(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — Seconde partie. Notes. — [R] » pp. 447-466
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(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — Seconde partie. Notes. — [R] » pp. 447-466

[R]

CINQUIÈME ENTRETIEN.

Des Tianges.

Achevons aujourd’hui, mon amie, de donner a ces aimables Enfans, une idée de tout ce qu’il y a de spectaculeux dans la Capitale.

Adelaïde.

Nous attendons plus encore ; vous nous avez promis un Projet…

Des Tianges.

Je tiendrai parole. Commençons. [Il lit :]

Baladins ; Combats De Bétes ; Curiosités ; Waux-halls. On comprend sous ces noms, les Spectacles des Boulevards ou des Foires, & les Salles de simple amusement.

I. Le premier Théâtre des Baladins est sans contredit celui de Nicolet : les Tours-de force que l’on y voit, la Danse-de-corde, les Sauts-périlleux peuvent donner ce plaisir vif qui naît de la surprise, de l’étonnement, unis à la crainte du danger auquel le Baladin s’expose. Ce Spectacle est tout matériel, & n’entre pas dans mon objet : j’en laisse à d’autres la description. Les Parades qui suivent les Danses-de-corde sont une peinture, quelquefois assez vraie, des mœurs communes des gens de la plus basse condition. Je dis une peinture des mœurs communes ; parce que la Comédie-Ariette, qui peint les mêmes conditions, ne les envisage pour ainsi dire que dans leurs jours de fêtes : au lieu que les Parades du Baladin, prennent le Savetier, le Cordonnier, le Tailleur, le Cocher, &c. dans leur ménage, leur travail, dans leurs ribotes, dans leurs querelles, &c. Je ne doute nullement que ces Parades ne pussent devenir utiles, si des Auteurs moins libres que Vadé, mais aussi bons observateurs, daignaient donner quelques momens à ces peintures ; la manière & le faire honorent l’Artiste, quel que soit le genre qu’il ait adopté.

II. Les Théâtres de Marionnettes n’ont rien qui doive intéresser, si ce n’est le mécanisme : l’on trouve souvent à nos Foires & sur les Boulevards des merveilles de l’art dans le genre automatique ; tels étaient, il y a quelques années les Fantoccini, Marionnettes d’un mécanisme très-savant : c’était de petites figures hautes d’un pied, qui jouaient des Pièces, & fesaient tous les gestes analogues au sujet, avec une vérité que tout Paris admira.

III. Nos Combats de Bêtes sont une faible image de ceux qui se fesaient sur l’arène des Amphithéâtres Romains. On voit chez nous, un Taureau dont les cornes sont sciées, qui se bat, dans un enclos petit & mesquin, contre quelques chiens éclopés : on lâche quelquefois un Lion avec sa muselière : le Peccata brille encore, & partage les applaudissemens. Nous sommes loin de regretter les Spectacles sanglans des Romains, mais observons ici, que tout ce qui existait en grand parmi eux, n’est revenu parmi nous qu’en petit. J’en conclus que nous mûrissons, & que nous ne donnons plus à des jeux d’enfant, l’attention que méritent les choses sérieuses.

IV. Outre les Théâtres de Jeux, la Capitale offre encore un autre aliment à la curiosité : ce sont, ou des animaux étrangers, ou des Machines dont la construction savante & compliquée peut avoir un but estimable, en la tournant à l’avantage des arts & des métiers nécessaires ; des Optiques, qui présentent des Perspectives de Villes, de Ports-de-mer, de Batailles, &c. Rien de plus légitime, que le gain que fait un Artiste intelligent, inventeur d’un ouvrage au-dessus des vues communes ; & rien de plus naturel que la curiosité de l’homme qui cherche à s’instruire, à acquérir de nouvelles lumières : la vue d’une machine quelconque, inutile en elle-même, a souvent fait naître les idées les plus heureuses pour les commodités de la vie. Il n’est pas moins naturel, que nous desirions de voir les créatures auxquelles notre climat est étranger : tous les êtres ont entr’eux une espèce de fraternité ; je n’en voudrais pas d’autre preuve que le plaisir que nous ressentons en voyant pour la première fois un être vivant, & cette inquiétude qui nous porte à desirer de connaître ses qualités extérieures, ses inclinations, ses goûts, sa manière de se nourrir, son utilité ou sa nuisibilité pour nous, & pour les autres animaux, &c.

L’occupation qu’ont tous ces montreurs de Curiosités, & les Baladins des Foires, presque toujours misérables, prouve mieux que le raisonnement, que l’avidité de voir & d’être amusé, est un sentiment inextinguible dans l’homme.*

V. Les Waux-Halls sont une mode anglaise francisée, c’est-à-dire affaiblie : le sieur Torré vient d’avoir une vogue étonnante ; veut-on savoir ce qui fesait accourir les Français chez lui ? Ses Fêtes ? il n’en donne plus. La danse, la bonne chère ? Il n’est pas du bel usage d’y danser, & d’y manger. Qu’est-ce donc qui les attirait ? Le plaisir de se voir eux-mêmes. Heureux Peuple, qui pour s’amuser, n’a plus besoin ni des Arts, ni des Talens, ni même de la Musique, pour laquelle on croit qu’il se passionne ; mais qui se contente du spectacle tout pur de ses ridicules ! Aimable réciprocité, qui, par une convention tacite, fait qu’aux yeux des autres, chacun est ce qu’ils sont pour lui, un Histrion, ou même une espèce de Polichinel petit-maître, très-divertissant. O Français ! avez-vous oublié les Pantins !

Septimanie.

Je sens bien pourquoi l’on approuve les Machines, les Optiques, & l’on permet de montrer des Animaux étrangers : mais pourquoi tolère-t-on les Bateleurs ? quelle est leur utilité ?

Des Tianges.

Quelle elle est, Mademoiselle ? De réjouir, de récréer le Peuple : objet plus important qu’une jeune-personne ne peut le sentir. Il faut au Peuple des amusemens qui lui soient proportionnés, des Spectacles matériels comme les Danses-de-corde, les Tours-de-force &c. tels qu’en donne l’Archi-Baladin de nos Foires : j’ai trouvé même que quelques-unes de ses Parades étaient au-dessus de la portée des Spectateurs ordinaires.

Adelaïde.

Vous n’approuvez donc pas ce que j’ai proposé, de donner aux Baladins nos Pièces de rebut ?

Des Tianges.

