(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — Seconde partie. Notes. — [C] » pp. 391-398
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(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — Seconde partie. Notes. — [C] » pp. 391-398

[C]

Tragédie. Représentation d’une Action héroïque, dont l’objet est d’exciter la terreur & la compassion. Elle est héroïque, si elle est l’effet de l’âme portée à un degré extraordinaire jusqu’à un certain point. L’héroïsme est un courage, une valeur, une générosité qui est au-dessus des âmes vulgaires. La première qualité de l’action Tragique est donc qu’elle soit héroïque. Mais ce n’est point assez : elle doit encore être de nature à exciter la terreur & la pitié ; c’est ce qui fait sa différence & qui la rend proprement tragique.

La terreur est un sentiment vif de sa propre faiblesse, à la vue d’un grand danger : elle est entre la crainte & le desespoir. La crainte nous laisse entrevoir, au moins confusément, des moyens d’échapper au danger. Le desespoir se précipite dans le danger même. La terreur au contraire affaisse l’âme, l’abat, l’anéantit en quelque sorte, & lui ôte l’usage de toutes ses facultés : elle ne peut ni fuir le danger, ni s’y précipiter. Or c’est ce sentiment que produit dans Sophocle le malheur d’Œdipe. On y voit un homme né sous une étoile malheureuse, poursuivi constamment par son destin, & conduit au plus grand des malheurs par des succès apparens. Ce n’est point-là, quoi qu’en ait dit un de nos beaux esprits, un coup de foudre qui fait horreur, ce sont des malheurs de l’humanité qui nous effraient. Nous sentons tous que nous ne sommes pas les maîtres de notre sort ; que c’est un Etre supérieur qui nous emporte quelquefois, & le tableau d’Œdipe, n’est qu’un assemblage de malheurs, dont la plupart des hommes ont éprouvé au moins quelque partie ou quelque degré. Ainsi, en voyant ce Prince, l’homme faible, l’homme ignorant l’avenir, l’homme sentant l’empire de la Divinité sur lui, craint, tremble pour lui-même, & pleure sur Œdipe : c’est l’autre partie du Tragique, la pitié qui accompagne nécessairement la terreur, quand celle-ci est causée en nous par le malheur d’autrui.

Nous ne sommes effrayés des malheurs d’autrui, que parce que nous voyons une certaine parité entre le malheureux & nous ; c’est la même nature qui souffre, & dans l’Acteur, & dans le Spectateur. Ainsi l’action d’Œdipe étant terrible, elle est en même-temps pitoyable, par conséquent, elle est tragique.

Le premier Acte expose le sujet ; le second fait naître l’inquiétude ; dans le troisième, l’inquiétude augmente ; le quatrième est terrible : « Me voila prêt à dire ce qu’il y a de plus affreux… Et moi, à l’entendre » : le cinquième est tout rempli de larmes.

Par-tout où le Tragique ne domine pas, il n’y a point de Tragédie. Le vrai Tragique règne, lorsqu’un homme vertueux, ou du moins plus vertueux que vicieux, est victime de son devoir, comme le sont les Curiaces ; ou de sa propre faiblesse, comme Ariadne & Phèdre ; ou de la faiblesse d’un autre homme, comme Philoctète ; ou de la prévention d’un Père, comme Hippolyte ; ou de l’emportement passager d’un frère, comme Camille ; qu’il soit précipité par un malheur qu’il n’a pu éviter, comme Andromaque ; ou par une sorte de fatalité à laquelle tous les hommes sont sujets, comme Œdipe ; voilà le vrai Tragique ; voilà ce qui nous trouble jusqu’au fond de l’âme & qui nous fait pleurer. Qu’on y joigne l’atrocité de l’action, avec l’éclat de la grandeur, ou l’élévation des Personnages, l’action est héroïque en même-temps & tragique, & produit en nous une compassion mêlée de terreur, (jointes à un sentiment qu’on pourrait presque nommer satisfaction) ; parce que nous voyons des hommes plus grands, plus puissants, plus parfaits que nous, écrasés par les malheurs de l’humanité. Nous avons le plaisir de l’émotion, & d’une émotion qui ne va point jusqu’à la douleur, parce que la douleur est le sentiment de la personne qui souffre ; mais qui reste au point où elle doit être, pour être un plaisir.

