(1668) Idée des spectacles anciens et nouveaux « Idée des spectacles anciens et nouveavx. — Idée des spectacles novveavx. Livre II. — Chapitre IX. Des Exercices, ou Reveuës Militaires. » pp. 197-204
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(1668) Idée des spectacles anciens et nouveaux « Idée des spectacles anciens et nouveavx. — Idée des spectacles novveavx. Livre II. — Chapitre IX. Des Exercices, ou Reveuës Militaires. » pp. 197-204

Chapitre IX.

Des Exercices, ou Reveuës Militaires.

J e comprends sous un mesme Tiltre les Exercices & les Reveües. Premierement, pour abreger le plus que je puis : Secondement, parce que le premier est toûjours un agreable Spectacle, & que le second ne donne qu’un plaisir imparfait, s’il n’est accompagné de quelque démarche, & de quelque action.

Les Anciens ont esté exacts à cette Methode, & l’ont observée comme la chose la plus importante pour la Discipline, & la plus necessaire pour le succez. Les Perses obligeoient leurs Soldats de se retrouver le matin & le soir sous les Armes dans le Camp, pour y faire l’Exercice. Un certain Iphicrate porta parmy les Grecs cette maniere d’exercer leur Troupes, en un si haut point, qu’il ny avoit aucun Soldat qui ne fut capable de Commander, & qui n’eust assez de connoissance du Métier, pour estre consulté dans les plus grands perils. Les Romains surpasserent encore ce semble tous ces soins. Car au raport de Ioseph, ils occuperent leurs Soldats aussi bien en temps de Paix, qu’en temps de Guerre, & leur faisoient essuyer toutes les fatigues & toutes les rudesses du Métier, pour les leur rendre moins sensibles dans l’occasion. Les vieux Soldats estoient seulement dispensez de l’Exercice du matin. Mais les jeunes estoient obligez de se rendre à leur Quartier deux fois le jour, pour faire autant de fois leurs Exercices, pour se metre, ou pour se tenir en halaine, ou pour apprendre à vaincre les divers charmes de la Paix, comme l’oisiveté & la molesse.

Leurs Exercices consistoient principalement en trois ou quatres choses.

La premiere, estoit de faire bien entendre aux Soldats les divers commandements qui leur estoient faits ; de les leur faire souvent executer, tantost en particulier, tantost en compagnie de quelques uns, tantost avec tout le Camp.

La seconde, estoit de les tenir sous les Armes long-temps, soit en Hyver soit en Esté, pour rompre leur delicatesse, & pour les accoustumer au froid, au chaud, au poids, & l’embaras de leur habit Militaire. Troisiémement, on les faisoit combatre les uns contre les autres. On les divisoit en Partis, & on faisoit des attaquants, & des soûtenans. On en postoit une partie dans un lieu de défence, & on la faisoit forcer à l’autre.

En quatriéme lieu, On les faisoit changer de Camp, & faire une journée ordinaire sous les Armes, comme s’ils eussent apprehendé l’ennemy, ou qu’ils allassent à une Conqueste. Cette marche se faisoit en bon ordre, & sans qu’aucun soldat osast quitter son rang, pour quelque raison que ce fust. Toute licence estoit criminelle. Les Chefs inexorables, toute plainte honteuse, & la fatigue affectée. Ces Marches estoient ordinairement de vingt-milles, qu’ils faisoient en cinq heures de temps, & quelquefois en quatre, quand ils estoient pressez. Au milieu du chemin on leur oposoit assez souvent des obstacles, comme des fossez qu’il falloit franchir : tantost on affectoit de les faire passer dans des sables, ou dans des marests, & parfois mesme on les obligeoit de passer à nage des Rivieres. Les Officiers n’estoient pas plus exempts de ces fatigues que les Soldats, & faisoient gloire d’estre les premiers à obeïr, & de pouvoir servir d’exemple. Ils n’estoient point montez comme les nostres sur des Chevaux caparaçonnez, parez, poudrez, & chargez de rubans, & n’eussent pas osé se trouver à la teste des Troupes d’Infanterie, dans un équipage peu guerier. Ils eussent eû hõte de faire paroître mesme dans cette Guerre volontaire, plus de molesse que de force, de se vouloir épargner dans ces occasions, & éviter la peine qu’ils donnoient aux autres. L’Empereur Adrian essuya cette fatigue, & marcha à la Teste de ses Troupes, armé de toutes pieces, à pied, & fit cette journée entiere en cét équipage.