Pardonnez : mais c’est dans le Systême que je vais vous lire.

 

Si l’on jugeait qu’une Réforme aussi entière que vous l’avez proposée, dût entraîner des difficultés dans l’exécution, qui en balançassent les avantages, & qu’on voulût continuer d’avoir des Comédiens de profession ; il faudrait essayer de présenter un Système qui, dans ce dernier état du Comédisme, en prévînt tous les inconvéniens actuels & avoués.

Je ne m’arrête point à celui de règler des Comédiens pris au hazard ; je ne crois pas qu’on réussît assez généralement : un homme qui s’est une fois cru deshonoré, qui l’a senti de sens-froid, ne s’honore plus lui-même que par miracle. D’ailleurs, vous avez indiqué la manière dont se décidait la vocation de ces Comédiens ; le libertinage en est le motif : quel édifice peut-on élever sur un pareil fondement ? La jeunesse des hommes & des femmes qui jouent la Comédie, s’écoule ordinairement dans une crapuleuse débauche : ce n’est que dans la Capitale, & d’autres grandes Villes, où l’on en voit quelques-uns revenir, dans la maturité de l’âge, à l’honnêteté de mœurs. Loin de prétendre les règler, il faudrait au contraire que l’Autorité dissipât entièrement ces pestes publiques, qui ne portent que trop souvent le trouble & le desordre dans les Villes où ils séjournent.

Mais si l’on ne pouvait vaincre les obstacles que les préjugés opposent à la civilisation du Théâtre, à sa légitimation, & à son anoblissement, je vois un moyen (triste, a la vérité, mais sûr) d’opérer en partie le bien que vous proposez. L’état actuel des Comédiens est un problème : car n’en déplaise à ceux qui les rejettent hors du corps des Citoyens, ces sévères censeurs ne forment pas le général ; il s’en trouve au moins autant qui les y admettent) : décidons cet état. Ils ne seront pas Citoyens : ce seront des hommes & des femmes destinés à nous donner les plaisirs de l’imitation de la nature : ce seront des Esclaves publics, qui mettront en action, l’ouvrage d’un homme libre, d’un Citoyen distingué : on ne verra plus que l’Auteur dans le Drame ; la vileté de l’Acteur & de l’Actrice ne préjudicieront en rien à la sublimité des maximes, au pathétique des situations, à la grandeur des Héros, à la noblesse de l’ensemble ; parce que l’Acteur disparaîtra. La bassesse des nouvelles Actrices, empêchera que leurs charmes ne produisent de dangereux effets : d’ailleurs, elles seront inabordables : les hommes & les femmes auront des mœurs pures, & vivront sous la discipline la plus sévère. Ces nouveaux Acteurs rempliront tous les Théâtres, depuis celui de l’Opéra, jusqu’à la baraque du dernier des Baladins.

Mais qui choisirons-nous pour exécuter ces vues nouvelles ? Il est certain que nous ne pouvons jeter les yeux sur aucun des Membres de l’Etat ; depuis le Manœuvre qui sert d’aide au Masson, jusqu’au Bourgeois aisé, il n’y a personne, sous un Gouvernement comme celui des Français, à qui l’on puisse proposer de renoncer à la qualité d’homme libre. Je ne vois que les Enfans-trouvés, qui, nourris par le Prince, n’apartenant qu’à lui, étant sans biens, sans famille, puissent être destinés à un état où l’on n’est pas à soi-même ; où l’on ne vit, où l’on ne respire que pour plaire aux autres & les amuser. Cette Jeunesse, pourrait être préparée, dès l’enfance, aux Représentations Dramatiques, en même-temps qu’on interdirait, sous les peines les plus sévères, cette occupation à tous les Citoyens nés légitimes. Voici comme j’imagine que pourrait s’exécuter ce nouveau Projet.

I. On ferait, dans toutes les Maisons du Royaume où l’on élève des Enfans-Trouvés, un choix des Garsons & des Filles, qui, parvenus à l’âge de dix ans, seront bien conformés pour le corps, de la figure la plus agréable, & qui marqueront plus de pénétration : on les ferait instruire dans un des Colléges de la Capitale destiné pour eux uniquement : les Garsons occuperont une aîle du Bâtiment, & les Jeunes-filles une autre : les deux Sexes auront des Maîtres pour les mêmes Sciences, & recevront en tout la même éducation. Ce seront des femmes qui gouverneront les Filles : chaque jour elles s’assembleront dans une Salle commune, où deux de leurs Gouvernantes présideront toujours, pour y recevoir les leçons des Professeurs, de la même manière que les Garsons. On fera faire à ces Enfans les Exercices ordinaires ; c’est-à-dire, qu’on leur enseignera le Latin & le Grec, parce que la Langue Française tient trop de l’un & de l’autre pour qu’on puisse la savoir parfaitement sans leur secours : les Etudes se continueront jusqu’à la Philosophie inclusivement.

II. Outre ces Exercices ordinaires, deux fois la semaine les Acteurs & les Actrices qui lors occuperont les Théâtres de la Capitale, viendront donner des leçons aux Elèves, sur un Théâtre construit à cet effet dans une des Salles du Collége : ce seront ces Acteurs qui décideront, d’après les dispositions des Sujets, à quel genre ils devront s’appliquer, & qui prescriront à chaque Elève la Pièce qu’il doit apprendre. Ainsi, après les Etudes ordinaires, il y aura tous les jours trois heures destinées à celle des Drames Comiques, Tragiques & Lyriques, & l’un des Acteurs-Régens & une des Actrices, se rendront au Collége pour faire répéter.

III. On pourrait, chaque année, élever dans la cour du Collège un Théâtre, où les Elèves donneraient des Représentations publiques de Comédies & de Tragédies : ces Représentations dureraient jusqu’à ce que tous les jeunes Acteurs & les jeunes Actrices eussent passé en revue. Ce serait après ces Exercices publics qu’on ferait un triage des Sujets qui ne seraient pas propres au Théâtre : les Garsons mis au rejet après la troisième année deviendraient Soldats ; & les Filles, Ouvrières dans des métiers utiles : on continuerait l’éducation des autres, que le sort de leurs Camarades rendra plus ardens & plus attentifs.