Mais la punition d’un oppresseur n’opère point le Tragique : Mithridate ne me cause point de pitié, non plus qu’Athalie & Aman, ni Pyrrhus. De même les situations de Monime, de Joad, d’Esther, d’Andromaque, ne me causent point de terreur. Ces situations sont très-touchantes ; elles serrent le cœur, troublent l’âme à un certain point, mais elles ne vont pas jusqu’au but. Si nous les prenons pour du Tragique, c’est parce qu’on nous l’a donné pour tel, que nous sommes accoutumés à nous en tenir à quelque ressemblance ; & qu’enfin, quand il s’agit de plaisir, nous ne croyons pas toujours nécessaire de calculer exactement ce qu’on pourrait nous donner. Où sont donc les dénouemens vraiment Tragiques ? Phèdre, les Frères-ennemis, Britannicus, Œdipe, Polyeucte, les Horaces ; en voilà des exemples. Le Héros pour qui le Spectateur s’intéresse, tombe dans un malheur atroce, effrayant : on sent avec lui les malheurs de l’humanité, on est pénétré, on souffre autant que lui. Aristote se plaignait de la mollesse des Spectateurs Athéniens, qui craignaient la douleur Tragique : qu’aurait-il dit aux Français ?

La Tragédie est née chez les Grecs, comme tous les Arts.

Eschyle, leur premier Tragique, donna à la Tragédie un air gigantesque, des traits durs, une démarche fougueuse, c’était la Tragédie naissante, bien conformée dans toutes ses parties, mais encore destituée de cette politesse que l’art & le temps ajoutent aux inventions nouvelles : il falait la ramener à un certain vrai que les Poètes sont obligés de suivre jusque dans leurs fictions. Ce sut le partage de Sophocle, son successeur. Sophocle, heureusement né pour ce genre de Poésie, avec un grand fond de génie, un goût délicat, une facilité merveilleuse pour l’expression, réduisit la Muse Tragique aux règles de la décence & du vrai ; elle apprit à se contenter d’une démarche noble & assurée, sans orgueil, sans faste, sans cette fierté gigantesque qui est au-dela de ce qu’on appelle héroïque ; il fut intéresser le cœur dans toute l’action, travailla les vers avec soin ; en un mot, il s’éleva par son génie & par son travail, au point que ses Ouvrages sont devenus l’exemple du beau & le modèle des règles. Il fut couronné 12 fois, & finit ses jours âgé de 90 ans.

Euripide s’attacha d’abord aux Philosophes : il eut pour maître Anaxagore ; aussi toutes ses Pièces sont-elles remplies de maximes excellentes pour la conduite des mœurs. Socrate ne manquait jamais d’y assister, quand il en donnait de nouvelles : il est tendre, touchant, vraiment tragique, quoique moins élevé & moins vigoureux que Sophocle : il ne fut cependant couronné que cinq fois : mais l’exemple du Poète Ménandre, à qui l’on préféra sans cesse un certain Philémon, prouve que ce n’était pas toujours la justice qui distribuait les couronnes. Il mourut avant Sophocle ; des chiens furieux le déchirèrent, à l’âge de 75 ans. Il avait composé 75 Tragédies.

Ce qui nous reste des Tragiques Latins n’est pas digne d’entrer en comparaison avec les Grecs. Sénèque a traité le sujet d’Œdipe après Sophocle, mais avec une infériorité si frappante, qu’on peut dire, qu’en lisant Sophocle, on est affligé ; mais que quand on lit Sénèque, on a horreur de ses descriptions ; on est dégoûté, rebuté de ses longueurs. Les Romains avaient des Tragédies de deux espèces. Ils en avaient dont les mœurs & les Personnages étaient Grecs ; ils les appellaient Palliates : & d’autres dont les mœurs & les Personnages étaient Romains ; elles s’appellaient Prétextates (on a déja vu cette distinction, sous l’Article Comédie). Quoiqu’il ne nous soit demeuré qu’une Tragédie de cette dernière espèce, (l’Octavie, qui passe sous le nom de Sénèque) nous savons néanmoins que les Romains en avaient un grand nombre ; telles étaient le Brutus qui chassa les Tarquins, & le Décius du Poète Attius ; & telle était encore le Caton d’Utique de Curiatus Maternus ; mais nous ne savons pas si cette dernière a jamais été jouée.

