(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Dix-Septième Lettre. De madame Des Tianges. » pp. 282-286
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(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Dix-Septième Lettre. De madame Des Tianges. » pp. 282-286

Dix-Septième Lettre.

De madame Des Tianges.

I l ne te connaît pas, non, il ne t’a pas reconnue : en voici la preuve :

Lettre de D’Alzan, à Des Tianges.

Pas un sentiment, pas un seul mouvement dans mon cœur, que je ne veuille desormais te communiquer, mon ami. Je me suis trop bien trouvé de ma confiance.… Dis, mon frère, où prends-tu ce don de faire sentir toute l’énormité des fautes, sans décourager, presque sans humilier le coupable ? ah Des Tianges, où le prends-tu ? O digne époux !… j’oserais dire, plus digne ami.… ta sublime vertu se rend petite avec moi ; elle s’enveloppe & se cache sous la livrée de ma misère ; ce n’est qu’avec ton estimable compagne qu’elle brille de cette vive & pure lumière, dont mes faibles yeux ne pourraient soutenir l’éclat. Mon ami, sans ma première faute, mon cœur, à l’heure que je te parle, mon faible cœur, serait égaré. Mais avant de m’accuser, il faut t’instruire de la chose la plus extraordinaire. Je vois depuis quelques jours sur notre Théâtre, une Jeune-personne toute charmante, si ressemblante à madame D’Alzan, que sans l’impossibilité, j’aurais cru que c’était elle-même. Tout est égal : ces yeux si beaux & si doux, ce regard modeste & touchant, ce son de voix enchanteur, cette taille dont la proportion est si parfaite, cette gorge provocante, ces beaux bras, cette jolie main, ce pied abrégé de toutes les grâces & qu’a dessiné l’Amour. La première fois qu’elle parut, je fus frappé ; je me hâtai de revenir, pour vérifier une ressemblance aussi singulière : je trouvai mon épouse tranquille, occupée des soins de sa maison : c’était précisément les mêmes traits, la même beauté : avec la même parure, on n’aurait pu distinguer Ursule de la nouvelle Actrice : pourtant, j’ai cru voir dans le sourire de madame D’Alzan plus de délicatesse.… Aussi, qui sourit comme elle ? Mais l’autre a plus d’éclat. C’est la parure, & cette idée de rouge, dont la teinte anime ses traits, & semble leur prêter plus de vivacité… Tu vois où je veux en venir. Cette Jeune-personne me donne de l’indifférence pour tout… absolument… Mais je suis dans la ferme résolution de ne lui rendre aucune visite. D’un autre côté, on pourrait ne pas se refuser la satisfaction de lui faire quelques présens.… de ces présens utiles.… conformes au goût raisonnable & solide que je lui sais.… Je ne la verrai pas au moins ! Que je lui dois ! C’est-elle, oui, bien elle seule, qui vient de rétablir le calme dans mon cœur. Oh ! mon ami, tu seras enchanté lorsque tu la verras : dans son jeu, c’est la nature ; mais embellie, mais séduisante, parée de fleurs de la jeunesse & de la beauté : son ton est celui de la douceur & de la vertu ; avec ce ton enchanteur, l’expression devient plus honnête, le sentiment se place sous chaque mot qui sort d’une si belle bouche ; à tout elle donne un prix inconnu. Mais sa modestie, ô mon ami, sa modestie.… Du Théâtre, elle s’est fait un Temple, que chaque Spectateur craint de profaner ; on n’entend plus l’aigre sifflement de l’envie, & l’incommode trépignement de la cabale : le Public, sur son compte, pense comme moi, & craint de rien perdre de ce qu’elle dit. Tous les cœurs sont pour elle.… Mademoiselle *** est pourtant généreuse ; elle a l’âme grande, belle : c’est elle, qui l’a produite, qui la mène, qui l’encourage, & qui s’en voit éclipser sans jalousie. Chose rare entre des femmes, &.… parmi les hommes. Ces deux Jeunes-personnes sont faites l’une pour l’autre.… Tu vois, mon ami, que je puis, sans manquer à mes devoirs, suivre le penchant qui me porte à lui prouver mon estime ? Parle ? je m’en rapporte à toi, mon frère. Je suis devenu tout autre : plus d’idées sombres : madame D’Alzan est elle-même d’un enjoûment qui ranime tout ce qui l’environne. Je crois l’orage dissipé.

