(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — Seconde partie. Notes. — [N] » pp. 431-435
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(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — Seconde partie. Notes. — [N] » pp. 431-435

[N]

Adelaïde.

Il semble que les Enfans soient tous nés Comédiens, tant on trouve de facilité à leur enseigner le Mimisme : en effet, cet âge est celui des Jeux & des Ris ; tout est prestige, tout est illusion dans cet âge charmant ; & tout ce qui est imitation & faux-semblanta des attraits pour lui : la Comédie, qui n’est qu’une image des mœurs par son intrigue, est aussi la peinture des actions par ses Imitemens, comme elle est celle des manières par ses Modelemens ; cet Exercice doit être par-là doublement utile à la Jeunesse, qu’il prépare à remplir réellement dans la Société, ce qu’elle a feint sur la Scène. Ajoutez, qu’il est juste que les Enfans ; qui ne portent rien encore du fardeau imposé à tous les Citoyens, contribuent, comme à Sparte, au délassement des hommes, qui les nourrissent, les protégent & les instruisent. L’on doit donc approuver ceux qui prennent cette voie, si d’ailleurs ils ont l’attention la plus scrupuleuse à ne rien mettre que d’extrêmement châtié dans la bouche de ces innocentes créatures. Voyons la Note de monsieur Des Tianges à ce sujet.

[Des Arcis lisant :] On sait que la Jeunesse Romaine jouait exclusivement les Atellanes. Les Nations modernes, ont encore imité les Anciens dans cette partie du Dramatisme : dès l’année 1662, on vit à Paris, à la Foire St-Germain, la Troupe d’Enfans nommée la Troupe du Dauphin, sous la Direction du sieur Raisin & sa femme : on se rappelle avec plaisir, que le fameux Baron sortit de cette Ecole. Vers l’an 1674, on donna l’Opéra des Bamboches, qui attira tout le monde durant deux hivers. Ce Spectacle était un Opéra ordinaire, avec la diférence que la partie de l’action s’exécutait par une grande Marionnette, qui fesait sur le Théâtre les gestes convenables au Récit que chantait un Musicien, dont la voix sortait par une ouverture ménagée dans le plancher de la Scène : ces sortes de Spectacles ridicules réussiront toujours dans ce pays. En 1677, un Particulier fit construire au Marais une Salle d’Assemblée, avec un Théâtre où il ne fit paraître que de petits Enfans : ce qui fit nommer son Théâtre, le Théâtre des Bamboches, du nom d’un Peintre1 qui ne peignait que de petites figures : ce Spectacle, qui plut dans sa nouveauté, ne subsista que quelques mois. Lorsque l’Opéra-comique fesait un Spectacle à part, on y fit très-souvent jouer des Enfans, & c’est-là que se sont formées deux Actrices actuelles du Théâtre Français.

Ambigu-Comique, (qui serait mieux nommé théatre-éphébique 2, & Comédiens-de-Bois. Un Acteur Ex-Italien vient d’établir un Spectacle à-peu près dans le genre de l’Opéra & du Théâtre des Bamboches : mais où l’on découvre plus de moyens de perfection, puisque ce Théâtre réunit trois genres différens : Une sorte de Déclamation, rendue par des Enfans : Des Marionnettes, au Jeu desquelles il manque peu de chose pour opérer une certaine illusion : & la Pantomime exécutée par les jeunes Acteurs. On n’ignore pas que ce dernier genre fit durant trois siècles les délices de Rome. (Voyez la Note suivante). Je vais examiner les avantages qu’on peut retirer de ce nouveau Théâtre.