Passons quatorze siècles & venons tout-d’un-coup au grand Corneille. Ce génie sublime, qu’on eût appellé tel dans les plus beaux jours d’Athènes & de Rome, franchit presque tout-à-coup les nuances immenses qu’il y avait entre les essais informes de son siècle, & les productions les plus accomplies de l’art. Les Stances tenaient à-peu-près la place des Chœurs : mais Corneille, à chaque pas fesait des découvertes : bientôt il n’y eut plus de Stances ; la Scène fut occupée par le combat des passions nobles ; les intrigues, les caractères, tout eut de la vraisemblance ; les unités reparurent, & le Poème Dramatique eut de l’action, des mouvemens, des situations, des coups-de-Théâtre : les évènemens furent fondés, les intérêts ménagés, & les Scènes dialoguées.

Cet homme était né pour créer la Poésie Théâtrale, si elle ne l’eût pas été avant lui. Il réunit toutes les parties ; le tendre, le touchant, le terrible, le grand, le sublime : mais ce qui domine sur toutes ses qualités, & ce qui les embrasse chez lui, c’est la grandeur & la hardiesse. C’est le génie qui fait tout en lui ; qui a créé les choses & les expressions : il a partout une majesté, une force, une magnificence, qu’aucun de nos Poètes n’a surpassé.

Avec ces avantages, il ne devait pas s’attendre à des concurrens ; il n’en a peut-être pas encore eu sur notre Théâtre pour l’héroïsme : mais il n’en a pas été de même du côté du succès. Une étude réfléchie des sentimens des hommes, qu’il falait émouvoir, vint inspirer un nouveau genre à Racine, lorsque Corneille commençait à vieillir. Ce premier Tragique avait pour ainsi dire raproché les passions des Anciens, des usages de sa Nation ; Racine, plus naturel, mit au jour des Pièces toutes Françaises : guidé par cet instinct national qui avait fait applaudir les Romances, la Cour-d’Amour, les Carrousels, les Tournois en l’honneur des Dames, les Galanteries respectueuses de nos Pères, il donna des Tableaux délicats de la vérité de la passion qu’il crut la plus puissante sur l’âme des Spectateurs pour lesquels il écrivait.

Corneille avait cependant connu ce genre, & sembla ne vouloir pas y donner son attache : mais Racine, né avec la délicatesse des passions, un goût exquis, nourri de la lecture des beaux modèles de la Grèce, accommoda la Tragédie, aux mœurs de son siècle & de son Pays. L’élévation de Corneille était un monde, où beaucoup de gens ne pouvaient arriver. D’ailleurs ce Poète avait des défauts ; il y avait chez lui de vieux mots, des discours quelquefois embarrassés, des endroits qui sentaient le déclamateur. Racine eut le talent d’éviter ces petites fautes : toujours élégant, toujours exact, il joignait le plus grand art au génie, & se servait quelquefois de l’un pour remplacer l’autre : cherchant moins à élever l’âme qu’à la remuer, il parut plus aimable, plus commode, & plus à la portée de tout Spectateur. Corneille est, comme quelqu’un l’a dit, un aigle qui s’élève au-dessus des nues, regarde fixement le Soleil, & se plait au milieu des éclairs & de la foudre : Racine est une colombe qui gémit dans des bosquets de mirthe, au milieu des roses. L’histoire de la Tragédie Française ne finit point ici : mais c’est à la postérité qu’il appartiendra de la continuer.