IV. Les jeunes Acteurs seront traités avec douceur ; on leur formera un bon tempérament par les soins qu’on en prendra, & sur-tout par une nourriture saine & agréable. Tous les jours quatre Elèves des deux sexes assisteront aux Représentations publiques ; les Filles à l’Amphithéâtre, les Garsons au Parterre, afin qu’ils soient à portée de mieux voir, de mieux entendre, & de mieux connaître le goût & le sentiment du Public : ils rejoindront, en sortant, le Gouverneur & la Gouvernante qui les auront amenés. En outre, il y aura chaque semaine un jour de congé, & ce jour-là toutes les personnes de quelque considération qui se présenteront, pourront être admises dans le Collége, pour entretenir les Acteurs & les Actrices, en présence des Gouverneurs & des Gouvernantes ; & cette permission aura pour objet de donner aux Acteur & aux Actrices la connaissance du monde & des usages, nécessaire au Théâtre.

[Adelaïde.

Deux choses peu compatibles à réunir, mon ami, l’innocence de mœurs, & le commerce du monde !

Des Tianges.

Le Règlement rendra nul le danger de séduction.]

On prendra un soin particulier de ceux & de celles qui auront des dispositions pour le chant, & l’on s’appliquera à former leur voix : ils seront separés des autres ; & ces Elèves seront destinés pour l’Opéra.

V. A treize ans, le sort des jeunes Actrices sera décidé, puisqu’elles auront alors accompli les trois années d’Exercices propres à déveloper le talent : mais on attendra que les Garsons aient accompli seize ans, tant pour la voix que pour l’actricisme. A quinze, les Filles pourront monter sur le Théâtre de la Nation, & les jeunes-hommes à dix-huit ; & les unes & les autres ne pourront le quitter que de l’ordre du Prince, ou des personnes préposées par lui, dans le cas où les Théâtres n’appartiendraient pas à la Ville ; ou de celui des Magistrats-municipaux, si les Villes font bâtir les Théâtres à leurs dépens, & se chargent de la Direction.

VI. Les Théâtres seraient donc, ou immédiatement sous la direction de Personnes publiques préposées au nom du Prince, ou laissés aux Magistrats-municipaux ; il semble même que la partie des Spectacles publics regardant plus particulièrement ces derniers, le soin de vrait leur en être confié : Dans ce cas, la Ville percevrait le produit des Représentations, & fournirait à la dépense, tant pour l’ordonnance générale des Spectacles, que pour l’entretien & l’habillement des Acteurs & Actrices.

VII. Les jeunes Elèves ne débuteront sur les Théâtres publics, qu’après en avoir été jugés dignes aux Exercices généraux qui se feront chaque année : les Magistrats pourront retarder le temps du début ou l’avancer, suivant les circonstances, ou les talens des Elèves, ou le besoin du Théâtre, & la convenance de l’âge dans certaines Pièces. Mais dans le cas où malgré les précautions indiquées, l’Acteur débutant ne serait pas goûté sur le Théâtre de la Capitale, il ira jouer sur ceux de la Province.

VIII. Les Villes de Province, assez considérables pour avoir un Théâtre où l’on jouerait toute l’année, ou seulement durant l’hiver, tireront leurs Acteurs du Collége Dramatique de la Capitale : on leur enverra les jeunes Elèves des deux sexes dont elles auront besoin, soit de ceux & celles dont il est parlé dans l’Articles précédent, qui n’auront pas encore été jugés capables d’être admis au Théâtre de la Capitale, soit des autres, qui auront néanmoins achevé leurs Exercices, & qu’on réputera les plus formés. La Direction de la Capitale pourra, lorsqu’elle le jugera à propos, rappeler les Sujets qu’elle aura donnés à la Province, sans autre condition que de renvoyer des Eléves dans le même genre pour les remplacer. Mais ceux qui ne feraient pas non plus soufferts en Province par leur peu de talent, ou leur négligence, seront renvoyés à Paris, & relégués parmi les Baladins.

IX. Tous les Spectacles destinés à amuser la Populace, seront occupés par les Acteurs-enfans-trouvés. Comme les talens sont moins nécessaires pour des Farces grossières, (où cependant l’honnêteté sera respectée) on gardera pour cet emploi les plus médiocres Sujets : ce pourrait être encore un châtiment pour les bons Acteurs, qui auraient commis quelque faute. On obligerait même deux fois l’année, les meilleures Actrices des Théâtres relevés, à faire chez les Baladins, des Rôles ridicules & bas, afin de les avilir, & de prévenir les dangereux effets de leurs charmes.

X. Les Acteurs & les Actrices, une fois admis à l’un des Théâtres de la Capitale, y resteront attachés pour tout le temps qu’ils seront en état de remplir leurs rôles ; ils y seront logés & entretenus : pour cet effet, on prendra un bâtiment convenable, ressemblant aux Cloîtres de nos Moines, où la Troupe en entier sera rassemblée, sous le gouvernement d’un Supérieur pour les hommes, & d’une Maîtresse pour les femmes. Toutes les visites que recevront & que rendront les Acteurs, seront règlées & permises par le Supérieur, qui en rendra compte à la Direction. Les Actrices ne pourront recevoir dans leurs chambres que des visites de femmes ; mais elles seront libres de voir les hommes à des parloirs comme ceux de nos Religieuses. Les Acteurs & les Actrices ne pourront se marier que les uns avec les autres, sous le bon-plaisir de la Direction, qui se servira de ce moyen pour exciter l’émulation de la Troupe, en favorisant toujours le mérite, en cas de concurrence.

XI. Les Acteurs qui ne se formeront pas suffisament, quoique d’ailleurs ils aient quelque mérite, resteront toute leur vie dans les Troupes de province, où ils feront les derniers rôles, ou aux Théâtres des Baladins. Ces Troupes, tant celles des Villes où le Spectacle sera permanent, que celles des Bas-Spectacles, suivront la même règle que ceux des grands Théâtres de la Capitale. Quant aux Comédiens-ambulans, destinés pour nos Villes de la seconde grandeur, ils s’arrangeront pour qu’ils passent l’été dans l’une, & l’hiver dans l’autre : ils seront par-tout astreints à une grande régularité, & soumis à un Supérieur & à une Maîtresse, qui répondront aux Magistrats des Villes & à la Direction de la Capitale, de la conduite des Sujets de la Troupe.