Mon Oncle t’écrit : il te marque sans doute les nouvelles : c’est m’en dispenser. Adieu mon sage ami, le seul homme au monde digne de ce nom envers moi.

P.S. Je sens une peine, dont je ne démêle pas trop bien la cause.… Il me semble que cette belle Actrice n’est pas à sa place ; l’état de Comédienne.… Je voudrais bien.… la mettre dans le cas de ne dépendre que d’elle-même.

Voila le premier Billet : je vais en transcrire un second d’un autre style.

Lettre de Mlle ***, à Madame Des Tianges.

C’EST bien sans le vouloir, Madame, que je me suis vue prête à porter le trouble dans votre famille. Trompée la première aux apparences, je me crus permis de répondre aux avances d’un homme aimable, qui possède tout ce qui peut rendre une femme heureuse. Que n’ai-je plutôt vu dans monsieur D’Alzan, l’époux de celle à qui tout mon respect est dû.… de celle qui me permet de l’aimer ; qui, par son courage, va réparer toutes mes fautes ! Que je l’admire ! Elle ignore que je l’ai d’abord connue, & qu’entrevoyant son dessein, j’ai fait l’impossible pour qu’il réussît. Il vous est facile, Madame, de présumer quel a été le motif de ma conduite. Croyez que j’aime encore la vertu, après mes faiblesses, puisque je préfère ma Rivale à moi-même. Quelle Rivale, à la vérité ! Une épouse jeune, vertueuse & belle ; une Mère-de-famille, (ô nom respectable !) une femme.… qui me fait rougir de moi-même. Malgré tous ses titres, toutes ses perfections, il n’en est pas moins vrai, que d’autres ne se fussent pas, comme moi, sacrifiées à son bonheur. C’est à vous, Madame, que je m’adresse, pour instruire madame D’Alzan de mes dispositions, & pour être dédommagée du cœur que je perds, & dont, autant que personne, j’ai connu le prix : daignez quelquefois permettre que je vous voye en secret ; j’ai besoin de l’exemple d’une vertu telle que la vôtre pour me soutenir dans la route où je veux marcher le reste de ma vie ; d’un œil sévère, toujours ouvert sur moi, qui me fasse trembler à la seule pensée de m’égarer. Hélas ! maîtresse de moi-même à vingt ans, environnée d’écueils, dans un état que j’aime & que je ne saurais quitter, quel bonheur, si j’avais un appui tel que le vôtre ! J’espère cette grâce, Madame ; elle est nécessaire à celle qui veut être éternellement, &c.

P.S. Je sais que vous êtes instruite, Madame, de tout ce qui se passe ici : Madame D’Alzan m’a parlé de sa sœur, sans la nommer ; & d’ailleurs, je savais qu’elle ne fait rien, sans l’avoir consultée.

Ursule, qu’en dites-vous ?… O ma charmante amie, que cette fille me surprend ! En vérité, c’est bien dommage… Oui ; elle peut y compter ; je la verrai ; en secret, puisqu’il le faut ; mais sans répugnance, avec plaisir : je serai flatée de ses visites, & je desire son amitié.

Tu n’auras qu’à mon retour le travail de ton tendre, de ton généreux Amant (c’est à l’Actrice que je parle) : je te trouve assez occupée… Je gagerais que tu reviendras plus d’une fois au joli portrait… Ma sœur, quelle situation !… Mais la mienne, je crois, vaut mieux encore.

Adieu, courageuse héroïne : j’ai peine à me persuader que tout ceci n’est pas un songe : mais non ; c’est réellement, que monsieur D’Alzan a pu… Ma chère Ursule, tu es heureuse, & je le suis aussi. Reçois le plus doux des baisers.