Nos Exercices se font avec beaucoup plus de douceur, & moins d’embaras & de dépence. Mais aussi ils ont beaucoup moins de succez, & ne contribuent à la Discipline & au Métier, qu’une intelligence bien grossiere & bien imparfaite : car outre qu’on fait toûjours la mesme chose, on s’attache à des actions particulieres qui ne servent presque de rien, ou presque jamais, qui sont naturellement sceuës & atenduës, ou qui ne se doivent enseigner qu’en particulier. Comme de presenter les Armes, de soufler mesche, &c.

Le principal fruit des Exercices, est d’accoustumer le Soldat au Commandement & à la fatigue. Pour cela, il faut les faire souvent sans excuser sur le temps ou sur la mode. Le métier est toûjours le mesme, & qui veut y reüssir, il faut qu’il s’y donne entierement. On n’apprend point parmy les molesses & les propretés de la Cour, les diverses fatigues de la Guerre. Le Camp est l’Echole des Braves ; & ie n’ay gueres veu de nos habiles & assidus Courtisans, sortir bien nets d’une occasion guerriere, ou particuliere, ou publique. Il y a toûjours dans leur fait plus de dexterité que d’asseurance, plus de bruit que d’action, & plus d’éclat que de merite. Pour les Excuser, je veux croire qu’ils manquent plûtost d’habitude que de cœur, que leur defaut vient plustost de leur Ecole que de leur naturel ; & qu’enfin ils sont plus propres à la Galanterie qu’à la Guerre, parce qu’ils ont esté plus assidus à la Ruelle qu’au Camp, & qu’ils ont employé plus de temps à faire l’Amour qu’à faire leurs Exercices.

Ie desirerois donc que l’on exerçast nos soldats presque tout autrement qu’on ne fait, ou pour laisser ce qui se fait bien, y ajoûter quelque invention qui fist encore quelque chose de mieux. Par exemple,

1. Que les Chefs attentifs à leur mestier s’estudiassent à diversifier l’exercice pour imiter le plus qu’ils pourroient les occasions d’une veritable guerre, qui sont presque toutes differentes.

2. Que l’on fist retrancher les Soldats dans un Camp tout à coup, comme craignans d’estre forcez, tantost marcher, & tantost se poster avantageusement.

3. Qu’ils cherchassent certains defilez où une partie des Troupes attaquast l’autre, pour leur apprendre ce qu’il faut faire en de telles rencontres, soit pour la defence, soit pour la retraite soit pour le raliement, &c.

4. Que le Roy eust partout des Places d’armes destinées à ces Exercices pour éviter le tort que pourroient soufrir les Proprietaires des champs occupez & choisis pour ce sujet. Sur tout aupres de Paris où il y a toûjours un grand nombre de troupes, il seroit de la gloire du Roy de faire un Camp exprés avec les accompagnemens & necessaires & commodes : Car aprés tout, sa valeur qui luy fait aymer la guerre ; & sa puissance qui le rend formidable à tout le monde, doivent à toute la terre, cette preuve de sa grande Ame & de sa Magnificẽce, & pour ne ceder en rien aux Romains, ny pour le merite des grãdes actions, ny pour la gloire des belles pensées, il faut que ce jeune Conquerant ait auprés de sa principale Ville, & à la veuë de son Louvre un Camp de pareille reputation, & à pareille fin que celuy de Mars. Le dessein & le deuis en sont tous prests.