XII. Les Comédiens des Troupes ainsi composées, seront regardés comme des Esclaves publics, & comme tels, incapables d’aucune fonction civile, jusqu’à leur affranchissement. On leur destinera par année des gages qui se monteront à trois cents livres : mais ils n’en disposeront pas : l’Administration retiendra ces sommes les fera profiter par le commerce, & s’en servira pour en former les établissemens des Affranchis qui auront obtenu la permission de quitter le Théâtre ; ou, s’ils meurent Acteurs, de leurs enfans. Dans le cas où les talens distingués d’un Acteur ou d’une Actrice les éléveraient à la perfection de l’art, & mériteraient l’attention du Prince & des recompenses de la part de la Direction, leurs gages pourront être augmentés ; l’on pourra leur permètre de disposer de quelque somme &c.

XIII. Les enfans nés des Acteurs & des Actrices, seront libres, & ne seront point distingués des autres Citoyens. Ils hériteront du pécule de leurs pères & méres morts avant l’affranchissement, comme ils succéderont à leur fortune, lorsqu’ils auront été mis en liberté

XIV. Après chaque Représentation, l’Actrice qui aura fait le principal Rôle, quittera ses habits de Théâtre, déposera tout ce qui pouvait l’embellir, & viendra sur le Théâtre avec des haillons de bure, en sabots, gros linge, &c. elle demeurera dans cet état debout sur le devant de la Scène jusqu’à ce que la petite Pièce commence. Il en sera de même pour l’Acteur qui sera l’annonce ; après s’être incliné profondément, il se mettra à genoux pour aprendre au Public le nom des Pièces que l’on doit donner, & il ne se levera que lorsque les battemens de mains lui en donneront le signal.

XV. On procurera aux Comédiens & aux Comédiennes toutes les douceurs de la vie, hors la liberté, dont ils seront privés ; comme ou l’a vu plus haut, ne pouvant disposer ni de leurs biens, ni d’eux mêmes, ni même recevoir & rendre de visites, que sous le bon-plaisir, du Superieur, qui ne les permettra, aux hommes seulement, que lorsqu’elles lui paraîtront utiles aux progrès de l’art. En outre, chaque année, les Acteurs & les Actrices paraîtront sur le Théâtre, enchaînés ; & là, ils entendront, de la bouche de leur Supérieur, tous les reproches que l’on aura eu lieu de faire à chacun d’eux durant l’année ; il reprendra publiquement leurs vices, quels qu’ils soient ; il humiliera sur-tout, celles des Actrices à qui leur figure & leurs talens pourraient inspirer de la vanité, & dont on saura que les attraits auront fait quelque ravage parmi les Spectateurs. Ensuite, il prononcera tout-haut les peines que ces fautes méritent ; à chaque sentence, le silence, ou le battement des mains, de la part du Public, signifiera grâce ou justice.

XVI. Les peines qu’on infligera aux Comédiens, selon la gravité des fautes, seront, à l’égard des hommes 1. Pour les fautes commises à la maison, telles que la paresse, l’esprit de dispute &c. de demander pardon à genoux, au Supérieur : en cas de récidive, envoyés aux Baladins, pour un temps. 2. Pour désobéissance, révolte, le fouet ; (cette peine sera infligée derrière la toile) ensuite aux Baladins. 3. Pour les négligences dans le Jeu ; le coupable demandera pardon au Public, qui pourra prononcer, aux Baladins. 4. Pour une indécence publique ; le fouet dans les Coulisses, la première fois ; les coupables seront rigoureusement punis à la seconde, & renfermés.

A l’égard des femmes, les peines qu’on leur infligera, seront très-humiliantes : on ne peut aller trop loin de ce côté-là : on en a fait pressentir les raisons : Pour des fautes légères, elles seront condannées aux excuses à genoux, ou bien aux Baladins : Pour de plus graves, aux derniers emplois de la cuisine, & aux autres fonctions basses des Servantes, & à paraître avec les habits de ces états sur le Théâtre, après les Représentations, &c.

XVII. Lorsque les Acteurs & les Actrices mariés auront joué le temps convenable, ils seront enfin affranchis par la Direction, du consentement du Public, auquel cet affranchissement ne sera proposé que lorsque de bons Acteurs pourront remplacer les anciens : les Acteurs retirés jouiront, non d’une pension, mais de leurs gages accumulés, & des intérêts, qui leur procureront le moyen de finir dans une tranquille obscurité le reste de leurs jours : ils n’auront d’autre obligation, envers le Public, que celle de donner des leçons aux jeunes Elèves.

A plus d’un Article de ce Règlement, la rougeur vous est à tous montée au visage ; & sans doute il excitait votre indignation. Je vous approuve, je pense comme vous. Eh ! quel Français aurait l’âme assez dure, pour voir avec plaisir la dégradation de ceux qui font nos plaisirs ! Mais, je le répète, voila quels doivent être nos Acteurs, pour ne plus être dangereux, si nous ne voulons pas ennoblir & légitimer le Comédisme : il faut, ou qu’ils soient honnêtes, nos frères, nos égaux, nos amis ; bien plus, des Citoyens, élevés au-dessus du vulgaire, par leur mérite, leurs grâces, leurs talens ; que leurs mœurs soient les plus honnêtes ; qu’ils soient réellement des modèles enchanteurs : ou que les Comédiens soient si bas, qu’on ne puisse sans rougir descendre jusqu’à eux ; qu’avec une pureté de mœurs volontaire ou forcée, les Actrices soient pourtant avilies, & nous obligent, lors de la Représentation, à ne voir que l’Héroïne, parce qu’il ferait trop desagréable d’arrêter ses yeux sur l’être dégradé qui lui prête son organe : en un mot, qu’on voye le Comédien & la Comédienne presqu’aussi desintéressément que s’ils étaient des automates.

L’on ne saurait disconvenir, que dans l’Etat actuel de nos Acteurs & de nos Actrices, le Théâtre n’est pas à beaucoup près l’école de la vertu. Eh ! qui sait si les mœurs efféminées de notre siècle n’ont pas leur source dans ces divertissemens, où des séductrices aimables font avaler le poison, en feignant de présenter des mets salutaires !