Les Anglais avait déjà un Théâtre, aussi-bien que les Espagnols, quand les Français n’avaient encore que des tréteaux : Shakespear fleurissait à-peu-près dans le temps de Lopez de Vega. Il créa le Théâtre Anglais, par un génie plein de naturel, de force & de fécondité, sans aucune connaissance des règles : on trouve dans ce grand génie le fond inépuisable d’une imagination pathétique & sublime, fantasque & pittoresque, sombre & gaie ; une variété prodigieuse de caractères, tous si bien contrastés, qu’ils ne tiennent pas un seul discours que l’on pût transporter de l’un à l’autre. Ce qui lui manque, c’est le choix. Quelquefois, en lisant ses Pièces, on est surpris de la sublimité de ce vaste génie, mais il ne laisse pas subsister l’admiration. A des portraits où règne toute l’élévation & toute la noblesse de Raphaël, succèdent de misérables tableaux dignes des Peintres de Taverne. Il fut suivi de Johnson, beau fils d’un Maçon, profession qu’il exerça lui-même. A Johnson succéda Otway, Poète tendre & touchant. Congrève, Irlandais, mit toute la régularité & la correction qu’on peut desirer dans le Dramatique, joints à beaucoup d’esprit. Rowe, qui ne fut pas inférieur à Congrève, saisit en particulier toutes les occasions qui se présentèrent de faire servir le Théâtre à inspirer les grands principes de la liberté civile. Cette liste finit au grand Addisson : le Caton d’Utique de cet illustre Auteur est le plus grand Personnage, & sa Pièce est la plus belle qui soit sur aucun Théâtre. [Il est aisé de conclure, que les seuls rivaux des Français dans la Tragédie, sont les Anglais ; que dans la Comédie, ces derniers ne sont encore que les imitateurs des premiers, & que ceux-ci surpassent en même-temps leurs Contemporains & les Anciens].

Le genre de Poème auquel Melpomène préside, affecte plus que la Comédie. Il est certain que les hommes en général ne sont pas autant émus par l’action Théâtrale, qu’ils ne sont pas aussi livrés au Spectacle durant la Représentation des Comédies, que durant celle des Tragédies. Ceux qui sont leur amusement de la Poésie Dramatique, savent un plus grand nombre de vers des Pièces de Corneille & de Racine, que de celles de Molière : enfin le Public préfère le rendez-vous qu’on lui donne pour le divertir en le fesant pleurer, à celui qu’on lui présente pour le divertir en le fesant pleurer, à celui qu’on lui présente pour le divertir en le fesant rire. Nous ne reconnaissons pas nos amis dans les Personnages du Poète Tragique : mais leurs passions sont plus impétueuses ; & comme les loix ne sont pour ces passions qu’un frein très-faible, elles ont bien d’autres suites que les passions des Personnages du Poète Comique. Ainsi la terreur & la pitié que la peinture des évènemens Tragiques excitent dans notre âme, nous occupent plus que le rire & le mépris que les incidens des Comédies produisent en nous.

Le but de la Tragédie étant d’exciter la terreur & la compassion, il faut d’abord que le Poète Tragique nous fasse voir des Personnages également aimables & estimables, & qu’ensuite il nous les représente dans un état malheureux. Les malheurs des scélérats sont peu propres à nous toucher ; ils sont un juste supplice, dont l’imitation ne saurait exciter en nous ni terreur ni compassion véritable (à raison de l’indignation qui a précédé, & du sentiment d’estime de nous-même, bien ou mal fondé, qui nous dit que nous ne leur ressemblons pas, & qu’ils nous sont étrangers ; ce qui éteint la compassion). Leur supplice, si nous le voyions réellement, exciterait bien en nous une compassion machinale ; mais comme l’émotion que les imitations produisent n’est pas aussi tyrannique que celle que l’objet même exciterait, l’idée des crimes qu’un Personnage de Tragédie a commis, nous empêche de sentir pour lui une pareille compassion. On peut donc mettre des Personnages scélérats sur la Scène Tragique, mais on blâmerait le Poète qui donnerait à des Personnages scélérats des qualités capables de leur concilier la bienveillance du Spectateur. Ce serait aller contre le grand but de la Tragédie, que de peindre le vice en beau ; ce but doit être de purger les passions, en mettant sous nos yeux les égaremens où elles nous conduisent, & les périls dans lesquels elles nous précipitent.