L’idée du Directeur de l’Ambigu-Comique est des plus heureuses : elle doit intéresser le Gouvernement & les Amateurs du Théâtre. Le premier pas est fait : il n’y aurait plus qu’à perfectionner. Ainsi dans le cas où l’exécution du Projet utile que nous avons lu serait différée, le Nouveau-Théâtre pourra devenir une Ecole, où se formeront de jeunes Elèves pour les trois Spectacles de la Capitale. Mais pour y parvenir, il est mille choses, qu’un Directeur particulier ne peut exécuter avec la meilleure volonté du monde. Il faut que les Enfans, pour être un jour des Acteurs, reçoivent une bonne éducation ; qu’ils soient instruits, formés pour le cœur, pour l’esprit, & pour le corps : n’envisager dans cette Jeunesse que le service présent, c’est la perdre : lui faire exécuter des Pièces libres, serait un crime digne de toute la sévérité des Loix. On ne pourrait donc trop desirer que ces Enfans eussent des Maîtres pour les Sciences & les Arts les plus analogues au Comédisme. Il est sur-tout indispensable qu’on leur donne des mœurs. Alors cette Jeunesse, entrée dans la carrière, de l’aveu de ceux dont elle dépend, n’aura jamais à rougir d’elle-même, ni à se reprocher les égaremens de ses premières années. Quant à la manière de leur former un Actricisme parfait, celle que je vais proposer ne sera pas goûtée des Acteurs des grands Théâtres : mais ici ce ne sont pas nos Comédiens qu’il faut consulter : ils sont faits comme tous les autres hommes ; un Etablissement nouveau, du même genre que le leur les révolte, excite leur jalousie, & leur fait desirer de l’anéantir : l’utilité publique est un motif faible pour quiconque fait corps à part. Les Comédiens se croiront toujours en droit de circonscrire le Néomime dans les bornes les plus étroites : Mais le Gouvernement donc la sagesse est toujours au-dessus des petites vues des particuliers, verra sans doute que le Théâtre-Ephébique, loin de nuire aux autres Spectacles, peut leur devenir utile : il verra que pour opérér cette utilité, il est nécessaire que le Néomime puisse faire jouer les Pièces Tragiques, Comiques, & des Opéras, mais toujours par des Enfans ; qu’il serait à propos que le premier Acte de l’Ambigu fût, par exemple, un rapproché, intelligemment fait d’une Pièce du Théâtre Français, où, en conservant les plus beaux vers, les situations les plus intéressantes, on réduise la Pièce à la longueur d’un seul Acte ; que le second fût une Pièce en un Acte (ou si elle était en plusieurs, réduite comme la première) du Théâtre des Ariettes ; que le troisième fût un Opéra, une Pastorale en un Acte comme le Devin-de-Village, on réduit, si c’était Roland, Armide, &c. enfin que la Pantomime simple & dansante précédât & suivît ces trois Pièces. Par ce moyen, les jeunes Elèves s’accoutumeraient de bonne heure au vrai genre d’imitation, & s’exerceraient dans les Pièces même où ils seraient destinés à jouer par la suite. Pour dédommager les Grands Spectacles de ce qu’ils accorderaient au Théâtre-Ephébique, il suffirait que chacun d’eux eût le droit d’y prendre les Sujets exercés dans son genre, soit pour jouer instantanément dans les Pièces où ils auraient des rôles d’enfans à remplir, soit pour les attacher à leur Théâtre, lorsqu’ils paraîtraient suffisament formés. Voila ce que toutes les personnes sensées verront comme moi.

Le moyen que je viens de proposer, pour rendre utile le Théâtre-Ephébique, n’est pas le seul ; il en est un autre, peut-être moins avantageux pour les jeunes Acteurs, mais dont l’effet serait plus présent pour le Public : Qu’on abandonne tout-à-fait le mauvais genre de Pièces, adopté, faute de pouvoir mieux par le Néomime soumis au caprice des Grands-Comédiens : au lieu d’intrigues communes & triviales, de passions froides, dont l’expression est aussi gauche que messéante dans la bouche des Enfans-acteurs, qu’ils jouent de petites Pièces plus proportionnées à leur âge ; par exemple, que ces nouvelles Atellanes peignent les passions, les goûts, les défauts de l’Enfance : qu’on prenne encore des sujets naïfs dans les Fables de Lafontaine de Lamotte &c. Ainsi l’on créerait un genre nouveau, utile à l’humanité commençante, de la même manière que la Grande Comédie l’est aux personnes faites. Je laisse à penser jusqu’à quel degré de perfection ces petits Drames pourraient être portés. Il serait à desirer aussi, que chaque Grand-Comédien en adoptât un Petit, après avoir fondé ses dispositions, & qu’il en fît son-élève & son successeur : Pylade & Pâris en usèrent ainsi.

Cette nouvelle forme, qu’il s’agirait de donner au Théâtre-Ephébique, exigerait à la vérité plus de dépenses & une Troupe nombreuse : néanmoins des raisons assez fortes, & que je dirai plus bas, empêchent qu’on ne permette au Néomime d’aggrandir sa Salle : le même motif me porte à croire qu’il serait à propos que l’Ambigu-comique ne pût avoir ni Machines, ni un Orquestre complet : on le priverait de tout ce qui ne serait pas essenciel pour former la Jeunesse : j’opinerais même encore à ce que son Orquestre fût composé, comme son Théâtre, de jeunes Sujets, distingués par des talens déja supérieurs, qui de-là passeraient aux autres Spectacles, afin que tout le nouveau Théâtre devînt un Ecole, dont le Public serait le Professeur : ainsi lorsque la Représentation serait achevée, les jeunes Acteurs rangés dans la Salle de Répétition, seraient obligés d’écouter durant une demi-heure, les avis que les Spectateurs éclairés jugeraient à propos d’aller leur donner, & de recevoir également bien le blâme & la louange : & pour fournir au surcroît de dépense, les Places seraient à 3 l ; I. 1.16 f ; I 1.4 f ; & 12 f.

Mais, diront les Grands-Comédiens, le Néomime diminnera le nombre de nos Spectateurs & notre Recette.