Mais ce nouveau Plan, que je viens de présenter, outre qu’il ne produirait pas l’avantage le plus précieux qu’on a lieu d’attendre de la Représentation par les Acteurs-Citoyens, aurait de plus mille inconvéniens, qui résulteront de l’avilissement nécessaire de Comédiens serviles. Des Esclaves représenteront des Héros ; les précautions infamantes & les punitions choqueront la délicatesse de la Nation &c. il ne convient donc pas à nos mœurs, & ne serait admissible qu’en Pologne, chez les Russes, en Turquie, & parmi toutes ces Nations barbares & demi-civilisées, qui aiment à faire rentrer dans le néant, d’un geste ou d’un regard, les objets de l’admiration publique… Mais, pourra-t-on dire, en prenant ces Enfans-trouvés, d’où vient ne pas les traiter comme nos Acteurs d’aujourd’hui ? leurs mœurs étant pures, ne sera-ce pas assez ?… Non : une Actrice d’une conduite dérèglée, est, à la vérité, un scandale continuel ; sa vue seule réveille la lubricité : mais fût-elle la vertu même, elle est encore très-dangereuse n’excite-t-elle pas la passion, les desirs ? l’imagination ne se la représente-t-elle pas toujours charmante ? ne cause-t-elle pas la chute de mille Spectateurs, que ses attraits ont ennivrés ?… Si vous ne les faites rougir de s’être laissés surprendre, ils adoreront l’Actrice qui les a charmés dans la première Fille perdue qui frappera leurs regards, en sortant du Théâtre. Au lieu qu’en l’avilissant, on détruit cette espèce de vénération que l’homme a toujours pour l’objet de ses desirs, & qui en fait le charme le plus doux.

Des Arcis.

Madame Des Tianges a fait entendre que les Actrices-Citoyennes ne causeront pas le mal que vous cherchez à prévenir, Monsieur. Des Pièces tendres, jouées par des femmes honnêtes, pourront bien disposer l’âme à la tendresse, mais ne la porteront ordinairement pas au libertinage : ajoutez que des Pièces peu répétées captiveront toute l’attention du Spectateur.

Septimanie.

Je pancherais pour ce second Projet.

Honorine.

Mon amie, le Français veut qu’autour de lui tout respire le plaisir & la joie ; il ne goûterait dans ses Acteurs ni l’esclavage ni la contrainte.

Adelaïde.

Vous avez raison, belle Honorine, & vous jugez la Nation d’après la bonté de votre cœur.

Septimanie.

Je ne veux pas dire…

Adelaïde.

Est-ce auprès de moi que vous avez besoin de vous excuser ?… Pour terminer tout ce que nous avons à dire sur les Spectacles, il faut vous faire part du jugement que monsieur D’Alzan porte des Acteurs du Théâtre Français : reprenons à l’endroit où j’intérompis hier monsieur Des Arcis.

Acteurs & Actrices qui ont paru avec éclat sur notre Théâtre.

1. Jodelet, (Julien Joffrin) célèbre Acteur dans le Comique

(Adelaïde.

Il commence par un Catalogue des anciens Acteurs.

Des Arcis continue de lire :)

2. Belle-Rose, (le Messier) en 1623, excellait dans les Rôles Tragiques & Comiques. (on lui reprochait de l’affectation).

3. Floridor de Soulas, Tragédien & Comedien, en 1640. Il était si fort aimé du Public, que la répugnance qu’on eut à lui voir faire le Rôle de Néron dans Britannicus, nuisit au succès de la Pièce ? Il était Gentilhomme.

4. Baron ou Boiron, Père du fameux Baron, Tragédien en 1633.

5. Mondori, Tragédien.

6. Moliére, Auteur immortel, & très bon Acteur. Ses Pièces sont au nombre de 29 : toutes ne sont pas estimées, quoique dans toutes on reconnaisse la main de maître.

7. Baron, le plus grand Acteur qui ait paru depuis la renaissance de la Tragédie. Il est Auteur de 6 Comédies, [Voyez, pour de plus grands détails le Dictionnaire Portatif des Théâtre ; & la Collection des Calendriers des Spectacles, Paris, veuve Duchesne.]

8. Hubert, de la Troupe de Molière, pour les Rôles à manteau.

9. R. Poisson, Auteur-Comédien ; excella dans les Rôles de Crispin qu’il inventa. Il a composé treize Comédies-farces. [Voyez les Ouvrages déja cités.]

10. La Torillière, les rôles de Rois & de Paysans. Gentilhomme.

11. Du Croisy, le Rôle du Tartufe fut fait pour lui. Gentilhom.

12. Beaubourg, débuta pour remplacer Michel Baron, en 1691.

13. Raisin, excellent Comique. On le nommait le petit Molière.

14. Champmêlé, Auteur-Comédien, mari de la célèbre Champmêlé, a fait trois Comédies-farces.

15. Sallé : il avait été Capucin.

16. Montfleury, Auteur de la Mort d’Asdrubal, florissait en 1673.

17. Le fils du précédent, devint Avocat : il a composé 16 Comédies-Farces, & une Tragédie de Didon.

18. Thuillerie, dont on attribue les Pièces à l’Abbé Abeille : elles sont au nombre de quatre ; deux Tragédies, & deux Comédies.

19. Dancourt, Auteur-Comédiens ; Gentilhomme : son Théâtre est le plus nombreux de tous : on y compte plus de cinquante Comédies-farces.

20. Hauteroche, Auteur-Comédien : on a de lui treize Comédies-farces.

21. Brécourt, Acteur Comique, Auteur de 7 Comédies-Farces.

22. Clavareau, en 1712 ou 1717.

23. Ponteuil, fils d’un Notaire, se distingua dans les Rôles de Rois & de Paysans : il rendit au Théâtre le naturel de la Déclamation, trop négligé avant lui (& après).

24. P. Poisson, fils de Raymond, Comédien-Auteur : son Théâtre est composé de huit Comédies.

25. Berci, retiré en 1733.

26. Dangeville, l’oncle : pour les Rôles de Niais. Son neveu, qui fesait les mêmes Rôles, a quitté le Théâtre en 1763.

27. Du Boccage.

28. Quinaut l’aîné : excellent Acteur, Auteur des Amours des Déesses, Opéra.

29. Quinaut-Dufrêne, notre plus grand Acteur après Baron.

30. Duchemin père, jouait les Rôles de Financier & les Rôles à manteau dans la plus grande vérité.

31. Duchemin fils.

32. Le Grand, mort en 1728 : Auteur-Comédien : les Personnages de Rois & de Paysans, ainsi que les Rôles à manteau. Nous avons de lui quelques jolies Pièces : son Théâtre consiste en dix-huit Comédies.

33. La Thorillière fils, fameux Acteur dans le Comique : environ 1688.

34. Dumirail, retiré en 1750.

35. Fierville, retiré en 1741.

36. Fleuri, retiré la même année.

37. Poisson, fils de Paul ; mort à Saint-Germain.

38. Le Grand, debuté en 1719, retiré en 1758.

39. La Thorillière, petit-fils de M. Le Noir de la Thorillière, & fils du fameux Acteur de ce nom ; jouait lui-même supérieurement les Financiers & quelques Rôles à manteau, 1722, mort en 1760.

