(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Douzième Lettre. De madame d’Alzan. » pp. 250-253
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(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Douzième Lettre. De madame d’Alzan. » pp. 250-253

Douzième Lettre.

De madame d’Alzan.

Jachève de lire votre Projet. Mais oui, ma sœur, vous avez raison : on devrait exécuter ce Plan de Réforme. Il m’avait d’abord peu frappée ; aujourd’hui, il m’intéresse. Par lui-même, le Théâtre ne deshonore donc pas ? Ce sont les préjugés, l’inconséquence des hommes, & quelquefois les mœurs de ceux qui exercent cette profession estimable qui l’avilissent : mais si le Comédien est honnête, l’Actrice sage, réservée, ils sont des Citoyens utiles, ils peuvent atteindre à la véritable vertu ? Je me plais dans cette idée ; elle me console & m’encourage… Ma sœur, est-elle bien vraie ?

Monsieur D’Alzan, depuis quelques jours, me paraît plus triste qu’avant son voyage. Tout-à-l’heure, il était à mes genoux : jamais je ne le trouvai plus aimable ; jamais je ne le vis si tendre : il me quitte ; passe dans son appartement ; s’enferme, y reste accablé. C’est trop le laisser souffrir : prêtons-nous à sa faiblesse. La démarche sera regardée comme trop hardie : mais son motif l’excuse.

Ma sœur, il faudrait engager monsieur Des Tianges, à vous confier une Lettre de mon mari qu’il doit recevoir, par le même ordinaire que vous aurez celle-ci : copiez-la, & me l’envoyez : je l’exige de votre tendresse : sur-tout n’en supprimez pas le moindre mot. Je sais tout : mais les circonstances peuvent seules me guider… Adelaïde, je me sens une résolution, dont je ne me serais guères crue capable : si quelquefois j’hésite ; si je me sens intimidée, je regarde mon fils, & la force me revient. Il faut le gagner ; ce cœur, que je veux posséder seule, il faut le vaincre, le subjuguer…& j’y réussirai. Ah ! qu’il est facile de plaire, lorsqu’on est vue pour la première fois ! Tout est pour nous : nos attraits reçoivent une valeur inapréciable, non de nos vertus, de nos talens, qu’on ne saurait connaître… mais… le dirai-je ? de leur nouveauté : Nous sommes un objet neuf : voila le plus grand mérite des femmes. C’est de notre premier aspect que dépend l’illusion ; si l’amour semble croître par l’habitude à se voir, dans la vérité, ce n’est que le dévelopement, & l’affaiblissement peut-être de ce premier sentiment d’étonnement & d’admiration qu’une Beauté nonconnue avait d’abord causé.

Faut-il vous avouer qu’hier, j’allai chez ma Rivale ? Cette visite était nécessaire à mes desseins. Elle est bien loin sans doute de soupçonner quelle est celle qui recourt… J’ai dit ce que je desirais ; elle m’a promis ses bons offices. J’y retourne ce soir. Adieu, ma sœur. J’attens impatiemment votre Réponse. Qu’elle ne se fasse pas attendre. Mon Dieu ! que je suis troublée !.. Ma sœur… Ah qu’Ursule vous aime !

P. S. Votre fille & mon fils ont fait bien des caresses à monsieur D’Alzan. Il n’a pas dit un mot : mais il paraissait si touché ! si touché… Agathe le regardait avec surprise ; moi, je l’admirais… & je fesais plus encore.

Votre Lettre à monsieur de Longepierre a produit l’effet que nous en devions attendre.