Les Poètes Dramatiques dignes d’écrire pour le Théâtre, ont toujours regardé l’obligation d’inspirer la haîne du vice, & l’amour de la vertu, comme la première obligation de leur art. Quand je dis que la Tragédie doit purger les passions, j’entens parler seulement des passions vicieuses & préjudiciables à la Société ; & on le comprend bien ainsi. Une Tragédie qui donnerait du dégoût des passions utiles à la Société, telles que sont l’amour, l’amour de la partie, l’amour de la gloire, la crainte du deshonneur, serait aussi vicieuse qu’une Tragédie qui rendrait le vice aimable.

On ne saurait blâmer les Poètes de choisir pour sujet de leurs imitations les effets des passions qui sont les plus générales, & que tous les hommes ressentent ordinairement : or de toutes les passions, celle de l’amour est la plus générale ; il n’est presque personne qui n’ait eu le malheur [ou le bonheur, c’est selon] de la sentir, du moins une fois en sa vie. C’en est assez pour s’intéresser avec affection dans une Pièce aux sentimens de ceux qu’elle tyrannise. Mais nos Poètes ont poussé trop loin la complaisance pour le goût de leur siècle ; ou, pour mieux dire, ils ont eux-mêmes fomenté ce goût avec trop de lâcheté. En renchérissant les uns sur les autres, ils ont fait une ruelle de la Scène Tragique ; qu’on nous passe le terme.

La Tragédie sera moins majestueuse, moins vénérable, si l’on choisit son héros dans un temps trop proche du nôtre ; mais elle sera plus utile. Les Poètes Grecs ont mis sur leur Scène des Souverains qui venaient de mourir, & quelquefois même des Princes vivans : ils se proposaient par-là de plaire à leur Partie, en rendant odieux le gouvernement d’un seul ; & c’était un moyen d’y réussir, que de rendre les Rois méprisables par un caractère vicieux, & l’exposition de faiblesses dont l’univers retentissait encore. C’est par un motif semblable que l’on a long-temps représenté avec succès, sur un Théâtre voisin du nôtre, le fameux Siége de Leyrie, que les Espagnols firent par les ordres de Philippe II, & qu’ils furent obligés de lever en 1578. Comme Melpomène se plaît à parer ses Personnages de couronnes & de sceptres, il arriva dans ces temps d’horreurs & de persécutions, qu’elle choisit dans cette Pièce Dramatique pour sa victime, un Prince contre lequel les Spectateurs étaient révoltés.

Il y a un genre de Tragédie qu’on nomme Tragique-bourgeois. Il arrive tous les jours dans les conditions médiocres, des évènemens touchans, qui peuvent être l’objet de l’imitation poétique. Il semble même que le grand nombre des Spectateurs étant dans cet état mitoyen, la proximité du malheureux & de ceux qui le voient souffrir serait un motif de plus pour s’attendrir. Cependant, l’objet des Arts, qui sons tous faits pour embellir la nature, étant de viser toujours au plus grand & au plus noble, où peut-on trouver le Tragique parfait, que dans les Rois ? Sans compter qu’étant hommes comme nous, ils nous touchent par le lien de l’humanité, le degré d’élévation où ils sont, donne plus déclat à leur chute. L’espace qu’ils remplissaient par leur grandeur, semble laisser un plus grand vide dans le monde. Enfin l’idée de force & de grandeur qu’on attache à leur nom, augmente infiniment la terreur & la compassion.

Septimanie.

Mais, nous ignorions tout cela, mon amie, lorsque nous ne prononcions le mot de Théâtre, qu’avec une sorte d’horreur ?

Honorine.

L’ignorance est toujours crédule pour le mal, injuste, sévère.

Des Arcis.

Ma sœur, la plupart des Misomimes ne sont pas mieux fondés que vous l’étiez.