40. Poisson, petit-fils de Paul ; 1722, mort en 1753. Excellent Valet.

41. Armand, 1723, mort en 1765 ; brilla long-temps dans les Rôles de Valet. Les dons de la Nature & les talens perfectionnés en firent un excellent Acteur.

42. Dubreuil, en 1723, quitté en 1758.

43. Grandval, Acteur qui mérita sa célébrité : les Rôles de Petit-maître, d’Homme-du-monde, & ceux d’amoureux dans le Haut-comique. 1729 ; quitté en 1768.

44. Sarrazin, 1729 : les Rôles de Vieillard dans le Tragique, dans le Haut-comique & les Drames du genre moderne. Dans ses dernières années, la nature le seconda, & le fit bon Acteur : retiré en 1759.

45. Dangeville, les Rôles de Niais. 1730, retiré en 1763.

46. Dubois, les seconds Rôles & les Récits, dans le Tragique : & quelquefois de petits Rôles de Valet dans les Comédies. 1736 ; retiré en 1765.

47. Baron, cet Acteur fut une preuve que l’imitation servile des meilleurs modèles, ne peut former qu’un mauvais Comédien. 1741, retiré en 1755.

48. Lanoue, 1742 ; a quitté en 1757. On l’a nommé l’Acteur de la raison. Auteur de Mahomet II, Tragédie, 1739 ; de Zélisca, Comédie-Ballet, 1746 ; du Retour-de-Mars, au Théâtre Italien, 1735 ; & de la Coquette-corrigée, 1756. Il est un de ceux dont on peut citer la pureté des mœurs sur le Théâtre.

49. Rosely, 1742. Tragédien.

50. Ribou, Tragédien.

51. Des Champs, 1742 ; excellent Valet ; mort en 1754.

52. Drouin, figure noble & intéressante, 1744. Un accident lui fit quitter le Théâtre en 1754.

53. Velaine, Pensionnaire, mort en 1769.

Actrices : Mesdemoiselles,

1. Béjart, excellait pour les Soubrettes, & les Rôles ridicules.

2. Béjart, autrement mademoiselle Molière : on dit qu’elle jouait supérieurement le Comique noble, talent le plus précieux sans doute, & le plus rare. Elle jouait encore les Soubrettes & les Reines : assemblage bizarre, que rendait nécessaire l’incomplettement des Troupes ; & dont on se corrige de nos jours, parce qu’il nuit trop à l’illusion.

3. Duclos : j’ai toujours entendu nommer cette Actrice avec transport par les Vieillards, amateurs du premier Théâtre du monde : elle a joué durant plus de 40 années, ayant débuté en 1693, par le Rôle d’Ariane, reçue le même jour, quitté en 1736 : morte en 1748.

4. Le Couvreur, les succès de cette admirable Actrice, sont, après l’exemple de Démosthène, une preuve, que le travail opiniâtre surmente la nature : sa voix était sourde ; elle sut la faire trouver douce & pathétique ; elle n’était pas grande ; la majesté de son air suppléa ce qui manquait à sa taille ; & joignant à ces avantages, un jeu rempli d’intelligence & de naturel, elle acquit & conserva la réputation de la plus excellente Actrice qui ait paru au Théâtre Français. Débuté en 1717 ; morte en 1730. Tout le monde connaît les vers dont monsieur de Voltaire voulut honorer sa cendre ; ils l’ont encore plus honoré lui-même aux yeux des hommes sensés, ils étaient le tribut légitime de la reconnaissance.

5. Baron de la Traverse, Tragédienne ; 1730-1733.

6. Dangeville, Tante, 1701-1739.

7. Dangeville, Mère, 1698-1712.

8. Deseine, femme de Quinaut-Dufresne, Tragédienne ; 1724-1735.

9. Deshaies-Dancourt, dite Mimi, 1699-1728.

10. Desmares, Tragédienne, 1689-1731.

11. Du Boccage, fille du Comédien de ce nom, les Rôles de Soubrette ; 1723-1743.

12. Dubreuil, femme du Comédien, 1721-1745. Les Rôles de Caractère.

13. Duchemin, femme du Comédien ; retirée en 1726.

14. Gautier, 1716 ; quitté en 1726, morte Carmélite à Lyon en 1765. On a publié quelques-unes de ses Lettres, dans le Journal des Dames, 1767.

15. Jouvenot, Tragédienne ; 1718-1741.

16. Labatte, Tragédienne, pour les seconds Rôles ; les amoureuses dans le Comique ; 1721-1733.

17. Lachaise, 1712-1717.

18. Morancourt, 1712-1715.

19. Poisson, mère du dern. Coméd. de ce nom, retirée en 1680.

20. Poisson, femme du même, 1730-1741.

21. Quinaut de Nesle & Quinaut, l’aînée, Tragédiennes.

22. Quinaut, Cadette, dite, Dufrêne, 1718-1741. Ces trois Actrices étaient filles du Comédien Dufrêne.

23. Lamotte, 1722, débute pour le Tragique, prend les Rôles de Caractères quelque temps après : quitte en 1759 ; morte en 1769.

24. Dangeville fille ; excellente dans les Rôles de Soubrette : elle eut tous les talens de son état ; toutes les vertus de son sexe : Jeunes Actrices, qui nous charmez par vos attraits, prenez-la pour modèle, si vous voulez que le bonheur & l’estime publique couronnent votre brillante carriere : début 1730 ; quitté en 1763.

25. Gaussin : dans son Printemps, ce fut la plus belle des Grâces ; c’était Cypris, durant son Eté ; l’Hiver parut, elle ne fut plus que Psyché enlaidie, succombant sous les coups de Tisiphone. Elle avait les Rôles tendres dans le Tragique & dans le Comique : le Ciel l’avait douée d’un organe propre à remuer les cœurs, avec une beauté qui se les attachait ; son nom signifie encore, tout ce que l’on peut imaginer de plus touchant. Mademoiselle Gaussin était bonne, trop bonne ; on en cite plus d’un exemple : début 1731 ; quitté en 1763.

26. Grandval, femme du Comédien : excellait dans les Rôles que fait aujourd’hui Melle Préville : début 1734 ; retirée en 1760.

