucoup de saintes ames l’ont fait en ces derniers temps 3. ou 4. fois la semaine. L’esprit de penitence dont ils estoient remplis leur donnoit moyen de profiter de cette sainte prattique. Mais l’experience fait voir qu’il y en a beaucoup d’autres à qui elle nuit plus qu’elle ne sert, & que tout consideré il y a de grandes raisons qui font voir qu’il seroit plus à propos sur tout pour les filles & pour les femmes que les confessions ne fussent point si frequentes.

1. On découvre tous les jours que cette coûtume de se confesser si souvent donne lieu à des familiaritez dangereuses & de mauvaises attaches.

2. Des Confesseurs que leur pieté met à couvert de ce peril consument presque tout leur temps à écouter les confessions, & s’en trouvent accablez.

3. Il est difficile que se confessant si souvent on ne le fasse pas coûtume & sans presqu’aucun sentiment de ses fautes. On se repose sur l’absolution qu’on en reçoit, & on n’a presqu’aucun soin de s’en corriger. C’est une décharge que l’amour propre recherche au lieu qu’il vaudroit bien mieux qu’on sentist le poids de ses pechez durant quelques jours, qu’on s’en humiliât devant Dieu, & qu’on les reparât par de bonnes œuvres contraires, que de mettre tout comme l’on fait dans la confession aprés laquelle on ne s’en souvient presque plus, ce qui fait qu’aprés plusieurs années de confessions si frequentes on ne voit point que la plûpart de ces personnes en soient plus mortifiées & moins imparfaites.

Il semble donc qu’il seroit plus avantageux à ceux qui par l’avis d’un Directeur sage & éclairé communient les Dimanches & les Festes, de ne se confesser que tous les quinze jours au plus, & se contenter les autres jours de s’humilier devant Dieu dans la vûe de leurs fautes, & de les expier par quelque aumône ou quelque action de penitence avant que de s’approcher de la sainte Table, ou s’en retirer avec humilité s’ils se trouvoient coupables de quelque faute plus considerable qu’à l’ordinaire jusqu’a ce que le temps de se confesser fust venu. Il y a de l’apparence qu’on retireroit plus de fruit de cette conduitte, qu’elle ne seroit pas sujette à de si grands abus, & qu’elle seroit plus propre à conduire les ames à une pieté solide qui doit plus attacher à Dieu qu’aux hommes.