Je répons négativement. I. Le Jeu des Enfans plaira sans doute : mais il n’est pas assez parfait, le Théâtre ne sera pas assez également bien composé pour attacher l’homme-de-goût, sérieux ou léger, que les grands Théâtres ont coutume d’attirer : il ira quelquefois chez le Néomime, mais il suivra journellement les Théâtres ordinaires. 2. Je dis que nos Théâtre ne sont pas suffisans, & je donne en preuve cinq cens personnes obligées de s’en retourner faute de Billets, lorsque les premiers Acteurs daignent jouer dans les bonnes Pièces. 3. Ceux que la proximité, le goût d’un Actricisme enfantin, & le peu de dépense attirent chez le Néomime, n’iraient que rarement aux autres Spectacles. 4. L’étendue de la Salle du Néomime étant déterminée & beaucoup moindre que celle des autres Spectacles, il est clair qu’il ne pourrait leur ôter que peu de monde. 5. Il ne remplacera ni les Comédies, ni l’Opéra, ni la Tragédie, précisément parce qu’il tiendra de tous ces genres. 6. Qu’on en essaye, & l’on verra : car en ceci, comme en Physique, l’expérience vaut mieux que le raisonnement.

Je crois que l’on pourrait encore varier le Spectacle du Néomime, en lui prescrivant de donner deux fois par semaine ses Marionnettes & sa Pantomime, non-seulement afin de procurer quelque relâche à ses jeunes Acteurs, mais encore parce qu’on regretterait beaucoup qu’on négligeât tout-à-fait la Pantomime. L’autre genre n’est pas non-plus sans agrément : il y a certaines choses qu’on ne peut guères faire dire qu’à des Comédiens-de-bois.

Je concluerai donc en disant, que loin d’interdire au Néomime les Pièces suivies & intriguées, & de le laisser sous la tyrannie des Comédiens des grands Théâtres, il faudrait l’y soustraire, & le rendre utile, en dépit d’eux-mêmes, à ces Comédiens, qui trop souvent tourmentent le Public par des Débutans que Melpomène & Thalie ne peuvent avouer.

honorine.

Ces pauvres petits Enfans ! Mon amie, j’aurai bien du plaisir à les voir.

Adelaïde.

Ce Spectacle peut devenir charmant, mais il faudrait encourager les Elèves par des ménagemens & de la douceur.

[Je crois qu’on doit honorer le talent dès qu’il se montre : quelques-uns des Enfans-Acteurs du Théâtre-Ephébique promettent beaucoup : mais je le répète d’après l’Auteur, il faudrait envisager l’avenir pour ces jeunes Elèves, & dans les Pièces, respecter scrupuleusement leur innocence. Voici les Noms des principaux :

Mademoiselle Eulalie Audinot , fille du Directeur, pour l’Actricisme & la Danse. De l’expression dans le premier genre, & beaucoup de grâces dans le second. Agée de… 13 à 14 ans.

messieurs, mesdemoiselles,
Moreau, petit Arlequin très-intelligent, haut de 2 pieds : 15 ans. Pezé, a joué jusqu’à présent les rôles de Pierrot, & plusieurs Rôles de Femme.
Talon l’aîné, joue les Amoureux, les Abbés : cet Enfant donne les plus belles espérances : 14 ans. Adrienne, les rôles de colombine : âgée de……… 12 ans
Talon cadet, les rôles de caractère, les personnages ridicules, &c. âgé de……… 12 ans. Tonton, sœur de la précéd. les Amoureuses, les Poissardes. 11ans
Marcadet, les Pères, les Jaloux : promet beaucoup…… 14 ans. Durand, les rôles de caractère vifs & légers……… 11 ans.
Ferrière, les rôles de caractère, de spadassin, &c…… 13 ans. Rivière, pour les rôles d’ingénuité………… 9 ans,
Ledais, les rôles de Paysans ; destiné aux rôles de Pierrot : 11ans. Évrard, les Vieilles, dans les Pièces & les Ballets……13 ans
Bordier, les Crispins ; a d’excellentes dispositions… 11 ans. Sophie, que la petite-vérole vient d’enlever, aurait excellé dans le rôles d’Agnès.
Hurpy fils, destiné à doubler le Pierrot………… 8 ans Les mêmes Acteurs jouent & dansent.

Hurpy père, fait parler Polichinel, dans les Scènes Automatiques.

Auteurs des Pièces actuelles.

M.Mussot-Arnould, a donné les trois premières Pièces, le Testament-de-Polichinel, le Retour-de-Polichinel, & la Fontaine merveilleuse.

M.Nougaret, le Bouquet, & les Fourberies-du-Petit-Arlequin.

M.Baret a donné l’Ile-de-la-Frivolité.

M.Pleinchesne a donné la Guinguette, les Étrennes-de-Polichinel : Pièces amusantes, mais où l’on ne voudrait pas d’équivoques : par-tout elles révoltent l’honnête-homme ; elles l’indignent, mises dans la bouche des Enfans.

Messieurs Arnould & Nougaret sont Auteurs de la plus grande partie des Scènes automatiques].