27. Lavoi, 1739-1759 : quelques Rôles de Caractère, tels que ceux des Provinciales : elle avait débuté dans la Trag.

28. Clairon, Actrice célèbre dans la Tragédie, & l’honneur du Théâtre Français. Pour encourager celles qui lui ont succédé, disons qu’elle dut tout à son travail : la médiocrité suppose toujours un fonds de paresse, un manque de sentir & d’amour de la gloire. Dans ce dernier cas, pourquoi monter sur le Théâtre ? Quittez la Scène, fuyez, profanes, si vous ne voulez on ne pouvez exceller. Elle a débuté en 1743, & quitté en 1766.

29. Brillant, débuta en 1750 : fesait quelques Rôles d’amoureuses, & doublait quelquefois Melles Gaussin & Grandval.

30. Guéant, 1754, morte en 1758. Elle paraissait dans certains Rôles de mademoiselle Gaussin, où elle fit toujours le plus grand plaisir. Tels sont les Rôles d’amoureuse, dans les Dehors-trompeurs, la Pupille, l’Oracle, Zénéide, &c. Cette Actrice eut tout ce qu’il falait pour produire une illusion complette dans les Rôles de Jeune-fille, elle était timide & belle : elle a fait durant quelques années, avec mademoiselle Hus, l’ornement de la Scène Française.

31. Camouche, Pensionnaire, morte en 1761, âgée de 19 ans.

32. Le Kain, femme du célèbre Acteur : jouait les Soubrettes, 1761-1768.

 

Acteurs  du Théâtre Français. Messieurs *,

54. BONNEVAL……

Adelaïde.

Nous en sommes aux Comédiens actuels !

Des Arcis.

Serait-il sûr de donner son jugement devant ces Cabaleurs scéniques, dont on m’a parlé ?

Des Tianges.

Oui, mon ami : les préventions Théâtrales sont aujourd’hui moins furieuses que du temps des Pylade & des Bathylle ; l’on peut dire son sentiment du Spectacle, des Acteurs, & même de notre Musique, sans crainte de se faire assommer.

Bonneval, a débuté le 9. Juillet 1741 : il fait les Rôles à manteau. Le Public pense que c’est un bon Comédien, auquel il ne manque communément que du naturel.

55. PAULIN, débuté le 5 Août 1741 : Bon Paysan, dit-on, mauvais Tyran.

56. LEKAIN, début en 1751 : excellent Tragédien : on trouve qu’il joue ses rôles parfaitement dans les mêmes apercevances, que l’Auteur doit avoir eues en composant le Drame. Depuis sa convalescence, il réunit tous les suffrages.

57. BELLECOUR, début le 21 Décembre 1750 : les rôles d’homme-à-la-mode : de l’aisance, l’usage du monde, le naturel embelli par l’art. Auteur des Fausses-Apparences, petite Comédie.

58. PRÉVILLE, début en 1753 : Il plaît toujours ; ses fautes même sont d’heureuses négligences, que le Public ne voit que du bon côté. Cet excellent Acteur rend supérieurement quelques rôles de fripon : mais dans ceux d’honnête bonhommie des Drames nouveaux, on sent qu’il joue d’après son cœur, & les larmes qu’il fait verser sont délicieuses.

59. BRISARD, en 1758 : Du feu, du feu, bon Vieillard, & vous serez adoré. Ses rôles d’honnête-homme, dans le Haut-Comique, sont d’une vérité qu’on ne peut qu’admirer & sentir.

60. MOLÉ, en 1761 : Pour vous, il faut vous modérer : moins de feu, plus de naturel ; il ne vous manque, pour être un parfait Acteur, que d’exciter plus le sentiment que l’admiration, & d’être moins applaudi. Si vous m’en croyez, vous fuirez la Tragédie, pour laquelle vous n’êtes pas fait, & vous vous ménagerez pour nous enchanter dans la Comédie : Votre jeu est à vous ; ne l’outrez pas, & bégayez moins.

61. D’AUBERVAL, 1761 : les seconds rôles dans les deux genres : son Jeu quelquefois est senti : mais sa démarche semble guindée, & son accourir pour les Récits est ridicule.

62. BOURET, 1763 : les rôles de Niais : Cet Acteur, inférieur entout à Dangeville, affecte un ton qui souvent empêche d’entendre ce qu’il dit.

63. AUGER, 1763 : Avec des yeux comme les siens, songer à la Tragédie ! Il devait attendre du moins qu’un nouveau Regnard chaussat le cothurne tout exprès pour lui. Il excelle pour jouer les valets fripons.

64. FEULIE : 1766 : Cet Acteur marche sur les pas d’Armand : Puisse-t-il atteindre son modèle !

65. BELMONT, o… ou les rôles de Notaire.

66. PIN, Acteur laborieux, & meilleur qu’on ne croit dans les rôles à manteau ; mais à qui l’on devrait ôter les Confidens.

67. D’ALINVAL, 1769 : Quand on le voit, quand on commence à l’entendre, on espèce…… Mais parturient montes…… Il fait les Tyrans, & quelquefois les Pères dans le Haut-comique.

68. CHEVALIER. Que sera-t-il ?…… Il faut attendre : tant-pis & pour nous & pour lui, s’il veut toujours imiter. Joue les amoureux & quelques rôles tragiques.

69. D’ALAINVILLE, 1769. On en dit du mal, on en dit du bien… Et vous, que vous en semble ?… Oh ! si j’en savais du bien, je l’aurais dit. Les amoureux dans la Comédie, & (malheureusement) de grands rôles dans le Tragique.

70. NEUVILLE. Doublant pour les Petits-maîtres & quelques rôles du Tragique. Un Acteur dont l’état est de plaire, & qui n’est rien s’il ne plait, doit réunir la convenance dans la taille, l’agrément de l’organe, la noblesse de la figure, à l’intelligence, aux entrailles : Si les dons naturels n’étayent en vous le talent, & ne lui donnent le lustre de l’amabilité, quittez un état où l’on paie de sa personne, & prenez un de ceux où la Société n’a droit de nous reprocher que nos vices.

Actrices . Mesdemoiselles,

33. DUMESNIL, débuté en 1737 : Actrice sublime…… Lorsqu’on donne les Pièces de Corneille, de Racine, de Crébillon, de Voltaire, Melpomène, qui ne croit pas qu’une Mortelle puisse en rendre toute l’énergie, prend les traits de Dumesnil ; & ces éclairs qui nous éblouissent, ces coups-de-foudre qui nous terrassent, partent de la Fille de Jupiter.

34. DROUIN, 11 Juin 1742 : Cette Actrice joue (maintenant) les rôles de caractère, avec beaucoup de vérité.

35. BELLECOUR, en 1747 : Les rôles de Soubrette, avec cette facilité, cet enjoûment propres à son genre.

36. HUS, 1753 : Elle joue les Amoureuses ; & la beauté seule produit dans ces rôles une illusion flateuse.

37. PRÉVILLE, 1757 : Les Coquettes, les Femmes-de-qualité, avec beaucoup de finesse ; mademoiselle Grandval en mettait moins dans son jeu, & lui donnait peut-être plus de vérité.

38. DUBOIS, 1760 : Quelle majesté ! que de grâces !… Si vous l’aviez voulu, vous nous consoliez de la retraite de Clairon.

39. D’ÉPINAY ou Molé, 1762 : les secondes Amoureuses dans le Comique, & les Récits dans la Tragédie ; assez bien pour ces derniers rôles, médiocre dans les premiers.

40. DOLIGNI, 1764 : Divine Hébé, charmante adolescence, ne la quittez jamais… Cette aimable Actrice prend les rôles de mademoiselle Gaussin ; mais elle ne la remplace pas encore.

41. LUZI, 1764 : minois séduisant, air fin, taille finie, voix délicieuse, débit aisé, jeu délicat, ensemble charmant… Encore quelques pas, belle Mignone, & vous atteignez Dangeville.

42. FANIER, 1766 : Jolie Soubrette, pour laquelle nos Jeunes-gens marquent de la prédilection.

43. VESTRIS, 1769 : Cette Tragédienne a l’expression du sentiment ; mais sur le Théâtre, elle est encore trop elle-même, & pas assez le Personnage : on lui reproche un peu de monotonie. Le Public, qui l’aime, en espère beaucoup.

44. SAINVAL, 1767 : Un geste forcé, des grimaces, peu d’organe, point de grâces ; mais du feu, peut-être de l’âme. Elle parodie mademoiselle Dumesnil, en voulant l’imiter.

45. DUGAZON, 1768 : Soubrette intelligente ; mais dont on ne peut que soupçonner le talent.

46. LA CHASSAIGNE, 1769 : élève de mademoiselle Lamotte. Les rôles de caractère. Doublante.

47. DESMARES, grande femme ni belle ni laide, qui joue plus mal que bien. (Les rôles de Vieilles ridicules.)

48. BOGNOLI, Double Melle Drouin, & la fera regretter.

 

Acteurs & Actrices distingués, qui jouent sur les autres Théâtres.

Au Théatre Italien. Acteurs : Messieurs,

Carlin, arlequin, a su se créer un Jeu particulier, qui fait dédaigner tous ceux qui prétendent à le remplacer.

Caillot : Sa présence inspire la joie ; son Jeu ravit ; sa voix gracieuse & sonore remue les cœurs.

Laruette : Peu de jeu, point de gestes, & possèdant l’art nouveau de savoir s’en passer.

Clairval : son abord est dur, mais il rend d’une manière intéressante.

Nainville, timbre agréable & fort.

Actrices : Mesdemoiselles,

Favart : Elle a fait durant plusieurs années toute la ressource du Théatre des Ariettes, par ses rôles dans Ninette, la Bohémienne, la Servante Maitresse, &c.

Laruette, serait digne d’être admise au Concert des Dieux : ses accens répandent dans l’ame une douce ivresse ; c’est n’est plus une mortelle que l’on entend, c’est Europe chantant parmi les Muses ; c’est une Divinité qu’on adore.

Beaupré : De la vivacité ; de la finesse ; l’air coquet ; une jolie voix, mais déja cessante.

Mandeville : Cette charmante Actrice a la voix belle, son parler est enchanteur ; elle joue dans le vrai les rôles d’ingénuité. *

A l’Opéra. Acteurs.

[Tout est rayé de maniére qu’on ne saurait lire !

Adelaïde.

Un mot dit à monsieur D’Alzan en fut la cause………§]

Des Tianges.

Je vais y suppléer. Le Théâtre de l’Opéra est nombreusement fourni de sujets médiocres : quant aux bons…

Apparent rari nantes in gurgite vasto.

C’est-à-dire, que la liste en est courte. Messieurs,

Gélin, (un jeu senti, de la chaleur, mais une voix cessante).

Larrivée, (les mêmes qualités que le précédent, avec ce qui lui manque). *Durand ; *Cassaignade ; *Delasuze ; *Peré. Basses-tailles.

Pillot ; *Le Gros, (belle voix : il vient de se surpasser dans *Dardanus) ; *Muguet ; *Tirot ; *Cavallier ; *Peyre. Hautes-contres.

Des Arcis.

Il n’y a donc point de Tailles à l’Opéra ?

Des Tianges.

Non, mon ami : comme on n’y représente que des Dieux, des Héros, des Magiciens, des Forcenés, la voix humaine par excellence y conviendrait peu.

Actrices : Mesdemoiselles,

Dubois ; *Larrivée (Lemierre) ; *Rivier ; *Duplant ; *Beauménil ; *Reich ; *Duranci, *Dupuis ; *Besse ; *Garrus ; *Chateauneuf ; *Floquet ; *Dhauterive ; *Émilie ; *Dailli.

Je ne dis rien des deux Troupeaux maltriés qui bordent les Coulisses : ce sont des Jets-de-voix, fichés à demeure, qu’un ressort fait aller.

Des Arcis.

Vous n’avez pas nommé cette Actrice célèbre dont on ne parle qu’avec admiration ?

Des Tianges.

Vouliez-vous que je la confondisse avec des Chanteuses ? Mademoiselle Arnould est la Lecouvreur de l’Opéra ; peut-être surpasse-t-elle la première des Tragédiennes… Vous la verrez ; ce que j’en dirais se trouverait toujours au-dessous de la vérité.

L’aimable Rosalie, que j’ai de même oubliée à dessein, fesait dernièrement l’Amour dans l’Acte de Psyché des Fêtes-de-Paphos ; mademoiselle Arnould, le rôle de Psyché : Jamais l’Amour ne fut si sûr de blesser les cœurs ; jamais Psyché ne fut aussi touchante, aussi belle………………*

Amicus Socrates, amicus Plato ; magis amica veritas.